dimanche 3 octobre 2010

Enfin vous retrouver...

Il a suffi d'une panne malencontreuse (un filtre haut débit à changer) et d'un voyage à Rome pour que je perde contact avec vous chers lecteurs anonymes, chers amis, qui me dites, au gré des rencontres, que vous lisez ce metablog. Bossuet aurait dit : "chers chrétiens", et mon mauvais esprit - allié à ma culture internautique - rajoute en hommage au Père Rahner : chers chrétiens anonymes ou pas...

Quand on va à Rome, on a besoin de penser l'universalité du christianisme (ou, dit en grec, sa catholicité). Comment le christianisme a-t-il osé se dire catholique (universel) par la bouche de saint Ignace d'Antioche, dès le Premier siècle. Ce mot est en quelque sorte depuis toujours pour l’Eglise une bannière, un étendard – qu’un saint Augustin reprendra avec conviction, en l’utilisant à de nombreuses reprises dans son sens propre : le Christ est universel, le Christ est pour tout l’univers. Et nous, avec ce mot, nous faisons exactement l'inverse : « catholique » ou pire « catholicisme », cela devient le symbole de la confessionnalisation du christianisme, la dénomination d'une confession... particulière parmi toutes les confessions chrétiennes. Bref l’inverse de l’universalité.

Il faut penser à l'universalité de l'Eglise... sous peine de n'être plus vraiment… catholique. Sous peine de transformer le catholicisme en une étiquette particulière, ce qui signifierait qu'on l'a vidé de sa vérité, qui est pour tous les temps et tous les lieux. Mais pour être capable de penser à l’universalité de l’Eglise, sans que cette pensée soit creuse et purement théorique, il faut aussi et d’abord PENSER L’UNIVERSALITE DE L’EGLISE aujourd’hui, la comprendre, non pas telle qu’on aimerait qu’elle sopit, mais telle qu’elle est pour chaque être humain.

J'en discutai profondément avec un séminariste, qui me fit part de son enthousiasme pour Tertullien et pour Moltmann...

Tertullien ? Il faudrait pouvoir le lire davantage. Son De carne Christi contient un magnifique éloge de la chair, ce qui est étonnant chez un ascète comme Tertullien. Son petit texte intitulé Témoignage de l’âme naturellement chrétienne nous permet de comprendre comment dès le début du christianisme, la foi, malgré son caractère in-ouïe (ineptum dit Tertullien) est en même temps une évidence pour chaque âme qui en rend témoignage. Tertullien, qui écrit vers 190, nous montre combien la foi est identique à elle-même et combien l’anthropologie qui en dépend est la même hier et aujourd’hui. L’antignosticisme musclé du Contre Marcion peut encore donner bien des idées aux apprentis philosophes sur les constantes de la philosophie chrétienne.

J'ai peu lu Moltmann. Mais je crois qu'il est à sa manière très représentatif de ce que le regretté Thomas Molnar appelait "la grande tentation de la pensée allemande" : concevoir le Royaume de Dieu, non pas comme une deuxième chance, non pas comme un salut venu d’ailleurs mais comme la réalité ontologique de ce monde. Et du coup, en faire une sorte de nécessité historique. Faire de l'histoire humaine une « théogonie », un avènement de Dieu. Imaginer un Dieu qui s'implique dans l’histoire humaine et dans ses échecs, au point de souffrir en tant que Dieu – comme si Dieu, infini, éternel, Tout puissant pouvait souffrir. Le rôle de Dieu, impliqué, intriqué même dans l’histoire humaine serait d’être au cœur de l’événement pour démentir les apparences de la victoire du Mal, en subissant lui-même le Mal et en le transmutant par le fait même qu’il le subit. De tout son être infini souffrant – ou plutôt présumé souffrant par Moltmann – Dieu sauve ainsi l’humanité sans faire de détails !

Dans cette histoire, il n’y a plus que Dieu. Dieu nous sauve qu’on le veuille ou non, qu’on l’ai souhaité ou non…

Comme si ce Royaume n'était pas avant tout une liberté personnelle, liberté du Christ d'abord, qui ne subit pas les conséquences avilissantes du péché. Liberté de chaque homme ensuite par et dans le Christ, se libérant petit à petit des addictions et des mensonges que le péché engendre.

Comme si le Royaume n’était pas un événement historique. Non pas d’abord un avènement, non pas d’abord un nouvel âge, une nouvelle ère. Plutôt d’abord un fait, une vérité de fait, que l’on accepte ou que l’on refuse : « Il a souffetrt sous le Préfet Ponce Pilate » nous fait dire le Credo. La passion du Christ n’est pas une figure métaphysique ou un système imprégné de cette nécessité qu’aurait pu lui conférer un rationalisme supérieur. C’est un fait. Nu. A la portée de tous. A portée de main pour chacun, soit pour la foi soit pour le blasphème. Ce fait-vrai (verum factum dit Vico) n'a rien à voir avec les raisons de l'être parce qu’il procède d’une raison supérieure, une raison du coeur. Eh oui : le coeur aussi a ses raisons, je parle bien sûr du coeur de Dieu.
Ce Royaume qui est une liberté et un événement apparaît non comme l’ultime dimension de l’être en gestation de l’Absolu, mais, modestement, de manière fragile, comme un accomplissement aléatoire, au sens où « alea » signifie le dé. Pascal a parlé de pari, disons que c'est notre liberté qui offre "ce qui manque à la passion du Christ" (Col). Cette offrande nous met en jeu. Elle représente un risque, mais comme Platon en a eu l’intuition dans le Phédon, ce risque est gagnant.

On me dira que le christianisme de Moltmann, vaste dispositif ontologique dans lequel on voit Dieu s’impliquer dans l’histoire humaine au point de souffrir est bien plus universel (catholique) que le christianisme de Pascal, que je défends ici. et on accusera ce dernier de "jansénisme". Sans voir que le fameux Pari de Pascal, loin d'être un texte prédestinatianiste est une hymne splendide à la liberté de l'homme, une hymne à l'existence dans laquelle s'accomplit le salut, loin de tout déterminisme essentialiste. Il faut parier, même si, Pascal le précise, c'est toujours à coup sûr. Mais celui qui ne parie pas, celui qui ne met pas sa liberté dans la balance où chaque existence est pesée, celui là d'une manière ou d'une autre a perdu sa vie. Il a perdu le pari à ne pas vouloir parier.

Quelle est l'universalité de l'Eglise ? Non pas celle d'une grande loi ontologique qui s'acharnerait à faire du salut de l'humanité un événement intratrinitaire. Thomas d'Aquin s'est toujours refusé à une telle perspective. Pour Thomas, il est impossible de dire « Dieu souffre » et ce n'est pas pour rien. Le but ultime de saint Thomas est de sauver la liberté de chaque personne, qui est seule déterminante en l'occurrence. L’universalité de l’Eglise n’est pas une universalité notionnelle, mais une universalité analogique : celle qui naît de la liberté de chaque sujet. L’Eglise est une société de personnes. Dans l’Eglise il n’y a que des volontaires.
Son universalité est donc une universalité faite de la singularité de toutes les personnes. On peut dire que l’Eglise réalise une sorte de personnalisme intégral, toujours différencié, comme le souligne saint Paul aux Ephésiens, évoquant, en travail dans l’Eglise « la sagesse du Seigneur en sa riche diversité ».
Du point de vue épistémologique, l’universalité de l’Eglise renvoie à l'évidence chrétienne ("Tu aimeras...") accessible à tout homme "de bonne volonté" - si on reprend le grec de saint Luc : à tout homme qui fait le bon choix : celui du pari-à-coup-sûr que Pascal découvre au coeur de... nos fois.

Paradoxe ultime de cette évidence : elle n’est pas analytique, nous renvoyant à nous-mêmes. Elle est transformante, dans la mesure où elle est divine. Tertullien justement a bien compris cela : "On ne naît pas chrétiens" Non nascuntur christiani. La communauté chrétienne n'est pas issue de la naissance et fermée sur elle-même et sur sa sociologie. Elle est issue du pari, que tout homme – depuis Platon au moins - sait qu'il doit faire... Pour vivre. Ou plutôt : pour pouvoir, le moment venu, de toute la force de son vouloir christifié par la grâce, donner tort à la mort.

3 commentaires:

  1. Comme dit Thierry, enfin vous lire...ce qui vaut tous les commentaires, donc... je ne résisterai pas à en faire un. La foi est bien un choix individuel, celui de suivre l'enseignement du Christ. C'est bien un pari et pas un "acquis". La vie d'un homme, quel qu'il soit, ne sera jamais un long fleuve tranquille où il est possible de prendre un ticket d'entrée au Royaume. C'est, à mon sens, une histoire d'Amour, avec un grand A, et cela n'est pas du tout évident, en particulier dans ce XXI° siècle qui voit le rejet du christianisme, fruit d'une haine qui vient de loin. Continuez, monsieur l'Abbé, les fidèles et les autres ont besoin de prêtres comme vous.
    Willy

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  2. Oui, votre texte est digne, pour le moins. Il est émaillé de formules magnifiques telles que ces deux-ci, que je cite en substance: "Disons que c’est notre liberté qui offre ce qui manque à la Passion du christ"; ou encore: "celui qui ne parie pas d'une certaine manière a perdu sa vie parce qu'il n'a pas voulu parier." Formule en pleine cohérence avec votre personnalisme poussé jusque dans les conséquences ultimes du jeu de rôles impliqué par l'étymologie du mot personne. Le rôle de l'homme, c'est d'offrir à dieu sa liberté; mais, puisque tant de blocages psychologiques l'entravent, sans parler moins du refus que de la peur de se déposséder; puisque la liberté a encore peur, peut-on offrir ce qui n'est pas vraiment ou pas manifestement sauvé? Et si le royaume est un aléa", soit la pierre que l'on jetait jadis à l'image du dé que l'on jette aujourd'hui, le dé étant le plus haut symbole du Hasard; si le royaume est un aléa, à ce jeu-là, la personne humaine n'est-elle pas jouée? Sans parler du problème qui se pose du point de vue de Dieu: pourquoi se serait-Il ingénié à créer s'Il court le risque inexorable de le perdre? Mais peut-être cette dernière question m'est-elle dictée par ma propre peur de perdre ou de parier. Eh oui, j'ai peur, je vous l'avoue: c'est pourquoi je trouve refuge, comme la brebis perdue, peut-être avant de revenir et de réintégrer, comme l'enfant prodigue, votre communauté de volontaires, dans l'Universalité de l'amour de dieu (je ne sens plus en mon pouvoir de vouloir). Universalité facile et quiétiste? Comme je ne vous ménage pas quand je suis en désaccord intellectuel avec vous, j'en accepte par avance votre critique morale de mon mental en loques. Pour terminer un peu plus légèrement, je veux bien que Tertullien ait fait l'éloge de la chair; mais il poussait si loin la nécessité du baptême qu'il écrivit:
    "La virginité d'une jeune païenne est fornication au Regard de Dieu!"

    Tout à la joie de vous relire moi aussi

    J. WEINZAEPFLEN

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