Personne ne lit plus Taine et si je ne préparais pas une émission sur son biographe attitré, François Leger, il ne me serait pas venu à l'esprit de méditer ses leçons. Sa trajectoire spirituelle est étonnante pourtant. Jeune, il peut être comparé au Julien Sorel de Stendhal, jeune homme doué, en révolte contre la société de son temps et son pseudo spiritualisme, moqueur face à la pseudo religion qu'elle se donne... Il faut le voir, normalien frai émoulu de la Rue d'Ulm, envoyé comme prof en Poitou dans le diocèse du cardinal Pie : il joue le jeu des conservateurs locaux, pour ne pas attirer l'attention... mais sans croire un mot du classicisme très XVIIème qu'il distille dans ses cours. On a l'impression qu'Hippolyte au lycée, c'est Julien Sorel au séminaire...
Ce jeune révolté devint sur la fin de sa vie, à force d'observer les faits sociaux et de les passer au crible de sa passion pour la biologie, un véritable conservateur, et c'est dans cet état d'esprit qu'il écrivit Les origines de la France contemporaine, cette fresque monumentale qui est - entre autres - une charge contre la Révolution française, responsable de ce que Pierre Chaunu appellera plus tard "le grand déclassement" de la France.
Mais quel est son rapport au christianisme ? Il a publié sur ce sujet une série de trois articles dans la Revue des deux mondes en mai et juin 1891, que la recherche patiente de François Leger nous restitue.
"L'amour de Jésus Christ, écrit François Leger, avait réussi à créer dans le peuple comme un organe nouveau - et là il cite Taine : "la grande paire d'ailes indispensable pour soulever l'homme au dessus de lui-même, au dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers la patience, la résignation et l'espérance jusqu'à la sérénité, pour l'emporter, par delà la tempérance, la pureté et la bonté, jusqu'au dévouement et au sacrifice".
Etonnante formule d'un grand matérialiste, d'un analyste pointilleux, d'un biologiste passionné. Dans cette série d'article, Taine montre l'évolution ultramontaine du catholicisme, qui a lieu alors que Napoléon persécute ce même Pie VII qu'il avait requis pour le couronner empereur... Et surtout il décrit le mécanisme de la déchristianisation. François Leger le résume ainsi : "Le catholicisme présentait à ses fidèles un tableau de l'univers, qui, déjà traditionnellement durci par la rigidité latine de ses formulations, avait encore depuis le début du siècle accentué sa rigueur et, si l'on peut s'exprimer ainsi, son étrangeté, alors que dans le même temps s'offrait chaque jour aux yeux des contemporains un tout autre tableau du même univers, un tableau dont la science moderne n,e cessait d'accroître l'attrait par l'incessant apport de ses découvertes, tableau dont l'instruction pimaire, le livre et la presse ne cessaient de vanter la véracité et la perfection. Entre ces deux tableaux, le contraste était devenu si criant que les Français étaient en train de perdre la foi". Suivent des chiffres : sur la Paroisse de la Madeleine, il y a 4000 pratiquants sur 29 000 habitants, et à Grenelle pas plus de 1500 sur 47 000...
Le diagnostic d'"étrangeté" me semble terriblement exact. C'est cette étrangeté de certaines formulations catholiques qui a engendré le malaise dont s'est nourri le Concile. Cette "étrangeté" est-elle surmontée pour autant aujourd'hui 45 ans après Vatican II ? L'omniprésence de la langue de buis dans certaine communication ecclésiastique me semble un symptôme parmi d'autres de la persistance du malaise.
Ce jeune révolté devint sur la fin de sa vie, à force d'observer les faits sociaux et de les passer au crible de sa passion pour la biologie, un véritable conservateur, et c'est dans cet état d'esprit qu'il écrivit Les origines de la France contemporaine, cette fresque monumentale qui est - entre autres - une charge contre la Révolution française, responsable de ce que Pierre Chaunu appellera plus tard "le grand déclassement" de la France.
Mais quel est son rapport au christianisme ? Il a publié sur ce sujet une série de trois articles dans la Revue des deux mondes en mai et juin 1891, que la recherche patiente de François Leger nous restitue.
"L'amour de Jésus Christ, écrit François Leger, avait réussi à créer dans le peuple comme un organe nouveau - et là il cite Taine : "la grande paire d'ailes indispensable pour soulever l'homme au dessus de lui-même, au dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers la patience, la résignation et l'espérance jusqu'à la sérénité, pour l'emporter, par delà la tempérance, la pureté et la bonté, jusqu'au dévouement et au sacrifice".
Etonnante formule d'un grand matérialiste, d'un analyste pointilleux, d'un biologiste passionné. Dans cette série d'article, Taine montre l'évolution ultramontaine du catholicisme, qui a lieu alors que Napoléon persécute ce même Pie VII qu'il avait requis pour le couronner empereur... Et surtout il décrit le mécanisme de la déchristianisation. François Leger le résume ainsi : "Le catholicisme présentait à ses fidèles un tableau de l'univers, qui, déjà traditionnellement durci par la rigidité latine de ses formulations, avait encore depuis le début du siècle accentué sa rigueur et, si l'on peut s'exprimer ainsi, son étrangeté, alors que dans le même temps s'offrait chaque jour aux yeux des contemporains un tout autre tableau du même univers, un tableau dont la science moderne n,e cessait d'accroître l'attrait par l'incessant apport de ses découvertes, tableau dont l'instruction pimaire, le livre et la presse ne cessaient de vanter la véracité et la perfection. Entre ces deux tableaux, le contraste était devenu si criant que les Français étaient en train de perdre la foi". Suivent des chiffres : sur la Paroisse de la Madeleine, il y a 4000 pratiquants sur 29 000 habitants, et à Grenelle pas plus de 1500 sur 47 000...
Le diagnostic d'"étrangeté" me semble terriblement exact. C'est cette étrangeté de certaines formulations catholiques qui a engendré le malaise dont s'est nourri le Concile. Cette "étrangeté" est-elle surmontée pour autant aujourd'hui 45 ans après Vatican II ? L'omniprésence de la langue de buis dans certaine communication ecclésiastique me semble un symptôme parmi d'autres de la persistance du malaise.
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