mardi 31 mars 2020

Parenthèse sur l'immortalité des animaux

Histoire d'interrompre un peu le commentaire de la sainte Messe que j'ai commencé, j'ouvre une parenthèse sur le salut des animaux. J'ai promis voici quelques semaines sur les ondes de Radio courtoisie le texte de saint Thomas d'Aquin sur l'immortalité des animaux. Je tiens ma promesse mais sur ce blog pour l'instant, avant d'en faire l'objet d'une causerie radiophonique un de ces jeudis soirs. Le texte est tiré du De Potentia Q5 a9 ad 1m, l'une des grandes oeuvres de saint Thomas d'Aquin qui se présente comme un recueil de questions disputées.

Ce texte offre deux considérations distinctes : le sens de la création d'une part - considération métaphysique qui est toujours d'actualité, comme le néant qui la suscite ;  et la physique aristotélicienne du mouvement, remontant, par l'intermédiaire de corps célestes éternels, à un premier moteur. Autant dire que cette physique-là est définitivement périmée.

Voici le texte en latin tel que je l'ai trouvé dans la Biographie anonyme d'Alessandra di Rudini, ancienne maîtresse de Gabriele d'Annunzio, devenue carmélite. Alessandra se sert de ce texte pour consoler une jeune religieuse, après la mort d'un petit oiseau apprivoisé : "Omnia opera Dei in aeternum perseverant vel secundum se vel in causis suis. Sic enim et animalia et plantae remanebunt, manentibus caelestibus corporibus". Je propose deux traductions différentes : la première est plus conforme au contexte de cette question disputée ; la seconde au principe émis par saint Thomas dans la première phrase, principe révolutionnaire, si on le mène au bout.

Voici ce principe à propos duquel on ne saurait défendre deux traductions différentes : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l'éternité, soit en elles mêmes soit dans leurs causes". Ce principe est fondamental. A lui tout seul il emporte notre conviction : Dieu ne crée rien en vain. Le but de la création ne saurait être le néant. Les innombrables virtualités que Dieu a appelées à l'Etre en les créant ne sont pas réduite à rien par le temps qui passe et si elles n'existent plus en elles-mêmes, elles continuent d'exister "dans leurs causes", dit saint Thomas, comme autant de formes lumineuses dans cet "espace intelligible" (Malebranche) qui est le spectacle de sa Toute puissance que Dieu réserve à ses élus.

Le texte a une suite, que l'on peut traduire de deux manières. Voici le latin ; "Sic enim et animalia et plantae remanebunt, manentibus corporibus caelestibus". Première traduction, qui prend acte du contexte du De Potentia : "Ainsi les animaux et les plantes demeureront, tant que demeurent les corps célestes". Dieu qui a donné l'être à toutes choses, comme une participation de son propre Etre infini, peut en effet faire en sorte que même un être incorruptible, comme est le corps céleste dans l'astronomie dite de Ptolémée, ne soit plus. Dieu peut en effet soustraire l'être (ce miracle de l'existence) à tout étant, le réduisant au néant. Mais reste qu'en eux-mêmes les corps célestes sont incorruptibles. Ils restent éternellement semblables à eux-même, au point qu'Aristote (Métaphysique Lambda 8) les appellent "des dieux visibles".

Deuxième traduction ? Si l'on tient compte de l'incorruptibilité des corps célestes dans la physique aristotélicienne, on peut penser que saint Thomas donne le maximum d'amplitude au principe qu'il émet dans la première phrase : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l'éternité, soit en elles-mêmes soit dans leur cause. Ainsi même les animaux et les plantes demeureront, avec les corps célestes". Si l'on se réfère à la phrase précédente, que nous avons appelé le principe (Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l'éternité), en effet, cela coule de source : Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l'éternité, même les animaux et les plantes ou les corps célestes (qui en eux-mêmes sont incorruptibles, Magister dixit).

Le principe que saint Thomas met au jour reste purement philosophique. La théologie a-t-elle quelque chose a ajouter sur ce sujet, au nom de la parole révélée ? Il me semble qu'elle affirmerait plus volontiers l'immortalité des animaux que la philosophie aristotélicienne à laquelle se réfère saint Thomas, et, pour laquelle, vous l'avez vu, les choses sont complexes.

C'est un texte du prophète Jonas que nous avons lu la semaine dernière, durant la messe, qui peut servir de base à notre réflexion. Recevant, contre son gré, la prédication du prophète Jonas, les Ninivites se convertissent et font pénitence pour échapper à la colère de Dieu : "Le roi de Ninive fit crier partout dans Ninive comme venant de la bouche de ses princes : "que les hommes, les chevaux, les boeufs et les brebis ne mangent rien, qu'on ne les mène point au pâturages et qu'ils ne boivent rien. Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs et qu'ils crient au Seigneur de toutes leurs forces" ( (Jon. III, 6-7). Les bêtes sont ici associées, dans une solidarité qui nous questionne, à la pénitence des Ninivites. Je soulignerais volontiers que le geste de se couvrir de sacs est un geste liturgique que les bêtes partagent avec les hommes, comme si elles avaient au préalable partagé leurs fautes.

Concernant ce passage, dans son Commentaire du texte de Jonas, Jacques Ellul, grand théologien protestant, offre un point explicatif sur l'homme, l'animal et le péché originel d'après la Bible : "Dans sa condamnation, l'homme a entraîné les animaux. Ils sont irresponsables mais ils sont liés à leurs rois, à leurs chefs déchus. Ils sont englobés dans la destruction qui menace l'univers. L'homme déchu reste cependant le roi et le chef de la création. Il domine sur elle et lui fait suivre son propre chemin.
Mais les animaux comptent aussi devant Dieu. Il ne les a pas créé pour l'abîme, il ne les néglige pas dans l'oeuvre du salut. Et c'est aussi pour eux que la rédemption s'accomplit. L'homme sauvé entraîne à sa suite les animaux dont il est roi Et devant Dieu, l'homme et les animaux sont considérés ensemble sauvés ensemble".

Deux idées principales dans ce texte de Jacques Ellul : les animaux suivent les hommes leurs maîtres qui sont aussi responsables d'eux. Ils ne sont pas rien devant Dieu qui les a créés. Cette deuxième idée force nous la trouvons déjà chez saint Thomas : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l'éternité". Quant à la première idée sur l'homme responsable du Jardin dans lequel Dieu l'a créé, c'est celle que je développe à la fin du texte sur la liturgie et l'écologie. Elle est présente dans le texte de saint Paul aux Romains que je cite (8, 19-21).

On peut lui trouver un autre fondement scripturaire : l'alliance noachique. Noé, dans son arche a sauvé du déluge sa famille mais aussi les animaux, emportant un couple de chacun d'entre eux, pour préserver la beauté animale de la création, face à la montée des eaux. C'est parce que Noé a sauvé les animaux, oeuvres de sa puissance que Dieu fait alliance avec lui en promettant de ne plus jamais détruire l'humanité. Cette alliance, matérialisée par l'arc en ciel, concerne tous les hommes, pas seulement les Juifs et les chrétiens. Elle est fondée sur le respect de la création, qui fait de l'homme le grand intendant du Jardin divin. Un jardin dont nous avons montré que pour saint Thomas d'Aquin, il demeure dans l'éternité.


L'équilibre spirituel

Après cette demande de pardon, le rituel de la messe nous propose deux versets du psaume 84 : "O Dieu, tu t'es tourné vers nous pour nous donner la vie. Montre nous ta miséricorde et donne nous ton salut". Etudions de près ces versets qui paraissent si simples.

Deus tu conversus... Le psaume 42 était un psaume d'ambiance. Le Confiteor relève des préliminaires : il faut éliminer ce péché qui est entre Dieu et nous. Mais le psaume 84 est la première prière directe à Dieu. Surprise : on demande à Dieu de se tourner vers nous, de se... convertir (c'est le mot latin : conversus). On aurait attendu que ce soit l'homme qui se convertisse, qui se tourne vers Dieu. C'est au contraire à Dieu que l'on demande de se tourner vers l'homme d'abord. Pourquoi ?

Parce que si ce n'est pas Dieu qui fait le premier pas, l'homme peut bien tenter de se tourner vers Lui : il n'y arrive pas par lui-même. C'est Dieu qui nous a aimé le premier dit l'apôtre Jean dans son Epître. C'est lui qui nous donne la première grâce, sans laquelle nous ne sortirions pas de notre égoïsme natif et sans laquelle nous resterions devant lui sans plan et sans projet. Oh ! Nous pourrions bien avoir l'impression de nous tourner vers lui les premiers, de nous intéresser à lui avant qu'il ne s'intéresse à nous : ce serait un intérêt factice. Nous pourrions avoir l'impression que nous sommes nous-mêmes les "convertis" (conversi) et en être intimement très fiers. Mais si nous nous rengorgions de cette conversion-là, nous serions dans l'illusion. D'abord, ce n'est pas la nôtre, c'est la sienne qui importe.

Deus tu conversus. Tout ne peut vraiment commencer que si c'est Dieu d'abord qui se tourne vers nous, Dieu qui suscite le désir de le connaître et de l'aimer dans nos coeurs, et c'est parce que c'est Dieu qui s'est intéressé à nous en premier, parce que c'est Dieu qui nous a touchés au coeur que nous pouvons en vérité nous tourner vers Lui. A ce moment, notre vie s'accomplit, telle que Dieu l'a voulu de toute éternité : nous pouvons caracoler en toute sécurité, répétant par exemple la belle devise de Saint-Cyran : "Il faut aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement".  Si nous avons compris notre première grâce, nous sommes vraiment à lui. "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisi, pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure".

"Tu nous vivifieras". Vivificabis nos : j'aimerais traduire : Tu nous donneras toute notre vitalité. Il ne s'agit pas encore là me semble-t-il de la vie éternelle, cela vient à la fin, il s'agit d'abord de la vitalité spirituelle, de l'accord qui s'établit entre notre vocation (tout le monde en a une, quelle qu'elle soit, le bon larron en a eu une, magnifique) et notre vie concrète. Si nous sommes si ordinairement sujets à la tristesse ou à la mélancolie (comme l'a chanté le psaume 42), c'est que nous sommes divisés et que cette division nous fait mal. "Toute cité divisée contre elle-même périt et maison sur maison s'effondre".

C'est en nous lançant le premier appel que le Seigneur nous vitalise : il nous réveille, il nous réunit, chacun à soi-même, et nous permet alors, une fois réunis à nous mêmes, d'envisager notre vie comme la sienne, comme une création jamais finie, sur laquelle il veille personnellement. Et c'est la conjonction entre la grâce première et notre liberté qu'elle suscite qui nous donne à tous cet élan que l'on appelle communément la joie : "Et ton peuple se réjouira en toi". Cette joie est d'autant plus profonde qu'elle ne vient pas seulement de nous, mais de cette conjonction, de cet amour senti entre Dieu et chacun.

La messe est le moment où cette conjonction entre la volonté salutaire de Dieu et notre liberté nous est rendue sensible, au point que le Seigneur n'a besoin que de nous "montrer sa miséricorde" pour que nous soyons capable de "recevoir son salut".

lundi 30 mars 2020

Comment demander pardon

Après avoir confié la cérémonie à la puissance du Dieu qui a fait le ciel et la terre (et non pas à je ne sais quel charisme humain trop humain de je ne sais quel prêtre vedette), le rituel de la messe que nous expliquons comporte une double demande de pardon : celle du ministre d'abord, celle du peuple ensuite, le ministre et le peuple priant Dieu l'un pour l'autre. Cette demande de pardon n'est pas celle de l'Eglise, car tout péché est d'abord personnel. Cette demande de pardon est encore un de ces "Je partagé" dont je vous parlais  à propos du Psaume 42. Chacun demande pardon d'abord pour lui-même : "Je me confesse à Dieu tout puissant". Le prêtre donne l'exemple, il n'est évidemment pas au dessus de la faiblesse humaine et des tentations. Le peuple qui lui répond, chacun se reconnaissant pécheur, ne peut pas s'ériger en juge de son prêtre.

La nouvelle formule du Je confesse à Dieu se contente de souligner : "Je reconnais devant mes frères que j'ai péché". Cette formule vous a un petit air d'autocritique à la chinoise qui, me semble-t-il dénature le sens du Je confesse à Dieu dans sa forme traditionnelle. Dieu ne nous demande pas ça. Il ne s'agit pas de "reconnaître devant nos frères que nous avons péché". Le péché n'est pas une erreur qui nuirait à la Collectivité. C'est une offense faite à Dieu. Il me semble qu'il ne faut pas tout confondre, que nous ne ressentons pas forcément de péché pour le seul motif que nous aurions été désagréable avec le prochain (ne serait-ce que parce qu'il y a parfois de bons motifs de l'être). Bref autant la manière dont la forme traditionnelle du rite fait dialoguer le prêtre et l'assemblée en les mettant en prière les uns pour les autres me paraît belle, autant l'aspect autocritique de la nouvelle forme dilue le péché, en nous faisant oublier que ces péchés peuvent être effectivement contre soi-même, contre le prochain ou contre Dieu, mais qu'ils sont tous avant tout autant d'offenses faites à Dieu, à travers la déformation de son image en nous.

Mais Dieu est trop loin pour nous. Par le péché nous nous éloignons encore de lui. Il nous faut donc trouver des intercesseur, tenter de nouer une solidarité céleste avec la bienheureuse Marie toujours vierge, avec l'Archange qui a lutté contre Satan, Michel (cf. Apoc. 12), avec Jean-Baptiste le témoin de la Lumière, avec les apôtres Pierre et Paul qui ont veillé sur l'Eglise naissante, avec tous les saints connus, canonisés ou pas. On ne va pas à Dieu tout seul. Les saints sont des compagnons qui ont déjà été confrontés au défi que Dieu nous jette et qui peuvent nous aider, ce défi du salut, à le relever et à le gagner. Il y a trois autres listes de saints au cours de la liturgie : ces énumérations nous aident à nous sentir moins seuls.

Confiteor ! Quelle traduction proposer pour ce verbe construit sur la racine FAS, la parole autorisée. Je propose de traduire : J'en appelle, par une parole autorisée, au Dieu tout puissant ;  j'en appelle à tous ces saints, à la personnalité unique de la Vierge Marie, sainte par nature, à Michel le chef des anges, au Précurseur du Seigneur, Jean-Baptiste, qui nous a fait passer son témoignage, et puis aux Princes des apôtres, Pierre et Paul, tous deux apôtres indignes et pécheurs, l'un parce qu'il a renié son Seigneur, l'autre parce qu'il a persécuté les chrétiens en cherchant à les mettre à mort. Quelle magnifique illustration de la communion des saints, de la solidarité entre les vivants et les morts, de la prière des morts pour les vivants, des vivants et des sauvés au ciel pour les mort-vivants de la terre, de ceux qui ont combattu et de ceux qui combattent encore et tentent de faire leurs preuves.

Deux mots sur ce verbe Confiteor et sur le double sens qu'il renferme : on retrouve cette amphibologie dans le titre que saint Augustin donne à ses Mémoires : les Confessions. Frédéric Boyer a un peu vite traduit : les aveux. Mais dans les confessions il n'y a pas que des aveux, il y a une proclamation, une affirmation forte de la primauté de la foi en Dieu. Ces deux sens du verbe confiteri ne sont pas absolument scindables. La confession de la foi et la confession des péchés, les deux attitudes vont ensemble, au point qu'elles ne sont pas séparables l'une de l'autre. Confiteor : en même temps je proclame ma foi et je pleure mes péchés.

Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa... L'expression est passée dans le langage courant : un homme politique pris la main dans le sac n'a d'autre solution que de faire son mea culpa. Le chrétien, lui, dit devant son Dieu et devant toute la Cour céleste : C'est ma faute, c'est ma très grande faute. Il le dit solennellement et publiquement, d'où le fait qu'en répétant cette formule, on se frappe trois fois la poitrine. Il le dit non pas de manière accablée et comme en chuchotant, mais avec force, parce qu'en même temps qu'il affirme sa culpabilité, il affirme aussi sa foi dans le grand Pardonneur, sa certitude d'avoir été pardonné.

Aujourd'hui, on a souvent la contrition plus discrète. Mais le résultat est que l'on ne croit plus à la gravité du péché. On n'est plus dans l'espérance surnaturelle sur laquelle - rappelons-le- se termine le psaume 42 que nous venons de réciter. C'est pourtant ce psaume justement qui nous rappelle le double sens du mot confiteor Spera in Deo quoniam adhuc confitebor illi : Le sens du verbe confitebor est ici plutôt la proclamation de foi. Il est frappant que quelques instants plus tard (une minute) on emploie le même verbe dans le sens principal de la demande de pardon. J'ai toujours pensé que ces deux sens du mot confiteor s'accordait dans un même mouvement de l'âme contrite et fervente.

samedi 28 mars 2020

De la liturgie à l'écologie

Nous continuons notre explication mot à mot de la sainte Messe : "Notre secours est dans le Nom du Seigneur : il a fait le Ciel et la terre". Cette invocation est classique au début d'un formulaire sacramentel, par exemple de mémoire, lorsque l'on porte la communion aux malades ou lorsque l'on bénit un mariage. La formule épiscopale de la bénédiction comporte aussi cette échange avec les fidèles.

Mais en réalité, ce sont deux notions très caractéristiques de l'Ancien Testament auxquelles on fait appel : le Nom de Dieu, son caractère secret et sa Puissance d'une part ; la beauté de la création tout entière qui manifeste la Puissance et la bonté de Dieu même quand on ne comprend plus rien. Dans cette double invocation, on trouve l'idée que le sacrement ou le sacramental n'est pas donné par le fidèle ou par le prêtre, mais par la force même de Dieu, qui est communiqué à celui que Dieu a choisi comme instrument visible de sa Toute puissance invisible : ni le prêtre ni les fidèles ne sont les auteurs du sacrement, qui est une action divine.

Son Nom, Dieu l'a donné d'abord à Moïse devant le Buisson ardent, c'est le premier don qu'Il lui fait, don destiné à authentifier sa mission auprès du peuple élu ; "Tu leur diras que Je suis m'envoie vers vous" (Gen. 3, 15). Ce Nom sacré était tellement saint qu'il n'était prononcé qu'une fois par an par le grand prêtre qui avait été tiré au sort pour entrer dans le Saint des Saint, ce sanctuaire où Dieu résidait. Sa prononciation authentique (la vocalisation des quatre consonnes qui forment le tétragramme sacré) est celle d'un autre nom : Adonaï, Kurios, Dominus, le Seigneur. D'où la fréquence de l'expression : le Nom du Seigneur, que l'on retrouve par exemple dans la bouche des juifs au dimanche des Rameaux : Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur. Manière pour eux de reconnaître la mission divine de Jésus de Nazareth, le Messie, Christos.

Comment comprendre ce Nom ? Il est très à la mode et pas contraire au texte de traduire Exode 3, 14, ce moment où Dieu donne son nom à Moïse par "Je suis qui je suis' ou "Je suis qui je serai", ce qui revient à dire que Dieu livre, à travers son nom, la grande clé de son Mystère : JE. Dieu dit Je et l'homme est créé à son image car il est, dans toute la création matériel, le seul être capable de dire Je. 

Pour les philosophes médiévaux et déjà pour saint Augustin, Dieu est l'Etre. Ils comprennent le nom divin comme "Je suis celui qui suis". Je suis l'être ou peut être de façon plus précise et plus juste : 'Je suis le sujet de l'Etre' ou je suis l'être comme sujet. Qui est en latin, Celui qui est en français, tel est le nom propre de Dieu pour saint Thomas d'Aquin. Ce Dieu être est nécessairement Infini et tout-puissant : "Mon Père agit toujours et moi aussi j'agis" dit Jésus en Saint Jean.

Cette action toute puissante est capable de créer "à partir de rien" (la formule se trouve déjà dans le deuxième livre des Macchabées). C'est la création qui est le grand signe de la Puissance divine. Comme dit le Psaume : "Les Cieux racontent la gloire de Dieu". Qu'est-ce que la gloire ? "Une claire connaissance avec louange" disent les médiévaux. Plus on connaît la beauté de la création dans ses milliers de monde (l'infiniment grand) ou dans la complexité d'un oeil de mouche (l'infiniment petit), plus on peut chanter avec clarté la beauté du Créateur.

Les juifs ont affirmé avec force la grandeur de la Création, en en plaçant deux récits au commencement du Livre : la création, c'est la circonstance qui explique tout et en particulier le problème du mal. Souvent nous disons : mais comment Dieu peut-il exister avec ce mal sur la terre ? (les virus par exemple en ce moment). Les juifs faisaient exactement la démarche inverse : Dieu a créé le Ciel et la terre : c'est un point acquis. Comment peut-il tolérer le mal ? En posant la question dans ce sens là, ils pouvaient dire - comme Job par exemple : nous ne comprenons pas, mais nous attendons, nous comprendrons un jour : "Un jour mon juste se lèvera de la poussière" peut-on lire dans Job qui insiste tant sur la puissance du mal sur la terre, mais qui commence à lever le voile sur le plan divin, en évoquant de façon prophétique dans ce verset la résurrection. La beauté de la création lui sert d'argument pour expliquer à ses quatre amis un peu bigots que Dieu n'a pas dit son dernier mot et qu'il n'en restera pas là, qu'il ne peut pas en rester à cette manifestation de force du Mal, manifestation qui l'a terrassé lui Job, et qu'il faut rester calme car Il est le Dieu qui a tout créé (Ps. 46, 10). Le monde définitif, le Royaume n'est pas encore advenu. Dans la tradition juive, il suffit d'attendre le Seigneur. Dans la tradition chrétienne il est déjà advenu mystiquement : "Le Royaume est au milieu de nous". En tout cas, Dieu nous a laissé son Nom en gage pour le salut de l'univers qu'il a créé.

C'est saint Paul qui reprend, à la lumière du Christ, l'intuition de Job : devant la puissance du mal, il ne sert à rien de se troubler, il faut attendre. Au chapitre 8 de l'Epître aux Romains, il voit tout l'univers en attente de ce qu'il a appelé en Galates (6) "une nouvelle création": "Car la création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec une espérance pourtant : car la création elle-même sera aussi affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu" (Rom. 8, 19-21). J'ai pris une version littérale du texte de saint Paul. On voit qu'en bon juif, ou comme Job (le patriarche, qui d'ailleurs n'était pas juif, venant de la terre d'Hus), saint Paul part du fait de la création. Et il postule que la gloire et la puissance de Dieu ne peuvent s'arrêter au spectacle que cette création donne à voir, que Dieu n'a pas fait tout cela pour le néant, qu'une nouvelle création est en attente qui manifestera la gloire de l'Ouvrier divin et qu'à travers l'homme c'est toute la création qui aspirera "à la liberté de la gloire des enfants de Dieu". L'homme bon, qui vit selon la loi de Dieu est le sauveur de la création tout entière, qui trouvera au Ciel une réalisation plus majestueuse encore qu'ici-bas.

Les sacrements ou les sacramentaux anticipent sur cette nouvelle création. Ils donnent à l'homme une force nouvelle pour l'aventure du salut de cette création tout entière. Chaque messe rappelle ainsi la Puissance du Dieu créateur, puissance infinie, puissance qui dépasse cette création puisqu'elle repose sur le Nom sacré : Je suis. L'écologie intégrale a donc quelque chose de fascinant si l'on comprend, à travers le texte de saint Paul, que ce sont les hommes sauvés qui sauvent avec eux toute la création, que cette création, trésor de formes et d'harmonies, n'est pas une action en vain, mais une action divine.

"Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le Ciel et la terre" : l'invocation au créateur du ciel et de la terre, là où elle est placée, au début de la cérémonie, après la lecture du psaume 42 donne à l'action liturgique une dimension cosmique. L'homme aujourd'hui marqué par le péché originel, est le grand prédateur du cosmos. Mais il peut encore se convertir et cette conversion exauce l'attente universelle et permet à Dieu, à travers l'homme qui est son image, de sauver la création du néant, en en faisant pour toujours, dans une création nouvelle, l'environnement des élus.

vendredi 27 mars 2020

Ce qu'est l'autel de Dieu

Après la doxologie du Gloria Patri revient ce refrain tiré du psaume 42 : "Je m'approcherai de l'autel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse". Je voudrais revenir sur le sens précis de ce verset, et, en particulier sur un mot : qu'est-ce que l'autel de Dieu ?

On pourrait penser, par habitude, que c'est l'autel consacré à Dieu, mais alors on serait dans le pléonasme : existe-t-il d'autres autels que des l'expression contient une synecdoque (emploi de la partie pour le tout autel consacré à Dieu ? Rappelons que chez les Hébreux, les synagogues sont de simples salles de prières et de lectures et qu'il n'y a qu'un seul temple où l'on accomplit des sacrifices : le Temple de Jérusalem. Dans ce temple, deux autels : l'autel des parfums et l'autel des sacrifices. Peut-être faut-il penser que dans l'esprit du psalmiste, le mot 'autel' désigne la partie pour le tout ; le Temple de Dieu, c'est son autel.

Mais qu'en est-il dans la nouvelle alliance ? Il y a une petite phrase du Christ dans l'Evangile, en pleine polémique avec les pharisiens, dans laquelle il déclare l'autel plus important que les sacrifices (d'animaux) qui sont posés dessus ; "Vous dites encore : “Si l’on fait un serment par l’autel, il est nul ; mais si l’on fait un serment par l’offrande posée sur l’autel, on doit s’en acquitter. Aveugles ! Qu’est-ce qui est le plus important : l’offrande ? ou bien l’autel qui consacre cette offrande ?".(Matth. 19, 23). L'autel, en tant qu'il est voulu par Dieu et décrit précisément dans le Lévitique, est plus important que le sacrifice apporté par les hommes, sacrifice d'animaux ou de parfums, sacrifice symbolique. L'autel donne au sacrifice avant qu'il n'ait lieu sa portée et son sens. Ainsi dans ce psaume 42, que nous sommentons, l'autel de Dieu donne son sens au sacrifice divin.

Cela vous paraîtra peut-être un pinaillage mais c'est exactement ce que l'on retrouve dans la formule moderne, qui, décrivant les polémiques autour de la messe en français ou en latin, exhortait les fidèles à ne pas dresser "autel contre autel", c'est-à-dire à ne pas fracturer le sens du sacrifice du Christ, qui doit être le même dans tous les rites chrétiens puisque le Christ est le même. Qu'est-ce qui donne un sens absolument singulier et une existence unique au sacrifice du Christ ? C'est que le Christ soit Dieu et homme en un seul sujet et que sa divinité est en quelque sorte l'autel sur lequel est offerte son humanité, que l'acte sacrificiel du Christ puisse être dit théandrique, à la fois divin et humain, qu'il se laisse découvrir à la fois dans l'instant au nom de son humanité sacrée acceptant la mort pour sauver les hommes, et aussi dans la totalité du temps au nom de sa divinité qui est l'autel du sacrifice, le projet divin auquel Jésus a donné son accord, en tant qu'homme.

"Voilà un principe certain dont il faut être instruit", commente le Père Charles de Condren, successeur du Cardinal de Bérulle à la tête de l'Oratoire de France dans L'idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ (éd. 1702, présenté par le Père Quesnel), "voilà un principe certain pour bien entendre le Sacrifice : que l'Autel du sacrifice doit être plus saint et plus estimable que la victime ou les dons qui sont offerts sur cet autel. Et la raison de cela c'est que la victime emprunte la sainteté de l'autel. Il faut que ce principe soit bien constant puisque [dans le passage de l'Evangile que nous venons de citer] Notre Seigneur traite les scribes et les pharisiens d'aveugles et d'insensés parce qu'ils ne le comprenaient pas". 

"La victime emprunte sa sainteté à l'autel", comme la résolution de sacrifier est antérieure au sacrifice lui-même et lui donne son sens. Comme la célébration liturgique du Christ la veille de sa Passion, le jeudi saint, affirmant formellement son intention : Ceci est mon corps, ceci est mon sang versé, cette célébration est antérieure aux sacrifices physiques auxquels il va consentir le vendredi saint et leur donne leur sens.

"Je m'approcherai de l'Autel de Dieu", je m'approcherai de l'intention divine telle qu'elle se fait connaître le jeudi saint : "Ceci est le calice de mon sang, , nouvelle et éternelle alliance, mystère de la foi, qui pour vous et pour une multitude a été versé pour le pardon des péchés... Cela, chaque fois que vous le ferez, vous le ferez en vous souvenant de moi" Deux intentions dans ces paroles : le pardon, la rémission des péchés d'une part, qui est tout le mystère de la foi : ta foi t'a sauvé" dit souvent Jésus, c'est la première intention ; la volonté du Christ que ce mystère liturgique soit reproduit dans le souvenir de ce qu'il avait lui-même accompli le jeudi saint, deuxième intention. Et voilà l'autel de Dieu dont nous nous approchons.

L'autel de Dieu est celui de la réconciliation définitive et celui de l'alliance, rappelé liturgiquement, sacramentellement, à la manière du Christ le jeudi saint, dans tous les points de l'espace-temps où il se trouve des croyants. Je m'approcherai avec un infini respect de cette volonté divine de pardon et de célébration permanente de ce pardon, en offrant le corps et le sang du Christ sur cet autel qui est celui du Verbe, de la Parole irréfragable de Dieu.

L'autel renvoie donc à la Personne divine du Verbe de Dieu ; le sacrifice étant constitué par la vie humaine de Jésus, L'autel de Dieu ? Le génitif ne doit pas être pris dans son sens objectif, avec pour signification qu'il s'agit de l'autel dédié à Dieu. Tous les autels du monde sont ou veulent être dédiés au divin. L'autel de Dieu, au sens subjectif du génitif, c'est l'autel qui est le Verbe sauveur, l'autel qui s'identifie à Dieu même, qui est là avant que nous présentions notre offrande, qui détermine la nature de cette offrande, la manière dont nous l'offrons, le mystère de la foi qu'elle représente tout entier.

Ce que le prêtre fait à l'autel, il le fait comme instrument, mais le rite ne lui appartient pas. Le cardinal de Bérulle est mort en célébrant sa messe, c'est un des membres de son Institut, l'Oratoire de France, qui l'a achevée. La messe n'appartient pas au prêtre mais à l'autel au sens. nous définissons ce mot avec le Père de Condren. L'autel de pierre, l'autel de bois sur lequel nous célébrons à un sens. Il représente la volonté de Dieu, le plan divin pour sauver l'humanité. C'est au prêtre à se conformer à l'autel, à l'épouser et non à l'autel à se conformer esthétiquement aux caprices liturgiques du prêtre.

mercredi 25 mars 2020

Gloire au Père...

Le psaume 42, qui décrit avec tant de précision les hauts et les bas de la vie spirituelle, se termine sur cette injonction à l'espérance, qui est sans doute l'injonction première, même si, à en croire Péguy, l'espérance est "la deuxième vertu" (après la foi). Notre société calculatrice a mis l'espérance en équation ; au nom du principe de précaution, elle a anéanti le risque. Elle a mesuré, rationalisé tout espoir, méprisant l'incalculable espérance, tout en vérifiant la formule que Dante avait inscrite à la porte de son enfer : "Vous qui entrez là, laissez toute espérance".

Après le psaume proprement dit vient la doxologie : "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, qui clôt toujours la récitation liturgique des psaumes, comme pour indiquer qu'on lit désormais les psaumes, comme tous les livres de l'Ancien Testament, dans l'esprit de la nouvelle alliance. Saint Augustin a résumé cette attitude des chrétiens face au premier Testament dans la formule latine suivante :"Novum Testamentum in vetere latet, Vetus Testamentum in novo patet". Le Nouveau Testament est caché dans l'Ancien. L'ancien Testament apparaît clairement dans le nouveau. La traduction ne saurait rendre les assonances de la formule originelle. Mais l'idée est simple : le Gloria apparaît à la fin du psaume comme une sorte de signature chrétienne d'une parole souvent prophétique et qui se réalise dans l'Evangile.

Le Dieu Trinité des chrétiens est le même que le Dieu Un de l'Ancien Testament. Le Dieu Un de l'Ancien Testament s'exprime dès le livre de la Genèse dans une forme nominale au pluriel : Elohim, pluriel de El. Et Il parle au pluriel : "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance" 'Gen 1, 29). Comme pour annoncer sa dimension Trinitaire, comme pour montrer par avance que si Dieu est unique parce qu'il est Infini, il n'est pas seul parce qu'il est Amour et qu'un Dieu d'amour qui serait un solitaire apparaîtrait en contradiction avec lui-même.

Nous avons insisté sur le Signe de la Croix initial sans marquer sa valeur trinitaire, qui va de soi : la messe est appelée pour cela le sacrifice de la nouvelle alliance. Nous verrons qu'elle est essentiellement un sacrifice trinitaire, que c'est parce qu'il y a ce sacrifice trinitaire dans l'éternité que l'on peut comprendre que le sacrifice du Christ dépasse l'espace-temps et puisse être le même à tous les instants depuis le Jeudi saint et dans tous les lieux du monde, comme l'avait prophétisé le prophète Malachie : "Du lever du soleil à son couchant, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu, on sacrifie et on offre à mon nom une offrande pure, parce que mon nom est grand parmi les nations dit le Seigneur des armées". Le rappel de la Trinité n'est pas seulement comme une signature chrétienne du psaume 42, mais comme un rappel de la condition de possibilité du sacrifice eucharistique : il y a un vrai sacrifice sur la terre parce qu'il y a de toute éternité un vrai sacrifice dans le ciel au sein même de la Trinité, "au commencement et maintenant et toujours".

Petite remarque grammaticale pour la fin : "Sicut erat in principio..." Comme il était au commencement... Le verbe était au singulier n'est pas un verbe impersonnel, comme dans l'expression : "Il était tard" par exemple. Le singulier de erat possède un sujet : ce sont les trois personnes, le Père, le Fils et le Saint Esprit, qui ne forment qu'un seul sujet, car il n'y a pas trois sujets divins qui feraient trois dieux. Voilà ce qui fait que le verbe être est au singulier : "Comme il était au commencement...". Par ailleurs, le verbe était à l'imparfait désigne ce qui n'est jamais accompli, ce qui n'est jamais du passé ("Comme il a été au commencement..." par exemple indiquerait le passé).

mardi 24 mars 2020

La dépression spirituelle

La suite du psaume 42 est vraiment étonnante : je ne vois qu'une explication aux paroles sacrées telles qu'elles nous sont données. Elles marquent la lutte contre la dépression spirituelle, une lutte qui n'est pas sans volontarisme : "J'affirmerai ton nom sur ma harpe, ô Dieu qui est mon Dieu". Pourquoi la harpe ou la cithare ? Parce que le psalmiste n'est plus en état d'utiliser l'instrument que la nature lui a donné : sa voix. Il ne chante plus. Il a besoin d'un instrument pour continuer à confesser le Seigneur parce qu'au fond de lui-même, la douleur l'a terrassé, il n'en peut plus : "Pourquoi es-tu triste, mon âme et pourquoi me jettes-tu dans le trouble ?". Il n'est plus capable de chanter, mais il peut encore se diviser d'avec lui-même et observer, comme incrédule, sa propre langueur. Il apprend ainsi cette vertu paradoxale qui est la patience envers soi-même.

Il apprend aussi à rejeter le trouble, sans discuter avec ce qui le trouble, car, comme disent les prédicateur de retraite, commentant saint Ignace et ses Règles pour le discernement des esprits : "Pour les gens qui cherchent Dieu loyalement, toute proposition conditionnelle qui trouble vient du démon". Règle d'or. C'est elle sans doute qui lui fait prendre sa cithare, pour agir contre la tentation. Je suis triste ? Je ne peux plus chanter parce que je sens une boule dans la gorge qui m'étrangle jusqu'à faire couler mes larmes ? Il faut réagir, agere contra dit saint Ignace, ne pas sombrer dans l'auto-émotion, en versant des larmes de crocodiles sur soi, qui ne peuvent que nous affaiblir davantage.

C'est alors que vient cet ordre du psalmiste observateur au psalmiste observé, du viril au pleureur, un ordre qui coupe court aux sentiments qui dégoulinent comme des larmes. C'est un mot d'ordre qui claque : "Espère en Dieu, je continue à affirmer son nom. Il est le salut de mon visage et mon Dieu". Espère ! C'est saint Paul, le découvreur des trois vertus théologales dans la Ière aux Corinthiens, qui a fait de l'espérance une vertu.   « Le mot espérance est employé 40 fois par saint Paul, 3 fois par saint Pierre et 1 fois par saint Jean » note le Père Spicq, exégète précis. Mais c'est certainement dans les psaumes et en particulier en récitant lui-même le psaume 42, qu'il a pris conscience de l'importance de cette espérance dans le combat quotidien, l'espérance est l'antidote à cette dépression spirituelle que nous voyons s'étaler dans le poème du psalmiste. L'espérance met en place un rapport positif au "temps qui reste". Il faut "racheter ce temps" exhorte saint Paul, le soustraire à la grande faucheuse et lui faire porter du fruit. Voilà l'espérance, la vertu à travers laquelle le moindre instant de temps devient ou redevient utile
.
Je voudrais insister aussi sur l'expression "le salut de mon visage". Evoquer le visage d'une personne, c'est évoquer ce qu'il  y a de plus personnel en elle, ce qui manifeste le secret de l'âme, le regard, et puis cette harmonie toujours différente des yeux de la bouche et du nez, qui est comme l'identité de chacun. Dieu ne nous sauve pas en nous annexant à son être absolu; jusqu'à ce que nous en perdions notre identité. Nous ne serons pas une flammèche éphémère dans le grand brasier divin. Comme dit saint Thomas d'Aquin, "ce qu'il y a de plus parfait dans tout l'univers c'est la personne". Dieu ne ruine pas en nous ce qu'Il a une fois créé à son image. Au contraire ! Il se fait lui-même le sauveur de mon visage. Pourquoi Dieu Tout puissant et éternel se fait-il mon Dieu ? Parce qu'il est le salut de mon visage. Je peux l'appeler mon Dieu (ce qui en soi est fou) parce qu'il s'est fait mon sauveur. Il y a là de quoi bannir toute dépression spirituelle.

lundi 23 mars 2020

Une Eglise qui n'a pas peur des différences

Si nous ne partons pas stupidement triste, comme le psalmiste sent qu'il aurait pu s'y résoudre, si nous nous décidons à accéder à l'autel de Dieu, c'est que nous avons choisi la foi plutôt que l'absurde, la lumière de la foi plutôt que la grisaille du doute. Et déjà certains me demanderont sans doute : "Mais comment y arrive-t-on ?  Vous avez beau jeu à prétendre que c'est facile. Comment parvenir à la lumière ?" - Il n'y a pas de mode d'emploi. Il n'y a pas de chemin déjà tracé, chacun est seul dans son chemin, si grande est la diversité des situation, la variabilité des caractères. Mais, comme parle l'adage théologique, "à celui qui fait ce qui est en lui, Dieu ne refuse pas sa grâce".  Au contraire, il la proportionne, il l'adapte à chacun. La multiplicité des créatures dit saint Thomas d'Aquin, est l'image de l'Infini divin. Il ne faut pas avoir peur des différences. Pas peur non plus d'être différent.

Dieu comprend en lui-même la somme de toutes les différences possibles, c'est lui qui a voulu ces différences. On peut dire que son Identité, c'est la différence, il est "toujours un autre", selon la définition de l'analogie. C'est pour cela qu'on ne s'ennuiera jamais au Ciel. Dans le temps majestueux qui régit les esprit finis, ce temps qui mesure les mouvements spirituels, Dieu apparaît à ses élus comme toujours un autre, loin de nos concepts enfermant et proche de toutes nos représentations, parce qu'il est la Ressemblance absolue, semblance de toutes les ressemblances, celui par qui, d'un certain point de vue tout se ressemble, sans que rien ne soit pareil.

Dès le premier jour, dès la Pentecôte, l'Esprit, feu ardent, se partagea en langues distinctes, qui se posèrent sur chacun des apôtres comme sur la Vierge Marie qui était là. Le psaume 42 est traversé par la même logique, profondément individuelle : il est tout entier à la première personne du singulier, tout en formant un dialogue entre le prêtre et l'assemblée. Cette première personne du singulier, chacun des présents l'assume à son tour, elle est distributive, c'est un des "secrets d'atmosphère" de la liturgie traditionnelle, qui commence non pas par un "nous" mais par un Je partagé. C'est également le cas de toutes ces messes sans assistance qui se multiplient en ce moment de Coronavirus. On n'est plus dans le "nous" de la célébration mais - ce n'est pas la même chose - dans un Je partagé invisiblement par tous. Ce Je partagé forme à la fois une action spirituelle invisiblement commune et une communion intime, qui ne fait pas de bruit. J'ai particulièrement ressenti l'impact de cette communion sans bruit, dans tel monastère où l'ensemble des moines, chacun devant son propre autel dans l'immense abbatiale, célèbrent ensemble en silence leur messe à chacun, qui est en même temps la messe de tous. C'est à travers ce Je Partagé que se décrit le don de la foi, don absolument personnel d'une foi qui est en même temps la même en tous. C'est bien ce don personnel et collectif qui est décrit dans la suite du psaume 42 : "Envoyez votre lumière et votre vérité. C'est elles qui me guideront hors de moi-même et qui m'attireront à votre sainte Montagne, où se trouve votre maison".

Cette lumière, ce n'est pas celle que nous donne le sentiment : un ressenti, une impression. Le ressenti, les impressions, ça peut aider. Saint Ignace en parle beaucoup dans ses Exercices spirituels. Il évoque les consolations, qui nous signifie merveilleusement la présence de Dieu. Mais, quoi qu'en ait pensé, plus tard, Rousseau sans sa curieuse Profession de foi du Vicaire savoyard, au Livre IV de l'Emile,, ces impressions intérieures ne sont rien sans la vérité qui sauve. La foi n'est pas un "feel good" comme un autre. On se tromperait soi-même si l'on s'en arrêtait là. Elle est aussi et d'abord la quête de la vérité, cherchée gratuitement, pour elle-même. Le sentiment peut nous aider à nous déprendre de nous-même : Ipsa me deduxerunt, dit le psalmiste. L'ardeur des consolations sensibles que Dieu met en nous me permet de me détacher de mon ego. Mais sans la vérité, le pèlerin de la vie ne saurait arriver au terme de son voyage, jusqu'à la sainte montagne de Sion où Dieu réside. 

La Vérité divine n'est pas collectiviste, elle ne nous installe pas d'emblée dans un nous impersonnel, elle est comme un cadeau de Dieu à chaque personne là où elle se trouve, cadeau que chacun est libre de recevoir avec reconnaissance ou de rejeter. C'est cela aussi la messe, Dieu à portée de main qui se donne à chacun absolument, quoi qu'il arrive. C'est à travers l'eucharistie, parce que l'eucharistie construit l'Eglise, que l'on comprend pourquoi l'Eglise n'est pas et ne sera jamais un parti et qu'elle est peut-être un troupeau, mais bien particulier, dans lequel le berger appelle chacune de ses brebis par son nom. L'Eglise, société spirituelle et visible tout à la fois, est la seule société de personnes, la seule société où l'on ne considère pas des individus plus ou moins interchangeables mais des visages (c'est le sens grec du mot personne), appelés, l'un après l'autre, à voir la Face du Père, en prenant la forme du Fils dans l'intimité du Saint Esprit.

dimanche 22 mars 2020

Pourquoi me repousses-tu Seigneur ?

"C'est quand je suis faible que je suis fort" avons-nous conclu avec saint Paul. Mais quand je suis fort de la force de Dieu (tu es ma force ô mon Dieu dit le psaume 42), j'ai sans cesse un regard sur la faiblesse d'où je viens, cette faiblesse qui est en moi, qui est MOI. En tout cas qui est MOI avant que Dieu ne me prenne. Avant ce que le cardinal Lustiger appelait sans nulle présomption le choix de Dieu - le choix que Dieu fait de moi.

Avez-vous remarqué que les saints ne sont pas imitables ? Je pense à ce prêtre qui est le saint Patron de tous les curés du monde, Jean-Marie Vianney, le curé d'Ars. Combien de fois a-t-il quitté sa cure d'Ars, saisi par son indignité et désireux d'aller pleurer "sa pauvre vie", comme il disait, au fond d'un monastère. Si l'on connaît un peu la trempe de ce paysan du Lyonnais, on sait qu'il ne ment pas, qu'il ne joue pas l'humilité, qu'il est absolument pénétré de son indignité, devant Dieu. La force du chrétien, telle qu'elle apparaît de manière prophétique dans ce psaume, c'est qu'il n'a pas peur de sa vérité, qu'il sait très bien d'où il vient, à défaut de savoir où Dieu le mène. Se regardant lui-même, il n'entretient aucune illusion sur sa valeur. Il se demande si Dieu peut trouver en lui quelque chose d'aimable, il va jusqu'à penser que Dieu le rejette : "Pourquoi me repousses-tu Seigneur et pourquoi je pars, triste, pendant que mon ennemi m'afflige"

Vous allez me dire que j'exagère, que je joue avec les hyperboles. Mais ce sont les propres paroles du psaume : pourquoi me repousses-tu ? Vous allez penser peut-être, que je suis marqué par la culpabilité chrétienne et que cette culpabilité justement est le vice profond du christianisme.

Curieuse lecture du message de celui auquel on reprochait de se sentir bien avec les publicains (les collecteurs d'impôt à la solde des Romains) et les pécheurs (on jettera un voile pudique sur ces derniers ou ces dernières). Le Christ au contraire nous débarrasse de toute culpabilité. Il ne joue ni avec nos peurs ni avec nos sentiments d'infériorité. Mais il nous dit en même temps qu'il nous absout, comme à la femme adultère : "Va et ne pèche plus" (Jn 8).

"Nous portons notre trésor dans des vases d'argile" (II Co, 4, 7). J'aime beaucoup ce mot de saint Paul. Il y a un trésor en nous. Nous en sommes fiers. Cette vie de Dieu notre force, c'est tout ce qui est en nous. Mais nous n'en sommes pas propriétaires. Nous sommes de simples portefaix du Seigneur. Nous portons un trésor, mais pour montrer en même temps notre indignité, nous savons que ce trésor se trouve dans des vases de céramique, qui se brisent au premier choc. Il y a dans le chrétien à la fois le trésor, la fierté, la joie, certitude du bien possédé, ou comme dit souvent saint Paul l'assurance (parrhésia), qui vient de l'Esprit. Et il y a le détachement de soi-même, la méfiance vis-à-vis de notre fragilité.

Quelle fragilité ? L'argile de la métaphore nous le dit assez. Dieu nous a fait du limon de la terre. C'est presque impossible à entendre pour notre époque, mais notre fragilité c'est notre corps. Pas notre corps en lui-même, car notre corps de chair est l'image temporelle de notre corps de gloire (I Co 15, 45). Ce qui nous pèse, ce qui nous rend triste à tous les coups, c'est ce que Robert Redeker appelle l'egobody, ce corps que nous avons investi des feux de notre ego, jusqu'à en faire notre moi social, ce corps auquel souvent nous rendons un culte, jusqu'à en oublier que nous avons un coeur, ce corps qui chaque jour se flétrit d'avantage, ce corps avec lequel nous aimons tricher, mais qui, inéluctablement,  nous trahit et qui un jour nous lâchera.

Pourquoi je m'en vais triste, pendant que mon ennemi me harcèle ?  demande le psaume. Je n'y vois pas clair. Tout se brouille, je ne reconnais pas ma destinée spirituelle. Je crois que Dieu me repousse. Je me prends pour une victime... Pourquoi m'en vais-je triste, alors que Dieu, hier encore, me montrait comment il peut être ma force. Ma foi chancelle. Comme saint Pierre qui veut marcher aussi sur les eaux pour aller à la rencontre de ce Christ ressuscité qu'il a reconnu sur le lac, je crois que je vais y arriver et je m'enfonce par manque de foi.

A force peut-être de m'humilier moi-même, je me centre sur mon ego, ne serait-ce que pour le stigmatiser. Je me préoccupe de moi-même, apparemment pour le bon motif, convaincu de ma profonde humilité et, me prenant à mon propre jeu, à force de psychoter sur l'argile dont j'ai été pétri, j'oublie le trésor et la fierté, et l'assurance. J'oublie que Jésus m'aime sans condition et que la seule limite à son amour, c'est moi qui la pose. Qui dira la nocivité de ce spleen spirituel, avec sa fausse modestie et ses calculs faits et refaits dix fois, qui ne servent à rien.

Il est très à la mode aujourd'hui de parler de certaines "croyances limitantes". C'est à l'évidence, dit en langage moderne, de cela que souffre, celui qui s'en va tout triste, en pensant que même Dieu le repousse et que son ennemi le harcèle. Personne ne m'aime, se répète-t-il en boucle, en en voulant au monde entier et d'abord à Dieu qui, soi-disant, le repousserait. Dans la Bible, ce personnage existe, c'est celui de Jonas, auquel j'ai consacré jadis un petit livre. Sa croyance limitante ? Il ne veut pas prêcher aux païens. Il n'a pas encore compris que comme le dira saint Jean "Dieu est plus grand que notre coeur". Les croyances sont limitantes quand elles forment dans notre tête des blocages, qui nous empêchent de concevoir notre vie comme ce qu'elle est : une aventure qui n'a pas d'autre limite que le Christ, un immense pari dédié au Christ, prince des aventuriers, qui a d'ailleurs très mal fini, après avoir (ou à force d'avoir) tenu la dragée haute à tous ceux qui ont envié sa prestance et son autorité.

La foi n'est pas limitante parce qu'elle vient de Dieu et nous ramène à lui, en nous sortant, dans ce voyage ébouriffant, de toutes nos zones de confort. Je ne dis pas que, chrétiens, nous vivons cela à chaque minute, mais c'est vers cet allant que nous allons, au rythme que Dieu marque à chacune de nos existences de manière différente. Il ne faut surtout pas manquer le moment ou, staccato, Dieu nous donne de nous dépasser nous-même, sans oublier pourtant qui nous sommes et d'où nous venons, de quel bourbier le Christ nous a sorti, quel absurde nous aurions pu devenir, comme ce psalmiste qui, tel Jonas, se voit partant tout triste et jouant la victime de Dieu même, excusez du peu. "Je sens deux hommes en moi" écrit Racine traduisant saint Paul. Qui sont-ils ? L'absurde qui s'en va tout triste et le fidèle qui résiste à toutes les formes d'usure.

Ainsi entre l'absurde poussif et le fidèle poussé par la force de Dieu, la vie spirituelle n'est pas et ne doit pas être un long fleuve tranquille. La vraie vie spirituelle n'est jamais monolithique ou, comme dirait Maurice Blondel, elle ne doit pas être "monophorique", comme ce psaume n'est pas monotonique. C'est une vérité peu entendue, mais, au contraire, la vraie spiritualité est toujours dans la dualité de l'ordure et de la foi efficace. Le fidèle monoidéique est dangereux. Il n'a pas conscience de lui-même. C'est un fanatique. Le véritable fidèle porte avec fierté son trésor, mais il n'oublie jamais le vase d'argile de sa faiblesse, il a conscience que s'il fait triompher le meilleur, néanmoins le pire était possible pour lui. Comme sainte Thérèse de l'Enfant Jésus qui se dit tranquillement plus grande pécheresse que la Madeleine 'et donc affirme-t-elle, plus chère au coeur de Jésus).

Cette conscience profonde de la dualité de l'existence, c'est la raison pour laquelle l'homme véritablement juste, à l'image du Christ, ne peut pas ne pas se sentir solidaire du pécheur.

J'aime cette dualité souvent présente sous la plume de saint Paul, c'est cette expérience au fond que fait l'auteur du Psaume 42. La sienne et parfois la nôtre, saint Paul l'a déjà décrite : "Ainsi, affirme-t-il, nous sommes accablés par toutes sortes de détresses et cependant jamais écrasés. Nous sommes désemparés, mais non désespérés, persécutés, mais non abandonnés, terrassés même, mais non pas anéantis" (II Co, 4, 8-9).

samedi 21 mars 2020

L'homme inique et trompeur

"Arrache moi à l'homme inique et trompeur" continue le psaume 42. On ne le répétera jamais assez, face  à la religion optimiste qui nous a formés dans les années 70, ce n'est pas dans la Bible que l'on trouve l'humanisme moderne. La Bible raconte la gloire de Dieu et non la gloire de l'homme. De l'homme, ce sont avant tout ses défauts que nous raconte le Livre saint, sa faiblesse de résolution, son infidélité, sa pusillanimité, son envie, ses mensonges. Arrache moi à l'hommerie, Seigneur, ne me laisse pas dans l'honnête moyenne humaine. Ne me laisse pas dans l'imitation de l'homme, ne me laisse pas faire comme les autres. Si je me laisse aller à faire comme les autres je suis capable de pire : le mensonge (la tromperie, dolo en latin, le dole) et l'iniquité.

Iniquité ? C'est le péché au sens diabolique du terme, le mal à l'état chimiquement pur, la préférence inconditionnelle pour soi-même; l'idolâtrie de l'ego.
Mensonge : c'est ce qui m'empêcherait de m'avouer la gravité de mon péché, ma légèreté. C'est ce qui m'interdit de revenir en arrière, ce sont les mensonges que j'entretiens sur moi-même, ces raisonnements en forme de rationalisation qui m'empêchent de voir qui je suis. L'Ego, cette construction artificielle, ce tigre de papier est prisonnier du mensonge social et spirituel sur lequel, bien souvent, il s'est construit. L'homme est trompeur dit le psaume ? Omnis homo mendax lit-on dans le psaume 115 : "J'ai dit dans mon emportement, c'est-à-dire dans une vision qui me dépasse, excessus, en latin, c'est l'extase en grec, j'ai dit dans une sorte de révélation : tout homme est menteur". Qu'est-ce à dire et pourquoi cet extase ? L'homme ment aux autres, mais pas seulement. C'est plus grave : il se trompe lui-même. Il n'est pas capable de vérité. Cette tromperie radicale le disqualifie pour la vérité, elle l'en rend inapte.

Comment qualifier cette tromperie ? Si l'on en revenait à l'Evangile, on pourrait peut-être dire : le trompeur est celui qui a définitivement neutralisé l'enfant qu'il était pour se borner à s'assumer comme adulte. Pour sortir de la tromperie sociale ou spirituelle, il faut chercher l'enfant qu'on a été : "Si vous ne changez pas et ne redevenez comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu". On ne prend pas assez au sérieux cette impératif livré par le Christ, parce que l'on confond l'enfant et l'innocent, comme si l'enfant était innocent. L'enfant n'est pas innocent, mais il a une qualité qu'il ne faut pas gâcher et qui peut le mener aux plus grandes actions : il est confiant., envers son père, sa mère ou ceux qui les représentent. Guy de Fontgalland, Anne de Guigné, ce sont des petits enfants, morts avant leurs dix ans, mais qui avaient l'un et l'autre cette confiance absolue dans le Christ, qui les a conduits à la perfection.

Cette confiance évoque la suite du psaume 42 : "Arrache moi à l'homme inique et trompeur parce que tu es ma force". Que demande-t-on au Seigneur dans ce verset ? Non pas qu'il nous délivre des gens méchants. Nous n'en sommes pas à rejeter sur le prochain le mal ou la faute, ce serait bien pitoyable. Homme inique et trompeur, l'expression est au singulier. Les ennemis et les méchants sont toujours au pluriel. Cet homme inique et trompeur, en fait, il est en nous. Saint Paul en a fait l'expérience aux chapitres 7 et 8 de l'Epître aux Romains : "Je sens deux hommes en moi". Nous ne pouvons être libéré de cette dualité, de cette ambiguïté permanente, que par la force de Dieu. Quelle est donc cette force ? La grâce et en particulier la première des grâces de Dieu : la foi, celle que nous possédons tous, qui que nous soyons, parce que "venant en ce monde, nous avons été éclairé par la vraie lumière" (Jean I, 8).

Attention ! Le psaume ne dit pas : donne moi la force et alors je serai le plus fort, le plus beau. Dans l'effort de phénoménologie spirituelle que fait le psalmiste, ce serait trop dire. Et surtout trop peu. La prière surnaturelle ne demande pas à Dieu : donne-moi ceci ou cela, mais plutôt : sois pour moi ceci ou cela, sois ma force, tu es ma force. Plus précisément, parce que cette force est une grâce, parce que cette force est surnaturelle (comme disait Simone Weil à la fin de la précédente méditation), nous prions pour agir dans la force surnaturelle qui est celle de Dieu. Cette force n'est pas à nous, elle est à lui. Mais quand nous avons compris notre faiblesse, c'est alors, immédiatement, dans l'instant, si nous le prions, qu'il peut se faire notre force : "C'est quand je suis faible, que je suis fort" (II Co, 12, 10).

vendredi 20 mars 2020

Rends moi justice Seigneur !

Le très beau verset que nous venons de commenter, et qui sert d'introduction aux saints mystères est utilisé comme un refrain qui ponctue la récitation intégrale de ce psaume 42. Pourquoi ce psaume à cet endroit stratégique ? Parce qu'il porte une vision de la nature humaine en proie au mal et aux méchants, à la tristesse et à un sentiment de l'éloignement de Dieu. Ce psaume ne raconte pas de carabistouille sur ce monde humain qui serait un monde idyllique. La première expérience à faire si l'on veut s'approcher de Dieu, c'est l'expérience du mal ou l'expérience du manque. Même le Christ est allé au désert "pour y être tenté par le diable, après avoir jeûné pendant quarante jours". C'est souvent cette expérience du mal (du péché personnel, de son impuissance à faire le bien, de ses limites, de ses failles, de la méchanceté à laquelle on se trouve en butte) qui nous permet de nous tourner vers Dieu avec force.

Je me demande si le Coronavirus a laissé parmi nous beaucoup de bisounours. Ce n'est pas sûr. Je pense aussi qu'il a tourné des hommes vers Dieu, si on en croit les chiffres d'audience de l'émission le Jour du Seigneur dimanche dernier : 1, 2 Million de téléspectateurs. Plus que de pratiquants un dimanche ordinaire. Marcel Gauchet, cité par François Huguenin, a pris acte du tsunami moral que représente le virus Corona. Dans Philomag, il explique : "Personne ne peut préjuger de l'ampleur qu'aura cet événement - le Coronavirus - mais la secousse intellectuelle et idéologique est majeure". Je préciserai la pensée prudente de Gauchet en disant en quoi consiste cette secousse idéologique majeure : le vieil optimisme des Lumières, la foi en l'homme qu'avait découverte le concile Vatican II, tout cela est bel et bon, mais c'était avant le drame... Je pense à l'avertissement solennel du prophète Jérémie : "Malheur à l'homme qui se confie dans l'homme" (17, 5). Cet événement nous fait prendre conscience de la fragilité de l'humain, de la précarité de nos temps, officiellement dédiés au Progrès. Une petite grippette en Chine et les morts se multiplient partout dans le monde. On trouvera un vaccin ou un remède ? Mais un nouveau virus naîtra...

Si nous nous tournons vers Dieu, c'est parce que, comme le disait saint François Xavier méditant à Paris sur ses grands projets missionnaires à venir : "le monde est un menteur, qui ne tient jamais ses promesses". Cette phrase m'a toujours beaucoup marqué parce que tourne et retourne, je la crois vraie, je veux dire : vérifiable, aussi bien dans la vie personnelle que dans l'histoire universelle. L'histoire ? Dans les années 80, on a pu croire à l'histoire distribuant le bonheur à tous, on a imaginé ce temps comme s'il s'agissait d'un nouveau départ de l'univers, vivant la fable de la prospérité mondiale. Aujourd'hui la mondialisation heureuse est terminée, comme nous le disons dans le prochain numéro de Monde et vie. Coronavirus oblige, nous avons compris que cet optimisme béat, c'était juste une idéologie comme les autres. Nous sommes donc prêts à entendre le message existentiel du Psaume 42.

"Rends moi justice Seigneur et vois la différence entre ma cause et celle d'un peuple qui n'est pas saint". A travers les siècles, de l'Ancien au Nouveau Testament, et jusqu'à nos jours, le psalmiste offre son message au fidèle qui s'approche de l'autel et qui se sent victime d'injustice, comme Job autrefois, le patriarche du pays d'Hus. Le fidèle a l'impression, lui qui cherche Dieu, que Dieu le confond avec le reste de la population. Ce sera le soupir de sainte Thérèse d'Avila : "Si vous traitez ainsi vos amis Seigneur, je comprends pourquoi vous en avez si peu". Un tel pessimisme, qui est avec Dieu à la limite de la revendication ou de la récrimination, une telle franchise m'a toujours surpris. C'est la première prière que nous faisons à Dieu au cours de la sainte messe, et quelle prière ! Nous qui nous précipitons au pied de son autel, nous avons besoin de Lui, il nous manque. N'est-ce pas au double sens de ce terme que Dieu nous a manqué ? Voilà l'audace de la messe traditionnelle : rappeler cette dette de Dieu à notre égard, dette d'amour qu'il paye par son sacrifice sur la croix.

"Lève toi ! Pourquoi tu dors Seigneur ?" dit un autre psaume. Pendant la tempête, pendant nos tempêtes, Jésus dort, la tête sur un coussin précise saint Marc. "Seigneur, sauve-nous, nous périssons" lui lancent ses apôtres.

A ce dramatique problème du mal que la sainte liturgie ne cherche pas à éluder, mais formule d'emblée, et en toute honnêteté, d'ailleurs non sans raideur il faut le dire, la seule réponse c'est le sacrifice du Christ sur la Croix. Dieu connaît la souffrance. Dieu se fait homme pour vivre la souffrance de l'homme et lui donner un sens : voilà la réponse que porte la sainte messe elle-même, car, nous le verrons, nous l'expliquerons, elle est identique au sacrifice de la Croix. Quant à la justice que recherche le psalmiste, elle est et elle restera toujours une justice introuvable. "Discerne ma cause de celle d'un peuple qui n'est pas saint". Dieu ne répond à cette demande que par l'amour. Et, nous pouvons parfois en être jaloux, il ne le faut à aucun prix : par l'amour de tous.

Devant Dieu, ne cherche pas ton droit : le sommet du droit est le sommet de l'injustice. Le poète de Martigues était inspiré en écrivant ce vers : "O Plateau de vaine justice, balance, le plus faux des symboles divins". Le Christ, Fils de Dieu, accomplit toute justice, comme il le dit à Jean-Baptiste, non pas en mégotant pour rendre à chacun au centime près ce qui lui est dû, mais en s'offrant, en souffrant, en s'abaissant, en se donnant, en s'oubliant. Voilà sa réponse au problème du mal, une réponse divine. Il n'y en a pas d'autre dans aucune philosophie, dans aucune autre religion.

J'aime beaucoup une phrase de Simone Weil, qui, me semble-t-il, n'épuisera jamais sa puissance explicative, face au scandale du mal dans le monde, qui est inextricablement, le scandale de la croix du Christ, le scandale de la messe, où le Christ se laisse à la merci des passants, et le scandale de tout innocent qui souffre. Voici la phrase : "Le mal est à l'amour ce que le mystère est à l'intelligence : il le rend surnaturel" Que signifie ce mot : surnaturel ?

jeudi 19 mars 2020

Je m'approcherai de l'autel de Dieu...

Commençant la messe, le signe de Croix est analogue aux trois coups du théâtre : il nous a fait entrer dans de nouvelles dimensions, qui, en l'occurrence, sont celles de l'action sacrée. La messe n'est rien moins qu'une action sacrée, qui se déroule en une succession de mouvements. Le premier mouvement - introductif - est destiné à préparer l'âme du prêtre et l'âme du fidèles à la grandeur de ce qui va leur être manifesté, la raison du monde qui est l'amour divin, figuré dans le sacrifice du Christ.

Oui, j'ai employé le mot de sacrifice, un mot obscène à notre époque où tout n'est que développement personnel, signes extérieurs de richesse,  et confort optimal. Nous avons besoin de nous préparer à le comprendre, ce n'est pas quelque chose que nous comprenons immédiatement. Le sacrifice ? Étymologiquement, c'est l'action sacrée que j'évoquais il y a un instant : sacrum facere en latin, le don que Dieu nous fait et que nous tâchons maladroitement de lui rendre. Le don qui donne sens à notre vie, au delà de son déroulé chronologique. Cette prière préparatoire, qui n'est rien d'autre que le psaume 42, nous aide à comprendre ce sens que nous cherchons obscurément sans savoir ce que nous cherchons, parce que, le cherchant, nous l'avons déjà trouvé. Elle nous aide à comprendre que ce sens, c'est le sacrifice, manifestation concrète d'un amour, qui, lorsqu'il devient sacrificiel, ne peut plus jamais être verbeux : il s'inscrit ainsi dans notre chair.

Pourquoi est-ce vers l'autel que je m'approche ? N'y avait-il pas bien d'autres destinations dans ma vie qui auraient été plus réjouissantes ? Le dimanche je vais à la messe... N'y a-t-il pas bien d'autres occasions de sortir, plus brillantes, plus attirantes ? N'ai-je pas tort de penser au sacrifice, alors qu'il est si agréable de vivre dans l'instant, à l'enseigne de l'éclatez-moi ça ? Mais y a-t-il une vie possible sans amour, au gré du désir ? Et y a-t-il amour durable sans sacrifice ? Si Dieu se manifeste à moi à travers cet autel, qui m'attire, dont je m'approche avec précaution, restant, sans en monter les degrés, "au bas de l'autel" comme on appelle cette prière, c'est parce qu'il me parle d'amour sans bruit de paroles. Cette parlure sans parole m'a fait tressaillir...

Et ce tressaillement, peu à peu, se change en joie. Je découvre, prêtre ou fidèle qu'importe, jeune ou vieux, l'âge n'a pas d'importance ni le sexe non plus, que dès que j'ai commencé à répondre à l'appel de Dieu, la joie a rempli mon coeur. Elle est là sans cause apparente, mystérieuse certitude d'une possession plus étonnante encore. Le grand Blaise Pascal, d'habitude si disert, ne sait lui-même que répéter : Joie, joie, pleurs de joie. Joie de la rencontre. Joie de l'expérience. Joie qui fait naître la foi.

Ce Dieu qui me réjouit, c'est ma jeunesse qu'il réjouit. Ainsi le veut la traduction latine de ce psaume, qui, en hébreu, ne parle que de joie, en insistant sur ce terme. Pourquoi saint Jérôme lui, évoque-t-il la jeunesse ? Il y a un enrichissement de l'énonciation qui n'est pas le pur fruit du hasard mais d'une volonté de précision dans la traduction. Parce que la joie de Dieu est créatrice, recréatrice s'il le faut.

Elle n'est pas seulement ce que l'abbé Brémond appelait un sentiment, le sentiment religieux, si caractéristique d'un XIXème siècle qui justement petit à petit s'est vidé de Dieu à force d'en entretenir le sentiment de plus en plus trouble (voir Victor Hugo). Non cette joie éprouvé au bas de l'autel n'est pas un sentiment, mais plutôt un processus vital de croissance, prémisses de la nouvelle création, qui s'anticipe dans le rite de la messe et d'abord dans les offrants, le Christ, le prêtre, le peuple.

Le fait que le rite de la messe commence à la première personne du singulier doit être souligné. Ce n'est pas une première personne exclusive qui se refermerait sur l'identité du prêtre ministre. Cette expérience de joie à l'approche de Dieu, tout le monde peut la faire, le ministre étant parfois le dernier à l'éprouver s'il l'éprouve encore, devenu trop souvent 'fonctionnaire de Dieu'. La première personne du singulier est employée ici dans un sens distributif, non pas comme si d'avance tous les fidèles priaient ensemble (une telle union ne s'improvise pas, elle se prépare). Nous ne prions pas encore ensemble, nous prions en même temps, dans le même temps sacré. Pas encore ensemble ? Parce que Dieu nous a dit : "Viens aux noces, viens comme tu es". Ton vêtement nuptial est ta prière, ta reconnaissance, ton silence.

Aujourd'hui 19 mars, le Carême s'interrompt. Nous célébrons la fête de saint Joseph, époux de la Vierge et père adoptif de l'Enfant, celui qui lui a appris son métier de charpentier. "Prends l'Enfant et sa mère et pars en Egypte". Joseph obéit sans un mot, il est le gardien efficace de cette famille si particulière, si fragile mais si décisive pour le sort du monde Mais il ne nous a pas laissé un mot. Pas le genre à rouler les mécaniques !
Cela me donne l'occasion de préciser que le temps liturgique que j'ai évoqué au début de mon précédent commentaire, n'est pas seulement le temps qui mesure la durée de la cérémonie, temps qui fusionne avec l'Eternité. C'est aussi le temps du calendrier liturgique. Il rythme ainsi et colore de différentes manières les attentions spirituelles du chrétien.

mercredi 18 mars 2020

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

Le signe de Croix est un geste, dont la signification est universellement reçue chez les catholiques et chez les orthodoxes (mais pas chez les protestants), signe qui partage le temps sacré et le temps profane. De quoi parlons-nous ? Le temps profane est le temps que mesure l'horloge, il est foncièrement disponible à toute réalisation, au bien comme au mal, il est libre potentiellement pour toute occupation. Le temps sacré n'est pas un temps libre. C'est un temps où se mêle l'éternité. Dieu fait irruption dans la disponibilité du temps profane et transforme ce moment, en lui donnant une signification éternelle. C'est tout le sens - sacré - de ce que nous appelons volontiers la sainte messe.

Pourquoi la messe est-elle sainte ? Non pas parce que celui qui la célèbre ou ceux qui y assistent seraient des saints, mais parce que la messe est une initiative divine, un acte théandrique divino-humain. L'initiative en revient au Seigneur qui a institué ce geste fou - disant sur du pain Ceci est mon corps et sur du vin Ceci est mon sang -  en nous demandant de refaire ce geste et de redire ces paroles de la même façon : "Cela, chaque fois que vous le ferez, vous le ferez dans la mémoire de moi" : nous le faisons en nous souvenant de ce qu'il avait fait lors de la première messe, la veille de sa Passion. Ce n'est pas un acte qui nous appartient, que nous pourrions accomplir en y laissant notre marque, en employant chacun notre façon de faire, en improvisant chaque jour une nouvelle manière d'être dans cette cérémonie.

Je parle ici du célébrant auquel revient la responsabilité de l'action sacrée - chaque fois qu'il célèbre les saints mystères du Christ, il est seulement "instruments et continuateurs de Jésus-Christ" comme dit saint Vincent de Paul. La messe ne lui appartient pas. Il est l'intermédiaire visible, audible, sensible, mais l'action qu'il pose est une action divine. Cela exige de lui un véritable détachement : certes le Christ a besoin du prêtre, mais ce n'est pas pour restreindre la portée de son offrande, mais pour la réaliser toujours à nouveau, identique à elle-même, dans le temps et dans l'espace.

La messe n'est pas une réunion de prière qui exigerait la créativité des assemblée qui la célèbrent. C'est le cadeau, le testament du Christ avant de mourir, c'est l'explication qu'il donne de sa propre Passion, c'est un secret entre lui et ceux qui l'aiment ou qui essaient de l'aimer, secret qui exige une véritable initiation.

Mais direz-vous, pourquoi un secret ? Parce que l'amour, dans la mesure où il est authentique, ne peut pas se passer de secret ou d'intimité. La messe est la déclaration d'amour que le Christ, qui sait qu'il va mourir, adresse à l'humanité, c'est-à-dire à chacun d'entre nous de manière différente. Sacrement de l'initiation chrétienne, geste sacré inventé par le Christ lui-même (qui d'autre aurait eu pareil idée ?), la sainte messe renferme le secret de son amour et c'est pour cela qu'aujourd'hui encore elle est avant tout non pas une représentation du passé, comme si l'amour de Dieu se découvrait en feuilletant un herbier ou un livre d'image. Non ! la messe est le présent et la présence de l'amour du Christ. Elle est un acte sacré, un acte sanctifiant, qui n'appartient pas à l'homme, mais où Dieu vient à nous aujourd'hui, avec des gestes, avec des signes, avec des mots humains qui ont une origine et une portée divine. La messe nous introduit dans le milieu divin, elle est la juxtaposition miraculeuse du temps humain avec l'éternité.

La messe et la messe seule quand on y réfléchit réalise la première demande du Notre Père : "Que votre nom soit sanctifié". On pourrait traduire cette première demande sur la sanctification du nom de Dieu : "Mon Dieu, donnez-nous du sacré". Donnez nous des signes de votre présence et de votre amour. La messe est le signe par excellence, le signe institué par le Christ de cette sacralité et de cette religion, dont l'initiative est divine. De manière très évocatrice, l'école française de spîritualité parle du Christ comme religieux de Dieu, initiateur et inventeur, dans la sainte messe, de la seule vraie religion, la religion suscitée par Dieu, qui consiste dans des paroles de Dieu et qui dans le sacrifice du Christ nous laisse un exemple héroïque, que nous pouvons reproduire : "Je vous ai laissé cet exemple, j'ai donné ma vie pour vous, afin que vous fassiez de même".

Lorsque Marcel Gauchet parle du christianisme comme de la religion de la sortie de la religion, de la religion désacralisée, il parle peut-être du christianisme, mais alors du christianisme sans le signe de la croix et sans la messe - d'un christianisme protestantisé, ou plus exactement passé au karcher du christianisme libéral, toutes choses qui n'étaient pas prévues dans l'Evangile.

Initiation à la sainte Messe

Alors qu'en plein Carême, nous nous trouvons privés de la sainte messe, comme de toute manifestation publique de notre foi, d'une manière qui renvoie objectivement dans l'histoire au triste temps de la Terreur - cela étant dit non pour chercher à nous victimiser mais pour ne pas masquer la gravité objective de la situation  : plus une messe ne peut être dite en public à Paris,

alors que nous prêtres, nous serons réduits au geste de notre confrère napolitain, qui, voici quinze jours, dans des circonstances analogues, faisait le tour de son quartier, où ne se voyait plus âme qui vive, en bénissant silencieusement ses paroissiens avec l'ostensoir renfermant le saint Sacrement,

alors que le confinement nous prive de la plus élémentaire des libertés, qui est la liberté de mouvement,

nous sommes contraints de nous rappeler que nous avons une âme, qu'elle est et qu'elle restera absolument libre de toute nécessité, qu'il nous suffit de la nourrir et qu'après le télétravail, les enfants le conjoint et netflix, il ne nous reste que cela à penser : la nourriture de notre âme. C'est le petit miracle de cette période difficile ; nous avons le temps. Le temps de méditer. Le temps d'apprendre. Le temps de lire, comme l'a souligné M. Macron lui-même.

Nous sommes privés de messe mais nous avons le temps ; C'est assez pour faire un kairos au sens paulinien du terme : "C'est maintenant le temps favorable, c'est maintenant le jour du salut".

Personnellement quels moyens puis-je mettre en oeuvre ? 

Je ne peux pas poursuivre la série "Saint Paul au bistrot" sur youtube : il n'y a plus cette liberté du  bistrot. Je pourrais organiser une téléretraite, mais je ne suis pas saint Ignace. Alors je me suis dit avec un peu de retard à l'allumage : quelle meilleure occurrence pour nous initier à la messe traditionnelle ? Cette messe déjà difficile d'accès en temps ordinaire dans les paroisses, et qui comme toutes les autres d'ailleurs, nous est interdite pour cause de coronavirus, à défaut de pouvoir la célébrer publiquement, je vais la commenter. Je vais avec vous commencer un livre que je médite depuis longtemps et qui pourrait s'appeler Initiation à la messe traditionnelle.

Aussi longtemps que durera l'épidémie, je m'engage à venir chaque jour sur Métablog vous présenter ce rite merveilleux (on parle couramment aujourd'hui de rite extraordinaire quoi qu'on pense par ailleurs de la forme latine du rite romain). Beaucoup de chrétiens ne le connaissent pas du tout : ils n'y ont pas accès dans les paroisses ordinaires. Le latin leur paraît un obstacle insurmontable. On le leur a souvent répété. Ceux qui pratiquent ce rite extraordinaire ont certes passé la barrière de la langue. S'ils assistent à la messe en latin, en plein XXIème siècle, c'est qu'ils ont compris le sacrement comme une action sacrée que l'on partage avec le coeur, laissant de côté les discours théologiques qui ne seraient accessibles qu'à la seule intelligence. Mais ils n'ont pas forcément eu le temps de pénétrer dans les arcanes du rituel et se sont contentés jusqu'ici du vernis que confère l'assistance hebdomadaire à la messe.

La dureté des temps permet paradoxalement une initiation plus profonde et, grâce à Internet, nous pourrons vivre ici et maintenant un partage du mystère. Bienvenus dans ce partage où chacun pourra communiquer sa perplexité, ses doutes, sa foi et son amour.