"Sanctam Ecclesiam catholicam" : c'est moins net dans le Credo de Nicée que l'on récite pendant la messe, mais en tout cas, dans le Symbole des apôtres que nous commentons ici, Ecclesiam est employé à l'accusatif seul, sans la préposition 'in", réservée à Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, simplement en apposition à Spiritum sanctum. L'apposition développe le sens du terme auquel elle est apposée, elle a une valeur dite explétive. Je crois dans l'Esprit saint, à savoir, sur la terre et pour les hommes de bonne volonté, la sainte Eglise catholique, la communion des saints, qui est aussi le fait du Saint Esprit, la rémission des péchés, qui marque sa puissance, la résurrection de la chair, qui accomplit le destin humain en son nom, et enfin, au Ciel, la vie éternelle, plérôme de la divino-humanité, réalisé par le Saint Esprit. A tous ceux qui se plaigne que l'Eglise traditionnelle n'apportait pas assez de raisons à la dévotion au Saint Esprit, le Symbole des apôtres apporte une réponse, en plaçant en apposition au Saint Esprit, cinq oeuvres qui lui sont appropriées. Vivre de l'Esprit saint, recevoir ses consolations, c'est ressentir en soi l'oeuvre de la troisième personne de la Trinité.
La première oeuvre du Saint Esprit, c'est l'Eglise, non pas les structures humaines de l'Eglise, mais cette convocation, ce rassemblement de tous les chrétiens (c'est le sens du mot grec Ecclesia tout comme du nom hébreu Qahal), rassemblement qui a lieu par grâce. L'Eglise naît chaque jour de cet appel de Dieu qui la fait exister, épouse du Christ, regroupant l'ensemble de ceux qui l'ont épousée ou simplement qui y prétendent, l'ensemble de ceux qui, à un moment ou à un autre, ont eu simplement le coup de foudre pour elle, jusqu'à vouloir recevoir le baptême (baptême de désir et même baptême du sang versé) ou jusqu'à le recevoir en réalité (baptême de l'eau). Dans tous les cas de figure, le Credo de Nicée nous fait préciser : "Je reconnais un seul batême pour le pardon des péchés". Voilà ce qu'est : être d'Eglise. Reconnaître au moins le baptême de désir (le désir du baptême) comme l'instrument du salut universel. Reconnaître comme Platon dans l'Alcibiade mineur, que spirituellement on ne s'en sort pas tout seul, qu'il faut qu'un dieu vienne et nous enseigne, que notre piété "naturelle" n'est pas suffisante, que c'est le Dieu qui est venu qui nous enseigne le surnaturel et que c'est dans l'Eglise que nous le découvrons.
Que vuoï ? disait Jacques Lacan à ses patients, autrement dit : "Veux tu vraiment ce que tu désires" ? C'est la question que pose l'Eglise pour faire cheminer vers le Christ, dans l'Esprit saint tous ceux qui se revendiquent d'elle. C'est l'utilité de l'Eglise, de nous obliger à ne pas transiger avec notre désir profond, à ne pas être seulement des auditeurs de la parole, comme dit l'apôtre Jacques, mais des acteurs, qui mettent en pratique ce qu'ils ont reçu. L'Eglise, comme communauté, à travers les sept sacrements qu'elle nous propose, est censée nous aider à cette mise en pratique, qui matérialise la Parole que nous avons reçue d'elle.
Certains contestent la nécessité de l'Eglise : "Que d'hommes ! Que d'hommes entre Dieu et moi" soupirait le Vicaire savoyard, alias Jean-Jacques Rousseau dans L'Emile. Pour lui, l'Eglise est trop humaine et elle humanise le message du Christ... On est bien obligé de reconnaître que Jean-Jacques ou Voltaire ou Diderot ont eu en partie raison dans leurs critiques des personnes, et qu'en tout cas, s'ils n'ont pas eu raison sur toute la ligne, ils ont des raisons contre beaucoup d'ecclésiastiques, "ambassadeurs du Christ" comme saint Paul définit les prêtres, mais alors qui sont des ambassadeurs qui trop souvent ont perdu leurs lettres de créance, comme un nonce parisien, récent démissionnaire. Ceux-là, les galonnés indignes, ne doivent faire oublier ni les saints ni les tacherons qui font humblement leur travail de prêtre, ayant eux mêmes reçu la miséricorde de Dieu, qu''ils connaissent parce qu'ils l'ont expérimenté pour eux mêmes. Si l''Eglise est sainte, ce n'est pas parce que les individus qui la composent sont des saints mais parce que tous peuvent recevoir d'elle, à travers son enseignement ou à travers ses sacrements, une forme de sainteté. Son enseignement ? "L'Evangile éternel" (Apoc. 14, 1) qui est un don du Saint Esprit, l'Esprit du Christ. Ses sacrements ? Des signes qui produisent la grâce qu'ils signifient, en transmettant aux pauvres terriens que nous sommes la vie éternelle.
L'Eglise, vue sous un certain angle qui est celui de son unité, à travers et au delà de la diversité de ses membres, est coextensible au temps humain, elle est, nous l'avons dit, la convocation éternelle que Dieu lance à tous les hommes. L'incarnation est le moyen par lequel elle se réalise dans l'histoire, c'est parce que Dieu se fait homme en Jésus Christ, que les humains peuvent, à leur tour, être christifiés. Mais ce grand dessein du salut existe en Dieu avant le Christ et avant même l'ancienne alliance ; d'une certaine façon l'Eglise existe avant le Christ. Dans Le Pasteur d'Hermas (prêtre romain autour de 150) elle apparaît sous les traits d'une vieille dame, comme si elle était là, comme bercail, avant le Bon Pasteur : "J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail. Il faut que je les mène et elles entendront ma voix et il n'y aura qu'un seul Bercail et un seul pasteur". Quel est cet autre bercail ? Celui de l'Evangile éternel. Celui de la convocation divine, qui commence avec Adam, le premier homme.
Le premier grand théologien chrétien, saint Irénée de Lyon insistait sur le fait qu'on ne pouvait pas être vraiment chrétien sans croire que le premier Adam était sauvé, que la convocation divine lui avait été adressée avec succès, que certes, au cours de l'histoire, l'humanité entière n'a pas répondu positivement à la divine convocation, mais que cette dernière a réussi, qu'elle a porté son fruit dès le premier homme. Dieu n'échoue pas, c'est l'homme qui se détourne de lui. Mais un bercail est préparé dès l'origine pour l'humanité, une demeure mystique. "Au commencement était l'Eglise" écrit l'historien Rohrbacher en guise d'ouverture à sa monumentale histoire de l'Eglise. Au commencement est l'appel de Dieu à sa créature, qui porte en elle, non seulement une âme immortelle, mais l'Esprit de Dieu qui la remplit. Au commencement est l'Esprit saint, âme incréée de l'Eglise comme l'expliquait naguère le cardinal Journet, l'Esprit saint qui est, n'en déplaise aux faiseurs de projets oecuméniques, son unité secrète, son caractère divin absolument originaire.
L'Eglise est sainte, nous l'avons dit, non par la volonté de ses membres mais par le décret de Dieu, qui par sa grâce, rend possible la sainteté de l'homme. L'Eglise est une, c'est-à-dire catholique (universelle), dans son âme incréée, le Saint Esprit. Cette unité divine est la seule oecuménicité qui vaille et l'oecuménisme s'il a un sens consiste à ramener les Eglises à la fécondité divine dans laquelle l'homme trouve son bercail.
Le sujet est interminable. Je voudrais finir pour l'instant en soulignant que là où le Symbole de Nicée énumère quatre notes de la véritable Eglise, qui est une sainte catholique et apostolique, le symbole des apôtres n'en cite que deux ; la véritable Eglise est une et elle est catholique. Ce sont aussi les deux épithètes que choisit d'employer Ignace d'Antioche dans sa Lettre aux Smyrniotes (vers 110), dans laquelle il évoque "la sainte Eglise catholique de Smyrne". L'Eglise est une mais elle est partout, au fond comme Dieu dont elle est comme la première image créée.