
Le Mouvement initié par la Manifestation pour tous et qui la déborde largement est difficile à décrypter. Pas de leaders affirmés, sinon des gens que l’on désigne par leurs prénoms. Pas de mots d’ordre officiels, des consignes qui passent par les réseaux sociaux. Cela veut-ils dire que ces manifestants sont des manifestants de hasard, des militants de rencontre ? Nous avons souhaité donner la parole à deux jeunes qui participent aux manifestations. Ils ne se connaissaient pas avant que nous n’organisions cette rencontre. Ils ne se sont pas entendus pour délivrer un discours semblable. Leur point de vue et leur formation sont assez différents mais leur enthousiasme est tout à fait convergent. Ils indiquent, sans s’être concertés, que naît dans la rue, en ce moment, un véritable printemps du christianisme en France.
CT : Guillaume, Carl, j’aurais d’abord envie de vous demander qui vous êtes… D’où parlez-vous ?
GL : Nous sommes tous deux de simples militants de base, ni Printemps français, ni Veilleurs, ni Camping pour tous, ni Hommens, ni « Salopards », ni « Comité d’accueils » pour ministres en déplacements professionnels, mais n’hésitant pas à aider les uns et les autres. Depuis le début de cette affaire de mariage homosexuel, à Paris, nous essayons d’être présents sur tous les fronts dans une opération qui compte déjà quelques réussites… Vous nous demandez : « Qui êtes-vous ». Disons que nous représentons l’un et l’autre, incognito, deux parmi des milliers, un mouvement fondateur qui implique toute une génération de catholiques : les manifestants viennent de partout mais ils se sont regroupés autour de viviers de gens formés : je pense à l’Institut Albert le Grand (Angers) à l’ICES (La Roche sur Yon), à l’IPC (Paris), qui fournissent des cadres à notre révolte. Pour la plupart, on pourrait dire que nous relevons de « la jeunesse JMJ ». Au départ, nous sommes des catholiques bisounours, soit de formation diocésaine classique, soit des groupes chacha (charismatiques NDLR) qui découvrent l’hostilité des médias et du monde. Ces jeunes gardent encore une sorte de répulsion pour le milieu tradi, mais ils se sont radicalisés par rapport aux médias et au gouvernement. François Hollande a réussi à transformer des bisounours en militants politiques engagés… contre lui. C’est un véritable tour de force !
CMR : Je voudrais ajouter une petite précision à ce que dit Guillaume sur la génération JMJ. Je crois que c’est aussi et plus précisément la génération Benoît XVI. Nous n’avons vu, nous, que la fin du pontificat de Jean-Paul II et une fin difficile.. Nous n’avons vraiment reconnu toute l’importance de ce pape qu’au moment de sa béatification… Mais Benoît XVI est un marqueur beaucoup plus important pour notre jeunesse, un marqueur de résistance. Il nous laisse un enseignement, un héritage intellectuel et puis aussi disons qu’il a polarisé les médias davantage encore que Jean-Paul II, ou pour ou contre lui. Personnellement je peux dire aussi que sans son Motu proprio sur la liturgie, je ne connaîtrais pas la liturgie traditionnelle et je ne serais pas le chrétien que je suis.
CT : Mais quelle action envisagez-vous ?
CT : Mais quelle action envisagez-vous ?
GL : Descendre dans la rue et manifester, c’est déjà une action en soi, qui montre que les jeunes ne se résignent pas à la ghettoïsation et à l’enfermement communautariste dans leur sacristie. Les mots ont leur importance à cet égard : « la manifestation pour tous » cela dit bien ce que cela veut dire. Il s’agit de chrétiens (contrairement à ce que l’on entend parfois durant les manifestations : la manif black blanc beur a fait long feu), mais ce sont des chrétiens qui s’intéressent à leur pays, qui marchent pour la France et les Français.
Pour ce qui est d’actions à mener, on parle aussi de listes aux Municipales, face à des élus UMP qui auront voté pour le mariage homosexuel ou se seront abstenus. Pourquoi pas tenter d’organiser ces représailles politiques ? Cela peut constituer un tremplin pour que certains se lancent en politique
CMR : Je ne crois pas que l’avenir soit à chercher du côté de la politique. Je crois plutôt à l’émergence d’une élite culturelle, consciente de son identité chrétienne et qui la revendique, j’allais dire qui la revendique avec ou sans la foi explicite et personnelle. La société rompt en visière avec le droit naturel. On ne peut plus rester indifférent devant cette rupture. Je vois à Sciences Po quelques étudiants qui ne sont pas catholiques mais qui suivent avec beaucoup de sympathie les militants qui manifestent…
GL : Pour être plus précis au niveau des actions à soutenir, je dirais d’un point de vue personnel, que je suis 100 % en faveur des actions coups de poing. Il faut le reconnaître, les militants que nous sommes constituent une minorité dans la population, donc vouloir faire des sittings ou une veillée sur le gazon de l’Esplanade des Invalides, cela ne dérange personne, cela n’exerce aucune véritable pression sur le Pouvoir. Ceux, parmi les manifestants, qui se sont nommés Les Veilleurs revendiquent ce genre d’action. Il y a un côté positif parce qu’ils forment leurs militants par des lectures et une ouverture à la culture. Mais faire la comparaison entre les Veilleurs et le mouvement de Gandhi aux Indes, cela ne marche pas ! Gandhi avait avec lui 90 % de la population, c’est la raison pour laquelle ses actions non-violentes ont eu un tel retentissement. Il faut que nous ayons nous aussi des modes d’action qui soient proportionnels à ce que nous sommes. Pour l’instant nous avons fait évoluer l’Opinion publique et c’est bien. D’après les derniers sondages, 56 % des Français sont opposés au Mariage pour tous. Mais on n’a pas assez de militants pour qu’une Opération de style passif fonctionne.
CT : Vous êtes donc pour la violence ?
CT : Vous êtes donc pour la violence ?
GL : Nous ne sommes évidemment pas pour la violence, même si je viens de vous dire les limites de la non-violence. Ce qu’il faut organiser, ce sont des actions démonstratives, symboliques, médiatisables immédiatement. Je crois aussi à ce que le camarade Jean-Christophe Cambadélis appelait le harcèlement démocratique, qui ne s’en prend pas aux personnes mais à leur fonction. Les Comités d’accueil qui un peu partout en France saluent à leur manière les personnalités en voyage ont un impact important. J’en profite pour dire qu’il y a une deuxième comparaison incorrecte, après celle de Gandhi, celle de Mai 68. Les barricades, cela ne fonctionne plus, pourquoi ? En Mai 68, les étudiants avaient avec eux la plupart des intellectuels, tous ceux que l’histoire retient autour de la French theory, Foucault, Derrida, Deleuze etc. Ces intellectuels s’employaient à justifier l’action violente des étudiants. Nous n’avons rien de comparable aujourd’hui.
CMR : Pour nous qui tenons ce blog Le Rouge et le Noir, nous pensons que la contre-révolution est culturelle d’abord et intrinsèquement liée à l’évangélisation. On doit constater une ignorance abyssale de notre génération. Dans notre société, il reste des fruits pourris de l’ancienne évangélisation, fruits pourris parce qu’ils ont été coupés de leur racine chrétienne, ce que Chesterton appelait je crois des « vertus chrétiennes devenues folles ». Mais il n’y a plus rien de chrétien, même les connaissances les plus élémentaires manquent…
Quel serait le programme des chrétiens de la Manif pour tous ?
CMR : Un programme éthique, avec en première ligne la défense de la famille, de la vie, de la culture de vie. Cette défense passe par un attachement aux réalités, qui signifie immédiatement le refus de toute idéologie. Ce qui nous différencie avant tout du PS et de l’UMP c’est la question des valeurs… Et cette affirmation commune des valeurs chrétiennes, elle favorise l’unité de tous les catholiques sur le terrain. Ainsi j’ai vu des gens de Saint Nicolas du Chardonnet dans le Service d’Ordre de la Manifestation pour tous… On va aussi bien à ce que j’appellerais des « messes jésuites » de la Rue Saint Guillaume qu’au pèlerinage de chrétienté. Sans transition. Il naît un respect mutuel entre jeunes catholiques, une volonté de se comprendre, qui est indépendante des mots d’ordre venant du clergé ou des évêques.
CMR : Un programme éthique, avec en première ligne la défense de la famille, de la vie, de la culture de vie. Cette défense passe par un attachement aux réalités, qui signifie immédiatement le refus de toute idéologie. Ce qui nous différencie avant tout du PS et de l’UMP c’est la question des valeurs… Et cette affirmation commune des valeurs chrétiennes, elle favorise l’unité de tous les catholiques sur le terrain. Ainsi j’ai vu des gens de Saint Nicolas du Chardonnet dans le Service d’Ordre de la Manifestation pour tous… On va aussi bien à ce que j’appellerais des « messes jésuites » de la Rue Saint Guillaume qu’au pèlerinage de chrétienté. Sans transition. Il naît un respect mutuel entre jeunes catholiques, une volonté de se comprendre, qui est indépendante des mots d’ordre venant du clergé ou des évêques.
GL : Vous parlez de valeurs, je crois qu’il ne faut pas hésiter à évoquer un véritable retour identitaire. Dans les « afters » des manifestations, cela finit en veillées scouts avec une affirmation claire de ce qu’on est… des chrétiens !
CT : A quoi vous pensez lorsque l’on vous dit que ce Mouvement est en train de faire époque ?
CT : A quoi vous pensez lorsque l’on vous dit que ce Mouvement est en train de faire époque ?
GL : Moi, ce phénomène de résistance des jeunes à ce que leurs aînés croient être le sens de l’histoire et la modernité inarrêtable, il me fait penser au film Les invasions barbares. Denys Arcand y raconte une confrontation entre un père et son fils : le père est un débauché qui vit avec sa maîtresse maîtresse, prenant de la drogue pour essayer d’oublier sa maladie. Son fils, Sébastien, lui, a une conception de la famille beaucoup plus traditionnelle. Il ne faut pas oublier que beaucoup des jeunes qui descendent dans la rue sont issus de familles que le divorce a mises à mal : ils sont particulièrement sensibles aux désordres familiaux. En cela, ils sont bien de leur époque dans le jeu de balancier de l’histoire.
CMR : Avant de dire que ces Manifestations font époque, il faut mesurer le risque de démobilisation, après la promulgation de la loi. On nous prédit cette démobilisation. Il faut qu’on arrive à montrer aux Pouvoirs publiques qu’on est tout aussi mobilisé face à d’autres lois, sur la PMA par exemple ou sur le droit à l’euthanasie. Les catholiques sont enfin entrés en confrontation avec la pensée dominante. Les catholiques bourgeois en ont pris un coup…
CT : Catholiques bourgeois, qu’entendez-vous par là ?
CMR : Je ne parle pas d’une classe sociale, je parle d’une attitude, je parle des catholiques bourgeois au sens où en parle un spécialiste d’histoire religieuse comme Emile Poulat, bourgeois au sens que l’on donnait à ce mot à l’époque du Ralliement de l’Eglise à la République (1891). Etre bourgeois, c’est vouloir toujours paraître «modérés», proche du Pouvoir. Tout cela est derrière nous. Aujourd’hui où l’on remet en cause jusqu’au droit naturel, les gens n’ont plus envie de faire de compromis en cachant ce qu’ils pensent vraiment au fond. La nouvelle élite catholique sera plus radicale, moins effacée : les gens ne peuvent plus être des schizophrènes.
(Propos recueillis par Claire Thomas)
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Guillaume Lévi, centralien, a 25 ans. C’est un jeune professionnel, qui prend sur ses loisirs, le soir, pour aller assidûment manifester.
Carl Moy-Ruifey, 22 ans, est élève à Sciences Po Paris, militant à plein temps et blogueur à ses heures sur Le Rouge et le Noir.