Mgr Vesco évêque d'Oran s'est fait remarquer pour des positions très en pointe sur l'accueil sacramentel des divorcés remariés. Il vient de publier un petit livre sur le sujet aux éditions du Cerf, intitulé Tout amour véritable est indissoluble. J'avoue que je n'avais pas particulièrement travaillé cette question du synode. Mais ma chère nièce (elles sont toutes mes chères nièces) me demande via FB ce que je pense des thèses de cet évêque. Une occasion de réfléchir et d'essayer de parler vrai sur un sujet très passionnel. Je lui ai donc envoyé une réponse et je me suis dit que les lecteurs de ce Blog pourraient peut-être s'intéresser à la teneur de cette réponse et entrer en débat sur ce sujet comme le souhaite notre cher pape.
Le titre tout d'abord : malgré une indéniable charge affective, il m'évoque les propositions de logique formelle et les syllogismes en BARBARA, CELARENT, DARII, FERIO et BARALIPTON... Tout amour vrai est indissoluble. Or il s'est dissout. Donc il n'était pas vrai... Je crois que c'est dans ce cas de figure que veut nous emmener l'évêque d'Oran... Mais il y a une autre inférence, qui n'est pas un syllogisme : Tout amour vrai est indissoluble. Un amour vrai ne peut donc pas être dissout...
Mais qu'est-ce qui fait qu'un amour est "vrai" ? Le ressenti ? Quand on pense que Caroline de Monaco a fait annuler son mariage à Rome (le fac simile du verdict est paru dans Match à l'époque) parce qu'au moment du consentement elle souffrait d'"un complexe érotico-émotif" (comprenez : elle était vraiment amoureuse... et donc dépendante... Et donc aveugle...). Difficile de SAVOIR ce qu'est un amour vrai dans la mesure où par définition la passion amoureuse brouille toute objectivité.
J'aurais tendance à me répondre à moi même sur ce point : il n'y a que deux solutions pour être sûr d'être dans l'amour vrai avant que la passion (forcément égotique, jalouse, propriétaire, inquiète et j'en passe) ne s'en mêle : le coup de foudre d'une part, qui dévoile une mystérieuse affinité, sans qu'aucune forme d'intérêt n'ait eu le temps de brouiller le jugement. Et la lente reconnaissance mutuelle d'autre part (très belle description de cette lente évidence de l'amour dans Il était une ville de Thomas B Reverdy). "Mon amour, c'est mon poids, mon inclination" disait Augustin... Il est normal d'en prendre conscience petit à petit.
Mais avouons-le, tout cela reste encore très subjectif. Il y a donc ceux qui pensent, comme Denis de Rougemont dans ce livre sublime qu'est L'amour et l'Occident (en particulier en sa septième partie) que la vérité de l'amour est encore plus importante que l'amour. Je veux dire que l'authenticité des circonstances de l'engagement mutuel est plus importante que la loterie à laquelle il a été donné à chaque époux de participer. C'est que l'amour n'est pas seulement un état d'âme, c'est aussi une institution dans laquelle il faut prendre en considération non seulement le couple mais les enfants. Le véritable choix amoureux est donc irréversible, quelles que soient les traductions sentimentales (parfois très approximatives, bourrées de contre-sens) auxquelles il a pu donner lieu au cours de toute une vie. Cet amour-là seul est inconditionnel : il ignore les conditions - auxquelles il est soumis pourtant. Il est nécessairement unique (ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas y en avoir deux dans une vie, ils resteront uniques profondément différents l'un de l'autre...) Vous en avez un magnifique exemple (non chrétien) dans Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer (film disponible sur you tube).
Je crois que ceux qui se marient à l'Eglise aujourd'hui comprennent parfaitement cela. C'est ce caractère inconditionnel qu'ils viennent chercher en Dieu, au pied de son autel. Il y a eu autrefois beaucoup de "mariage à l'Eglise" reposant sur un défaut de foi et une volonté de reprendre simplement des coutumes familiales. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. Même les non-chrétiens ou les moins chrétiens qui demandent un mariage à l'Eglise le font avec - au moins - cette foi dans leur amour qui le rend inconditionnel. Le temps peut abîmer tout cela. Assueta villescunt. Mais il y aura toujours le ressort de l'unicité, qui, à moins d'un accident l'emportera. Les incompréhensions peuvent obscurcir le moment de l'engagement : il faut tout faire pour en sortir.
Maintenant, il y a encore tous ceux qui vous disent : je ne le connaissais pas, je la découvre, c'est insupportable, invivable. En principe les grâces du mariage sont là pour aider les conjoints à faire ce genre de découvertes, qui du pervers narcissique, qui du sauteur, qui du maniaque etc. Encore l'Eglise accepte-t-elle pour déclarer nul de plein droit un mariage contracté devant son ministre, de reconnaître un critère d'immaturité au moment du consentement (voilà qui doit expliquer le cas de Caroline que nous évoquions en commençant). Le pape François vient de permettre que dans les cas évidents de nullité, l'évêque du lieu puisse en 45 jours rendre une reconnaissance de nullité. C'est appréciable ! Souhaitons qu'un certain nombre d'évêques apprennent ainsi à prendre leurs responsabilités de pasteurs
Reste-t-il encore des cas que la loi ecclésiastique n'aurait pas prévu et qui peuvent souffrir (allez même injustement) de la discipline ecclésiastique. C'est fatal. Platon l'expliquait déjà : une loi, aussi précise soit-elle, ne peut jamais tout prévoir. Il suffit pour que la loi soit juste qu'elle s'applique ut in pluribus dirait Thomas d'Aquin, dans la plupart des cas.
C'est en ce point qu'intervient, péremptoire, Mgr d'Oran. Je n'ai pas lu son livre, mais dans un entretien avec Céline Hoyeau (qui fait bien son boulot), il exprime assez clairement son état d'esprit. Ce qu'il veut dire ? Il faut adapter la loi aux personnes. "Une doctrine vraie, dit Mgr Vesco, ne peut pas entrer en contradiction avec la vérité des personnes". Doctrine ? En l'occurrence, il s'agit d'une loi... Et, encore une fois Platon le disait déjà, une loi vraie, parce qu'elle est universelle, eput entrer en collision avec la vérité de telle personne, dont les spécificités n'auront pas été prévues.
Il n'y a qu'un cas où la loi et la vérité des personnes n'entrent jamais en collision, c'est lorsque c'est Dieu qui juge. Le Jugement de l'âme devant Dieu dont parle l'évêque, jugement que la théologie appelle le jugement particulier, est un jugement dans lequel "la vérité de la personne" ne saurait s'opposer à la sentence portée par Dieu notre Juge.
Mais l'Eglise est aussi une société humaine. Elle a une loi pour les hommes qu'elle a le devoir de faire respecter. La vérité de la personne ? La personne elle-même ne la connaîtra vraiment ("connais toi toi-même") que devant Dieu Se prévaloir d'une vérité qui est seulement un ressenti dans l'instant, ce n'est pas suffisant ! Non seulement ce n'est pas suffisant, mais c'est dangereux. Si on prend Vesco à la lettre, on fait TOUT sauter. Il n'y a plus de loi, il n'y a que "la vérité de la personne" dans toutes ses ambiguïtés.
La discipline de l'Eglise romaine n'est pas suffisante pour faire face aux cas particuliers ? C'est vrai, mais alors qu'au moins les évêques prennent leurs responsabilité et au nom du 'Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux" qu'ils prononcent eux-mêmes un divorce chrétien (comme le font les évêques grecs dans certains cas exceptionnels depuis des siècles), cette pastorale de l'exception (ou de la miséricorde) sera moins nocive que cette destruction de toute loi au nom de "la vérité de la personne". Autre chose est de dire : une loi a ses exceptions soigneusement notées par un juge qualifié... comme le font les Grecs... et autre chose de dire comme Vesco : il n'y a pas de loi qui tienne face à la vérité de la personne. Là on est carrément dans le refus de la loi... Dans l'anomie plus que dans l'anarchie. Mais l'Eglise peut-elle renoncer à être le temple des définitions du devoir ?