On sait que le conclave est la seule assemblée décisionnaire du monde dont les membres soient enfermés jusqu'à ce que décision s'ensuive. Mais cela n'empêche pas le conclave actuel d'être très ouvert. Oh ! Ce n'est pas à cause de ces modernes passe-murailles que sont les portables (ordinateurs ou téléphones). Les électeurs n'ont pas droit à ces instruments. Mais en réalité, le conclave est très ouvert on ne sait pas trop qui peut l'emporter. Autrefois on disait : "Tel qui rentre pape au conclave en ressort cardinal". Et il est vrai que la majorité des 2/3 est difficile à obtenir et qu'il existe de très efficaces minorités de blocage, qui empêchent certains favoris d'aller au bout de leur jeu électoral. Aujourd'hui, pour le présent conclave, on ne peut pas dire qu'un pape en puissance ressortira cardinal car il n'y a pas de pape en puissance. Personne n'imagine que les jeux sont faits. Du reste, la bagarre se poursuit entre les cardinaux italiens et les autres, pour savoir s'il faut commencer tout de suite (idée de la curie) ou si un long préconclave est souhaitable (au cours duquel des étrangers pourraient aussi faire campagne).
Il semble que pour tout le monde, Benoît XVI, au cours de son septennat, ait réglé la question proprement théologique que posait le concile Vatican II à l'Eglise. Non ce Concile n'était pas exceptionnel. Oui il faut faire le tri entre le Concile virtuel (avec les médias) et le Concile réel (dans des textes que personne n'a lu, qui sont objectivement d'intérêt et d'autorité divers). L'esprit soixante-huitard n'a pas fait école dans l'Eglise de Ratzinger autant que dans l'Etat de Nicolas Sarkozy, et c'est heureux. L'Eglise demeurera en lutte contre la mondialisation consumériste, le relativisme qu'elle implique et les changements de paramètre humain qu'elle pourrait comporter. Il n'est pas sûr en revanche que le successeur du pape Ratzinger éprouve le même intérêt que lui pour la liturgie. Cela dit la dimension doctrinal du Motu proprio de 2007 ne sera sûrement pas remise en cause. De là à ce que la liturgie traditionnelle soit vraiment en vente libre, ce ne sera vraisemblablement pas un combat prioritaire pour le prochain pape, comme cela l'était pour Benoît XVI. Tous les cardinaux ou presque sont doctrinalement des ratzinguériens. Mais tous n'ont pas les priorités de Ratzinger. La FSSPX, qui a fait tant de manières pour prendre la main tendue, ne sera sans doute pas reçue de si tôt par le Successeur, peu soucieux de recevoir les avanies médiatiques dont Benoît fut gratifié. Quant à la Fraternité Saint Pie X, elle est plus à l'aise à la marge, comme instance critique que chantant avec le choeur.
Cela dit, on n'imagine pas un pape remettant en cause la discipline de l'Eglise, en acceptant le sacerdoce des femmes, seule solution économiquement viable pour le mariage des prêtres (Pourquoi tant de pastoresses ? Parce qu'elle peuvent se reposer sur leur mari qui travaille vraiment et fait bouillir la marmite pour toute la famille). Le Sacré collège est suffisamment conservateur pour s'épargner une telle source de soucis supplémentaires.
Mais la question qui est sur toutes les lèvres est celle du rapport au monde. On va vers un monde plus difficile, vers un monde où la Technique règnera toujours davantage sur les moeurs, au point de rappeler les intuitions d'Aldous Huxley dans le Meilleur des mondes. Quel doit être le discours de l'Eglise ?
Prenons le cas de la France à qui il arrive encore d'être le four où se cuit le pain de la chrétienté. On pourrait dire en une formule que la question du mariage homosexuel est grosse d'un divorce entre l'Eglise et l'Etat qui se trouvent désormais en un désaccord solennel sur les bases de la vie sociale. Comment concilier l'Evangile et l'utilitarisme moderne concrètement ? C'est la première question alors que la modernité se radicalise. "Nihilisme révolutionnaire sans âme et mondialisme à bout de souffle se donnent la main" comme l'écrit Henri en réaction au post sur Romain Rolland. Et l'Eglise par rapport à cela ? Peut-elle se contenter de répéter ce qu'elle a dit à Vatican II : "L'Eglise offre à la communauté humaine sa collaboration sincère pour l'instauration d'une fraternité universelle". Comme l'avait senti très tôt l'abbé Ratzinger : peut-on se dire frères quand on ne reconnaît ni matrice ni paternité ?
L'idéal conciliaire bat de l'aile. Benoît XVI écrivait dans Spe salvi que l'Eglise doit réaliser une "autocritique de la modernité". Mais comment ? Elle doit aussi découvrir les nouveaux moyens de son universalité, alors que le faux universalisme économique bat son plein et que les universalismes idéologiques anciens sont morts. Qui sera capable parmi les cardinaux de marier l'universalité et la diversité ? Je proposerais, moi, sans la moindre autorité pour ce faire, je fais un rêve, que le cardinal Raï soit fait pape. En tant qu'archevêque de Beyrouth d'une part, planté au coeur du drame de ce monde, en tant que maronite (non latin) d'autre part, en tant que français de culture enfin, il a tous les atouts, si l'on veut bien s'en rendre compte. Il serait le pape universel. On pourrait lui opposer un Africain comme Sara (mais ces Africains là sont trop latins), un Argentin comme Sandri (parce qu'il est une pointure) ou un Philippin comme Tagle (55 ans, "habité" mais trop énigmatique : il n'est cardinal que depuis deux mois). Bref tout ça est décidément très ouvert, je ne suis absolument pas sûr d'avoir cité le prochain pape. Je ne prétends pas jouer les vaticanistes, je ne veux pas non plus entretenir les bookmakers.
Revenons en aux faits.
Qu'a fait Benoît XVI ? Sa devise dans les Prophéties de Malachie nous invite à être résolument optimistes, tout en plaçant la barre haut : De gloria olivae. La gloire de l'olivier, dans la Bible, c'est d'avoir, par un rameau dans le bec d'une colombe, annoncé la fin irréversible du déluge. C'est au bout de 48 jours que la colombe revient dire en silence la gloire de l'olivier. Mais l'arche ne se posa sur le Mont Ararat que "le septième mois, le dix-septième jours du mois" et il fallut attendre le onzième mois pour qu'apparaissent les cîmes des autres montagnes. Entre la gloire de l'Olivier, entrevue par Benoît XVI et la fin du Déluge, il y a une marge. Nous ne sommes pas rendus au bout. Mais grâce à Benoît XVI nous pouvons être sûrs que la barque de Pierre, qui faisait eau de toutes part disait-il à son arrivée au Souverain pontificat, est maintenant consolidée et unifiée. Elle ne fera pas naufrage, sabotée de l'intérieur par les querelles de ses propres enfants. L'Eglise a retrouvé l'espérance avec le rameau d'olivier.
Pourtant, elle ne se réétablira pas dans le monde avant longtemps et seuls "des îlots, des oasis" (Benoît XVI dixit) de chrétienté subsisteront et survivront. Nous avons échappé à une implosion de la Barque, elle est enfin solidifiée (qui dira les risques qu'a pris Benoît XVI pour refaire en vérité l'unité de l'Eglise ?). Il va s'écouler du temps avant que ne cesse le déluge, dont les eaux montent toujours. Le rameau d'olivier est glorieux parce qu'il est le signe de la paix entrevue, mais il ne signifie pas la victoire acquise. Retiré sur sa Montagne, comme il disait dimanche dernier par allusion et à l'Evangile de la Transfiguration, le pape priera pour que les temps soient abrégés. Au nom du rameau d'olivier qu'il a représenté. Au nom, peut-être aussi, même s'il ne le dit pas, de ce Troisième secret de Fatima qu'il publia naguère officiellement et qui nous montre un pape mourant "sur la montagne".