«Un grand signe est apparu dans le Ciel : une femme vêtue du
soleil» Apoc. 12 (Introït de la fête de l’Assomption)
Grande et belle fête de l’Assomption ; nous célébrons la Vierge, montée
au ciel avec son corps et qui n’a pas connu la corruption du tombeau. Chez les
orthodoxes, il est question aussi de la dormition : Marie n’aurait pas
vraiment connu la mort avant son Assomption. Chez les catholiques, on accepte
que Marie ait pu mourir mais elle monte au Ciel, rayonnante de la gloire que
Dieu accorde à sa sainteté hors normes. Chez les orthodoxes comme chez les
catholiques, Marie est hors-normes. Marie est un monde à elle toute seule
disait le cardinal de Bérulle. Elle vit selon des lois qui lui sont propres.
Elle domine les éléments du monde, qui sont à son service et mettent en valeurs
sa beauté unique. Ainsi Jean, le voyant de Patmos, chez qui elle a trouvé
refuge (cf. Jean 18) la voit-il non comme une femme parmi d’autres, non comme
une sainte parmi d’autres, mais « bénie entre toutes les femmes »,
plus belle que toutes les femmes, « revêtue du soleil, la lune sous les
pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête ». Ainsi, nous aussi,
nous après lui, pouvons-nous voir, au-delà de toutes les limites du visible,
celle que nous avons reconnue comme la Nouvelle Eve et comme
l’Epouse du Saint-Esprit. Marie mère du Ressuscité, vit selon ses
propres lois, dans une incroyable intimité avec Dieu ; et elle meurt d’une
manière qui n’appartient qu’à elle, suspendant Thanatos, la loi d’airain qui
nous tient tous sous sa coupe.
Mais, demanderez-vous peut-être, comment sommes-nous sûrs que cette Femme
que chante l’Apocalypse, c’est la Vierge Marie ? Et les plus instruits
parmi mes lecteurs me demanderont sans doute : n’est-ce pas plutôt
l’Eglise ?
Marie est la première chrétienne comme disait Luther dans son Commentaire du
Magnificat. Par conséquent, elle représente l’Eglise à elle toute seule. Elle
représente l’Egliuse dans son FIAT dans son Oui résolu à l’ange Gabriel ;
elle représente à ce moment-là, à elle toute seule, la liberté de l’humanité
tout entière, liberté qui dit Oui à la grâce, Oui au salut, Oui à Jésus-Christ.
Elle EST l’Eglise, dans sa lutte contre le Serpent, et cela justement parce
qu’elle est la nouvelle Eve, premier melmbre de l’Eglise. Dans l’Apocalypse, le
personnage de la femme (que l’on revoit à la fin du livre) est en même temps
Marie et l’Eglise.
Attention : mon argumentation peut vous paraître un peu ramasse-tout.
Elle n’est pas spécieuse, mais rigoureuse. Au chapitre 12, il faut d’ailleurs
dire que la Femme entrevue par le Voyant est d’abord Marie. Preuve ? Le
verset 5 de ce chapitre 12, qui est très clair sur l’identité de cette
Femme : « elle est enceinte » et « elle donnera le jour à un
enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un gourdin ferré.
Mais l’Enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône et la Femme s’enfuit au
désert ». Quel enfant fut « enlevé auprès de Dieu », sinon
Jésus-Christ ? Quel enfant doit « mener toutes les nations avec
un gourdin ferré » ? Cette expression est une citation du Psaume 2,
qui est un psaume messianique. Ce dominateur universel, c’est le Messie. Et la
Mère du Messie, ce n’est pas l’Eglise, que je sache (on irait là à l’absurde).
La Mère du Messie, c’est bien la Vierge Marie, littéralement visée dans ce
texte, comme la femme annoncée dans le livre de la Genèse, celle qui entretient
une « inimité avec le Serpent ». Ici, c’est vrai on parle du diable
ou du dragon. Mais saint Jean prend le soin de nous préciser :
« L’énorme Dragon est l’antique Serpent que l’on appelle diable et Satan.
C’est le séducteur du monde entier ». Tout est clair, me semble-t-il, sur
les protagonistes de cette vision. Ce qui est admirable, c’est que la prophétie
voilée de Genèse 3, 15 est explicitée le plus clairement possible à la fin du
Livre. La boucle est bouclée. Dieu avait annoncé que la Femme aurait un rôle
particulier dans la lutte contre le Serpent. Jean le Voyant comprend que cette
femme, c’est celle qu’il a prise chez lui, celle qu’il a été obligé de cacher
au Désert, celle qu’il va révéler au long de cet extraordinaire chapitre 12, en
la montrant à tous comme les artistes, désormais, aimeront la voir :
glorieuse, vêtue du soleil, libre en Dieu, libre des éléments du monde, libre
de la mort même, avec le Ressuscité, son Fils, libre pour le combat contre
l’antique Serpent de la Genèse, disponible pour que nous fassions alliance avec
elle, dans la seule bataille qui tienne, celle qui est décrit dans ce
chapitre : « Michel et ses anges luttaient contre le Dragon et le
Dragon, avec ses anges, combattit, mais ils ne furent pas les plus
forts ».
Parmi les noms de la Vierge, nous répétons qu’elle est « forte comme
une armée rangée en bataille ». Le côté apparemment militariste de cette
invocation plaît moins aujourd’hui qu’autrefois. Mais on a tort. La bataille
dont il s’agit n’est pas une bataille nationaliste ni une bataille
idéologique. Ce n’est pas une bataille qui fait des morts, car sans
bataille nous sommes déjà tous morts. C’est une bataille qui fait des vivants.
La bataille dont il s’agit est la bataille contre le mal et la mort, la seule qui
vaille d’être menée, mais alors jusqu’au bout. Jusqu’au bout ?
« Maintenant et à l’heure de notre mort », avec la Vierge Marie, qui,
à elle toute seule, ainsi que nous l’a montré ce chapitre de l’Apocalypse, est
« forte comme une armée rangée en bataille » : sicut acies
ordinata !