Une autre oeuvre du Saint Esprit sur la terre - après l'Eglise - est ce que l'on nomme dans le Credo la communion des saints. Attention : la communion des saints n'a rien à voir avec la communion eucharistique. Elle ne concerne pas directement le corps eucharistique de Jésus, mais bien d'avantage son corps mystique, selon l'expression de saint Paul. Mais qu'est-ce que le corps mystique ?
Au chapitre 9 des Actes des apôtres, saint Paul raconte sa conversion au Christ sur le Chemin de Damas. Il est venu dans cette ville pour livrer ceux qu'il appelle les partisans de la Voie (les chrétiens) à la Justice du Sanhédrin, qui a fait de lui Saül, son représentant avec droit de vie et de mort sur ces juifs déviants que l'on n'appelle pas encore les chrétiens, et sur lesquels il pourrait mettre la main. Il est à cheval, en route vers Damas, quand une grande lumière le jette à terre et le prive de l'usage de la vue ; il entend une voix lui dire : "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? - Qui es-tu Seigneur ? - Je suis Jésus que tu persécutes". C'est de ce bref dialogue entre Paul et la lumière qu'est née la théologie du corps mystique dans les épîtres de Paul.
Qu'appelle-t-on corps mystique du Christ encore une fois ? Le jeune Saul, qui a dû croiser Jésus dans les rues de Jérusalem un ou deux ans auparavant, n'a jamais persécuté Jésus. Son Rabbin à lui, c'est Gamaliel (Ac. 22, 3) . Ce dernier, sans doute impressionné par la Parole de Jésus, avait solennellement dit de laisser les chrétiens tranquilles (Ac. 5, 38-39) : "Si ce qu'il dit vient des hommes, cela ne tiendra pas. Si ce qu'il dit vient de Dieu, nul ne pourra le détruire. Ne prenez donc pas le risque de faire la guerre à Dieu". Façon de dire, comme Tertullien plus tard : le christianisme est tellement fou que s'il vient des hommes, cet enseignement ne tiendra pas. Je crois parce que c'est fou et que ça tient : ça vient de Dieu. Tel est le premier raisonnement qui vous inclut dans la communion des saints. Comme dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre vous sont pour vous".
On peut parler de communion des saints non pas seulement à propos des saints ou de ceux qui prétendent l'être. La communion des saints - nous verrons comment tout à l'heure - fait devenir saints ceux qui ne le sont pas. Elle s'exerce aussi à l'égard de tous ces demi-chrétiens, qui ne peuvent pas ne pas sympathiser avec le Christ, mais qui comme Gamaliel, ou encore comme Nicodème qui vient voir le Christ de nuit et qui se plaît à cette demie-lumière, restent à distance.. C'est une histoire de verres à moitié vides ? Il faut les voir à moitié pleins, voilà la première règle de la communion des saints. Comme le dit le Christ lui-même : "Ceux qui ne sont pas contre vous sont pour vous".
Après ce premier détour par Gamaliel, Nicodème et tous les mal-croyants, dont nous faisons tous partie à un moment ou à un autre, revenons à saint Paul. Le Christ lui dit : "Pourquoi me persécutes-tu ?" non pas parce que Paul l'aurait persécuté, lui, Jésus, dans une vie antérieure, mais parce qu'il entend lui faire comprendre que persécuter les chrétiens comme il le fait, c'est l'atteindre, lui, Jésus. "Tous ce que vous aurez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'aurez fait". Nous sommes attachés à Jésus et si, chrétiens, nous sommes solidaires les uns des autres, c'est d'abord parce que nous sommes tous le corps du Christ. Et voilà le corps mystique. Ainsi pouvons nous prier les uns pour les autres, mériter les uns pour les autres, nous sacrifier les uns pour les autres. En particulier que les vivants prient pour les morts et les morts pour les vivants. Membres en bonne santé, membre malades nous sommes un seul corps dans le Christ.
C'est au XIXème siècle que le dogme de la communion des saints a donné lieu aux plus longs développements depuis saint Paul. Pour certains penseurs et pour certains poètes, les actions des justes forment un trésor de grâce dans le Christ, trésor fait pour être dépensé en faveur des pécheurs. Je pense à Maistre et à sa doctrine de la réversibilité des mérites, je pense à Baudelaire, disciple caché de Maistre et à son poème : Réversibilité. Je pense au communisme des premier chrétiens à Jérusalem : Ce qui est à toi est à moi. Je pense enfin à cet ours mal léché qu'était Léon Bloy, le vaticinateur impénitent.
Voici comment il s'exprime au sujet de la communion des saints : "Il y a une loi d’équilibre divin, appelée la communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le démérite d’une âme, d’une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolument des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. Un homme qui ne prie pas fait un mal inexprimable en tout langue humaine ou angélique. Le silence des lèvres est bien autrement épouvantable que le silence des astres".
En effet, on ne prie pas pour soi ; et par conséquent, ne pas prier ce n'est pas seulement se faire du mal à soi-même, c'est manquer au cosmos des voix polyphonique qui représentent l'humanité et constituent son offrande, venant de tous ceux qui veulent ce sacrifice et allant à tous ceux qui cherchent la rédemption.
Le dogme de la communion des saints, à travers la souffrance (celle du Christ sur la croix et celle de tous les offrants sur la terre), constitue la grande réponse au problème du mal, la grande entrée dans le mystère du mal. Comme le dit simplement Maistre dans sa Huitième Soirée de Saint-Pétersbourg, "Le juste en souffrant volontairement ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité". La communion des saints est cette pierre philosophale qui transforme le mal en bien, par le miracle de l'offrande. Je dis miracle car cette offrande des péchés de toute l'humanité appartient au Christ, qui seul la rend possible. Nous la pratiquons, dans la communion des saints, à son imitation<;