mardi 29 octobre 2019

Réponse à Isabelle de Gaulmyn sur l'Amazonie

C'est la fin des saints prêtres... Le responsable de Tradinews a repris sur son site un article de La Croix, signé Isabelle de Gaulmyn, envoyée permanente de ce journal dans la bonne ville de Rome, sur la signification du synode pour l'Amazonie, dont la clôture en grande pompe a eu lieu dimanche. On sait que cette nouvelle institution du synode consiste avant tout à être une courroie de transmission entre le pape et l'épiscopat mondial. Même s'il porte sur l'Amazonie, il a lieu à Rome, avec 250 évêques triés sur le volet et c'est le pape qui en a supervisé les projets (instrumentum laboris) et qui va en écrire la conclusion. Il est donc peut-être un peu tôt pour en parler.

Mais on sait depuis le Concile Vatican II que, dans le gouvernement de l'Eglise, les impressions, le vécu, les recensions journalistiques sont plus importantes que les écrits. En ce sens l'article d'Isabelle de Gaulmyn indique d'ores et déjà la direction herméneutique que j'appellerais volontiers "conciliaire" pour ce synode. Elle reprend d'ailleurs, sans en donner les référence, une expression qui a déjà servi pour le concile Vatican II : "C'est la fin du tridentinisme". Giuseppe Alberigo, instigateur d'une massive Histoire de Vatican II en plusieurs volumes, définissait ainsi son approche de Vatican II ; le Père Congar a souvent repris cette formule. Isabelle de Gaulmyn réutilise, à son tour, l'expression en la présentant comme toute nouvelle, en tout cas sans nous en offrir la traçabilité. La réémergence de ce tridentinisme, qui, si l'on comprend bien Isabelle de Gaulmyn, ne serait pas mort à Vatican II, comme le voulait Alberigo et Congar, mais bien au récent synode sur l'Amazonie, indique quelque chose comme une révolution à l'oeuvre.

Quelle révolution ? "la révolution silencieuse". Laissons Isabelle de Gaulmyn nous en parler. Mais surtout laissons lui dire ce qu'a été le concile de Trente (1545-1575) pour elle...
Nous sommes encore, consciemment ou pas, largement tributaires de ce Concile, qui date pourtant du XVIe siècle. Visant à conforter une religion mise à mal par les pouvoirs des princes et la Réforme de Luther, le concile de Trente a en effet structuré le catholicisme autour de la figure du prêtre. Le clerc, célibataire, devient alors le pivot central. Il concentre sur sa personne toutes les fonctions sacrées, à partir de l’Eucharistie et de la confession. Cet imaginaire du prêtre idéal, le «  saint prêtre  » identifié au Christ, placé au-dessus des fidèles, condamnés eux à n’être qu’un simple troupeau de brebis bien dociles, a profondément marqué les mentalités de tous les catholiques, et largement favorisé le «  cléricalisme  » ambiant, y compris chez les laïcs. 
Si l'on comprend bien notre journaliste, grâce au synode nous touchons enfin à "la fin des saints prêtres", ces personnes enveloppées de leur saint étui, vêtues de noir et qui ont engendré le cléricalisme partiout où elles passent. Décidément "la cléricalisme, voilà l'ennemi". Le prêtre "célibataire, pivot central de la communauté" a enfin dit son dernier mot : merci l'Amazonie. Quant aux laïcs, ils ne sont plus condamnés à être les moutons du bon pasteur (cf. Jean 10). Ils vont pouvoir commander à leur tour. Commander quoi ? Pour aller où ? Ce n'est pas dit. Mais ce qui apparaît dans le discours d'Isabelle de Gaulmyn, c'est une Eglise dans laquelle enfin le peuple commande. Avec un peu de retard à l'allumage l'Eglise fait sa Révolution de 89. Le "tiers-état des fidèles" va pouvoir prendre sa revanche. Le cardinal Suenens, en ce temps là, souhaitait que Vatican II fut 89. En réalité, il aura fallu attendre les Amazoniens, nouveaux sans culotte, pour que le déclic se produise partout dans l'Eglise et qu'on enterre en grande pompe le tridentinisme.

Le tridentinisme ? Et si ce terme qui sent bon l'universitaire en mal d'inspiration ne signifiait pas tout simplement le catholicisme ? Isabelle de Gaulmyn nous donne envie de conclure ainsi. Jugez-en :
"En demandant la possibilité pour l’Amazonie d’ordonner prêtres des hommes mariés, en envisageant la création de nouveaux «  ministères  » (c’est-à-dire de responsabilités au sein des paroisses ou diocèses), avec même la reconnaissance d’un ministère pour «  les femmes qui dirigent les communautés  », en exigeant enfin de rouvrir le débat si explosif sur le diaconat féminin, les évêques du Synode ont clairement signé la fin d’un modèle, celui qui est issu du concile de Trente et de près de cinq siècles de catholicisme".
Couper avec "cinq siècles de catholicisme", en créant une nouvelle structure, de nouveaux ministères, en mettant des femmes aux commandes et en limitant le rôle du prêtre autant que le rôle des sacrements dont il ne serait que le distributeur : la vision est audacieuse. Elle consiste à doubler ce que le pseudo-Denys appelait la hiérarchie ecclésiastique, en inventant toutes sortes de chaînes de commande humaines, fondées sur tous les charismes imaginables. Au fond, le projet est celui d'une Eglise plurielle, dans laquelle chacun et chacune pourront se vanter d'être les chefs, en revendiquant "un ministère". On confondra ainsi la chaîne ministérielle instituée par le Christ et les chaînes charismatiques, souvent humaines, trop humaines. L'Eglise née d'un tel bazar aura coupé non seulement avec cinq siècles de catholicisme mais avec le Christ lui-même, en perdant sa légitimité.

Je crois qu'il faut bien distinguer cette "Eglise bazar", dans laquelle l'autorité n'est plus quelque chose de sacré, de hiérarchique, mais une invention du peuple en quête de représentants d'avec l'Eglise catholique, la nôtre, qui, maronite, uniate ou convertie de l'anglicanisme, ordonne déjà prêtres des viri probati et s'apprête à en ordonner d'avantage, tant le manque de prêtres a été une conséquence assurément non souhaitée mais tragique du concile Vatican II. Autant la vision d'avenir d'Isabelle de Gaulmyn n'a aucune légitimité chrétienne, autant l'ordination sacerdotale des viri probati a eu lieu à un moment dans l'Eglise latine. Souvenez vous ces hommes d'âge mûr qui avaient élevé leurs enfants et qui, hauts fonctionnaires à la retraite, devenaient prêtres, puis évêques, ils ont sauvé la chrétienté romaine face aux barbares ariens. 

Qui dit que l'Eglise, essorée par la terrible crise post-conciliaire, n'aura pas besoin un jour, en Amazonie ou en Europe, de semblables acolytes, rendus plus nombreux par l'allongement de la durée de vie ? Mais encore faut-il que cette ouverture, que cette possibilité à la fois ancienne et nouvelle ne signifie pas la disparition du célibat ecclésiastique, la désacralisation du sacerdoce, la naissance d'une nouvelle hiérarchie non sacrée (non christique) dans l'Eglise, bref le grand bazar décrit avec lyrisme par Isabelle de Gaulmyn et qui représenterait, pour l'Eglise du Christ, non seulement une nouveauté mais une chimère, au sens génétique du terme : un être né du croisement impossible entre l'Eglise et le monde, qui serait vraisemblablement un mort-né. Précisons-en l'image : quelque chose comme un évangélisme catholique...

mercredi 15 mai 2019

Pourquoi nous ne sommes pas enfants des Lumières

Cet article est paru dans le magazine Monde et vie (cf. monde-vie.com)
Après le grand débat, avant de commencer à rentrer dans les mesures qu’il a estimé devoir prendre, Emmanuel Macron a parlé pendant une heure de la France, telle qu’elle lui était apparue à l’occasion de ce grand débat. « Je dois dire la grande fierté qui est la mienne ». J’ai beaucoup appris dit notre Président. Nous aussi.

D’emblée, le Président lâche une formule qu’il n’a manifestement pas apprise à l’occasion de ce grand débat, qu’il connaissait depuis longtemps, qu’il avait faite sienne et qu’il avait déjà prononcée : « Nous sommes avant tout les enfants des Lumières ». L’affirmation se veut rassurante ; elle est frileuse : tout a changé, peut-être, mais pas ça. Nous restons et nous resterons les enfants des Lumières. Vaste programme ! direz-vous. Pour lors, très précisément, le président entend bien que l’héritage des Lumières qu’il invoque comme les Vieux Romains invoquaient les mânes des ancêtres, soit celui d’une démocratie délibérative. Au sein de ce système, dont lui, Macron, est le garant, il n’y a de décision juste que celle qui est prise après consultation et débat d’une société qui se considère elle-même comme son propre centre et sa référence absolue : «C’est de ce débat, de ces délibérations, de cette capacité à dire et contredire mais dans le respect de l’autre que peuvent naître les bonnes solutions pour le pays». Voilà la dernière pensée des Lumières, stipulant qu’il n’est de vérité que celle qui ressort du débat. Pour Macron, il n’y a pas de valeurs transcendantes au débat !

Attention : il ne faut pas confondre la démocratie délibérative à laquelle le Président semble se raccrocher en ce moment et la démocratie participative. Cette dernière est souvent soupçonnée de populisme, parce qu’elle procède de l’idée, dite saugrenue (sic), selon laquelle le peuple doit participer aux décisions qui concernent son destin. Depuis le mois de juin 1789, depuis le petit opuscule de l’abbé Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-Etat, la démocratie française, alors pourtant encore balbutiante, a refusé tout ce qui pouvait faire penser à une démocratie directe ; on ne veut connaître dans notre pays que la démocratie représentative à l’antique, avec des Pères conscrits qui décident en leur âme et conscience. 

Paradoxe : les rois n’étaient pas pour les assemblées représentatives. La procédure des Cahiers de Doléance, sous l’Ancien régime, se prêtait à l’exercice de la démocratie directe. Dans cette institution royale, les représentants du peuple tenaient du peuple de telle ville, un mandat impératif. Ils devaient, au nom de telle communauté territoriale, défendre telle proposition et pas telle autre. Dans ce schéma conforme à la constitution royale de la France, les députés sont en prise avec le peuple. C’est toute la beauté (un peu oubliée hélas par Louis XIV) de ce que j’appellerais la démocratie royale.
«Le seul rôle du débat est de cautionner les décisions prises par le système représentatif des députés et des fonctionnaires»
Rien de semblable dans la démocratie représentative : les députés votent « en leur âme et conscience » ou plutôt selon le Parti dans lequel ils sont inscrits, et rarement en fonction de leurs électeurs, qui, de toute façon, ne leur ont donné aucun mandat impératif, mais simplement une orientation vague, exprimée le plus souvent par l’étiquette politique du candidat. Les électeurs, dans une démocratie représentative, ne participent pas aux décisions qui les concernent. Dans ce système, le risque d’une vaste désaffection populaire se profile. Que faire faire au peuple alors que les assemblées et fonctionnaires sont le vrai peuple? Les philosophes politiques « libéraux » ‘au sens américain du terme) y ont réfléchi avant M. Macron. John Rawls ou Jürgen Habermas proposaient l’un et l’autre non le retour à la démocratie royale (la démocratie participative), mais l’élaboration d’une sorte de grand débat permanent, qui occupe le peuple et lui donne au moins l’illusion de la participation.

Illusion organisée : le peuple (le pays réel) est habilité à participer non au gouvernement, mais au débat préalable. Voilà le fameux « grand débat » lancé par M. Macron, qui n’est pas un acte de démocratie participative (quelle horreur : un peuple qui veut participer au pouvoir !), mais seulement un acte de démocratie délibérative. C’est que, dans la démocratie libérale (au sens américain), défendue par M. Macron, le peuple a droit de s’exprimer (merci beaucoup) mais il n’a pas le droit de gouverner. Le gouvernement appartient à une oligarchie électorale, dite représentative, qui se coopte, dans un conservatisme républicain de bon aloi. Tout peut ainsi continuer comme avant. Le seul rôle du débat dans l’immédiat, est de cautionner les décisions prises par le système représentatif des députés et des fonctionnaires.

La démocratie délibérative recèle un autre avantage pour le système. Macron Bouche d’or l’explique bien : il y a d’un côté le débat et de l’autre tout ce qui échappe au débat : le sacré, la loi morale. Ceux qui refusent de mettre en débat le sacré et la morale doivent définitivement être considérés comme autant d’émanations « de l’obscurantisme et du complotisme ». Dire que nous sommes tous des enfants des Lumières, comme l’affirme notre président, c’est d’abord se donner le droit et le devoir d’anathématiser ceux qui reconnaissent au-dessus de la diversité des opinions des valeurs transcendantes. 

Mais aujourd’hui, c’est cet anathème républicain qui est de plus en plus considéré comme obscurantiste.

mercredi 17 avril 2019

La grande semaine et son éclairage terrifiant

C'est lundi saint qu'a eu lieu l'incendie de Notre-Dame Quel éclairage terrifiant pour notre semaine sainte. Voilà un crû qu'il ne faudra pas avoir manqué. Je reviens de la longue veillée de chants et de prière organisée par les Veilleurs. Ce millier de jeunes gens et de jeunes filles à genoux sur le quai de la Seine devant la Vieille dame réduite à une façade, mais dont la structure de pierre est intacte, c'était poignant. Et la gentillesse des policiers alors que minuit approchait, c'était touchant. Comme, pendant ce temps, ces émissions sur les chaînes d'information continue où tout le monde se sent solidaire devant le coup du sort qui pourrait peut-être se révéler le coup du djihadiste...  Il y a des moments où il faut être à la hauteur, et quelle meilleure façon de répondre à ce défi que d'entretenir notre foi par la prière liturgique : d'offrir notre présence auprès du Crucifié.

Voici en tout cas, pour ceux qui le souhaitent, les horaires au Centre Saint Paul, 12 rue Saint Joseph, 75 002 Paris (Métro Bourse et Grands Boulevards):
  • JEUDI SAINT : Chants des Ténèbres à 10H00
    Fonction de l'après-midi à 19H00, avec le lavement des pieds.
    A 20H30 veillée devant le Saint-Sacrement et (au premier étage) chants des Ténèbres du vendredi saint.
  • VENDREDI SAINT :  Messe des présanctifiés à 19H00 avec le chant des Impropères : "O mon Peuple, que t'ai-je fait? Réponds-moi".
    Récit de la Passion selon saint Jean
  • SAMEDI SAINT : Ténèbres du Samedi saint à 10H00
    Veillée pascale à 21H30, avec bénédiction du feu, chant de l'Exsultet, confection de l'eau baptismale, baptême d'adulte et messe de la nuit de Pâques.
    Cette veillée sera suivie (vers minuit) d'un réveillon chaleureux au champagne, pour ceux qui veulent continuer à partager la joie de la Résurrection entre amis
  • DIMANCHE DE PÂQUES : Messes à 9H00, 10H00, 11H15, 12H30 et 19H00.

Loué soit Jésus-Christ : il a remporté la seule victoire que personne n'avait pu remporter avant lui : la victoire sur la mort.

lundi 15 avril 2019

Nous sommes tous en deuil...

...Non pas pour des raisons qui seraient proprement spirituelles, car les pierres vivantes de notre édifice spirituel restent et resteront immarcescibles, inaccessibles aux flammes. Ce qui est touché dans cet incendie dantesque, qui a pris au pieds de la flèche de Notre-Dame de Paris, et qui, à l'heure où j'écris, n'a pas cessé ses ravages, c'est cette connexion intime entre le spirituel et le charnel, c'est le symbole historique d'une sacralité française qui part en fumée. Une sacralité qui exprime aussi l'exception européenne et chrétienne.

Par ailleurs, comment expliquer l'intensité si soudaine  des flammes, leur progrès si rapide : rien à voir avec l'incendie de la cathédrale de Nantes, voici quelques décennies... Vous pensez comme moi ? En tout cas, géopolitique ou simple négligence, l'événement laisse chacun incrédule.

Serait-ce un signe pour l'avenir ? La couronne d'épines à été sauvée.

Il me vient une idée folle à la veille de Pâques. Un rêve.  Cette théâtrale mort de Notre-Dame, cette nuit de sacrifice qui se prépare pourrait être le prélude tragique et nécessaire d'une résurrection de la France, s'unissant de nouveau au pied de ce symbole, pour le reconstruire à l'identique. Il n'y a pas loin du lundi saint à Pâques, de la Passion de notre cathédrale à sa résurrection attendue, comme la métaphore ardente d'une résurrection de la France et de l'Europe.

vendredi 12 avril 2019

Le témoignage chrétien de Jean-Pierre Denis

Cet article est reproduit ici avec l'accord de Monde et vie (cf. monde-vie.com).
« Un catholique s’est échappé » nous déclare tout de go Jean-Pierre Denis, le directeur de La Vie, avec une fougue, qui donne envie de suivre le fil de sa réflexion.

Jean-Pierre Denis s’est échappé. Successeur de l’historique Georges Hourdin, à la tête de La Vie, il n’est pas, il n’est plus un homme de Parti, mais un homme d’Eglise. Il a ses convictions, ancrées à gauche. Mais, dans ce livre, il s’échappe de toutes les vieilles catégories, partageant le plus simplement du monde avec son lecteur, sa liberté et sa joie de catholique. « Catholique retenu, je me suis échappé de la prison mentale, le jour où j’ai cessé de m’indigner et de me cogner contre le mur de ma révolte ». Jolie confidence, non, pour un homme de gauche?

Cela paraîtra peut-être naïf de le dire de cette façon, mais quel que soit son positionnement, cet homme a la foi. Il s’en découvre infiniment heureux, d’un bonheur de poète, toujours prêt à l’émerveillement et désireux de vivre selon l’Evangile. Non pas seulement de vivre, d’ailleurs, mais de communiquer l’évangile. C’est dans cet état d’esprit qu’il se déclare fièrement « catholique attestataire ». Les conflits se sont multipliés entre catholiques depuis plusieurs siècles ; aujourd’hui on ne peut plus se dire catholique sans étiquette. Il y a les vieilles étiquettes : jésuites, jansénistes, traditionalistes, modernistes, progressistes, pro-François, pro-Benoît etc. Il en invente une nouvelle, une étiquette qui ne s’oppose pas à une autre, une étiquette non partisane : attestataire. Dans « attestataire », il y a le vieux mot de « testis » : témoin. Sa foi veut être un témoignage, non pas un témoignage de prédiquant, mais un témoignage spontané, vivant. « Mon juste vit de la foi » répète saint Paul, qui a trouvé ce mot chez Habacuc, l’un des douze petits prophètes.
Et l’Eglise dans tout ça ?
Et parce que, chrétien, il n’a peur de rien, le journaliste cède définitivement la place au poète, qui nous emmène encore plus loin, jusqu’à Dieu même. Et là, il trouve encore des mots : « Depuis », il veut dire depuis sa conversion réelle, depuis sa libération, « Depuis, je crois en un christianisme désarmé. Qui peut professer autre chose et se dire le disciple de celui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort ? La faiblesse de Dieu n’est pas son crépuscule, mais sa forme christique. Elle n’est pas sans puissance puisqu’elle sauve ». Saint Paul le disait déjà : « C’est quand je suis faible que je suis fort ». Quelle plus belle expérience qu’une faiblesse qui sauve ? Quoi de plus rassérénant que d’expérimenter cette faiblesse-là en soi-même?

Jean-Pierre Denis ne nous parle pas seulement de l’intimité de sa foi, mais tout ce dont il nous parle est baigné par cette lumière intérieure, qu’il fait remonter aux derniers moments de la vie de son père et à la question qu’il lui a posée, bien fatigué : « Dis-moi quel est le chemin ? ». Cette question ouvre et ferme le volume. C’est une question qu’il pose aussi à l’Eglise, après se l’être adressée à lui-même. Il énumère sept défauts de cette Eglise, mais assurément la liste n’est pas limitative. Il interprète aussi, avec finesse, le vilain mot du pape François sur le devoir d’aller aux périphéries : pour lui ces périphéries désignent d’abord « le fond résiduel », celui des « catholiques zombies » (Emmanuel Todd), qui ont encore une tradition religieuse, mais dont la foi décline lentement. Et pour justifier son interprétation audacieuse, il a ce mot de commerçant avisé : « On a plus de chance de faire des affaires avec des acheteurs déçus ou lassés qu’avec ceux qui n’ont pas encore fait la moindre emplette ». Il faut que l’Eglise ait le courage d’aller à la rencontre de ceux qu’elle a déçu ou lassé!

Comme toutes les institutions, l’Eglise devrait avoir une stratégie de long terme qui ne soit pas un plan incluant la banqueroute : « L’essentiel de l’énergie est mis dans l’accompagnement palliatif du déclin pour ne pas dire de la faillite ». Il faut trouver une autre voie, qui ne soit pas non plus cette songerie impuissante sur les origines de l’Eglise, époque dorée que l’on pare de tous les atours, comme pour en revendiquer nous-mêmes quelque chose, en nous assurant ainsi une foi supérieure à celle de nos ancêtres : « Peut-on sérieusement penser que la foi était moins profonde au temps de Martin de Tours, à l’époque de François d’Assise, ou plus près de nous, au siècle de Thérèse de Lisieux ? » demande Jean-Pierre Denis. Et il conclut : «Soyons lucides : en vérité, nous avons cessé de vouloir annoncer la bonne nouvelle».

A lire ce livre, si direct dans l’attestation de la foi, on retrouve en nous-même cette fierté que ne manque pas de produire une foi vivante : on en est fier parce qu’elle ne vient pas de nous et qu’elle nous porte au meilleur de nous-mêmes.

Joël Prieur
  • Jean-Pierre Denis, Un catholique s’est échappé, éd. Cerf 192 pp. 18 euros

jeudi 11 avril 2019

Piano prière pour les Rameaux

Dimanche prochain, 14 avril, le Centre Saint Paul propose, outre les cérémonies liturgiques, avec la grand messe à 11 H 15, une entrée en musique dans la grande semaine. Grâce au beau quart de queue que l'on nous a confié, vous pourrez entendre Chopin ou Schubert, Schumann ou Haendel, dans les interprétations sensibles (parfois à quatre mains) de Lucile de Laura, de Foucauld de Clélia et de notre abbé Cattani. Un moment d'élévation où l'art trouve toute sa signification comme manifestation du mystère et comme appel au Divin par l'ouverture des coeurs.

Le concert a lieu au Centre Saint-Paul, 12 rue Saint Joseph, dans le 2ème (métro Bourse ou Grands Boulevards) de 16 H à 18 H. L'entrée est libre. Chaque pièce est précédée d'une courte méditation originale.

Voici le programme. Vous êtes les bienvenus...



1. LES RAMEAUX
1a. Sonate en ré mineur de Scarlatti (C.Cattani)
"Arrivée de Jésus à Jérusalem." 
Presto de la 10ème fantaisie de Telemann (Foucauld)
"Arrivée de Jésus à Jérusalem." 




2. PRIERE AU JARDIN DE GETHSEMANI

Gymnopédie n2 de Satie  (C.Cattani)
"Au Jardin des Oliviers, face à sa Passion imminente que la trahison de Judas va déchaîner, le Seigneur ressent le besoin de prier : arrivés dans un domaine appelé Gethsémani, et il dit à ses disciples : " Demeurez ici tandis que je prierai."


3. L'ARRESTATION DU CHRIST
Partitia n2, Sinfonia BWV 826 de Bach (C.Cattani)
"Dramatique" (minute 0:00 à 4:30)



4. LE COURONNEMENT D'EPINES
Mazurka op67 n4 de Chopin (Lucile)
"Alors les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans le prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde. Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d'un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s'agenouillaient en leur disant: "Salut, roi des Juifs!" (Mt 27, 27-29)

5. ECCE HOMO
Prélude 6 de Chopin (Laura)
"Ponce Pilate prononce Ecce Homo lorsqu'il présente Jésus à la foule, battu et couronné d'épines."
"Quelle est cette langueur qui pénètre mon coeur ?" Verlaine




6. LE PORTEMENT DE LA CROIX
Barcarolle op30 n6 de Mendelssohn (C.Cattani et Laura)
"Porter sa croix avec le Christ"

7. CRUCIFIXION
Largo de la 1ère fantaisie de Telemann (Foucauld)


8. MARIE AU PIED DE LA CROIX
Cara Spoza de Haendel (Clélia et C.Cattani)
"Elle était debout, souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un cœur maternel à son Sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour" Lumen Gentium, 58



9. LA MISE AU TOMBEAU
Rêverie de Schumann  (Laura)
"Dieu a tout enfermé dans la vanité, avec une espérance pourtant" Rom 8,40

10. DESCENTE AUX ENFERS
L'Orage de Burgmuller (Laura)
"Une dynamique forte, des rythmes rapides et des registres changeants." Le Christ, mort, s'en va prêcher aux morts, manifestant que le règne de la mort est terminé.

11. Sur la terre chante une espérance : Terra tremuit et quievit
Prélude op32 n5 de Rachmaninov (Lucile)
Le Maître est là et il t'appelle

12. RESURRECTION
Marche de Schubert (C.Cattani et Laura)
"La victoire de la vie" En avant avec le Christ vivant !

vendredi 29 mars 2019

Ce qui est en train de changer dans l'Eglise

Mon camarade Joël Prieur a fait paraître une première mouture de cet article dans l'hebdomadaire Minute.
La Manif pour tous, qui, entre 2012 et 2014, s’est opposée au mariage homosexuel, a-t-elle constitué un Mai 68 à l’envers, comme dit Gaël Brustier, une sorte de manifeste pour une rechristianisation de la France ? En tout cas, Yann Raison du Cleuziou évoque, lui, une « contre-révolution catholique ».

Ses titres sont ceux du sociologue, mais Yann Raison du Cleuziou s’essaie avant tout à l’histoire du présent : il fait l’histoire de l’encyclique de Paul VI Humanae vitae, qui, en juillet 1968 condamne d’un même mouvement la contraception et l’avortement. 

Il écrit l’histoire de la Manif pour tous, ce succès inattendu des cathos parvenant à mettre plusieurs fois dans la rue près d’un million de personnes contre le projet de loi sur le mariage homosexuel. Enfin l’histoire du christianisme politique depuis la victoire annoncée et l’échec retentissant de François Fillon jusqu’aux polémique avec l’islam radical, qui caractérise notre bel aujourd’hui. Rien que pour cette tentative d’histoire immédiate, le livre de Yann Raison mérite de rester dans les mémoires.

Son ambition n’est pourtant pas uniquement descriptive. Il pose quelques questions fondamentales, qui sont des questions qui se répercutent sur toutes les droites.

Première question : « Expression abondamment commentée d’un retour ou d’un réveil du catholicisme militant, la Manif pour tous n’est pourtant pas une mobilisation catholique. Le choix d’une stratégie non-confessionnelle n’est pas sans incidence ». Comment se justifie cette stratégie non-confessionnelle ? Nous avons un catholicisme qui est de moins en moins clérical, et ce ne sont pas les dernières révélations sur le niveau moral de certains prêtres et sur la frilosité trop institutionnelle de certains évêques, refusant de dénoncer les pédophiles dans leur diocèse, qui vont changer quelque chose à l’impact grandissant des laïcs dans la défense de valeurs chrétiennes auxquelles ils tiennent. Il est intéressant de mettre un focus sur la catégorie des fidèles que Raison appelle « les observants », parce qu’ils tendent à faire Eglise par eux-mêmes que cela plaise ou non aux curés, qu’ils prennent la liberté de choisir. Ayant vécu un Concile et sa difficile mise en application, ayant eu deux papes aux personnalités très marquantes, Jean-Paul II et Benoît XVI, ces laïcs ne sont pas prêts à écouter le discours à ambition réformatrice du pape François. Ce sont eux qui tiennent l’Eglise aujourd’hui et qui illustrent sa position publique. La Manif pour tous, à travers des grandes voix comme celle de Frigide Barjot a effectivement laïcisé l’expression du catholicisme français.

Deuxième question : est-ce vraiment la fin du schisme des cathos de gauche ? Yann Raison aborde cette question à plusieurs reprises. Il souligne que pour les nouveaux cathos de gauche que sont les Poissons roses par exemple, la préoccupation n’est plus le progressisme dans l’Eglise, mais la dimension sociale de l’action de tout catholique. Sortant par la grande porte des querelles postconciliaires, les cathos de gauche ont ainsi largement contribué au succès de la Manif pour tous, trouvant spontanément dans la stratégie de communication de l’équipe de Frigide Barjot une plate-forme acceptable par tous les catholiques, en particulier d’une part autour du projet de l’Union civile des homosexuels (sans prétention à une parentalité naturellement impossible)et d’autre part  dans le souci partagé d’une écologie humaine (formule consensuelle du pape Benoît XVI). Tout se passe comme si cette laïcisation de l’action politique des catholiques avait permis une réunification profitable.

Enfin troisième question : n’assiste-t-on pas à une reconfiguration de la politique chrétienne sous le drapeau, déjà empoigné par François Fillon et par Marion Le Pen, du conservatisme, drapeau qu’agite beaucoup en ce moment la tête de liste LR à l’élection européenne, François-Xavier Bellamy ? « A partir du mois d’avril 2013 [date de la manifestation de l’Etoile], le conservatisme est redevenu une ressource capitale de la réaffirmation catholique ». Là est sans doute le moteur originel du mouvement dextrogyre cher au politologue Guillaume Bernard… Dans un monde où tout paraît remis en question, « un père, une mère, c’est élémentaire » comme dit le slogan LMPT. Mais voici que réaffirmer cet élémentaire-là attire la foule, comme rarement il y a eu foule sur le pavé parisien… Alors que le conservatisme n’avait jamais percé en France (contrairement à ce qui se passe en Angleterre ou en Allemagne), alors que ses chances politiques semblaient quasi-nulles, voici que c’est le progressisme qui marque le pas, souvent stigmatisé comme un bougisme inutile. Ce changement de perspective de la vie politique française dans son ensemble s’est manifesté d’abord chez les catholiques de LMPT. C’est ce qui permet à Yann Raison du Cleuziou de titrer sur « une contre-révolution catholique », tout en expliquant soigneusement, avec Joseph de Maistre, que la contre-révolution n’est pas une révolution contraire, qu’elle est seulement le contraire de la révolution : la quête d’un ordre qui succède au désordre. Si ce langage est devenu simplement audible dans la patrie de la Révolution, c’est certainement au succès de la Manif pour tous qu’on le doit.
  • Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique, Aux origines de la Manif pour tous, éd. du Seuil 2019, 23 euros

lundi 25 mars 2019

L'Eglise et ses "sauveurs"

Cet article est paru dans le dernier numéro de Monde et vie (cf. monde-vie.com). Je signale par ailleurs dans ce numéro un superbe entretien sur Jean Raspail dans son royaume patagon. Philippe de Villiers a aussi donné un bel entretien à Jeanne Smits (dans le même numéro) sur les origines troubles de l'Union européenne.
Il y a incontestablement, dans l’Eglise, un choc post-traumatique que chacun vit à sa façon. Et puis il y a ces hommes d’Eglise qui déroulent imperturbablement la partition qu’ils ont écrite pour promouvoir enfin une Eglise nouvelle, une Eglise autre. Une autre Eglise.

Faut-il incriminer cinquante ans de laxisme dans l’Eglise pour expliquer la situation actuelle de l’Epouse du Christ ? Il y a un autre motif que l’on ne doit pas se cacher à soi-même : le monde change, la transparence y est désormais de rigueur, comme M. Castaner vient de le comprendre à ses dépens, alors que sa présence entre Minuit et deux heures du matin dans une boîte de nuit proche de son Ministère, fait le tour des réseaux sociaux, images à l’appui. L’Institution ecclésiale est soumise à ces contraintes nouvelles. Il faut bien reconnaître que, s’affichant comme professeur de vertu, elle est devenue la risée des médias ; elle est sans cesse sous les projecteurs (spotlights), une affaire de mœurs la concernant chassant l’autre. Aujourd’hui 15 mars, c’est l’ancien curé de la cathédrale de Santiago du Chili, Tito Rivera, qui est accusé d’avoir endormi sa victime, un homme venu lui demander de l’aide avant de la violer… Homosexualité violente aujourd’hui. Demain ce sera de la pédophilie. Et après-demain un abus de position dominante sur telle religieuse, comme on l’a vu dans le documentaire d’Arte. L’Eglise est violemment mise en cause dans les personnes de ses ministres. Elle va devoir boire le calice jusqu’à la lie. Certains hommes d’Eglise ont essayé de s’opposer à cette terrible opération transparence (on parle de glasnost en russe) en se cachant derrière la culture du secret qui caractérise les vieilles institutions. Peine perdue ! Le tourbillon des réseaux sociaux se charge de diffuser les paroles ou les images, ou même (dans le cas du cardinal Barbarin), un bon réalisateur se donne la peine de les reconstituer à l’aide d’un film qui a toute l’éloquence d’une vraie œuvre d’art, même si elle déborde parfois par rapport à la réalité des faits.
Un complot divin
Quoi qu’on puisse penser de ce sale imbroglio, nous entrons tous dans une autre phase de l’histoire de l’Eglise, où le plus important ne sera plus de tenter de « s’adapter » à l’infini aux désidératas des personnes. Il s’agira bien plutôt, pour le prêtre désormais, de faire ses preuves, en désarmant les préventions qui, naturellement naîtront ici et là à son encontre.
     
De ce point de vue, j’ai parlé sur mon blog (métablog) d’un « complot divin » : le Seigneur, qui n’abandonne pas son Eglise, entend mener à bien l’œuvre de réforme tout juste engagée à Vatican II et abandonnée immédiatement au milieu du gué. Vatican II n’a pas été le concile de réforme que réclamait la situation, un concile qui aurait réuni et dynamisé l’Eglise, à l’image du concile de Trente. L’époque était trop molle, trop progressiste pour cela. Il faut donc, sous une forme ou sous une autre reprendre le flambeau abandonné. Il n’y a qu’un remède, c’est de revenir à l’Evangile intégral. L’Eglise n’est pas une institution comme les autres. On ne peut pas en imaginer une autre que celle de la Tradition. Le complot divin nous pousse dans ce sens : pour sortir du cauchemar, retrouver les fondamentaux qui ont construit l’Eglise !
Fureur des laïcs
Ici et là, se dressent des laïcs qui voudraient promouvoir une Eglise qui mettrait prêtres et laïcs sur le même pied, en condamnant, comme le fait explicitement le blogueur Koz-toujours, « la sacralisation de la personne du prêtre ». A-t-il raison de s’en prendre à la dimension sacrée du prêtre ? Le Blogueur fait de la désacralisation du prêtre, une urgence. Au nom de tous ces prêtres qui ont abusé du caractère sacerdotal pour imposer des rapports sexuels à des religieuses ou pour les prostituer (comme cela a pu se passer en Afrique), on comprend Koz. Mais, dans son indignation morale absolument justifiée, il risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’eau du bain, une eau sale, c’est le cléricalisme, l’immonde égocentrisme de certaines âmes sacerdotales - égocentrisme : je sais de quoi je parle - dont le célibat mal vécu a pu faire des monstres. Ce n’est pas parce que certains abusent de leur dignité sacrée d’une manière inqualifiable, qu’il n’y a plus de dignité sacrée des prêtres. Chercher à normaliser le sacerdoce, c’est transformer les prêtres en animateurs de communautés ou de colonies de vacances. J’avoue que je ne vois pas en quoi ils en seraient devenus moins dangereux, mais, avec cette nouvelle conception, on aurait ainsi détruit le mystère de l’Eglise, qui est l’ordre sacramentel, par lequel se prolonge l’action du Christ.
Imprécision mortelle d’un évêque
L’évêque de Poitiers, proposant d’ordonner des personnes mariées parmi les viri probati de son diocèse, va dans le même sens que ces laïcs : « Le prêtre n’est pas un homme sacré, l’évêque non plus, je pense que comme c’est le cas dans les églises d’Orient, des hommes mariés pourraient être appelés. Cela changerait la conception sacrée de ce qu’est le prêtre, qui est finalement une manière de le voir comme s’il n’était pas un homme. Comme si la sexualité n’existait pas, comme si tout être humain n’était pas travaillé par la sexualité. Avoir des prêtres qui seraient mariés permettrait de les voir comme des hommes comme tout le monde. Je pense qu’une des raisons de ces crimes commis sur des enfants ou sur des femmes vient de cette conception sacrale du prêtre ».
   
Beaucoup de choses dans cette déclaration. Tout d’abord Mgr Wintzer a le courage de ne pas en rester à un Mea culpa verbal. Il fait une proposition, qui est nouvelle mais qui est compatible avec l’enseignement de l’Eglise, celle de l’ordination des Viri probati. Déjà au XVIème siècle, un certain cardinal Cajétan avait accepté l’existence de prêtres mariés en Allemagne pour mettre fin au schisme luthérien. Mais si l’ordination de viri probati va dans le sens d’une désacralisation du sacerdoce, qui peut penser qu’il s’agisse d’une bonne chose pour l’Eglise ? La vie d’un prêtre n’est pas simple et le célibat n’est pas la seule complication de son existence (ce serait même plutôt en soi une simplification). Mais s’il faut abandonner l’idée que le prêtre est un personnage qui, lorsqu’il célèbre la messe ou lorsqu’il donne l’absolution, est un homme sacré qui agit dans la personne du Christ, s’il faut répéter en chœur que le prêtre « est un homme comme tout le monde », que restera-t-il du sacerdoce ? Le prêtre sera nommé pour un mandat de cinq ans, renouvelable ; quelques chômeurs auront trouvé ainsi un CDD assez mal rémunéré et l’Eglise sera totalement sécularisée. Il n’y aura plus d’Eglise, plus de mystère, plus de sacrement. Cette église-là aurait divorcé d’avec Jésus-Christ. Nous serions au stade de « l’Eglise éclipsée », dont parlent certains sédévacantistes.
     
Particulièrement dramatique est la formule finale de Mgr Wintzer : « Je pense qu’une des raisons de ces crimes commis sur des enfants vient de cette conception sacrale du prêtre ». Cette conception sacrale du prêtre, qui a pour elle toute la magnifique tradition patristique, serait à l’origine de la pédophilie de prêtres dévoyés ? Il ne faudrait tout de même pas confondre d’une part cette donnée théologique traditionnelle selon laquelle « le prêtre agit sacramentellement in persona Christi » avec, d’autre part un odieux cléricalisme, un subjectivisme sacerdotal infect qui mène à toutes sortes d’abus, sexuels entre autres. Qu’un évêque qui, par ailleurs, est titulaire d’une maîtrise de théologie dogmatique, puisse donner l’impression qu’il se livre à semblable confusion, voilà qui laisse mal augurer de la réaction du corps des évêques !
Vers un compromis historique
Un autre évêque, un cardinal même, de l’autre côté du Rhin, a décidé, lui, de prendre l’avenir de l’Eglise à bras le corps. « L’impulsion de renouveau de Vatican II n’a pas vraiment été mise en avant et comprise en profondeur » affirme le cardinal Marx, patron des évêques allemands, au terme de l’assemblée épiscopale allemande de printemps à Lingen. Il déclare emprunter désormais, avec son Eglise, une « voie synodale », au long de laquelle il entend mettre en discussion l’interdiction de la contraception, de la cohabitation, des relations homosexuelles et du célibat des prêtres. Sur chacune de ces questions, des théologiens sont invités à plancher. « On a besoin d’une discussion autour du catéchisme de l’Eglise catholique » ajoute Reinhard Marx, qui décidément se sent pousser des ailes et entend bien aligner la morale de l’Eglise sur celles du monde.
     
C’est ce que j’appellerai le syndrome postconciliaire ; au lieu de chercher profondément dans la doctrine de l’Eglise des solutions, on convoque un Comité Théodule sans aucune autorité apostolique (c’est le problème des conférences épiscopales qui n’ont pas été instituées par le Christ) et l’on discerne une via media, forcément très intelligente, qui possède sur le papier tous les avantages, mais qui n’a rien à voir avec la tradition de l’Eglise et tout à faire avec le monde et les lois du monde.
      
C’est la troisième tentation du Christ au Désert, celle du compromis historique entre l’Eglise et le monde. Chaque fois qu’un homme d’Eglise semble y céder, l’Eglise perd quelque chose de sa légitimité et compromet les conditions réelles de son succès terrestre.

samedi 9 mars 2019

Un entretien paru dans Présent

Je republie ici, avec l'accord bienveillant du Quotidien Présent, l'entretien qu'il a publié lundi dernier (4 mars 2019), sur l'actualité récente de l'Eglise et les principes de la morale catholique .

Anne Le Pape : Le film d’Ozon, Grâce à Dieu, sortant alors que le procès du père Preynat n’est pas terminé, la sortie du livre Sodoma de Martel : des éléments de nature différente (nous y reviendrons), mais ne doit-on pas noter cette convergence ?
Guillaume de Tanoüarn : Si vous voulez parler d’un complot contre l’Eglise, je ne crois pas qu’il n’y en ait qu’un. Frédéric Martel a tenu à faire paraître son livre, Sodoma (comprenez : Sodome à Rome) au moment où s’ouvrait à Rome le sommet contre les abus sexuels sur mineurs, avec les présidents des conférences épiscopales françaises. Quant à François Ozon, il avait pour son film Grâce à Dieu une fenêtre de tir avant le rendu des jugements concernant le cardinal Barbarin (pour non-dénonciation) et surtout le Père Preynat (pour agressions sexuelles en série). La convergence entre les deux agendas, celui du film et celui du livre, me paraît, elle absolument fortuite. Mais elle marque un trop plein. Je pense que les désordres sexuels ont fleuri depuis que ce que j’ai appelé jadis la religion de Vatican II prêche l’Evangile selon Polnareff : Nous irons tous au paradis. La question du pardon divin est fondamentale et magnifique. Mais on détruit la doctrine de la miséricorde et on tombe dans le laxisme quand on rend le pardon divin automatique.
Anne Le Pape : « De nature différente », a-t-on dit : le film dénonçant les abus sexuels, l’autre l’hypocrisie de l’Eglise qui devrait ne plus condamner l’homosexualité. Le but est-il le même, fragiliser l’Eglise (malgré les dénégations répétées des auteurs) ?
Guillaume de Tanoüarn : Je pense qu’il y a dans le film comme dans le livre, et je dirais dans le film plus encore que dans le livre, une sorte de militantisme athée, qui en limite la portée. En Ozon et en Martel, il nous faut voir d’abord des artistes engagés, qui veulent à tout prix crédibiliser cet agnosticisme, qui constitue aujourd’hui, dans le vaste domaine de la mondialisation, en Chine, aux Etats unis et en Europe, comme une anti-religion d’Etat. Mais je n’ai jamais cru à l’art pour l’art. Le fait d’être des artistes engagés n’interdit pas que l’on puisse, avec cet engagement même, faire un bon film ou un bon livre. Ainsi Sodoma est l’un des rares essais de ce calibre (630 pages) qui se lise aisément. Cela peut ne pas nous plaire mais il y a une écriture. Quand Martel nous raconte sa visite manquée au cardinal Burke, et son expédition dans ses toilettes, on ne peut s’empêcher de sourire, même si Martel n’a pas l’ombre d’un vrai grief à faire valoir contre le pauvre cardinal, auquel il reproche simplement d’être un conservateur et de trop aimer l’apparat dans lequel, comme cardinal, il vit.
Anne Le Pape: Que pensez-vous de l’analyse d’Hubert de Torcy sur le film d’Ozon ?
Guillaume de Tanoüarn: Hubert de Torcy reproche à Ozon de n’avoir pas saisi dans toutes ses dimensions le drame de conscience du cardinal. C’est vrai qu’il n’en juge qu’à travers les apparences, en reconstruisant son personnage (l’acteur François Marthuret fait un travail formidable en le rendant crédible sous les oripeaux du hiérarque cauteleux, qui ne serait vraiment soucieux que du fonctionnement de l’institution. Hubert de Torcy a raison de dire que nous sommes là à mille lieues du personnage réel. Mais s’il n’y avait pas la dimension militante de ce film, par exemple la volonté du cinéaste de peser sur le procès, on pourrait dire qu’une telle reconstitution relève des libertés du créateur artistique. Lorsque Sartre écrit Le diable et le bon Dieu, il commet une grande pièce, même si l’on n’est pas d’accord avec ses conclusions. Je dirais la même chose, chacun dans son ordre, pour nos deux artistes.
Anne Le Pape: La dénonciation de l’homosexualité de certains hommes d’Eglise n’est pas nouvelle. En quoi ce livre franchit-il un seuil ?
Guillaume de Tanoüarn : Parce que, même s’il n’est pas objectif, il signe la première véritable enquête sur le sujet et que son enquête se lit souvent comme un roman, même si hélas elle n’en est pas un.
Anne Le Pape :  Jean-Marie Guénois, s’il reconnaît dans Le Figaro le sérieux du travail de Martel, souligne qu’il majore ses conclusions et oublie la doctrine de l’Eglise. Est-ce votre avis ?
Guillaume de Tanoüarn : Si Frédéric Martel majore ses conclusions, c’est pour deux raisons bien identifiables dès le début : il est manifestement payé (au propre ou au figuré) pour charger tous les conservateurs qui passent à la portée de son gaydar (le radar gay, censé identifier les personnes homosexuelles). Mais (deuxième raison), il arrive que le gaydar s’emballe et laisse la place à des enthousiasmes immaîtrisés de vieille folle, pas encore blasée, cela en particulier lorsqu’il parle liturgie. J’ai regardé sur you tube ce qu’il appelle lui-même « la messe félinienne » au cours de laquelle le pape Ratzinger a ordonné évêque son secrétaire Geinswain. Il s’agit d’une messe de Paul VI un peu solennelle, au cours de laquelle on remarque l’extrême qualité des chœurs, plutôt que le nombre (tout à fait raisonnable en fait) des dentelles. Devant un tel spectacle, pas possible de lui faire entendre raison : le gaydar de Martel s’emballe. Pas possible de lui faire entendre raison : Martel aime ça et il en parle… comme un gay… avec chaleur.  C’est amusant le gaydar, mais le problème concrètement est dans la distinction qu’opère Martel entre homophiles et homosexuels. Les homophiles seraient des homosexuels non pratiquants, mais qui auraient gardé une tendance. Il faut dire que Martel en voit partout, jusqu’à mettre en cause plusieurs papes récents. On arrive là à la limite de sa tentative. Il y a des choses qui se disent (verba volant), mais qui ne s’écrivent pas, tout simplement parce que ce sont de pures conjectures, qui, en l’absence de preuves, ne cerneront jamais qu’un aspect – souvent bien ténu - de la réalité.
Anne Le Pape : Martel a rencontré des informateurs complaisants. N’est-ce pas un trait de la modernité, on se répand, on se raconte ?
Guillaume de Tanoüarn : Il me semble au contraire que c’est une des grandes qualités de son livre : on y est. Il faut parfois effleurer beaucoup de sujets avant de réussir à brancher un cardinal sur l’homosexualité…
Anne Le Pape : Que pensez-vous du rôle de Maritain selon Martel ?
Guillaume de Tanoüarn : Martel parle du Code Maritain. C’est un signe de reconnaissance que s’envoyaient des homophiles (voir question précédente), décidés à vivre dans la chasteté parfaite cette tendance mal sonnante. Quand on lit dans le journal de Julien Green le récit de sa première rencontre avec Maritain (« Il me regarda de ses grands yeux bleus profond… » etc.), on se dit que manifestement, entre eux, le message est passé. Frédéric Martel émet une hypothèse : la pureté sans faille des homosexuels catholiques (selon lesquels la moindre pulsion est « hors nature ») a servi de modèle à la morale catholique post-conciliaire, celle que développent Paul VI, puis Jean-Paul II.
Anne Le Pape : Le but de Martel, selon Roberto de Mattei, est « d’abattre la Bastille de la morale catholique ». Le pensez-vous ?
Guillaume de Tanoüarn : Quelle Bastille ? Celle qu’a érigée Paul VI, en mettant la contraception et l’avortement sur le même plan dans Humanae vitae, qu’il publie – cela ne s’invente pas – en mai 68 ? Peut-être. La vraie morale, on ne la détruit pas comme ça : elle est dans les cœurs. Que trouve-t-on dans nos cœurs ? Jusqu’à Vatican II tous les prêtres et tous les fidèles catholiques croyaient au péché originel. A partir de Dignitatis humanae (1965), qui enseigne que toute conscience va d’elle-même à la vérité absolue, on ne peut plus y croire, que comme à un concept purement rhétorique. Le fait est, du coup, que la morale postconciliaire, telle qu’elle ressort des textes, est une morale rigoriste, une morale sans le péché originel, qui repose, elle, entièrement sur le droit naturel, c’est-à-dire sur l’idée d’homme telle qu’elle sort de la pensée divine… On oublie que le droit naturel renvoie à une vérité contraire, celle de la nature déchue et du péché originel. C’est comme l’enseignement sexuel de Jean-Paul II : peut-il exister une sexualité parfaite et normative entre homme et femme ? La sexualité peut-elle – bien comprise – servir de fondement ? Je ne le crois pas : depuis le péché originel, il n’y a pas de sexualité bien comprise. La sexualité n’est donc pas un fondement. Juste un moteur. Pour que le moteur nous emmène dans la bonne direction, il importe que nous ne quittions jamais le volant, c’est-à-dire que nous vivions, ou au moins que nous voulions vivre dans la grâce de Dieu.

vendredi 8 mars 2019

«Je suis troublé avec vous tous»: un évêque parle

Le diocèse de Rouen publie ce message de Mgr Lebrun:         
Je suis troublé avec vous tous
Message de l’archevêque aux fidèles 
Le cardinal Philippe Barbarin vient d’être condamné pour « non-dénonciation de mauvais traitements envers un mineur ». Je ne commente pas cette décision de justice. Elle s’ajoute à d’autres révélations et condamnations de prêtres, d’évêques, de religieux ou religieuses qui ont abusé d’enfants ou de personnes fragiles, crimes terribles. En raison même des processus psychologiques, on peut penser que les victimes n’ont pas toutes parlé. À cela se sont ajoutés des comportements de la hiérarchie et des proches des victimes qui ont étouffé des paroles. 
Il y a de quoi être troublé. Je le suis avec vous tous. Nous apprenons de Jésus qu’il n’y a pas d’impasse pour les pécheurs. Nous découvrons des péchés graves, aggravés parce qu’ils ont été cachés. Le chemin passe par l’acceptation de notre péché. Je n’imaginais pas à quel point il y a de la pourriture au sein de notre Église catholique. Est-ce par aveuglement ou par orgueil ? Est-ce par protection plus ou moins consciente de l’Église ou des personnes ? Je ne sais pas répondre. Je m’examine moi-même, et chacun a sans doute sa réponse. En tous les cas, nous avons maintenant à accueillir la lumière qui éclaire ces ténèbres. 
Notre espérance n’en est pas moins grande. Par avance, Jésus a interrogé l’Église qui critique si facilement la société : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? » (Mt 7,3). Chacun peut accueillir cette question, surtout au temps du carême. Accueillir humblement la question est déjà chemin de salut. 
Combien de temps encore cette purification va-t-elle durer ? Je n’ai pas de réponse. Je demande seulement au Seigneur de ne pas nous tenter au-delà de nos forces, comme il l’a promis. Je le supplie aussi de regarder tout le bien que nos communautés avec leurs prêtres, leurs religieux et religieuses, leur évêque font en vivant l’Évangile.  
Oui, Jésus continue de dire à son Église comme à Pierre : « Arrière Satan, tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu » (Mt 16, 23) et de l’interroger « Pierre, m’aimes-tu ? » (Jn 21, 15) pour lui redonner sa confiance. Oui Jésus continue de nous « faire de vifs reproches » (Mc 8, 32) en nous disant aussi : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 15). Puisse le carême être vraiment un temps favorable. Avec beaucoup d’amitié et en communion. 
À Rouen, le 8 mars 2019.
Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen

jeudi 7 mars 2019

Un complot contre l'Eglise ?

C’est un complot contre l’Eglise. Voilà ce que pensent beaucoup de catholiques inquiets devant cet alignement maléfique des Planètes où l'Eglise semble perdre complètement sa crédibilité, au point d'inquiéter fortement les laïcs qui se sont engagés pour elle malgré toutes les difficultés que l'époque oppose à un tel engagement.
     
Il y a tant de scandales qui ont explosé ces derniers temps que l'on est bien obligé de leur donner raison. Mais ce ne peut être une conspiration humaine. Quel rapport existe-t-il, en effet, entre le film Grâce à Dieu de François Ozon, sur la non-dénonciation des crimes de pédophilie, le livre Sodoma de Frédéric Martel sur le système homosexuel au Vatican (système: le mot est de Martel qui a enquêté quatre ans dans les cénacles ecclésiastiques du monde entier), et enfin ce documentaire sur les abus sexuels concernant des religieuses dans des couvents catholiques, programmé sur la chaîne Arte pour Mardi Gras ? Dans une telle conjonction, les exploits don-juanesques de Mgr Ventura, nonce à Paris, semblent presque dérisoires. 

Il y a vraiment quelque chose de pourri au Royaume de Danemark aurait dit Shakespeare. Mais Dieu règle les événements bons ou mauvais pour le plus grand bien de ceux qui l'aiment. Il est dans la même barque que nous. Dans une telle répétition différentiée des symptômes, c’est le Seigneur qui se manifeste, avant et après, dans l'épreuve et dans la consolation. Il va apaiser la tempête comme d'habitude, mais il faut d'abord que nous soyons capables de lui dire : "Seigneur sauvez-nous, nous périssons" ainsi que l'ont fait les apôtres. Comment le lui dirons-nous  en cette occurrence ?

Il y a quelques années autour du grand jubilé de l'an 2000, la repentance était très à la mode dans l'Eglise. On faisait repentance pour l'inquisition médiévale, pour les Borgia, Alexandre VI et son oncle Calixte III, papes de la Renaissance, toutes choses à la vérité fort anciennes. Ce rituel sociologico-politique n'a convaincu personne. L'Eglise du grand Jubilé a donné l'impression de filtrer le moucheron des anciens temps et de laisser passer le chameau des temps nouveaux. Il me semble qu'il faut être plus classiquement chrétien et envisager un vrai repentir de l'Institution, comme avait commencé de le faire Benoît XVI dans sa Lettre aux catholiques irlandais.

Ce repentir ne doit absolument pas être le fait de tous les catholiques comme l'indique indistinctement tel prêtre dans sa Lettre de Carême : la mauvaise conscience est aussi dangereuse que la bonne. Ce qui compte c'est la conscience tout court ! De façon évangélique, ce repentir doit concerner ceux qui ont péché, en tant qu'ils ont péché. Il me semble que c'est à quoi nous conduit ce complot divin auquel nous sommes en train d'assister. 

Le pape François a eu raison de pointer, dans ces abus sexuels, des abus de position dominante. Dans toutes ces histoires, le cléricalisme n’est jamais loin. Les clercs qui auraient abusé de leur fonction ne serait-ce que pour couvrir des crimes sexuels, doivent s'en repentir clairement et à haute voix, sans jouer "grâce à Dieu la prescription".

L'Eglise ne se sortira pas des scandales par une nouvelle crise de mauvaise conscience. Il faut qu'au moins symboliquement certains hommes d'Eglise soient capables de prendre sur eux la foudre. Noblement. Courageusement. A cause de ce qu'ils ont fait ou de ce qu'ils n'ont pas fait.

"Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve" dit le Poète, faisant écho à saint Paul : "Là où le péché a abondé, il faut que la grâce surabonde". A scruter les terribles signes des temps qui nous tombent dessus, on peut dire que nous allons sans aucun doute vers un temps de grâce. Il importe avant tout, comme disciple du Christ, non pas de faire disparaître les dossiers, mais au contraire, selon la mission que l'Eglise de France a confié à Jean-Marc Sauvé, de faire la vérité. Le concile Vatican II avait été convoqué il y a plus d'un demi-siècle pour une opération vérité, parce que l'on sentait déjà des dysfonctionnements. Les Pères ont cru s'en tirer avec des généralités théologiques. Nous sommes devant la vraie crise de l'Eglise. Mais le Seigneur nous demande davantage, oui, dans un prolongement inédit de Vatican II, davantage que des mesurettes ou des réformettes liturgiques dont tout le monde se f... : une vraie réforme, une autocritique du cléricalisme, une mise en question des personnes constituées en dignité, qui ont transformé les erreurs humaines toujours présentes dans tout corps constitué en tolérance organisée, dramatiquement efficace contre toutes les victimes de prédateurs sexuels.

Mais avant tout, il faut que nous sachions voir le complot divin à travers les mauvaises nouvelles. Ne nous y trompons pas : c'est à cause de lui que rien ne sera plus jamais comme avant dans l'Eglise.