vendredi 29 mars 2019

Ce qui est en train de changer dans l'Eglise

Mon camarade Joël Prieur a fait paraître une première mouture de cet article dans l'hebdomadaire Minute.
La Manif pour tous, qui, entre 2012 et 2014, s’est opposée au mariage homosexuel, a-t-elle constitué un Mai 68 à l’envers, comme dit Gaël Brustier, une sorte de manifeste pour une rechristianisation de la France ? En tout cas, Yann Raison du Cleuziou évoque, lui, une « contre-révolution catholique ».

Ses titres sont ceux du sociologue, mais Yann Raison du Cleuziou s’essaie avant tout à l’histoire du présent : il fait l’histoire de l’encyclique de Paul VI Humanae vitae, qui, en juillet 1968 condamne d’un même mouvement la contraception et l’avortement. 

Il écrit l’histoire de la Manif pour tous, ce succès inattendu des cathos parvenant à mettre plusieurs fois dans la rue près d’un million de personnes contre le projet de loi sur le mariage homosexuel. Enfin l’histoire du christianisme politique depuis la victoire annoncée et l’échec retentissant de François Fillon jusqu’aux polémique avec l’islam radical, qui caractérise notre bel aujourd’hui. Rien que pour cette tentative d’histoire immédiate, le livre de Yann Raison mérite de rester dans les mémoires.

Son ambition n’est pourtant pas uniquement descriptive. Il pose quelques questions fondamentales, qui sont des questions qui se répercutent sur toutes les droites.

Première question : « Expression abondamment commentée d’un retour ou d’un réveil du catholicisme militant, la Manif pour tous n’est pourtant pas une mobilisation catholique. Le choix d’une stratégie non-confessionnelle n’est pas sans incidence ». Comment se justifie cette stratégie non-confessionnelle ? Nous avons un catholicisme qui est de moins en moins clérical, et ce ne sont pas les dernières révélations sur le niveau moral de certains prêtres et sur la frilosité trop institutionnelle de certains évêques, refusant de dénoncer les pédophiles dans leur diocèse, qui vont changer quelque chose à l’impact grandissant des laïcs dans la défense de valeurs chrétiennes auxquelles ils tiennent. Il est intéressant de mettre un focus sur la catégorie des fidèles que Raison appelle « les observants », parce qu’ils tendent à faire Eglise par eux-mêmes que cela plaise ou non aux curés, qu’ils prennent la liberté de choisir. Ayant vécu un Concile et sa difficile mise en application, ayant eu deux papes aux personnalités très marquantes, Jean-Paul II et Benoît XVI, ces laïcs ne sont pas prêts à écouter le discours à ambition réformatrice du pape François. Ce sont eux qui tiennent l’Eglise aujourd’hui et qui illustrent sa position publique. La Manif pour tous, à travers des grandes voix comme celle de Frigide Barjot a effectivement laïcisé l’expression du catholicisme français.

Deuxième question : est-ce vraiment la fin du schisme des cathos de gauche ? Yann Raison aborde cette question à plusieurs reprises. Il souligne que pour les nouveaux cathos de gauche que sont les Poissons roses par exemple, la préoccupation n’est plus le progressisme dans l’Eglise, mais la dimension sociale de l’action de tout catholique. Sortant par la grande porte des querelles postconciliaires, les cathos de gauche ont ainsi largement contribué au succès de la Manif pour tous, trouvant spontanément dans la stratégie de communication de l’équipe de Frigide Barjot une plate-forme acceptable par tous les catholiques, en particulier d’une part autour du projet de l’Union civile des homosexuels (sans prétention à une parentalité naturellement impossible)et d’autre part  dans le souci partagé d’une écologie humaine (formule consensuelle du pape Benoît XVI). Tout se passe comme si cette laïcisation de l’action politique des catholiques avait permis une réunification profitable.

Enfin troisième question : n’assiste-t-on pas à une reconfiguration de la politique chrétienne sous le drapeau, déjà empoigné par François Fillon et par Marion Le Pen, du conservatisme, drapeau qu’agite beaucoup en ce moment la tête de liste LR à l’élection européenne, François-Xavier Bellamy ? « A partir du mois d’avril 2013 [date de la manifestation de l’Etoile], le conservatisme est redevenu une ressource capitale de la réaffirmation catholique ». Là est sans doute le moteur originel du mouvement dextrogyre cher au politologue Guillaume Bernard… Dans un monde où tout paraît remis en question, « un père, une mère, c’est élémentaire » comme dit le slogan LMPT. Mais voici que réaffirmer cet élémentaire-là attire la foule, comme rarement il y a eu foule sur le pavé parisien… Alors que le conservatisme n’avait jamais percé en France (contrairement à ce qui se passe en Angleterre ou en Allemagne), alors que ses chances politiques semblaient quasi-nulles, voici que c’est le progressisme qui marque le pas, souvent stigmatisé comme un bougisme inutile. Ce changement de perspective de la vie politique française dans son ensemble s’est manifesté d’abord chez les catholiques de LMPT. C’est ce qui permet à Yann Raison du Cleuziou de titrer sur « une contre-révolution catholique », tout en expliquant soigneusement, avec Joseph de Maistre, que la contre-révolution n’est pas une révolution contraire, qu’elle est seulement le contraire de la révolution : la quête d’un ordre qui succède au désordre. Si ce langage est devenu simplement audible dans la patrie de la Révolution, c’est certainement au succès de la Manif pour tous qu’on le doit.
  • Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique, Aux origines de la Manif pour tous, éd. du Seuil 2019, 23 euros

1 commentaire:

  1. Monsieur Chrzaszcz31 mars 2019 à 14:51

    Je vous propose une autre manière de voir les choses. C'est qu'il s'agirait de catholicisme zombie, pour reprendre l'expression d'Emmanuel Todd. De catholicisme réduit à des valeurs (à “nos valeurs”, comme dans la publicité pour Bordeau Chesnel). Dans cette optique ne peuvent subsister comme valeurs que celles qui ont encore pignon sur rue. L'opposition au Mariage Pour Tous, à la PMA, à la GPA… sont des positions que l'on peut encore défendre dans la France de 2019. Il n'en va pas de même pour l'IVG, communément accepté par tous les milieux, par tous les partis, et défendu (quand il s'agit de l'Irlande) jusque dans les colonnes du journal la Croix. Dans cette optique toujours, ceux qui se rendent compte qu'il y a bien “quelque part” un problème, en sont réduits à mettre triple dose sur la GPA (sur la PMA, sur le mariage pour tous, etc), justement parce qu'ils se contraignent à accepter l'IVG. Je ne leur jette pas la pierre, je ne dénonce rien : j'énonce. Monsieur François-Xavier Bellamy de Versailles (pourquoi pas “Édouard Henri Beaugendre de Neuilly”?) peut être à titre individuel contre l'IVG. En cela il rejoint François Fillon, opposé à titre personnel, et favorable en tant que parlementaire comme il tenait à le répéter. C’est le vieux phénomène de l’homme qui, ayant perdu le sens de sa cause, en défend d’autant plus “‘mordicus” les manifestations périphériques.

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