Si l'on récite le Je crois en Dieu, une chose frappe immédiatement ; le texte est entièrement commandé par un verbe utilisé à la première personne du singulier ; Je crois. C'est toute la différence entre la loi et la foi. Une religion qui est pure religion de la loi, comme l'islam, ne passe pas par les sujets pris les uns après les autres. Nul n'est censé ignorer la loi. La loi est une contrainte collective. Une contrainte religieuse collective, puisque le Coran est considéré comme quelque chose d'incréé, qui contient la parole même de Dieu. Remettre en cause la loi, vouloir l'adapter, c'est s'en prendre à la parole même de Dieu.
La foi, au contraire, correspond à une attitude foncièrement libre. Elle provient, en chacun, du moi le plus profond, en même temps que de la grâce de Dieu. C'est pour chacun "la première grâce" dit Saint-Cyran. Elle est constitutive du psychisme humain. Le prologue de saint Jean le déclare avec force ; "Le Verbe était la vraie lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde". Tout homme quand ? Tout homme venant en ce monde : la foi a donc pour chacun et en chacun une dimension innée, autant qu'universel. Quand on y réfléchit, Descartes ne disait pas autre chose, expliquant que nous avions en nous l'idée de Dieu et que cette idée, infinie, ne pouvait pas venir de nous, qui sommes des êtres finis.
Mais cette idée innée de Dieu est élémentaire. Elle demande à être précisée par la parole de Dieu, cet "évangile", cette bonne nouvelle qui retentit à nos oreille, si nous voulons l'entendre. "La foi dit saint Paul vient de ce que l'on entend" (Rom. 10, 17). Fides ex auditu. Lorsque l'on veut connaître Dieu, il importe de découvrir sa parole. La Bible ? Sans doute mais la Bible est une bibliothèque, qui comprend des livres différents. Il importe de commencer la Bible par la fin. La Genèse, le Lévitique, l'Exode, bref les premiers livres de la Bible, c'est beau, mais en soi, c'est difficile à comprendre si l'on ne compare pas ces paroles venues du fond des âges, au Nouveau Testament, qui retrace la geste et synthétise l'enseignement du Christ.
Ces récits de l'Ancien Testament ne prennent décidément tout leur sens qu'au prisme du Nouveau. Et le Nouveau Testament commence par les quatre Evangiles : l'Evangile selon saint Matthieu, l'Evangile selon saint Marc, l'Evangile selon saint Luc et l'Evangile selon saint Jean. En réalité, vu de Dieu, il n'y a qu'un seul Evangile, que saint Jean dans l'Apocalypse appelle "l'Evangile éternel" (Apoc. 14, 6). Mais il y a quatre versions humaines de l'Evangile, adaptées aux différents types de lecteurs ou à leurs différents besoins.
Tout ce qui est révélé par Dieu se trouve d'une manière ou d'une autre dans l'Ecriture, qui, elle même est synthétisée dans ce que saint Jean appelle l'Evangile éternel.
Comment formuler l'Evangile éternel ? Comment résumer la foi chrétienne ? C'est tout le plan de Dieu sur l'humanité. Comment l'exprimer ? Les Pères de l'Eglise employaient cette simple formule : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu.". Et l'on peut préciser : "Dieu s'est fait homme dans un amour et une condescendance infinie envers les hommes, pour qu'ils deviennent, eux, des "participants de la nature divine (II Pierrre 1, 4), et cela pourvu qu'ils acceptent d'avancer "à pas d'humilité". C'est le leitmotiv de l'Evangile : on avance vers Dieu uniquement par l'humilité, par la reconnaissance de notre propre petitesse. Le Je du Je crois en Dieu s'oublie lui-même dans la foi qui se déclare en lui; Cette foi va le mener en Dieu. Elle est agissante comme une sorte de second code génétique, celui de notre croissance surnaturelle. Cette croissance provient d'une grâce intérieure. Mais en même temps, les paroles des quatre Evangile nous donnent à voir quelles sont "les moeurs divines". Elles nous aident à nous centrer sur Dieu, à nous situer en Dieu, à imiter le Dieu fait homme.
Voilà la foi : une bienheureuse obsession de Dieu, tel qu'il se donne à nous en même temps à l'intime de nous-même et en même temps par l'autorité extérieure de l'Eglise catholique, qui porte l'Ecriture jusqu'à nos yeux et jusqu'à nos coeurs. Ce point est fondamental, je le dis d'abord en latin, avec saint Augustin : Ego vero Evangelio non crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret auctoritas ". Ce disant, en latin dans son texte, saint Augustin, se confiait sur sa conversion du manichéisme au catholicisme. "Moi je ne croirais pas à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise catholique ne m'y avait poussé".
Il y a beaucoup de chose dans le premier mot que trouve saint Augustin pour louer l'autorité de l"Eglise : Ego. Les pronoms personnels ne sont pas forcément exprimé dans la langue latine. On pouvait donc se passer d'"Ego". Mais on ne s'en passe pas, car il a un sens intensitif très net, qui signifie quelque chose comme : "Même moi", ou "Moi aussi". J'ai passé ma vie à étudier l'enseignement de l'Evangile, semble nous dire saint Augustin, mais, même moi, j'ai eu besoin, j'ai eu recours à l'autorité de l'Eglise, pour me transmettre le sens des paroles du Seigneur.
Autorité : voilà un mot que les modernes exècre à proportion qu'ils se veulent plus absolument modernes. Or Dieu dépasse si pleinement l'homme, que l'on a besoin de son autorité pour aller jusqu'à lui. Ce n'est pas très difficile à comprendre. Le recours à Dieu pour aller à Dieu est nécessaire et donc il est positif. En latin, la racine aug- qui correspond à l'auctoritas est la même que la racine aug- qui correspond à l'augmentatio. Le verbe augere signifie d'abord augmenter. L'autorité, c'est l'exemple venu de l'extérieur, qui nous aide à progresser, qui nous augmente. Ainsi est l'autorité divine, bienfaisante mais lointaine. A son image doit être l'autorité de l'Eglise, plus proche, plus concrète : en nous transmettant scrupuleusement le contenu de l'Evangile, elle nous aide à ne rien perdre de la Parole de Dieu.
Ajoutons que cette autorité de l'Eglise, constitutive de notre acte de foi aujourd'hui comme elle le fut pour Augustin en son temps, n'est pas une autorité qui porte sur autre chose que la parole de Dieu, telle qu'elle a été confiée à l'Eglise. L'autorité interprétative de l'Eglise porte sur ce qui lui a été transmis à l'origine, pour qu'elle puisse le transmettre avec exactitude à notre bel aujourd'hui. L'Eglise ne possède rigoureusement aucun pouvoir d'interprétation sur l'avenir, ni non plus sur le présent en tant que tel. Lorsqu'elle a voulu nous expliquer les signes des temps, elle s'est toujours trompé, que ce soit en essayant d'interpréter le millenium de l'Apocalypse, ou bien à l'époque de Joachim de Flore en plein Moyen âge, quand les franciscains prophétisaient un nouvel âge, celui du Saint Esprit ou encore que ce soit lors du récent concile du Vatican, où les évêques réunis se sont fait fort de nous expliquer l'optimisme des années 60, sans prendre garde que cet optimisme cachait un terrible pessimisme, celui de l'idéologisation du monde, de la déconstruction et de la fragilité de nos climats. Le chrétien n'attend pas de l'Eglise une interprétation idéologique, censé nous donner les clés de l'histoire. Ce qu'elle possède ? Ce qui lui appartient ? Avant tout les clés du Royaume des cieux comme le dit Jésus lui-même, qui les lui a offertes (Matth. 16, 17). Ces clés du Royaume sont celles qui donnent la foi. C'est grâce à la parole bien transmise, que l'Eglise remplit son rôle, elle n'en a pas d'autre, que de donner la foi pour partager aux croyants la vie éternelle.
On peut aimer ce qu'il est convenu d'appeler depuis le pape Léon XIII, la doctrine sociale de l'Eglise, cette vision conservatrice de l'organicisme social, puisée dans le De regno de saint Thomas d'Aquin. On peut défendre la vision que l'Eglise a prétendu avoir des signes des temps et la pertinence de Vatican II dans les analyses politiques et sociales que requiert notre temps. On peut prétendre qu'il n'y a pas d'Eglise en dehors de cette manière de "danser ensemble" que l'on appelle la synodalité. Cela permet certes de ménager le grand corps malade. Mais cela ne relève pas de la foi, telle qu'elle nous est parvenue à travers la Tradition interprétant l'Ecriture. Tout cela, comme l'expliquait naguère le Père Chenu relève de l'idéologie, liée, comme dit le pape François (qui ne se prive pas d'en faire) à une sorte de cléricalisme.
Je crois en Dieu... Voilà ce que l'Eglise nous transmet. Si nous prenons cette première affirmation du Credo mot à mot, nous constatons d'abord que la foi est une réalité personnelle. Nous venons de voir qu'il existe, depuis toujours, des résumés de la foi. Il importe que ces résumés résument correctement, c'est-à-dire de manière fidèle à la tradition, les paroles de la révélation chrétienne. "Le ciel et la terre passeront, mes Paroles ne passeront pas" dit Jésus (Matth. 24, 35). Et saint Paul renchérit s'il est possible : "Si moi même ou si un ange du ciel venait vous dire le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème" (Gal. 1, 8). La foi existe dans son objectivité. Nul, fût-il pape, ne peut rien y changer.
En même temps, nous disons : Je crois en Dieu. Nous utilisons la première personne du singulier. Dans son intégrité, la foi est sous la responsabilité de chacun. Contrairement aux concepts de la raison, qui sont universels, la foi est toujours un élan personnel : c'est ma foi. J'en suis responsable, parce que c'est ma foi qui me vaut le salut. "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé" (Mc 16, 16). Qu'est-ce que le salut ? Jésus l'affirme de manière parfaitement claire dans saint Jean : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais" (Jean 11, 26).
Mais il y a foi et foi. La vraie foi ne se contente pas de croire à, elle croit en. Je crois EN Dieu, ma foi me situe en Dieu. Il y a plusieurs significations au verbe croire : "Je crois QUE le temps sera beau demain matin : le verbe croire désigne ici une simple opinion. Je crois à l'homéopathie, je crois aux fantômes : cette fois on exprime une conviction, qui peut s'appuyer sur des indices positifs mais qui n'est pas issue d'une démonstration rationnelle. Je crois en Dieu : je me situe du point de vue de Dieu que je connais par sa parole. Je m'arrache à moi même et je me donne à lui. Je lui donne toute ma confiance. Je crois en lui, je parie ma vie sur lui.