jeudi 28 octobre 2021

Créateur de l'homme et de la femme

Nous nous servons dans cette méditation comme dans la suivante, du récit de la Genèse, qui est à la fois très précis et purement symbolique : comme le notait mon cher Cajétan au début du XVIème siècle, on n'a jamais entendu un serpent parler. Ces deux chapitres offrent sous forme figurative un extraordinaire traité d'anthropologie, dont tout le monde vit aujourd'hui en Occident, au point que ce texte d'apparence naïve est tout bonnement irremplaçable pour répondre à la fameuse question du Psaume 8, où l'on demande à Dieu : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu lui prêtes attention ?".

Dieu a tout créé en donnant ses lois à l'univers. Mais il a créé l'homme de manière particulière. "Singulariter fecit eum" dit le Psaume. Il les a créés individuellement. Chaque être humain est l'objet de l'amour et de la sollicitude de Dieu. Le Livre de la Genèse nous explique que Dieu a fait les animaux selon leur espèce. Mais l'homme est fait non seulement selon son espèce  (la nature humaine comme disent les philosophes) mais de manière personnelle dans une confrontation entre Dieu et chaque visage humain, chaque personne. En grec le mot personne est aussi le terme qui désigne le visage humain (to prosopon). Dieu est un père qui connaît chacun de ses enfants.  C'est lui qui nous a fait ce que nous sommes, avec amour. Et c'est la grande raison pour laquelle il nous faut nous aimer nous-même : Dieu nous a  aimé le premier, il a aimé chacun jusqu'à le faire être. C'est en nous aimant nous-même comme Dieu nous a aimé, que nous apprenons l'amour des autres et l'amour de Dieu. 

C'est avant tout pour cela que le récit biblique ne nous montre pas Dieu créant l'espèce humaine, mais Dieu créant Adam ("le terreux") et Eve ("la vivante"), en ayant sur chacun un dessein qui correspond à son nom.

Adam a pour rôle de faire entrer la matière dont il est constitué dans l'esprit auquel il participe. Il est créé à partir du limon de la terre, plus précisément encore non pas de l'argile (comme le dieu potier des Sumériens) mais de la poussière du sol. Expérience métaphysique la plus folle  ! Comment Dieu va-t-il conduire la matière ou la poussière au-delà d'elle-même jusqu'à lui offrir de partager son éternité ? Comment une telle métamorphose est-elle possible ? Dieu a mis dans l'homme son souffle (Gen. 2, 7), qui doit le faire aspirer à vivre... Et pourtant, dans le récit de la Genèse, Adam ne manifeste pas cet instinct vital qui devrait le faire sortir de lui-même. Il vit comme un supporter du PSG, avec sa télé et sa canette de bière, sans se préoccuper d'autre chose que de son confort dans le Jardin d'Eden, qui offrait à cet égard de bonnes prestations d'accueil, genre hôtel cinq étoiles... 

Adam consomme dans le Jardin, mais il ne voit pas plus loin que le bout de son nez, il ne ressent pas combien toutes choses semblent promises au néant, et donc forcément, il ne pense pas d'avantage à l'arbre de vie, il n'a absolument aucune préoccupation spirituelle. Alors Yahvé Dieu, qui est plein de sollicitude à son égard pense lui donner une deuxième chance : Eve, c'est la vivante. Elle se rendra à l'arbre de vie. C'est elle qui permettra à l'humanité d'adhérer à ce vouloir-vivre éternel, que Dieu a mis en Adam en lui communiquant son souffle. Las ! Certes Eve est plus vivante qu'Adam, mais ce qui l'intéresse, c'est justement ce que Dieu défend, la seule chose qu'il interdise dans le Jardin : l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

jeudi 21 octobre 2021

Créateur des anges

 "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie" disait Pascal.Le monde pourtant n'est pas vide. Il n'y a pas que les hommes, on y découvre à bien y réfléchir, avec l'Intelligence divine omniprésente, la multitude innombrables des anges, ces êtres spirituels créés, ces êtres intelligents et libres. Les anges sont les premiers extra-terrestres. Dans la Bible, ils servent de messagers (angeloi) entre Dieu et les hommes. Autant nos contemporains ont parfois du mal à croire en Dieu, autant ils admettent facilement tout ce peuple hiérarchisé d'anges, qui dansent devant le Mystère de l'univers. Pourquoi les anges sont-ils tellement en faveur aujourd'hui ? Parce que tout un chacun refuse le silence de l'univers, silence effrayant et que spontanément on conçoit l'espace comme peuplé d'esprits. Peuplé d'anges.  

Encore faut-il ajouter, que les anges, esprits libres, ont eu à sa déterminer entre le bien et le mal. Le Bien ? Dieu et l'ordre qu'Il a créé. Le mal ? Se mettre à la place de Dieu et vivre pour soi. Ce verset du prophète Isaïe est particulièrement évocateur de ce qui a pu se passer dans l'esprit des anges mauvais : « J'escaladerai les cieux ; au-dessus des étoiles j'érigerai mon trône ; je serai semblable au Très Haut » (Is 14,13). Que ce soit le péché de l'ange ou le péché de l'homme, il consiste toujours à refuser la loi de Dieu et à se mettre à sa place. La loi de Dieu est-elle composée d'oukases autoritaires fulminés sans motifs ? Non ! La loi c'est ce qui tourne les hommes vers Dieu. Elle est aimée par ceux qui cherchent Dieu : Lex Domini immaculata convertens animas. Pour le psalmiste, qui ne connaissait pas encore les critères d'adaptation au monde discutés à Vatican II ou qui n'avait pas lu le rapport Sauvé, c'est parce que la loi du Seigneur est sans tâche qu'elle attire les âmes... Et de même elle attire les anges qui ont fait le choix du bien. 

Le choix des anges nous permet de lire en grosses lettres  le choix des hommes, qui eux aussi doivent se déterminer selon leur vouloir foncier. Il y a une véritable fraternité dans le service de Dieu entre les anges et nous, comme le marque l'Apocalypse ; "Alors, dit Jean, je me prosternai aux pieds de l'ange pour l'adorer, mais lui me dit :  Non attention, je suis un serviteur comme toi et comme tes frères qui possèdent le témoignage de Jésus, c'est Dieu que tu dois adorer" (Apoc. 19, 10)

L'archange saint Michel est emblématique de ce choix  de Dieu. Il est le protecteur d'Israël, le chevalier d'un peuple persécuté : "En ce temps-là écrit le prophète Daniel, se lèvera Michel, le grand prince qui se tient auprès des enfants de son peuple. Ce sera un temps d'angoisse tel qu'il n'y en a pas eu depuis que la nation existe; En ce temps là ton peuple échappera, tous ceux qui sont inscrit dans le livre [échapperont] (Daniel 12, 1-2). L'ange Michel est ici au service du peuple d'Israël, comme il sera au service de l'humanité  tout entière dans le livre de l'Apocalypse (12, 7 sq.), au terme d'une bataille qu'il mènera pour le bien commun des anges et des hommes, contre "l'antique serpent", l'ange déchu, le diable (cf. Gen. 3, 15). Son nom renvoie à sa mission : Mikaël, qui comme Dieu ? Contre les anges déchus qui se sont pris pour Dieu, l'archange Mikaël nous rappelle que c'est folie de se comparer à Dieu, que cette prétention et cet orgueil métaphysiquement ridicules comportent en eux mêmes   le châtiment qu'ils appellent par leur provocation - tout simplement le rétablissement de la vérité.                                                                                                                                                            

lundi 18 octobre 2021

Créateur du Ciel et de la terre

C'est pour suivre l'ordre du Credo, que j'ai envisagé, dans la précédente méditation, la présence surcréatrice de Dieu, sa Toute puissance surnaturelle, avant sa puissance créatrice. Que veut-on signifier quand on dit que Dieu est "créateur du Ciel et de la terre" ? 

La meilleure explication se trouve dans la Bible, au IIème livre des Macchabées, chapitre 7 verset 20. Elle provient de la mère des sept Macchabées, qui, dans sa langue maternelle "pour ne pas être comprise" du tyran grec Seleucos, donne à ses enfants une ultime leçon de catéchisme, qui nous renseigne sur les mots utilisés dans la population à cette époque pour transmettre la foi juive : "Je t'en conjure mon enfant, dit-elle en s'adressant à son fils aîné, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que tout a été fait à partir de rien et que la race des hommes a la même origine". "A partir de rien". Ex nihilo. La formule est précise, technique. Elle semble contredire le verset 3 du chapitre 1 de la Genèse,  qui décrit, avant l'intervention divine "une terre informe et vide" tohu va bohu, une "nature" éternelle. Mais c'est le livre des Macchabées qui sera repris dans la tradition chrétienne. L'idée chrétienne de création a longuement mûri au préalable dans la tradition juive, dont les chrétiens recueillent le dernier état, le plus récent puisque le Livre des Macchabées remonte au IIème siècle avant Jésus-Christ.. La théorie actuelle du Big-Bang permet de comprendre que le monde n'a pas été "toujours là" mais qu'il avait un commencement, qu'il est à partir de rien.

L'expression "créer à partir de rien", qui renvoie à un néant originel,  possède quelque chose de vertigineux. Elle met le néant au coeur de l'être créé. Elle fait de l'être créé "une fumée qui se dissipe" selon le sens du mot "vanité" utilisé par l'Ecclésiaste dans le livre éponyme (appelé aussi en Hébreu le livre de Qohélet). Elle installe l'homme dans un perpétuel danger d'anéantissement, dont Dieu seul, par sa toute puissance peut le sauver. La tradition chrétienne - saint Paul en tête qui voit l'univers en danger de pourriture (phtora) - retrouvera cette insécurité existentielle dont le Christ nous sauve et mettra cette expérience métaphysique du néant, à l'origine de la foi.

Créer à partir de rien, cela suppose chez le Créateur une puissance infinie, qui va du néant à l'être. De ce point de vue, si l'on prend le verbe "créer" au sens étroit de "faire à partir de rien" seul Dieu est capable de la puissance infinie, de la toute-puissance qu'il faut pour faire surgir quelque chose à partir de rien. Mais qu'est-ce que ce "rien" ? 

"L'idée de néant est un néant d'idée" disait Bergson avec justesse. La philosophie chrétienne ne parvient à distinguer la figure du néant au coeur de l'être qu'à partir de la distinction entre l'essence et l'existence. Créer, cela signifie pour Dieu donner l'existence à une idée qui en soi, comme pure essence dans la pensée divine, est éternelle. Créer signifie donc faire advenir quelque chose dans le temps à travers ce que saint Thomas d'Aquin nomme une "emanation de l'être tout entier" : matière et forme, corps et âme.

Les gnostiques de tous les temps refusent cette perspective  et distinguent le dieu bon d'où émane l'esprit et le dieu mauvais (ou le méchant dieu) inventeur de la matière. Les chrétiens se sont toujours démarqués des gnostiques. Ils considèrent qu'à l'origine, le monde matériel est bon, car créé par Dieu comme le monde spirituel. Tertullien par exemple (mort en 212) dans son  De resurrectione carnis s'exprime ainsi : "Tous les biens destinés à l'homme par Dieu sont dus non seulement à l'âme mais à la chair, sinon par une communauté d'origine entre la chair et l'esprit, du moins par le privilège du nom homme". C'est ainsi que Dieu créateur du corps et de l'âme est le sauveur non seulement de l'âme mais du corps, appelé à ressusciter avec l'âme. 

Le mépris de la chair en général de la sexualité en particulier, n'est pas issu d'un christianisme orthodoxe, croyant en la création, et de la matière et de l'esprit, mais d'un christianisme gnostique qui n'y croit pas . Cette hérésie gnostique, niant la bonté du monde, s'est propagée de manière souterraine jusqu'à nos jours chez des penseurs comme Fichte, qui méprisant la création, méprisent le corps créé par Dieu et restreignent l'homme à sa raison.

"Et Dieu vit que cela était bon".. C'est le leitmotiv du premier chapitre de la Genèse. La création en elle-même est belle et bonne. Nous verrons la prochaine fois ce que signifient le ciel et la terre, l'univers visible et invisible, les hommes et les anges.

samedi 16 octobre 2021

Tout-puissant

Le Tout-puissant dit-on; Cette toute-puissance est le propre de Dieu. Elle le désigne. Mais qu'entend-on par toute-puissance ? Deux choses précisément : la puissance créatrice, que nous étudierons dans la prochaine méditation ; et puis  la puissance surnaturelle ou sur-créatrice, qui comporte elle-même deux manifestations principales : d'une part, le don des miracles, ces actes qui dépassent la nature des choses, actes qui sont possibles parce que Dieu, nous le verrons, n'est pas tenu à la règle ou aux règles qu'il a directement instaurées. Il y a d'autre part et finalement le don de la grâce divine par lequel Dieu partage avec nous, qui ne sommes que des animaux plus ou moins raisonnables, son éternité. 

Disons d'abord que la toute-puissance de Dieu n'est pas seulement créatrice mais sur-créatrice : elle peut produire des miracles. On sait combien, à notre époque, l'idée même de miracle est disqualifiée et disqualifiante. Ernest Renan, dans la préface de la 13ème édition de sa fameuse Vie de Jésus dit : "Je ne crois pas au miracle pour la même raison que je ne crois pas aux hippocentaures et cette raison est qu'on n'en a jamais vu" Au moment où il écrivait cela, la Vierge Marie apparaissait à Lourdes où les miracles se multipliaient. Il aurait suffi qu'Ernest Renan prenne le tout nouveau chemin de fer pour se rendre à Lourdes. Un peu plus tard, le docteur Alexis Carrel, venu à Lourdes par le chemin de fer pour expertiser ce qu'il pensait être une illusion assista contre toute attente à un miracle en direct, ce qui fit de lui un défenseur des Apparitions, même s'il mettra dix ans à retrouver la foi.

L'opposition culturelle aux miracles ne vient pas de ce qu'il n'y en ait pas de constatable mais d'un préjugé scientiste et rationaliste universellement partagé au XIXème siècle. La physique est soumise à des lois invariables qui ne changent jamais, Les mouvements astraux par exemple, sauf comètes, sont calculables, ils ne changent jamais. Mais alors, comment est-il possible que le 13 août 1917 à Fatima, quelque 20 000 personnes ont pu témoigner de la danse du soleil dont la Vierge avait fait le miracle qui attesterait la vérité de ses propos ? Cette gigantesque illusion d'optique, qui touche croyants et incroyants, est-elle explicable sans que Dieu ne s'en soit mêlé d'une manière ou d'une autre ?

Il y a deux grands types de miracles : ceux qui présentent l'accélération d'un processus naturel. C'est à ce type de miracle qu'a assisté Alexis Carrel : une plaie a cicatrisé sous ses yeux. Et, plus grands, ceux qui semblent contredire les lois de la nature, comme ce malade qui voit sans nerf optique, miracle de Lourdes parfaitement documenté. Le miracle de Lanciano en Italie constitue un miracle eucharistique permanent. Au IXème siècle, l'hostie se transforme en chair de façon réelle. On a aujourd'hui analysé ce morceau de chair qui constitue une partie du muscle cardiaque. Chaque fois qu'il est analysé, ce morceau de chair appartient à un homme qui vient de mourir. C'est comme cela depuis le IXème siècle. Les savants du XXème siècle ont pu expérimenter et identifier ce miracle qui dure depuis plus de dix siècles. Mais pas l'expliquer. Ce miracle ne représente pas l'accélération d'un processus naturel mais la suspension sans que l'on sache combien de temps cela durera, de ce processus naturel de pourrissement qui touche toute chair. Dans le même ordre de suspension du processus biologique, il y a, nous l'avons dit déjà, cet aveugle qui, à Lourdes, s'est mis à voir sans nerf optique.

Si on remonte, de ces faits constatés, à leur explication éventuelle, il faut dire que le miracle, si rare soit-il (un seul suffirait) est possible si et seulement si l'on accepte que Dieu n'est pas uniquement la cause rationnelle de l'univers, qui ne peut pas agir autrement qu'il agit, selon une raison universelle implacable. Il est plutôt cause libre. Il crée par sa volonté, sans jamais avoir été obligé de créer ni les lois qu'il a posées ni les choses qu'il a pensées et sans qu'il  ait été obligé de donner l'être aux mille et une combinaisons possibles d'un esprit infini

C'est dans l'histoire humaine que l'on constate le mieux ce que j'aimerais appeler la fantaisie de ce monde créé par Dieu. "Le nez de Cléopâtre aurait été plus court, la face du monde en eût été changée" expliquait Pascal pour défendre la liberté de l'histoire humaine contre l'orgueilleuse nécessité rationnelle, seule prise en compte par son contemporain Spinoza. De ce dernier, on disait en guise d'oraison funèbre : "Il était vrai de toute éternité que Spinoza devait mourir à La Haye le 21 février 1677". Pour lui, le moindre événement empruntait au Principe toute sa nécessité. C'est ce culte de la nécessité qui permet au philosophe de se passer de Dieu : Dieu c'est la raison et la raison c'est tout.

Alors certes, le monde physique est infiniment moins libre que le monde moral, mais l'exception miraculeuse s'y trouve réalisée parfois, sous la forme du miracle clairement établi comme phénomène extra-ordinaire. Il nous appartient de voir comment cette exception, comment ce miracle est pensable. La métaphysique rationaliste qui voudrait que tout événement soit rationnellement explicable est aujourd'hui considérée comme insuffisante. Certes la Toute-puissance de Dieu ne saurait remettre en cause les principes élémentaires d'identité ou de non contradiction. Dieu lui-même ne saurait faire qu'une chose ne soit ce qu'elle est. Mais Dieu n'est pas l'esclave du monde qu'il a créé, nous le verrons dans la prochaine méditation sur l'idée de création.

La métaphysique chrétienne, comme l'avait bien perçu Descartes, est une métaphysique de la liberté. Mais à quoi servent ces considérations métaphysiques ? A comprendre la manière exceptionnelle dont Dieu agit avec nous pour note salut et comment il nous introduit dans le surnaturel, en lui finalement. Le salut éternel fait irruption dans nos vies comme un miracle, nous démontrant que l'homme ne se réduit pas à sa biologie, ni ne se limite aux aspirations contradictoires d'un animal raisonnable. Son désir n'est pas seulement l'obscur appétit charnel. Il ne le sait pas forcément, mais il naît sur la terre pour être divinisé dans le ciel. Par l'intervention inespérée du Christ, il peut échapper à son ignorance et au déterminisme de ses désirs qui ne sont que des besoins, pour découvrir, dans la lumière, un autre désir, le désir d'aimer, un nouvel élan, qui lui apparaît petit à petit comme celui qui le porte vers l'existence divine, en prenant son coeur tout entier. 

Le salut est une extraordinaire délocalisation qui commence sur la terre et se termine dans le ciel. Pascal encore l'avait bien compris : sur cette nouvelle création, il suffit de parier, et nous participerons de ce que l'on peut appeler après saint Paul la divine métamorphose, la métamorphose surnaturelle. La toute-puissance de Dieu lui fait envisager pour l'homme qu'il a créé à son image, une nouvelle création, dans laquelle par la foi nous devenons "participants de la nature divine" (II Pi. 1, 4). "L'homme passe infiniment l'homme" dit Pascal. Magnum miraculum est homo, l'homme est un grand miracle avait prononcé Pic de la Mirandole. Cette transformation de nos horizons de vie est le miracle moral capital, auquel nul n'échappe..
De la part du Père, ce miracle de la divinisation de l'homme est universel ; en intention, Dieu n'oublie jamais personne. Mais nous, nous sommes capables de négliger cette miraculeuse invitation, vrai fruit de la Toute-puissance aimante et libre de Dieu.

vendredi 15 octobre 2021

Paternité : un attribut sexiste ?

 Alors que les déconstructeurs s'en donnent à coeur joie et que le pouvoir administratif dans les pays développés tend à remplacer la mention du père et de la mère dans les notices d'état civil par "parent 1" et "parent 2", les chrétiens continuent à dire que Dieu est Père - et non "Parent 1" ou "Parent 2". Que signifie cette référence à une paternité humaine, lorsque l'on définit Dieu ? 

Pour bien comprendre cette question, il faut garder à l'esprit que la paternité et la maternité, si elles ont biologiquement la même importance, n'ont pas tout à fait le même sens. Il serait même criminel de vouloir faire l'économie de la paternité comme donnée sociale en imaginant que l'on peut considérer que la maternité doit seule être prise en compte et qu'une deuxième mère peut se substituer au père que l'on souhaite oublier en en faisant au mieux un géniteur anonyme. La récente loi sur la PMA sans père en privant les enfants d'une relation au père (soit-il, pour une raison ou une autre, père absent), leur inflige dès la naissance un dommage essentiel. Il faut se ressaisir de cette évidence qu'un père n'apporte pas la même chose qu'une mère, que le masculin n'est pas le féminin, que la loi n'est pas l'amour, et que la dualité des sexes, humainement, n'est pas surmontable, même si il y a dans chaque homme quelque chose de féminin et dans chaque femme une virilité cachée.

Si la dualité des sexes n'est pas humainement surmontable, elle l'est divinement. Dieu créateur de tout et donc aussi bien de la sexualité que de la sexuation elle-même, est à la fois masculin et féminin. D'après la psychanalyse, à laquelle il est arrivé d'être plus mal inspirée, cela peut signifier concrètement qu'il est en même temps la loi (masculine, qui suppose une distance avec ceux à qui elle s'applique) et l'amour (féminin, qui traduit l'immédiateté d'un attachement qui fait être). Dieu est à la fois le maître de sa création, le Seigneur de ses créatures : "Vous m'appelez maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis" dit Jésus, affirmant sa divinité au cours du dernier repas qu'il prend avec ses apôtres (Jean 13). 

 En même temps, Dieu a pour ses créatures "des entrailles de miséricorde", comme une femme pour son enfant. "Comme des élus de Dieu, saints et bien aimés, revêtez vous des entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité, de douceur".  (Col. 3, 12). Ainsi parle saint Paul. Si on reprend la formule que l'ange Gabriel en son annonciation attribue à Marie, nous sommes les fruits de ces entrailles divines. Donner des entrailles de miséricorde à "notre Dieu", comme le fait Zacharie, le père de Jean-Baptiste, dans le Benedictus, (Lc 1, 78), c'est lui attribuer par métaphore des organes féminins. C'est dire que dans l'ouvre du salut, Dieu s'est fait plus mère que père.  "Si une mère était capable d'oublier ses enfants, moi je ne t'oublierai pas dit le Seigneur" (Isaïe 66 ). Hardiesse de la Bible que nos petits radotages modernes n'atteignent pas !




lundi 11 octobre 2021

Le Père

C'est le Christ qui nous le révèle ; Dieu - le Dieu unique - est Père, Fils et Saint Esprit. Mais cette révélation du Mystère de la Trinité s'affirme progressivement dans le Nouveau Testament. Au commencement est Celui que Jésus appelle son Père. Il nous apprend à le prier ainsi : "Notre Père qui êtes dans les cieux..." (Matth. 6, 9). Autour de cette prière du Notre Père interviennent plusieurs allusions au Père, avant que le Notre Père ne soit explicitement donné : "Ton Père qui est dans le secret te rendra ton aumône" (Matth. 6, 4). "Pour toi quand tu pries retire toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra". Juste avant de réciter cette prière, Jésus assure : "Votre Père sait ce qu'il vous faut Après que la prière du Notre Père ait été donnée on retrouve les mêmes allusions au Père : "Si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi" (6, 14). Jésus répète à propos du jeûne ce qu'il a dit de la prière ; "Ton Père qui voit dans le secret te le rendra" (6, 18).  Il est indiqué ensuite que "votre Père céleste nourrit les oiseaux du Ciel" 6, 26). "Il sait ce dont vous avez besoin" (6, 32). Dans l'Evangile selon saint Matthieu, la paternité de Dieu signifie avant tout l'intimité de sa relation avec le croyant, qui le trouve "dans sa chambre", dans le silence et le secret. 

Plusieurs néo-platoniciens, au Vème siècle, Proclus ou Damascius, se saisissent de cette image du Père charriée par la révélation chrétienne pour désigner l'Origine divine, l'Absolu divin. Ce n'est pas la perspective chrétienne. Si on en reste à l'Evangile, et au phyllum chrétien, ce n'est pas l'origine divine qui est notifiée à travers cette paternité de Dieu, mais plutôt l'amour prévenant dont il entoure celui qui se confie à lui. En christianisme l'origine est plurielle, parce qu'elle est amour, nous l'avons vu, parce que "Dieu est amour". Il n'y a donc pas de paternité divine sans filiation divine. Il n'y a ni paternité ni filiation en dehors de l'esprit d'amour qu'on appelle aussi Esprit saint. "La source est plurielle" comme le répète le Père Congar dans son livre Diversité et communion. La source est trois et un. Plurielle réellement et absolument une.

Ces trois personnes ne sont pas trois sujets  divins, trois dieux, comme pourrait le laisser imaginer le mot latin persona, "personne", qui désigne le masque des personnages de théâtre, les trois visages de Dieu (grec prosopon). Elles ne font qu'un. Dieu, unique, est infini. Il n'y a pas deux infinis, où alors l'un borde l'autre et le limite. En même temps, parce qu'il est amour, Dieu n'est pas il ne peut pas être seul.
Si les trois personnes divines ne sont pas trois sujets, il faut dire qu'elles sont trois relations, des relations que l'on nomme relations d'origine car les trois personnes ne se distingue entre elles que par leur relation d'origine : le Père n'a pas d'origine, on peut dire qu'il est l'origine, même si je l'ai dit plus haut le terme est impropre. Le Fils est engendré par le Père. Il est "l'Unique engendré". Le Père et le Fils "spirent" le Saint Esprit. Mais attention : à aucun moment il y aurait eu le Père sans le Fils, ou le Père et le Fils sans le Saint-Esprit. Tel est depuis l'origine, l'amour des trois personnes divines.


jeudi 7 octobre 2021

Dieu et moi, Dieu ou moi

Comment connaître Dieu ? 

Comme dit saint Jean dans son prologue (1, 19) : "Dieu personne ne l'a vu". Le livre de l'Exode porte ce mot définitif au chapitre 33 : "Voir Dieu, c'est mourir". Dieu est au-delà de notre compréhension ; "Si tu l'as compris, ce n'est pas Dieu" tranche saint Augustin. "Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies"  (Is. 55, 8). Tous ceux qui se mettent en route doivent conserver soigneusement cette idée : notre raison n'oeuvre qu'à travers les quatre dimensions de l'espace et du temps. Notre coeur, ce coeur intelligent, ce coeur qui sent Dieu dépasse l'espace-temps et réfléchit à l'infini ; il médite sur ce qui ne peut pas ne pas être. Il suffit pour penser à Dieu de "rester une heure dans une chambre" comme dit Pascal.

L'infini seul permet au fini d'exister comme fini. Et cette permission, ce permis d'être donné au fini s'appelle l'amour de Dieu, ou encore, comme dit Thomas d'Aquin, la volonté de Dieu, qui crée les êtres finis par un choix dont les raisons lui appartiennent. De ce point de vue - l'amour - Dieu n'est pas seulement l'Infini que l'on ne peut pas manquer. Dieu est sujet, il est le Sujet universel, non seulement connaissance, non seulement idée comme le pensaient Platon ou Spinoza, mais sujet libre, sujet par excellence. Dieu n'est pas soumis à je ne sais quelle Nécessité transcendante, il est essentiellement liberté, même si cette liberté est aussi sage que libre.

C'est cette "subjectité" essentielle que Dieu exprime, lorsque sur le Mont Sinaï, il dit à Moïse : Je suis qui je suis. Sum qui sum. Ce qu'il importe de retenir c'est le Je du Je suis. Dieu dit Je. Dieu parle et il nous parle. Et c'est ainsi que l'on peut dire qu'il nous a créé "à son image et à sa ressemblance" (Genèse 1, 27 ) : Dieu dit JE. L'homme dit JE. Différence ? Dieu se suffit parfaitement à lui-même, il est à lui-même sa propre fin. L'homme rivalise avec Dieu quand il prétend s'autosuffire. Cette rivalité et cette prétention constituent le péché dans sa gravité particulière, qui endurcit le coeur de l'homme face à Dieu et l'empêche d'accéder à sa vocation propre qui est l'amour. La Bible  énonce de façon très étonnante cette possibilité d'une rivalité de l'homme avec Dieu. Elle nous invite, ce disant, à choisir Dieu pour notre bien, plutôt que nous-mêmes.

"Yahvé Dieu dit ; voici que l'homme est devenu comme l'un de nous pour connaitre le bien et le mal" (Gen. 3, 22). Ce verset décrit parfaitement le péché comme une rivalité avec Dieu. L'expression "connaître le bien et le mal" qui fait allusion à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, planté dans le Jardin d'Eden et dont le fruit, nous le verrons tenta Eve, doit être prise au sens littéral : Dieu seul connaît le bien et le mal. Nous autres hommes n'avons pas un instinct du bien et du mal comme les animaux, qui savent spontanément ce qui est bon ou mauvais pour eux.. Nous ne savons pas non plus démontrer le bien dans une situation donnée. Notre "démonstration" est toujours un calcul. Et le bien que nous calculons, nous le calculons par rapport à nous-mêmes. C'est notre bien à nous, notre intérêt, notre avantage. Voilà de quelle connaissance du bien et du mal nous sommes capables. Nous réduisons le bien à une comptabilité toute personnelle, nous déformons le bien en en faisant mon bien, ton bien, son bien, Lorsque nous voulons connaître rationnellement le bien à faire, nous le réduisons à notre mesure.

C'est que le bien en lui-même, ce bien qui est Dieu comme nous l'avons vu, n'est pas un objet de connaissance démonstrative. Il n'est perceptible que par le coeur intelligent (III Rois, 3, 12). La morale ne se démontre pas, elle se vit. Son objet n'est pas seulement pour nous de "bien faire l'homme" (comme dit Aristote), mais de chercher Dieu, qui est notre destinée éternelle.

S'il est vrai, comme dit le théologien juif Leibovitz, que "Dieu est avant tout une valeur", alors en niant Dieu, je deviens cette valeur que je nie. Je prends mécaniquement la place de Dieu.

mercredi 6 octobre 2021

Croire

Si l'on récite le Je crois en Dieu, une chose frappe immédiatement ; le texte est entièrement commandé par un verbe utilisé  à la première personne du singulier ; Je crois. C'est toute la différence entre la loi et la foi. Une religion qui est pure religion de la loi, comme l'islam, ne passe pas par les sujets pris les uns après les autres. Nul n'est censé ignorer la loi.  La loi est une contrainte collective. Une contrainte religieuse collective, puisque le Coran est considéré comme quelque chose d'incréé, qui contient la parole même de Dieu. Remettre en cause la loi, vouloir l'adapter, c'est s'en prendre à la parole même de Dieu.

La foi, au contraire, correspond à une attitude foncièrement libre. Elle provient, en chacun, du moi le plus profond, en même temps que de la grâce de Dieu. C'est pour chacun "la première grâce" dit Saint-Cyran. Elle est constitutive du psychisme humain. Le prologue de saint Jean le déclare avec force ; "Le Verbe était la vraie lumière, qui  éclaire tout homme venant en ce monde". Tout homme quand ? Tout homme venant en ce monde : la foi a donc pour chacun et en chacun une dimension innée, autant qu'universel. Quand on y réfléchit, Descartes ne disait pas autre chose, expliquant que nous avions en nous l'idée de Dieu et que cette idée, infinie, ne pouvait pas venir de nous, qui sommes des êtres finis.

 Mais cette idée innée de Dieu est élémentaire. Elle demande à être précisée par la parole de Dieu, cet "évangile", cette bonne nouvelle qui retentit à nos oreille, si nous voulons l'entendre. "La foi dit saint Paul vient de ce que l'on entend" (Rom. 10, 17). Fides ex auditu. Lorsque l'on veut connaître Dieu, il importe de découvrir sa parole. La Bible ? Sans doute mais la Bible est une bibliothèque, qui comprend des livres différents. Il importe de commencer la Bible par la fin. La Genèse, le Lévitique, l'Exode, bref les premiers livres de la Bible, c'est beau, mais en soi, c'est difficile à comprendre si l'on ne compare pas ces paroles venues du fond des âges, au Nouveau Testament, qui retrace la geste et synthétise l'enseignement du Christ. 

Ces récits de l'Ancien Testament ne prennent décidément tout leur sens qu'au prisme du Nouveau. Et le Nouveau Testament commence par les quatre Evangiles : l'Evangile selon saint Matthieu, l'Evangile selon saint Marc, l'Evangile selon saint Luc et l'Evangile selon saint Jean. En réalité, vu de Dieu, il n'y a qu'un seul Evangile, que saint Jean dans l'Apocalypse appelle "l'Evangile éternel" (Apoc. 14, 6). Mais il y a quatre versions humaines de l'Evangile, adaptées aux différents types de lecteurs ou à leurs différents besoins. 

Tout ce qui est révélé par Dieu se trouve d'une manière ou d'une autre dans l'Ecriture, qui, elle même est synthétisée dans ce que saint Jean appelle l'Evangile éternel.

Comment formuler l'Evangile éternel ? Comment résumer la foi chrétienne ? C'est tout le plan de Dieu sur l'humanité. Comment l'exprimer ? Les Pères de l'Eglise employaient cette simple formule : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu.". Et l'on peut préciser : "Dieu s'est fait homme dans un amour et une condescendance infinie envers les hommes, pour qu'ils deviennent, eux, des "participants de la nature divine (II Pierrre 1, 4), et cela pourvu qu'ils acceptent d'avancer "à pas d'humilité". C'est le leitmotiv de l'Evangile : on avance vers Dieu uniquement par l'humilité, par la reconnaissance de notre propre petitesse. Le Je du Je crois en Dieu s'oublie lui-même dans la foi qui se déclare en lui; Cette foi va le mener en Dieu. Elle est agissante comme une sorte de second code génétique, celui de notre croissance surnaturelle. Cette croissance provient d'une grâce intérieure. Mais en même temps, les paroles des quatre Evangile nous donnent à voir quelles sont "les moeurs divines". Elles nous aident à nous centrer sur Dieu, à nous situer en Dieu, à imiter le Dieu fait homme. 

Voilà la foi : une bienheureuse obsession de Dieu, tel qu'il se donne à nous en même temps à l'intime de nous-même et en même temps par l'autorité extérieure de l'Eglise catholique, qui porte l'Ecriture jusqu'à nos yeux et jusqu'à nos coeurs.  Ce point est fondamental, je le dis d'abord en latin, avec saint Augustin : Ego vero Evangelio non crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret auctoritas ". Ce disant, en latin dans son texte, saint Augustin, se confiait sur sa conversion du manichéisme au catholicisme. "Moi je ne croirais pas à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise catholique ne m'y avait poussé". 

Il y a beaucoup de chose dans le premier mot que trouve saint Augustin pour louer l'autorité de l"Eglise : Ego. Les pronoms personnels ne sont pas forcément exprimé dans la langue latine. On pouvait donc se passer d'"Ego". Mais on ne s'en passe pas, car il a un sens intensitif très net, qui signifie quelque chose comme : "Même moi", ou "Moi aussi". J'ai passé ma vie à étudier l'enseignement de l'Evangile, semble nous dire saint Augustin, mais, même moi, j'ai eu besoin, j'ai eu recours à l'autorité de l'Eglise, pour me transmettre le sens des paroles du Seigneur.

Autorité : voilà un mot que les modernes exècre à proportion qu'ils se veulent plus absolument modernes. Or Dieu dépasse si pleinement l'homme, que l'on a besoin de son autorité pour aller jusqu'à lui. Ce n'est pas très difficile à comprendre. Le recours à Dieu pour aller à Dieu est nécessaire et donc il est positif. En latin, la racine aug- qui correspond à l'auctoritas est la même que la racine aug- qui correspond à l'augmentatio. Le verbe augere signifie d'abord augmenter. L'autorité, c'est l'exemple venu de l'extérieur, qui nous aide à progresser, qui nous augmente. Ainsi est l'autorité divine, bienfaisante mais lointaine. A son image doit être l'autorité de l'Eglise, plus proche, plus concrète : en nous transmettant scrupuleusement le contenu de l'Evangile, elle nous aide à ne rien perdre de la Parole de Dieu. 

Ajoutons que cette autorité de l'Eglise, constitutive de notre acte de foi aujourd'hui comme elle le fut pour Augustin en son temps, n'est pas une autorité qui porte sur autre chose que la parole de Dieu, telle qu'elle a été confiée à l'Eglise. L'autorité interprétative de l'Eglise porte sur ce qui lui a été transmis à l'origine, pour qu'elle puisse le transmettre avec exactitude à notre bel aujourd'hui. L'Eglise ne possède rigoureusement aucun pouvoir d'interprétation sur l'avenir, ni non plus sur le présent en tant que tel. Lorsqu'elle a voulu nous expliquer les signes des temps, elle s'est toujours trompé, que ce soit en essayant d'interpréter le millenium de l'Apocalypse, ou bien à l'époque de Joachim de Flore en plein Moyen âge, quand les franciscains prophétisaient un nouvel âge, celui du Saint Esprit ou encore que ce soit lors du récent concile du Vatican, où les évêques réunis se sont fait fort de nous expliquer l'optimisme des années 60, sans prendre garde que cet optimisme cachait un terrible pessimisme, celui de l'idéologisation du monde, de la déconstruction et de la fragilité de nos climats. Le chrétien n'attend pas de l'Eglise une interprétation idéologique, censé nous donner les clés de l'histoire.  Ce qu'elle possède ? Ce qui lui appartient ? Avant tout les clés du Royaume des cieux comme le dit Jésus lui-même, qui les lui a offertes (Matth. 16, 17). Ces clés du Royaume sont celles qui donnent la foi. C'est grâce à la parole bien transmise, que l'Eglise remplit son rôle, elle n'en a pas d'autre, que de donner la foi pour partager aux croyants la vie éternelle.

On peut aimer ce qu'il est convenu d'appeler depuis le pape Léon XIII, la doctrine sociale de l'Eglise, cette vision conservatrice de l'organicisme social, puisée dans le De regno de saint Thomas d'Aquin. On peut défendre la vision que l'Eglise a prétendu avoir des signes des temps et la pertinence de Vatican II dans les analyses politiques et sociales que requiert notre temps. On peut prétendre qu'il n'y a pas d'Eglise en dehors de cette manière de "danser ensemble" que l'on appelle la synodalité. Cela permet certes de ménager le grand corps malade. Mais cela ne relève pas de la foi, telle qu'elle nous est parvenue à travers la Tradition interprétant l'Ecriture. Tout cela, comme l'expliquait naguère le Père Chenu relève de l'idéologie, liée, comme dit le pape François (qui ne se prive pas d'en faire) à une sorte de cléricalisme. 

Je crois en Dieu... Voilà ce que l'Eglise nous transmet. Si nous prenons cette première affirmation du Credo mot à mot, nous constatons d'abord que la foi est une réalité personnelle. Nous venons de voir qu'il existe, depuis toujours, des résumés de la foi. Il importe que ces résumés résument correctement, c'est-à-dire de manière fidèle à la tradition, les paroles de la révélation chrétienne. "Le ciel et la terre passeront, mes Paroles ne passeront pas" dit Jésus (Matth. 24, 35). Et saint Paul renchérit s'il est possible : "Si moi même ou si un ange du ciel venait vous dire le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème" (Gal. 1, 8). La foi existe dans son objectivité. Nul, fût-il pape, ne peut rien y changer. 

En même temps, nous disons : Je crois en Dieu. Nous utilisons la première personne du singulier. Dans son intégrité, la foi est sous la responsabilité de chacun. Contrairement aux concepts de la raison, qui sont universels, la foi est toujours un élan personnel : c'est ma foi. J'en suis responsable, parce que c'est ma foi qui me vaut le salut. "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé" (Mc 16, 16). Qu'est-ce que le salut ? Jésus l'affirme de manière parfaitement claire dans saint Jean : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais" (Jean 11, 26).

Mais il y a foi et foi. La vraie foi ne se contente pas de croire à, elle croit en. Je crois EN Dieu, ma foi me situe en Dieu. Il y a plusieurs significations au verbe croire : "Je crois QUE le temps sera beau demain matin : le verbe croire désigne ici une simple opinion. Je crois à l'homéopathie, je crois aux fantômes : cette fois on exprime une conviction, qui peut s'appuyer sur des indices positifs mais qui n'est pas issue d'une démonstration rationnelle. Je crois en Dieu : je me situe du point de vue de Dieu que je connais par sa parole. Je m'arrache à moi même et je me donne à lui. Je lui donne toute ma confiance. Je crois en lui, je parie ma vie sur lui.

mardi 5 octobre 2021

De quoi parle le catéchisme ?


Le Credo ou symbole des apôtres

Je crois en Dieu, le Père tout Puissant, créateur du ciel et de la terre

Et en Jésus Christ son Fils unique notre Seigneur,

Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie,

A souffert sous Ponce Pilate,  a été crucifié, est mort, a été enseveli,

Le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout puissant, d'où il viendra juger les vivants et les morts.

Je crois dans le Saint Esprit, 

La Sainte Eglise catholique, la communion des saints, la rémission des péché, la résurrection de la chair, la vie éternelle

Amen




 J'entreprends de rédiger un  catéchisme pour adultes sur ce blog. Pourquoi une telle ambition ? Parce qu'il manque, sur le marché, un catéchisme qui soit vraiment pour adultes mais qui reste simple d'approche. Le Catéchisme de l'Eglise Catholique est parfait quand on cherche une référence. Mais il est trop long pour servir de livre d'étude.  Le résumé romain, qui en a été fait par la suite, reste à mon avis trop confus ; c'est un catéchisme qui ne commence pas avec la question du salut, pourtant absolument primordiale, mais qui aborde, sans préambule, la liturgie, ce qui ne me semble pas être le savoir le plus élémentaire. La liturgie, comme je l'ai expliqué dans mon dernier livre, nous entraîne dans une véritable initiation de tout l'être au Mystère du Christ. Elle suppose, antérieurement, une certaine connaissance de ce mystère, connaissance que l'on trouve justement dans le catéchisme. Raison pour laquelle les catéchumènes étaient invités à sortir, avant que ne commence l'action sacrée : ils ne possédaient pas encore cette connaissance élémentaire, que fournit le catéchisme.

Le catéchisme qui doit être clair, est avant tout le manuel qui, parlant non pas à tout l'être comme la liturgie, mais à l'intelligence avant tout, explique à l'impétrant comment  participer au plan de salut apporté par le Christ à l'humanité. Comment ? La réponse est simple et en trois temps : le catéchisme enseigne ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire et les moyens à notre disposition pour croire à la lumière et pour faire la vérité, moyens que l'on nomme les sacrements.

Prenons ces trois points l'un après l'autre : la foi d'abord, cette grande méconnue.

C'est par la foi, non par la raison, que l'on participe au mystère du Christ. Qu'est-ce que la foi ? Ni une philosophie, ni une idéologie, ni même une théologie, intellectuellement développée. La foi dit saint Paul aux Hébreux est "la substance de ce que l'on espère" (Hébr. 2, 1). 

Nous avons tous une espérance, ou alors on se flingue. 

Nous avons tous en nous l'idée que la vie est supérieure à la mort et qu'elle doit triompher. La question qui se pose est : où mettons-nous cette espérance ? En nous-même ? Dans notre courage physique ? Dans notre intelligence ? Dans notre volonté indéfectible de prendre la vie comme elle vient ? Tout cela peut nous induire à une forme d'espérance, mais nous savons tous que face à ces forces, face à ces raisons humaines d'espérer, dont nous sommes si fiers, la mort aura toujours le dernier mot. Faut-il se résigner à dire avec Heidegger que "l'homme est un être pour la mort " ? Notre vie serait une sorte de monstrueuse exception, une parenthèse vite refermée, un emballement sans lendemain de la logique biologique qui nous gouvernerait seule finalement, parce qu'elle ne serait jamais capable de résister indéfiniment à la mort ? Un tel pessimisme,  s'imposant à cette réalisation merveilleuse qu'est l'animal humain, en affirmant que le dernier mot, le concernant, appartient à la destruction, est difficile à croire.

Nous avons tous obscurément une autre espérance, une espérance qui n'est pas puisé en nous mais dont nous vivons : l'espérance que la science prolongera indéfiniment notre durée de vie. Ou bien l'espérance qu'au dernier moment, la vie l'emportera sur la mort d'une manière que Dieu connaît. Nous avons donc tous une forme de foi, la foi est universelle, comme l'espérance qu'elle nous représente. La foi n'est pas le monopole des chrétiens.

Ce qui fait de nous des chrétiens en devenir, c'est que nous pensons que seul le Christ peut nous sauver, c'est-à-dire faire triompher la vie en nous. Il est le seul dont on puisse dire ce qu'affirme l'évangéliste saint Jean dans le prologue de son Evangile : "En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes"(Jean, 1, 4). "Il est le premier né d''une multitude de frères" (Rom. 8, 29) dit saint Paul de son côté, le premier des ressuscités et donc celui en qui et par qui nous pourrons ressusciter à notre tour par la foi en lui.

Notre foi dans le Christ ne vient pas d'une démonstration rationnelle. Elle est la foi dans un Mystère, la résurrection, et elle est elle-même un mystère; quelque chose de caché à nos yeux, quelque chose que nous ne pouvons pas atteindre par un mouvement réflexe du type : "Je crois que je crois". Je crois ! Rien à voir avec "Je crois que". Rien à voir avec le brouillard des opinions. Je suis prêt au nom de ma foi à rendre compte de mon espérance. Maladroitement peut-être mais avec conviction. Les lambeaux de vérité que j'ai atteint, je suis prêt à les défendre comme si ma vie en dépendait. Parce que ma vie en dépend.

Ce qu'il faut croire? La foi est si précieuse dans son contenu qu'elle a immédiatement fait l'objet de résumés que l'on nomme aujourd'hui kerugmata, des proclamations. Le plus ancien de ces kérygmes nous est livré par saint Pierre, dans le discours qu'il tient juste après avoir reçu le Saint-Esprit, dans les Actes des apôtres. C'est la première fois que le chef des apôtres s'adresse aux hommes : 

« Hommes israélites, écoutez ces paroles : Jésus le Nazaréen homme approuvé de Dieu auprès de vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous-mêmes vous le savez, ayant été livré par le conseil défini et par la préconnaissance de Dieu — ; lui, vous l'avez cloué à une croix et vous l'avez fait périr par la main d'hommes iniques, lequel Dieu a ressuscité, ayant délié les douleurs de la mort, puisqu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle. (...) Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, ce dont nous, nous sommes tous témoins. (...) Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ, en rémission des péchés ; et vous recevrez le don du Saint Esprit" (Actes 2, 22-24, 32, 38))

Paul à la fin de la première Epître aux Corinthiens, vingt ans après la passion et la résurrection du Christ, propose un résumé plus court, centré sur la résurrection :
    
« Or je vous fais savoir, frères, l'évangile que je vous ai annoncé, que vous avez aussi reçu, et dans lequel vous êtes, que le Christ est mort pour nos péchés, selon les écritures, et qu'il a été enseveli, et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les écritures ; et qu'il a été vu de Céphas [Pierre], puis des douze. Ensuite il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont demeurés en vie jusqu'à présent, mais quelques-uns aussi se sont endormis [dans la mort]. Ensuite il a été vu de Jacques, puis de tous les apôtres ; et, après tous, comme d'un avorton, il a été vu aussi de moi. »
Dès les tout premiers temps, les apôtres se sont attachés à résumer ce sa voir sur le Christ qu'est la foi chrétienne. Entre 324 et 385, face à l'hérésie d'Arius, qui niait la divinité du Christ, l''Eglise a officialisé avec solennité, le Credo dit de Nicée-Constantinople (324-385), du nom des deux conciles qui l'ont pris comme base. Ce Credo est celui que l'on récite durant la messe. Nous prendrons nous, ici, celui, légèrement plus court et vraisemblablement antérieur à l'hérésie arienne que l'on appelle le symbole des apôtres. 

On en trouve des traces dans l'Eglise primitives, par exemple dans la Lettre aux Tralliens d'Ignace d'Antioche. Un papyrus daté de 150 environ a été trouvé dans les sables d'Egypte, qui comporte l'essentiel du symbole des apôtres : "Je crois en Dieu, le Père tout puissant, et en son fils unique Notre Seigneur Jésus Christ et au Saint Esprit et en la résurrection de la chair et en la vie éternelle" (Deir Balyzeh papyrus).
 
Le symbole des apôtres présente une sorte de résumé de la foi chrétienne en douze articles, et nous le commenterons mot à mot. Son commentaire attentif forme la première partie du catéchisme. Dans ce livre, nous en resterons là.

Deuxième partie constitutive du Catéchisme : Ce qu'il faut faire, Dieu a donné dix commandements à Moïse, il ne revient pas sur sa loi. Il n'y a pas abrogation. Mais dans l'Evangile, le Christ donne deux commandements,  le second étant dit semblable au premier : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit". Et le second commandement : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même"(Matthieu22, 39). Comme dit saint Paul : "L'amour est l'accomplissement du précepte" (Romains 13, 10). Sans amour, même si on les observait matériellement, on ne peut pas accomplir les commandements de Dieu.

Troisième point : quels sont les moyens que Dieu met à notre disposition pour que nous rentrions dans son plan de salut. Ce sont les sept sacrements,, ces signes sensibles et efficaces qui nous donnent la grâce divine, à commencer par le baptême et c'est la prière, dont la plus officielle, la plus autorisée mais pas la plus facile, est celle que le Christ a apprise à ses apôtres (cf. Matth. 7) : le Notre Père. 

Nous reviendrons un jour sur ces deux derniers points, mais nous commençons tout de suite le commentaire du Credo.

samedi 2 octobre 2021

Pourquoi la messe doit-elle être dite en latin... en grec en slavon ou en araméen


La messe dite de saint Pie V n’est pas "la messe en latin", mais, dans sa version la plus pure, qui est la messe basse, elle est la messe du silence. Parce que seul le silence nous offre une vraie communication avec Dieu… Les mots sur Dieu ne peuvent être utilisés explique saint Thomas dans son Traité des noms divins que si, distinguant le signifiant du signifié, ils assignent au signifié une dimension infinie, qui ne va pas sans changer le sens du mot utilisé. Le mode de signifier qui est l’infini, modifie le signifié fini, au point que l’on peut utiliser les mêmes mots sans qu’ils renvoient aux mêmes concepts, sauf à ce que ces concepts soient des universaux, l’être, le vrai, le bien, qui sont en eux-mêmes des concepts analogues, parce qu'universels.                                                                                                                      Mais d’autres mots comme la colère, le pardon, le bonheur, ne sont pas traduisibles dans l’ordre divin. C’est ce décalage entre deux mondes, le monde humain et le monde divin  que signifient les langues sacrées : langues mortes, elles offrent des significations cachées, qu’il faut, chacun, chercher et adapter à leur objet divin, au plus intime de soi-même, à travers l’expérience que chacun en prend.

Double avantage : d’abord, la langue ne peut pas être adaptée tous les dix ans, à une manière humaine de voir l’objet divin, puisqu’elle ne fonctionne pratiquement plus et que les forts en thème qui savent la faire marcher, la plupart du temps sont incapables de restituer la poésie dont les ans l’ont chargée. Elle reste donc semblable à elle-même, sans évolution pour des générations de locuteurs,  auxquels elle garantie, dans sa formalité toujours identique à elle-même, la liberté de croire à la vérité de la parole donnée Par Dieu (et non à la vérité des commentaires produits par les hommes et vieillis aussitôt que rédigés).

Défendant les formes de la foi, cette langue sacrée fait que croire ne devient jamais une faiblesse. Il y a bien sûr le psittacisme, qui est comme chacun sait la maladie du perroquet : il est inévitable en matière de patenôtres, quelle que soit la langue dans laquelle ils s'expriment. Mais les langues sacrées, parce qu’elles sont des langues, constituent – c’est le deuxième avantage - une invitation a un savoir qui est plus haut que soi, ce que l’on appelle une initiation, en l’occurrence l’initiation chrétienne. Autant les langues sacrées préservent l’intégrité de la foi à travers le formalisme qu’elles lui imposent, c’est ce que nous avons appelé le premier avantage, autant elles sont ouvertes à une réassomption personnelle, méditative des textes qu’elles transcrivent, alors que les traductions sont toujours insuffisantes dans leur fausse transparence.

Certes les langues modernes occidentales, par imprégnation, possèdent une partie du lexique des langues mortes qu’elles sont censées exprimer. Mais une partie seulement et cette partie est souvent l’objet  de toutes sortes de déformation. L’exemple le plus simple, en matière de christianisme, est le mot amour. On traduit la divine agapé par amour. Mais l’amour signifie tellement de choses en français ! Et le terme agapé en grec est tellement restrictif. Ainsi, elle subsiste, la divine charité, bien distincte, à côté de l’éros et de la philia. Ce genre de mot clé ne peut pas sans  dommage être remis aux aléas d’un changement de lexique. Le  passage hasardeux  à une autre langue est nécessaire pour le catéchisme, mais non pour cette « glorification droite » qu’est la liturgie, chants des anges repris, le plus clairement possible par les hommes. Le plus clairement possible mais sans qu’ils comprennent toujours tout ce qu’ils proclament. Par la prière liturgique latine grecque ou araméenne, Dieu nous prend au mot sans que nous sachions forcément ce que nous disons. Que dit-on lorsque l’on proclame de Dieu qu’Il est tout puissant ? C’est lui qui donne toute sa signification à l’ortho-doxie, à la droite glorification que l’homme lui offre. Comment ? Par l’expérience silencieuse qu’il réserve à ceux qu’il aime et qui le glorifient non pas en disant mots humains mais avec un coeur pur qui se saisit avec respect des mots de la liturgie comme langage de Dieu : langage qui a Dieu pour auteur non seulement dans l'histoire mais dans nos coeurs.