Comment connaître Dieu ?
Comme dit saint Jean dans son prologue (1, 19) : "Dieu personne ne l'a vu". Le livre de l'Exode porte ce mot définitif au chapitre 33 : "Voir Dieu, c'est mourir". Dieu est au-delà de notre compréhension ; "Si tu l'as compris, ce n'est pas Dieu" tranche saint Augustin. "Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies" (Is. 55, 8). Tous ceux qui se mettent en route doivent conserver soigneusement cette idée : notre raison n'oeuvre qu'à travers les quatre dimensions de l'espace et du temps. Notre coeur, ce coeur intelligent, ce coeur qui sent Dieu dépasse l'espace-temps et réfléchit à l'infini ; il médite sur ce qui ne peut pas ne pas être. Il suffit pour penser à Dieu de "rester une heure dans une chambre" comme dit Pascal.
L'infini seul permet au fini d'exister comme fini. Et cette permission, ce permis d'être donné au fini s'appelle l'amour de Dieu, ou encore, comme dit Thomas d'Aquin, la volonté de Dieu, qui crée les êtres finis par un choix dont les raisons lui appartiennent. De ce point de vue - l'amour - Dieu n'est pas seulement l'Infini que l'on ne peut pas manquer. Dieu est sujet, il est le Sujet universel, non seulement connaissance, non seulement idée comme le pensaient Platon ou Spinoza, mais sujet libre, sujet par excellence. Dieu n'est pas soumis à je ne sais quelle Nécessité transcendante, il est essentiellement liberté, même si cette liberté est aussi sage que libre.
C'est cette "subjectité" essentielle que Dieu exprime, lorsque sur le Mont Sinaï, il dit à Moïse : Je suis qui je suis. Sum qui sum. Ce qu'il importe de retenir c'est le Je du Je suis. Dieu dit Je. Dieu parle et il nous parle. Et c'est ainsi que l'on peut dire qu'il nous a créé "à son image et à sa ressemblance" (Genèse 1, 27 ) : Dieu dit JE. L'homme dit JE. Différence ? Dieu se suffit parfaitement à lui-même, il est à lui-même sa propre fin. L'homme rivalise avec Dieu quand il prétend s'autosuffire. Cette rivalité et cette prétention constituent le péché dans sa gravité particulière, qui endurcit le coeur de l'homme face à Dieu et l'empêche d'accéder à sa vocation propre qui est l'amour. La Bible énonce de façon très étonnante cette possibilité d'une rivalité de l'homme avec Dieu. Elle nous invite, ce disant, à choisir Dieu pour notre bien, plutôt que nous-mêmes.
"Yahvé Dieu dit ; voici que l'homme est devenu comme l'un de nous pour connaitre le bien et le mal" (Gen. 3, 22). Ce verset décrit parfaitement le péché comme une rivalité avec Dieu. L'expression "connaître le bien et le mal" qui fait allusion à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, planté dans le Jardin d'Eden et dont le fruit, nous le verrons tenta Eve, doit être prise au sens littéral : Dieu seul connaît le bien et le mal. Nous autres hommes n'avons pas un instinct du bien et du mal comme les animaux, qui savent spontanément ce qui est bon ou mauvais pour eux.. Nous ne savons pas non plus démontrer le bien dans une situation donnée. Notre "démonstration" est toujours un calcul. Et le bien que nous calculons, nous le calculons par rapport à nous-mêmes. C'est notre bien à nous, notre intérêt, notre avantage. Voilà de quelle connaissance du bien et du mal nous sommes capables. Nous réduisons le bien à une comptabilité toute personnelle, nous déformons le bien en en faisant mon bien, ton bien, son bien, Lorsque nous voulons connaître rationnellement le bien à faire, nous le réduisons à notre mesure.
C'est que le bien en lui-même, ce bien qui est Dieu comme nous l'avons vu, n'est pas un objet de connaissance démonstrative. Il n'est perceptible que par le coeur intelligent (III Rois, 3, 12). La morale ne se démontre pas, elle se vit. Son objet n'est pas seulement pour nous de "bien faire l'homme" (comme dit Aristote), mais de chercher Dieu, qui est notre destinée éternelle.
S'il est vrai, comme dit le théologien juif Leibovitz, que "Dieu est avant tout une valeur", alors en niant Dieu, je deviens cette valeur que je nie. Je prends mécaniquement la place de Dieu.
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