La messe dite de saint Pie V n’est pas "la messe en latin", mais, dans sa version la plus pure, qui est la messe basse, elle est la messe du silence. Parce que seul le silence nous offre une vraie communication avec Dieu… Les mots sur Dieu ne peuvent être utilisés explique saint Thomas dans son Traité des noms divins que si, distinguant le signifiant du signifié, ils assignent au signifié une dimension infinie, qui ne va pas sans changer le sens du mot utilisé. Le mode de signifier qui est l’infini, modifie le signifié fini, au point que l’on peut utiliser les mêmes mots sans qu’ils renvoient aux mêmes concepts, sauf à ce que ces concepts soient des universaux, l’être, le vrai, le bien, qui sont en eux-mêmes des concepts analogues, parce qu'universels. Mais d’autres mots comme la colère, le pardon, le bonheur, ne sont pas traduisibles dans l’ordre divin. C’est ce décalage entre deux mondes, le monde humain et le monde divin que signifient les langues sacrées : langues mortes, elles offrent des significations cachées, qu’il faut, chacun, chercher et adapter à leur objet divin, au plus intime de soi-même, à travers l’expérience que chacun en prend.
Double avantage : d’abord, la langue ne peut pas être adaptée tous les dix ans, à une manière humaine de voir l’objet divin, puisqu’elle ne fonctionne pratiquement plus et que les forts en thème qui savent la faire marcher, la plupart du temps sont incapables de restituer la poésie dont les ans l’ont chargée. Elle reste donc semblable à elle-même, sans évolution pour des générations de locuteurs, auxquels elle garantie, dans sa formalité toujours identique à elle-même, la liberté de croire à la vérité de la parole donnée Par Dieu (et non à la vérité des commentaires produits par les hommes et vieillis aussitôt que rédigés).
Défendant les formes de la foi, cette langue sacrée fait que croire ne devient jamais une faiblesse. Il y a bien sûr le psittacisme, qui est comme chacun sait la maladie du perroquet : il est inévitable en matière de patenôtres, quelle que soit la langue dans laquelle ils s'expriment. Mais les langues sacrées, parce qu’elles sont des langues, constituent – c’est le deuxième avantage - une invitation a un savoir qui est plus haut que soi, ce que l’on appelle une initiation, en l’occurrence l’initiation chrétienne. Autant les langues sacrées préservent l’intégrité de la foi à travers le formalisme qu’elles lui imposent, c’est ce que nous avons appelé le premier avantage, autant elles sont ouvertes à une réassomption personnelle, méditative des textes qu’elles transcrivent, alors que les traductions sont toujours insuffisantes dans leur fausse transparence.
Certes les langues modernes occidentales, par imprégnation, possèdent une partie du lexique des langues mortes qu’elles sont censées exprimer. Mais une partie seulement et cette partie est souvent l’objet de toutes sortes de déformation. L’exemple le plus simple, en matière de christianisme, est le mot amour. On traduit la divine agapé par amour. Mais l’amour signifie tellement de choses en français ! Et le terme agapé en grec est tellement restrictif. Ainsi, elle subsiste, la divine charité, bien distincte, à côté de l’éros et de la philia. Ce genre de mot clé ne peut pas sans dommage être remis aux aléas d’un changement de lexique. Le passage hasardeux à une autre langue est nécessaire pour le catéchisme, mais non pour cette « glorification droite » qu’est la liturgie, chants des anges repris, le plus clairement possible par les hommes. Le plus clairement possible mais sans qu’ils comprennent toujours tout ce qu’ils proclament. Par la prière liturgique latine grecque ou araméenne, Dieu nous prend au mot sans que nous sachions forcément ce que nous disons. Que dit-on lorsque l’on proclame de Dieu qu’Il est tout puissant ? C’est lui qui donne toute sa signification à l’ortho-doxie, à la droite glorification que l’homme lui offre. Comment ? Par l’expérience silencieuse qu’il réserve à ceux qu’il aime et qui le glorifient non pas en disant mots humains mais avec un coeur pur qui se saisit avec respect des mots de la liturgie comme langage de Dieu : langage qui a Dieu pour auteur non seulement dans l'histoire mais dans nos coeurs.
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