jeudi 30 octobre 2008

La Révolution de Benedetto

"Lire le Concile à la lumière de la tradition", la formule n'est pas neuve, elle avait d'ailleurs servi à Mgr Lefebvre lui-même, qui a signé la plupart des documents du Concile et qui admettait que l'on puisse et que l'on doive en "discuter" à la lumière de la Tradition, en cas de difficulté (alors que Mgr Fellay à Villepreux le 11 octobre dit curieusement que "Pour nous le Concile, c'était pas matière à discussion". S'il refuse de le discuter, il refuse donc de le lire à la lumière de la Tradition).
 
Mais ce n'est pas cette "discussion autour du Concile" qui est nouvelle chez Benoît XVI. Ce qui est nouveau, c'est que quelle que soit la pertinence des questions posées par Vatican II (qui, ayant refusé de condamner le communisme nous a placé dans un univers mondialisé, le monde idéal rêvé après la IIème Guerre Mondiale et qui naît après la chute du Mur de Berlin en 1989), on ne peut les comprendre, ces interrogations nouvelles apportées par le Concile, que par la méditation des grands auteurs de la Tradition catholique, et en particulier par la méditation de saint Bonaventure.
 
Concrètement cela donne quoi ? Voici un exemple de lecture bonaventurienne du Concile.
 
On doit comprendre la fameuse "autonomie des réalités créées" exaltée par les Pères conciliaire non pas en la référant à la théorie kantienne de l'autonomie du sujet, seule source de la loi, mais en relisant l'Itinerarium mentis ad Deum et en faisant de la consistance autonome du créé devant le Créateur une raison supplémentaire d'adorer sa Toute-puissance. L'autonomie du créé n'est que celle de l'image par rapport à ce dont elle est l'image. Et voilà Bonaventure interprète de Vatican II !
Mais cette référence papale à Bonaventure (référence cum grano sais comme je l'écris plus haut) signifie encore autre chose, parce que le sel du pape est corrosif. Elle induit une attitude totalement nouvelle face au Concile.
Benoît XVI n'a pas seulement en vue l'interprétations de quelques passages difficiles dans le Concile. Il explique, bénignement, qu'entre Bonaventure et Vatican II, entre un auteur traditionnel et un texte magistériel resté volontairement sans les formes de l'autorité et sans les anathema sit qui la formalisent, l'autorité discriminante ou référentielle se trouve habituellement dans le docteur traditionnel et pas dans le texte conciliaire.
 
Ceux qui seraient choqués ou inquiets devant ce "new deal" de la foi peuvent reprendre le texte du pape au Seraphicum (cf. post préc.) : on ne peut comprendre Vatican II et son actualité que par Bonaventure et sa Tradition. On ne peut donner autorité au Concile que dans l'autorité des docteurs de la foi, qui ne le connaissaient pas, mais qui permettent de comprendre les questions qu'ont posé de manière pertinente les Père conciliaires.
 
Parmi ces docteurs de la foi, il y en a un qui a connu le Concile et c'est le pape Jean Paul II, autour duquel tourne le colloque organisé au Seraphicum. Certes les encycliques de la première décade de son pontificat révèlent "une écriture très personnelle", note Joseph Ratzinger dans un texte d'hommage pour les 20 ans de pontificat de JPII. Mais les encycliques de la deuxième décade (il cite particulièrement Veritatis splendor 1993), c'est autre chose : "Ils se déploient en profondeur, confrontant les questions du temps présent à la plénitude de la Tradition, enseignant ainsi à conjuguer continuité et développement"
 
Telle est la Révolution de Benedetto ! Un changement du centre de gravité. Le centre, c'est la Tradition, le concile, c'est la périphérie.
 
Périphérique, le concile n'est pas cité dans la dernière encyclique papale, Spe salvi, centrée sur le coeur traditionnel de l'Eglise, la Parole de Dieu en général et les épîtres de saint Paul en particulier.

mercredi 29 octobre 2008

Benoît XVI et Vatican II : nouvelle déclaration

Le pape vient d’envoyer au Père Marco Tasca, Ministre général de l’Ordre des Frères Mineurs un message à l’occasion de l'ouverture à Rome du congrès international sur "le Concile Vatican II dans le pontificat de Jean-Paul II". Rappelant d'abord le 50 anniversaire de l'élection de Jean XXIII, qui convoqua ce concile (1962-1965), Benoît XVI écrit que les documents de Vatican II n'ont rien perdu de leur actualité. « Au contraire, leur enseignement apparaît tout particulièrement pertinent face aux nouveaux problèmes de l'Eglise et de la société globalisée ». Citant Jean-Paul II, il souligne combien son prédécesseur a intégré dans son magistère et dans sa manière d'être pape les lignes-guides du concile, au point d'en devenir un interprète qualifié. « Nous sommes tous débiteurs de ce grand évènement ecclésial. La richesse de son héritage doctrinal, contenu dans les constitutions dogmatiques, décrets et déclarations, continue de nous encourager à approfondir la Parole et à l'appliquer à l'Eglise tout en tenant compte des besoins de l'homme contemporain, avide de connaître et de voir la lumière de l'espérance chrétienne ». Enfin le Saint-Père, s’exprimant dans le cadre du Seraphicum, la faculté franciscaine de Rome, a encouragé les participants au congrès à se pencher sur la riche pensée de saint Bonaventure (1221-1274), une oeuvre « qui donne des clefs de lecture toujours valables pour aborder les textes de Vatican II, pour y trouver des réponses satisfaisantes aux interrogations de notre temps ».
A travers l’éloge attendu de Vatican II par Benoît XVI, on retrouve l’idée que le Concile doit être interprété à la lumière de la Tradition et non la Tradition à la lumière du Concile. Saint Bonaventure pour comprendre Vatican II, avouons qu’il fallait y penser ! On n’imagine pas le pape s’exprimer ainsi sans un léger sourire… Cum grano salis comme on dit dans la langue de l’Eglise.

samedi 25 octobre 2008

Chesterton et ses paradoxes

Je voudrais recommander vivement le dernier livre de Philippe Maxence. Le dynamique rédacteur en chef de L'Homme nouveau vient de commettre aux éditions Via romana un excellent dictionnaire raisonné de l'oeuvre du romancier essayiste et polémiste anglais GK Chesterton. Une excellente idée de cadeau de Noël (mais oui, il faut commencer à se prendre la tête pour y penser). Ce livre, L'univers de Chesterton, est fait pour tous ceux qui n'ont pas le temps de suivre dans les méandres de sa pensée capricieuse et exigeante (pléonasme dirait-il sans doute) le fantasque créateur de ce héros de polar qui est un petit prêtre à la vue basse Father Brown. GK disent ses amis affectueusement. On peut aimer ce rythme d'écriture que rien jamais ne presse. On peut aimer cette lenteur savoureuse, qui permet de jouir de toutes les surprises que nous apporte l'existence, qui permet surtout de découvrir les surprises là où elles sont vraiment, qui permet de suivre l'auteur dans ses enthousiasmes autant que dans sa dénonciation catégorique de toutes les fausses surprises et de toutes les daubes de l'existence. Il faut du temps pour aller avec lui, de façon quasi platonicienne, du réel au réellement réel. Il faut du temps pour traverser les apparences sans jamais s'emporter jusqu'à les nier. Il faut une véritable ascèse pour leur faire dire non pas ce que l'on veut qu'elles disent, mais simplement ce qu'elles disent. Chesterton est là dessus de la famille de saint François d'Assise, plus encore, quoi qu'il en dise lui même que de la famille des thomistes. Son thomisme (très gilsonien, très franciscain et assez peu dominicain) n'est pas une science mais une attitude. Vous voulez des preuves dans l'oeuvre de GK ? Consultons ce livre si bien fait (et si agréablement édité)ouvrons L'univers de GK Chesterton. Article thomisme (mais oui, il existe) : "Le thomiste avec tous ses frères humains, constate sous la chaude lumière du soleil que l'oeuf n'est pas une poule, ni un rêve, ni une idée pure mais une chose attestée par l'autorité des sens qui vient de Dieu". Voyez comme ce Thomas d'Aquin-là, ce Thomas qui chante la gloire des choses, a des traits commun avec saint François d'Assises. Je ne suis pas sûr que ce soit le vrai Thomas. Le vrai Thomas préfère dire quant à lui (et il a pour lui toutes les raisons de le dire) que la vérité n'est pas dans la chose mais "plus principalement" dans l'esprit qui la pense. Le grand admirateur des choses, c'est l'auteur du cantique des créatures, saint François d'Assises.
Il y a deux grandes voies en christianisme, deux voies qui mènent à Dieu, celle de l'intériorité, reconnue par saint Augustin et empruntée si souvent au Grand siècle (le XVIIème). Et celle des choses, de l'admiration qu'elles causent en nous, de l'émotion que leur beauté produit sur nous. Je crois que saint François d'Assises est, plus encore que saint Thomas si augustinien par tant de côtés, en est le libre explorateur. Chesterton s'est précipité à sa suite, avec un enthousiasme à nul autre pareil. Son paradoxe est là tout entier : il est contre les "doxae", il se méfie de toutes les opinions qui ne sont que des nuées purement intérieures et que le moindre souffle venu du dehors peut emporter. C'est ainsi que l'on doit comprendre cette fameuse phrase (que vous trouvez dans ce livre) sur le fou ("celui qui a tout perdu sauf la raison").Pour Chesterton, le Moi n'est pas cet insulaire, perdu corps et bien dès qu'il a quitté son île pour entrer dans le monde. On pourrait dire que c'est s'il accepte de se perdre dans le monde, dans le spectacle du monde, dans la contemplation (même naïve) des choses du monde que le Moi se sauve. In intimum redi, réclamait saint Augustin. Pascal renchérissait en nous disant que le malheur de l'homme tient au fait qu'il est incapable de rester une heure seul dans sa chambre. Chesterton nous demande de sortir de notre chambre, de regarder le monde (et de le chanter) sans craindre la distraction. Les réalités auxquelles nous nous heurtons, ces réalités que nous ne parvenons pas à ployer à notre merci et qui nous font face sont autant d'images de la réalité de Dieu.
C'est quand on a compris l'inanité de tout retrait, c'est lorqu'on a perçu (selon la formule de Pierre Hadot) que la juste intériorité se conçoit sans retrait, c'est alors que l'on est prêt pour ce que François d'Assises appelait la joie parfaite. Très certainement la grande leçon de Chesterton, sa leçon de vie, c'est cette joie simple. Ouvrons encore le livre merveilleux de Philippe Maxence. Article joie (il existe, comme l'article François d'Assises dans lequel - il n'y a pas de hasard - on retrouve un texte similaire). Qu'est-ce qu'on lit sur la joie dans Chesterton ou plutôt dans Philippe maxence festonnant Chesterton par ordre alphabétique de notion ? "La joie, qui fut la petite agitation extérieure du païen, est devenu le secret gigantesque du chrétien". Et GK de nous expliquer qu'à fréquenter le Christ dans les Evangiles, "on a parfois l'impression qu'il nous cache quelque chose" : "Il y avait une chose qui était trop grande pour que Dieu la montrât quand il marchait sur la terre et j'ai parfois imaginé que c'était sa joie".
A lire ce long concentré de Chesterton le franciscain, c'est une véritable jubilation qui s'empare de nos esprits. Procurez-vous d'urgence "L'univers de GK Chesterton" par Philippe Maxence, aux éditions Via romana;

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à visiter: le blog des amis de Chesterton

mercredi 22 octobre 2008

Łomża - 19 octobre 2008 - première messe de l'abbé Sniadoch

Le site Nowy Ruch Liturgiczny relate (en polonais) la première messe de l'abbé Sniadoch. Version française pour nos lecteurs:

La première Sainte Messe solennelle de l'abbé Grzegorz Śniadoch - Nous publions avec joie des photos de la première messe de l'abbé Grzegorz Śniadoch de l'IBP. Ce nouveau prêtre a célébré la sainte messe le dimanche 19 octobre à Łomża dans l'église du Saint Sacrement. Il était assisté du Père Nicodème, carme déchaux, de l'abbé Andrzej Komorowski, prêtre de la FSSP, et de Sergiusz Orzeszko, sous-diacre de l'IBP.

lundi 13 octobre 2008

Faut-il brûler Platon ?


Vous reprochez sans doute au fondateur de l'Académie sa théorie des idées, qui paraît bien artificielle et son "communisme spiritualiste", allant jusqu'à la communauté des femmes et des enfants (et enseignant aussi l'égalité des hommes et des femmes, en particulier dans le service militaire, au motif, tout biologique que "ce que fait un cheval, une jument ne le fait-elle pas aussi ?") Les grands génies ont parfois des phases déconnectées, c'est évident ! Mais Platon ne saurait se réduire ni à une présentation caricaturale de sa théorie des idées ni à une interprétation politique erronée de sa rêverie d'avenir.
Je réponds ici avec beaucoup de retard - emploi du temps qui explose - aux différents commentaires portant sur l'image du mythe de la Caverne que j'ai utilisé pour caractériser la visite de Benoît XVI en France. je titrai : une visite en crescendo. Et j'expliquai que la visite de Benoît XVI était analogue à la dialectique platonicienne, partant des réalités terrestres (la culture), insistant sur les moyens de s'élever vers Dieu (la croix et l'eucharistie sacrificielle, non pas les idoles du monde contemporain) et culminant à Lourdes sur la contemplation du sourire de Marie qui nous mène au Ciel. Enfin la Conférence aux évêques français, véritable monition en huit points qui passait en direct à la TV, représentait le retour dans la Caverne. Après ce que l'on avait contemplé, que pouvait-on faire ? Que pouvaient faire les évêques ? Que pouvaient faire, aux côtés des évêques, les fidèles, impliqués dans cette monition par le direct TV (procédé en soi assez "révolutionnaire" on en conviendra). J'ai appelé ce "retour dans la caverne" de l'Eglise de France le sommet de la visite pontificale.

Certains "anonymes" (prenez donc des pseudos, ne serait-ce que pour vous distinguer les uns des autrers) m'en ont voulu de mobiliser Platon pour expliquer Benoît XVI.

Ne soyons donc pas trop étroitement thomiste. Joseph de maistre parlait de Platon en vantant "cette préface humaine à l'Evangile". Il ne faisait d'ailleurs que paraphraser l'avis lapidaire de Pascal dans les Pensées : Platon pour disposer au christianisme.

Sa théorie des idées a marginalisé le matérialisme philosophique pour vingt deux siècles. Il faut attendre le XVIIIème siècle français pour que (à quelques exceptions près, dont celle remarquable, de Lucrèce et de son De natura rerum) les matérialistes se signalent à nouveau à l'attention des élites cultivées. Pic de La Mirandole et quelques autres à la Renaissance ont particulièrement souligné ce consensus spiritualiste, créé par le divin Platon, face à la subversion sophistique. Cette théorie des idées a eu deux grands contginuateur : Aristote qui théorise l'ousia, c'est-à-dire "l'étance" des choses et Kant, qui refusant toute substantialisation cosmologique, place désormais les idées dans le plan moral, à l'horizon de l'action du sujet autonome. Ces idées morales (parmi lesquelles l'idée de liberté) ne se réalisent jamais en ce bas-monde, mais il faut faire comme si elles se réalisaient pour qu'elles commencent à transformer notre univers moral.

Ces deux récupérations, l'aristotélicienne (voir Métaphysique Z, 17) et la kantienne, montrent bien que Platon n'avait pas tort de penser les figures de l'esprit dans la matière. Restait à moduler l'articulation de l'idée avec le réel : y sommes-nous vraiment parvenus ?

On reproche aussi à Platon son communisme spirituel. Il me semble que si l'on remet la République de Platon dans son contexte historique, c'était surtout un plaidoyer très réactionnaire en faveur de Sparte, la rivale victorieuse de la démocratie athénienne, qui, en 404, venait de détruire les fortifications de la Cité de pallas, mettant fin à 30 ans de guerre à son avantage. A Sparte, le communisme des enfants (les garçons sont enlevés à leur mère à l'âge de 7 ans et ils sont élevés en commun dans le but de contyribuer à affermir la suprématie militaire terrestre de Sparte) est une réalité. Ajoutons à cela un peu d'esprit de système (fréquent chez les philosophes) et on a l'explication de l'utopie platonicienne, dans laquelle on discerne avant tout (aux livres VIII et IX de la République) la vigoureuse critique de la démocratie, qui impressionnera tellement un Maurras plus tard.

Faut-il brûler Platon ? Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, fait la distinction entre trois types de religion : la religion mythologique (qui s'impose comme une tradition humaine), la religion civile (le culte de la déesse Rome et de l'empereur divinisé, tout ce que les premiers chrétiens ont refusé jusque dans l'arène) et enfin la religion philosophique. Lorsqu'il parle, après varron, de religion philosophique, Augustin pense à Platon. Et il souligne que Platon avait la même recherche de la vérité que les saints du christianisme, même s'il la possédait moins pleinement qu'eux, cherchant à l'atteindre d'une manière purement humaine, par les seules forces de la raison.

Oui, décidément Pascal a raison : Platon pour disposer au christianisme. Mais Augustin, qui a beaucoup appris, il ne le cache pas, en fréquentant "les livres des platoniciens", met néanmoins en garde les philosophes : ils sont les amants du Logos -et c'est beau- mais -manque d'humilité dit Augustin- ils n'acceptent pas que l'on dise : le Verbe s'est fait chair.

vendredi 10 octobre 2008

Jacques Julliard fait son coming-out : Le christianisme comme alternative anti-libérale [par Joël Prieur]


[par Joël Prieur] Ne croyez pas ceux qui vous disent qu’il s’agit d’un essai de critique littéraire. A la lueur blafarde du crack économique mondial, le dernier livre de Jacques Julliard pourrait bien indiquer les sources authentiques d’un renouveau politique.
On connaît Jacques Julliard, éditorialiste au Nouvel Observateur, à travers le débat régulier qui, sur France Info, l’oppose, lui, journaliste de gauche, à une personnalité « de droite ». En face de lui, il y eut Claude Imbert, pour Le Point. C’est aujourd’hui Luc Ferry, philosophe, ancien ministre, proche de l’UMP, qui lui donne la réplique. Pourquoi le nier ? Le grand journaliste « de gauche » m’a toujours paru beaucoup plus à droite que ses contradicteurs sensés être de droite. Ironie involontaire de la correctness dans laquelle nous baignons : Jacques Julliard, que je sois ou non d’accord avec lui, m’est toujours apparu en tout cas, lui homme de gauche proclamé, comme le plus libre dans le débat face aux poncifs de gauche qui gouvernent notre culture. La publication de L’argent, Dieu et le diable, un essai sur ces trois grands auteurs catholiques du XXème siècle que sont Charles Péguy, Georges Bernanos et Paul Claudel, fait partie des surprises de la rentrée littéraire. On savait Julliard attaché à Pascal et en recherche d’ « un pascalisme de gauche » (sic). Les nouveaux compagnons de route en compagnie desquels il se montre sont beaucoup plus compromettants que ne peut l’être cette grande figure du XVIIème siècle. Ainsi, par exemple, il ne faut pas moins d’un chapitre à Julliard pour disculper Bernanos de tout antisémitisme ! L’auteur de la Grande peur des Bien-pensants (un livre écrit à la gloire d’Edouard Drumont) ne passe pas sans mal le contrôle anti-peste brune.
Pourquoi ce choix convergent de trois catholiques ? Julliard n’hésite pas à déclarer : « ils m’ont appris à me libérer de mon temps ». S’ils sont libres de leur temps, c’est d’abord parce qu’ils « sont en permanence hors d’eux, soit sous l’effet de l’indignation soit sous celui de la contemplation » Ils connaissent à cause de leur foi, ce qu’André Breton nommait « un certain état de fureur permanente ». Le christianisme, il est vrai, en particulier dans sa forme catholique, a toujours partie liée avec l’émotion. Dans leur réflexion sur le monde moderne, sur la technique et sur l’argent, ces trois-là sont immunisés contre ces religions séculières qu’ont été les idéologies du XXème siècle, fascisme ou communisme. Pour eux, s’ils sont chrétiens, l’enfermement idéologique est impossible. Ils représentent donc, non pas malgré leur catholicisme mais à cause de lui, un horizon où la liberté intellectuelle semble toute naturelle.
Evidemment la question se pose à propos de Jacques Julliard lui-même : est-il chrétien ? ne l’est-il pas ? Pour cette question indiscrète mais fatale, Julliard tient prête une réponse en forme d’alibi : « Je suis psychologiquement athée, culturellement anticlérical et spirituellement chrétien ». Mais il faut aller plus loin. Il semble que c’est à la découverte tardive de Paul Claudel, le plus officiellement conservateur des trois auteurs cités, qu’il doit ce qu’il faut sans doute appeler une conversion. En juillet 1987, à Avignon, était donnée l’intégrale du Soulier de satin, « la plus grande émotion de ma vie », n’hésite pas à écrire Jacques Julliard. Et c’est en référence à la célèbre conversion de Claudel dans la cathédrale de Paris qu’il écrit : « Mon pilier de Notre-Dame, ce fut la cour du Palais des papes, non pas au solstice d’hiver mais au solstice d’été ». Etonnante confidence !
Qui est Jacques Julliard finalement ? Un « socialiste moral », qui comme Charles Péguy naguère, veut libérer certains domaines de l’existence humaine du poids de l’argent et qui souhaite aujourd’hui en finir avec l’aliénation morale qu’entraîne la souveraineté universelle du Billet vert ? C’est ainsi, en tout cas, qu’il se présente, et il ajoute à destination de ces éléphants dont il nous a abondamment parlé dans un livre précédent : « le socialisme sera moral ou il ne sera pas ». Autant dire qu’au XXIème siècle, les chances de survie du pachyderme sont minces et que Julliard le sait ! Au moins continue-t-il à refuser le libéralisme. Jusqu’à la toute récente implosion économique, cela a représenté une forme de courage qui n’est d’ailleurs pas étrangère – loin s’en faut - aux lecteurs de Minute et du Choc du mois.
Aujourd’hui, la grande vague libérale qui depuis vingt ans déferle sur la Planète, semble s’épuiser, malgré les centaines de milliards que l’on inocule dans le Système pour le pérenniser. Il me semble que c’est une véritable alternative antilibérale que propose Jacques Julliard, à travers ses trois auteurs cathos fétiches, Péguy, Bernanos et Claudel. Quelque chose comme une nouvelle écologie, la seule vraiment cohérente : une écologie spirituelle. A travers ce prisme néo-chrétien, l’idée de postmodernité prend un sens véritable, non pas celui d’une nième déconstruction, mais plutôt celui d’un équilibre à découvrir, loin des tsunamis de la mondialisation.

Joël Prieur

Jacques Julliard, L’argent, Dieu et le diable, Péguy, Bernanos, Claudel face au monde moderne, éd. Flammarion, 232 pp. 19 euros

mercredi 1 octobre 2008

Merci Antoine

de votre double remarque sur saint Paul, tellement importante que je fais de votre commentaire (voir message précédent) l'occasion d'un post.
A vous lire, écrivez vous, on a l'impression que c'est la foi qui sauve...
- Mais c'est bien l'Evangile cela : "Va, ta foi t'a sauvé".
Vous me direz : mais n'est-ce pas Luther surtout ? Ne sommes nous pas en train de devenir Luthérien cnq cents ans après ?

La théologie est un domaine compliqué, que Luther a voulu ouvrir à tout venant, dans sa perspective charismatique, l'Esprit saint selon lui parlant en n'importe quel chrétien, formé ou pas. En réalité la véritable théologie demande un long apprentissage, et cela d'abord parce que la logique qui gouverne la théologie n'est pas la logique ordinaire, celle de notre pauvre raison, qui fonctionne en base 2. Blaise Pascal avait bien vu cette logique différente lorsqu'il soulignait : "L'hérésie n'est pas le contraire de la vérité, mais l'oubli de la vérité contraire". Exemple : le Christ est homme, c'est vrai puisqu'il est vrai Dieu et vrai homme. Le Christ n'est qu'un homme, c'est l'hérésie arienne, qui a mis l'Eglise à feu et à sang entre le IVème et le VIIème siècle (excusez du peu). Les ariens n'ont rien dit de positivement faux en disant que le Christ est un homme. Ils sont tombé dans l'hérésie en refusant de voir Dieu en lui.

La remarque de Pascal se vérifie dans le cas qui nous occupe : la foi sauve : c'est vrai. il n'y a que la foi qui sauve et les oeuvres ne servent à rien, c'est faux. Nous n'avons pas à abandonner cette vérité à la dialectique luthérienne du sola fides, alors qu'elle est constitutive de l'Evangile et essentielle dans l'enseignement de saint Paul.

La solution proposée par Cajétan aux débordements théologiques de Luther est la suivante : la foi sauve, mais la foi qui sauve est une foi active (j'ai écrit dans le post précédent : une foi qui nous transforme et nous fait devenir ce qu'elle nous fait connaître). Ne sous estimons pas la foi : si elle est pure, elle renverse les montagnes du doute et de l'inaction. Elle nous installe, elle et d'une certaine façon elle seule, dans l'amour qui est le plérôme de tous les commandements (Rom.13, 10). Telle est la loi du Christ qui se substitue à toutes les observances civiles ou religieuses. La foi, en un mot, est le moteur qui manque à nos calculs horizontaux !

Inutile de préciser alors que cette foi qui nous installe dans le plérôme de l'amour n'a rien à voir avec la "vraie foi" crispée et revencharde dont certains intégristes croient pouvoir vivre, se sentant, à cause d'elle, dispensés de toute autre forme d'excellence. La foi véritable ne nous dispense pas de l'excellence, elle est le moteur qui nous permet de l'atteindre. Le moteur qui nous fait accomplir ce que saint Paul lui-même dans les Pastorales appelle "les belles oeuvres".