dimanche 25 mai 2014

Wojciech Jaruzelski R.I.P. [par RF]

[par RF] Le général Jaruzelski est mort aujourd’hui, il avait 90 ans et je le tiens pour l’un des grands héros européens du XXe siècle.

Né dans une famille de la petite noblesse rurale, le jeune Wojciech et sa famille fuient en 1939 devant l’agresseur allemand, pour se retrouver dans la zone soviétique. Le père est déporté au goulag, il mourra de maladie. Wojciech travaille comme bûcheron, puis dans une mine de sel, où il s'abîme les yeux – jusqu'au moment où il s’engage dans l’armée polonaise qui opère sous patronage soviétique.

Il participe à la lutte contre l’Allemagne, c’est le début d’une brillante carrière militaire qui fait de lui en 1956 le plus jeune général polonais. C’est lui qui chapeaute dans l’armée les «événements de mars» – à savoir la purge d'une première génération des dirigeants de la Pologne communiste, en s’appuyant sur leur origine juive réelle ou supposée.

En 1981, Jaruzelski est Ministre de la Défense depuis 1968. Il est convoqué par Moscou: la situation polonaise inquiète le parrain soviétique. Le syndicat ‘Solidarité’ tient le haut du pavé, le pays est bloqué, et la situation risque de devenir incontrôlable. Les Soviétiques ont 100.000 parachutistes à la frontière, prêts à intervenir.

On connaît le mythe d’Antigone, et la lecture qu’en a fait Anouilh qui l’oppose à son oncle Créon. Antigone se bat pour une noble cause mais Créon n’en est pas moins valable, qui assure le maintien de l’ordre, pour éviter le chaos.

Dans l’histoire récente de la Pologne, Wojciech Jaruzelski tient le rôle de Créon. Le 13 décembre 1981 il proclame l’Etat de Guerre. Les leaders de Solidarité sont arrêtés. Le chef de l’Etat communiste, Stanisław Kania, apprend sa déposition au milieu de la nuit par la police militaire venue le placer «en sécurité» à l’isolement.

Lorsqu’il avait visité la France quelques temps auparavant, Lech Walesa avait été mis en garde par l’émigration polonaise de Maison-Lafitte, qui lui avaient recommandé de se méfier des Occidentaux, lui disant en substance: «Ils aiment les Polonais… mais ils nous aiment sanglants». Le message est passé, Solidarité et l’Eglise éviteront de rajouter de l’huile sur le feu. Quelques grands esprits, comme le chancelier Schmidt ou le nationaliste Maciej Giertych, approuvent la décision du général.

Ceux qui connaissent le coin savent que les Polonais ne sont pas les Tchèques, et résistent à l’envahisseur, parfois au-delà de toute rationalité. Une intervention eut été un massacre sans commune mesure avec ‘Prague 1968’. L’Europe eut connu une nouvelle glaciation de ses rapports est/ouest, pour une génération au moins.

Au lieu de quoi, il n’y a pas de bain de sang, l’invasion n’a pas lieu, Jaruzelski tient le pays d’une main ferme, remet la machine économique en marche, puis rend progressivement les libertés qu’il avait suspendues. En 1989, après divers tables rondes, il confie le pouvoir à Tadeusz Mazowiecki, qui devient le premier chef de gouvernement non-communiste du bloc est – avant la chute du mur de Berlin.

Le Général Jaruzelski se retire de la vue publique en 1990, rédige ses mémoires, donne quelques entretiens, et vieillit. Jusqu’à sa mort, il doit affronter la hargne du très orwelien «Institut de la Mémoire Nationale»: une commission para-gouvernementale qui poursuit qui elle veut, comme elle veut, si elle veut – et qui l’accuse de «crimes communistes». Bref, au lieu de reconnaître la grandeur de son adversaire, la nouvelle démocratie polonaise s’abaisse à des chicaneries oiseuses.

Il est mort aujourd’hui et je vais faire dire une messe pour lui.

Mise à jour 2016: Peu de temps avant sa mort, le Général s'est confessé, a communié, et reçu l'extrême onction. Voila qui boucle la boucle. 

[Conf'] Paul VI béatifié, la politique du pape François

Les cérémonies de canonisation de Jean-Paul II et de Jean XXIII à peine achevées, on nous annonce au Vatican une béatification papale pour le mois d’octobre prochain. Too much ? Paul VI mérite-t-il la gloire des autels lui qui fut tellement lié à la crise post-conciliaire ? S’agit-il de sanctifier Vatican II et en quel sens ? Une occasion de revenir sur notre histoire récente.

Conférence de l'Abbé G. de Tanoüarn
mardi 27 mai 2014 - 20h15
Centre Saint Paul / 12 rue St Joseph / 75002 Paris

vendredi 23 mai 2014

Positiver ? Moi jamais.

La Pentecôte approche et avec elle le traditionnel pèlerinage de Chartres. Pour les amis du Centre Saint-Paul, en quête d'un chapitre dynamique, je signale que vous pouvez vous inscrire à Saint-Paul de bonne nouvelle. Bonne nouvelle ? C'est le nom de la paroisse sur laquelle nous sommes installés depuis 9 ans. Mais c'est aussi tout un programme - celui du Saint Esprit.

Discutant tout à l'heure autour d'une Goudale avec un ami philosophe, je me suis entendu expliquer une des grandes questions que se pose Wittgenstein et qu'au fond nous devrions tous nous poser : pourquoi deux personnes vivant la même chose, l'une vit sa vie comme une bonne nouvelle, l'autre comme une purge... La différence ? Le Saint Esprit tout simplement, parce qu'il est seul capable de nous faire prendre toute circonstance de notre vie comme un évangile, comme une bonne nouvelle. Positiver , En faisant affleurer la vie éternelle dans le temps court de notre vie, l'Esprit saint seul nous fait vraiment, nous fait... ontologiquement positiver.

mercredi 21 mai 2014

La Justice, ce n’est pas que Taubira [par Hector]

Ce blog est celui de l'abbé de Tanoüarn. Il accueille de manière exceptionnelle des posts signés Joël Prieur, ou écrits par Marie-Pierre, par le 'webmestre' (=RF) ou par d'autres encore. Pour éviter certains malentendus passés, les auteurs de ces posts sont désormais signalés par un 'tag' de type «[par RF]»

Les lecteurs du MetaBlog ont sans doute connaissance de la décision brutale et unilatérale du Conseil Général de Guyane, de ne plus rémunérer les prêtres – ce qu’il faisait jusqu’à maintenant. L’évêque fait appel, et l’affaire passera en justice. 
On a rappelé à ce sujet, dans nos milieux, que la Ministre de la Justice est justement la Guyanaise Christine Taubira – qui a conservé de sérieux liens dans sa terre d’origine, et qu’on ne peut guère soupçonner de sympathie pour l’Eglise catholique. 
Le sujet étant quelque peu technique, le MetaBlog a interrogé Hector qui nous apporte ses lumières :

[par Hector] De récents commentaires sur la décision du conseil général de Guyane de ne plus rémunérer les prêtres du diocèse de Cayenne ont suscité de légitimes réprobations. D’un point de vue juridique, il s’agit de dépenses obligatoires à la charge du département, lequel succède à la colonie. En effet, l’ordonnance du 27 août 1828 institue un régime spécifique qui n’a jamais été remis en cause, pas même par la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État.

Autrement dit, la République a toléré dans ce qui était alors une colonie un financement public du culte. Cette situation a été confirmée par le Conseil d’Etat. L’ordonnance de 1828 s’applique donc toujours, elle fait partie du bloc de légalité, qui s’impose à l’administration, décentralisée ou non. Le conseil général de Guyane est donc soumis à cette législation.

La question est celle du recours. On sait qu’un tel contentieux relève du juge administratif. Mais voilà : on nous assène que «la justice c’est Taubira». En premier lieu, on rappellera que le juge normalement compétent n’est pas le Conseil d’Etat – il n’est compétent en premier et dernier ressort pour certains actes ; dans la plupart de cas, il demeure un juge de cassation -, mais bien le tribunal administratif de Cayenne, compétent pour les actes des collectivités locales de son ressort. C’est logiquement devant lui que devrait être déférée la décision litigieuse. Ensuite, on rappellera que le système juridictionnel compétent est la juridiction administrative, donc pas la juridiction judiciaire. Or, il n’existe donc pas liens comparables à ceux de la juridiction judiciaire avec le garde des Sceaux (parquets, etc.). Comme ces contentieux impliquent l’administration, celle-ci est appelée à présenter ses observations. C’est classique dans les recours portés devant le Conseil d’État à l’encontre, par exemple, de décrets ministériels. C’est donc un tout autre univers qui existe; les juges administratifs sont des hauts-fonctionnaires, recrutés et formés comme ces derniers. La logique en vertu de laquelle ils agissent est différente de celle des juges judiciaires.

Enfin, on rappellera aussi que le juge administratif a désavoué à plus d’une reprise les pouvoirs publics. Ce fut le cas sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande. Ce fut même le cas sous le Général de Gaulle qui essuya un cuisant revers lorsque fut annulée la création d’une juridiction d’exception qui avait condamné à mort un activiste de l’Algérie française… Le Général osa même se plaindre et affirma – à tort ou à raison, je n’entre pas dans le débat – que le Conseil d’État était sorti du strict cadre du contentieux administratif. On se souvient que l’Etat gaullien avait la réputation de tout verrouiller et de contrôler les choses un peu plus sérieusement que François Hollande.

Enfin, on rappellera que la justice – je parle notamment des juges judiciaires – pour «persécuter» n’a pas besoin de prendre ses «ordres»: il lui suffit tout simplement d’être sensible à l’air du temps, de ménager les susceptibilités et les rapports de force. Le juge fait un peu comme chacun de nous : il a beau avoir la main lourde, il compose quand même devant l’élémentaire principe de réalité... Pas davantage. Rien ne lui interdit de désavouer le président du conseil général de Guyane. Et s’il confirmait la décision ? Il lui suffira alors de botter en touche, de trouver une astuce juridique: tout simplement, d’interpréter le droit. Pour cela, il n’y a pas besoin de Madame Taubira, ni d’instructions occultes, mais tout simplement du bon (ou mauvais) sens juridique. Tout simplement.

dimanche 18 mai 2014

Vatican II et mes lunettes

L'occasion de ce post est une invitation vigoureuse de Benoîte que je remercie. Elle en a assez de m'entendre parler de la politique des papes pour mieux me permettre de ne pas aller au fond de la question. Du fond ! On va essayer...

Voici d'abord la perspective de Benoîte que je ne suis pas loin de partager :
"Peut-être est-il temps de comprendre réellement ce « fichu Concile » qui divise l’Eglise. Au lieu d’y chercher le « serpent dans le pré », cherchons-y « le trésor » et « achetons le champs ». Il doit s’y trouver, à nous de changer de lunettes ! C’est brièvement dit mais je pense que l’Eglise nous y oblige et qu’il serait temps de s’y mettre en effaçant bien entendu, en premier lieu toutes les dérives liturgiques et spéculatives".
Le trésor ou le serpent ? Le trésor bien sûr, tout parieur sait cela. Quitte à changer de lunettes, mais c'est possible, il y a des opérations verres & monture très bon marché. Je crois que la grande question que pose Vatican II (et que vient de reprendre l'abbé Barthe dans son petit bouquin sur l'oecuménisme, Penser l'oecuménisme autrement, chez Via romana) est la question catholique par antonomase : la question de l'universel.

Oh ! Il n'avait pas été présenté comme cela ce concile, il a fallu que ses lecteurs (pourtant point très nombreux) changent de lunettes plusieurs fois pour parvenir à ce diagnostic. On nous avait dit qu'il s'agissait avant tout de rejoindre le monde, de redevenir missionnaire (alors que le décret Ad gentes fut vraiment difficile à accoucher), de retrouver le courant de l'histoire que l'Eglise avait perdu à cause de ses raideurs passées (Je me souviens, oh ! c'était il y a très longtemps à Passy-Buzenval du ton de cet aumônier nous disant : "L'Eglise d'avant le Concile a perdu la classe ouvrière, c'est incontestable". Je ne sais pas ce qu'il dirait aujourd'hui, où il n'y a plus d'ouvriers en France et plus personne dans les Eglises sauf à Paris et à Toulon). Autre lecture ? Pour René Rémond, le Concile s'était acharné à désarmer l'anticléricalisme, dont il est bien évident que s'il sévissait, c'était faute à l'Eglise. Il a reconnu finalement dans son dernier livre que l'anticléricalisme sévissant tout autant contre l'Eglise conciliaire d'aujourd'hui, il devait y avoir autre chose. Bref on nous a présenté toutes sortes de lectures et toutes sortes de paires de lunettes. On a beaucoup essayé les verres progressifs. Il faudrait peut-être réfléchir à d'autres types de correction oculaire. La myopie tout bêtement ?

Je crois que Benoîte a raison, elle est d'ailleurs de l'avis de Benoît XVI, ce disant : partisans et adversaires du Concile sont passés - en général - à côté de ce que Dieu avait à nous dire dans ce texte. Soit parce qu'ils cherchaient le serpent dans le pré, soit parce qu'ils se trompaient sur la nature du trésor.

Si l'on fait la liste des impératifs pratiques du Concile - liste non exhaustive mais comprenant de façon certaine : l'adaptation, l'oecuménisme, le dialogue, l'inculturation... Alors il me semble que la grande question posée en filigrane est celle du mode de l'universalité chrétienne. L'opposition de l'ONU n'est pas un hasard : qu'est-ce que l'ONU ne peut pas supporter dans l'Eglise romaine ? Son caractère universel. On est en pleine concurrence des institutions et des idéologies. D'un côté la culture de mort, de l'autre l'Evangile de la vie, si l'on reprend les formules merveilleuses de Jean-Paul II. Deux projets universels qui s'excluent l'un l'autre.

mercredi 14 mai 2014

Paul VI béatifié : quelle politique pour le pape François ?

On apprend par l'Agence I-médias, toujours à la pointe de l'actu quoi qu'il en coûte, que le pape Paul VI pourrait être béatifié en octobre prochain. Antoine-Marie Izoard, qui n'est pas le pape mais une bonne caisse de résonance de ce qui se passe à Rome, donne deux raisons à cette canonisation : la poursuite du concile Vatican II et l'encyclique Humanae vitae, héroïquement publiée malgré l'opposition d'une majorité de ses conseillers. La date ? On profitera de la fin du synode sur la famille pour faire cette béatification - en octobre prochain.

Là encore le geste du pape François est éminemment politique, et ce terme ne signifie pas pour moi qu'il est mauvais, au contraire. Mais on sent que tout est calculé, les raisons données, la date avancée. Il s'agit, comme je l'ai écrit sur ce blog de protéger l'institution dans celui qui en est sans doute un maillon faible.

Malgré son lyrisme rhétorique, malgré son volontarisme politique le pape Paul VI a rencontré de grandes difficultés dans le gouvernement de l'Eglise alors que s'ouvrait une "ère post-conciliaire" qui mettait l'Eglise, au moins dans certains pays, dont la France, dans les conditions concrètes d'une véritable révolution culturelle, avec autodafés organisés des fastes du passé, destruction de statues dans les paroisses et - plus grave - fermeture systématique au passé récent de l'Institution. J'ai moi même vécu dans cette atmosphère, puisque né en 1962 je suis un enfant du Concile. Je me souviens bien que ce qui évoquait le passé était forcément mauvais et que l'on devait d'ailleurs éviter d'en parler. Le latin ecclésiastique était un véritable tabou.

Dans ce contexte, Paul VI, naviguant entre les récifs, a tenté de sauver l'essentiel, malgré "les fumées de Satan" qui, de son propre aveu, s'infiltraient dans l'Eglise. A l'instigation de l'aile conservatrice au Concile, il a imposé la Nota praevia à la Constitution Lumen gentium, Nota qui rappelle les prérogatives personnelles du pape de Rome. Et en 1968, il a condamné et l'avortement et la contraception, cette dernière malgré le conseil contraire de hautes personnalités dans l'Eglise.

On va donc nous faire de ce pape féru de modernité, foncièrement démocrate chrétien, amoureux de la culture française jusque dans ses dimensions les plus "modernes", ouvert à toutes les remises en cause (comme le prouve les livres qu'il a lus et annotés dans sa bibliothèque, conservée à Milan)... un pape de droite, précurseur de l'Evangile de la vie et gardant héroïquement le cap au Centre alors que toutes les boussoles se sont affolées à gauche.

Il est vrai que l'affaire du Catéchisme hollandais l'avait beaucoup affecté. Il parlait à propos de la Hollande d'un "ferment schismatique dans l'Eglise" (1971). Par ailleurs, pendant les presque dix ans qui lui restaient à vivre, il ne rédigea plus aucune encyclique après l'accueil catastrophique qui fut réservé à Humanae vitae. Il était devenu, lui Giovanni Battista Montini, naguère le champion du progrès et de l'ouverture au monde, ce que le politologue Thomas Molnar appela "un contre-révolutionnaire par position. Pour Molnar, dans son livre sur La contre-révolution (10/18), ils étaient trois à l'époque dans le monde à pouvoir revendiquer le titre de contre révolutionnaire par position : De Gaulle face à Mai 68, Nixon face au communisme dans la Guerre du Viêt-Nam et... lui, Paul VI, pape libéral, obligé de jouer les pompiers conservateurs face aux incendies qui s'étaient déclaré un peu partout dans l'Eglise.

Quant à la nouvelle messe que Paul VI avait promulguée et rendue obligatoire en 1969, elle apparaissait comme rétrograde par rapport aux expériences liturgiques qui, selon les merveilleuses instructions données dans Sacrosanctum concilium, la constitution liturgique du Concile, apparaissaient ici et là et s'imposaient. Et en même temps, Benoît XVI en témoigne dans son Autobiographie, cette nouvelle liturgie, au lieu de s'inscrire dans le mouvement liturgique qui avait pris son essor dans l'Eglise 30 ans auparavant, y avait mis brutalement fin, en imposant son minimalisme rituel. Pour se limiter à la France, la baisse spectaculaire de la pratique religieuse entre les années 70 et 75 (on est passé en France de 22 à 15 %) avait sans doute des origines dans l'hédonisme soixante-huitard. Mais qui fera croire que la réforme liturgique de Paul VI fut un succès ? Et à qui fera-t-on croire qu'elle est pour rien dans l'effondrement subit de la pratique religieuse ?
Aujourd'hui beaucoup de jeunes prêtres semblent renouer avec le mouvement liturgique. Ils ont un beau service de messe, un bel autel. Ils sont ouvert aux valeurs liturgiques traditionnelles, même s'ils connaissent peu la Tradition latine (révolution culturelle oblige). Mais que de temps perdu !

Pour cet homme de gauche qui se retrouva à droite par la dureté des temps et qui, rétrospectivement dut compatir profondément avec le pape Pie XII, dont il avait pourtant voulu compenser l'inaction, l'affaire Lefebvre, en 1974-75-76 fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. C'est face à l'évêque de fer qu'il eut cette phrase sur Vatican II "plus important sous certains aspect que le concile de Nicée" [Nicée définit la consubstantialité du Fils de Dieu à son Père divin]. Autant Paul VI était mal à l'aise face à la gauche hollandaise ou face à des théologiens comme Hans Küng qu'il avait lus mais qu'il ne voulut jamais condamner, autant face à un traditionaliste il se retrouvait dans les fondamentaux de son existence. Il se devait de rester fidèle à l'engagement d'ouverture qui fut celui de sa vie... Il condamna donc sans état d'âme (ce fut la condamnation la plus solennelle de ce pontificat) celui qui voulait rester fidèle au passé de l'Eglise et à sa liturgie, sans chercher à élaborer le moindre compromis, sans s'autoriser la moindre concession.

Le Père Viot me disait combien son maître Oscar Cullmann, grand théologien luthérien que le concile Vatican II avait beaucoup rapproché de Rome, était intervenu auprès de Paul VI pour lui demander de ne pas laisser s'installer ce déséquilibre trop apparent, entre une droite sanctionnée et une gauche jouissant de toute impunité... Paul VI est mort dans cette ultime contradiction : lui l'homme de gauche, devenu un pape de droite par nécessité, lui le confident de Jean Guitton, qui, expérience faite, voulait surtout être le champion d'une ouverture raisonnable en restant fidèle à la foi de l'Eglise (comme le marque son étonnante profession de foi de 1968, rédigée on le sait aujourd'hui par Jacques Maritain), il allait enlever à la droite catholique toute légitimité et renforcer la dictature des progressistes, dans une Eglise devenue un véritable bateau ivre. Il fallut le charisme de Jean-Paul II pour que la Barque de Pierre retrouve un cap. Encore ne s'est-elle pas encore entièrement remise (je parle en interne) de la manière dont Paul VI lui fit tirer des bords face aux vents contraires.

Pie XII appelait son "substitut" "notre cher Hamlet". Malgré lui, Paul VI avait ouvert une boîte de Pandore qu'il ne parvint pas à refermer de son vivant. Depuis quand Hamlet prend-il les bonnes décisions ? Mais pour le pape François cette dimension personnelle de la crise de l'Eglise n'a pas d'importance. C'est l'institution qu'il faut préserver, protéger, sanctifier. Vingt ans après la publication du Catéchisme catholique et de l'encyclique Veritatis splendor, le concile Vatican II a-t-il été digéré ? Les convulsions des années 70 appartiennent-elles au passé ? L'avenir le dira. Mais c'est évidemment le pari du pape François.

dimanche 11 mai 2014

Papa emeritus – papae emeriti ? [par RF]

[par RF] Dans un entretien au magazine Common Weal le cardinal Kasper déclare : «Le pape François pourra, je pense, nommer 40% des cardinaux, et ce sont eux qui éliront le prochain pape» (Pope Francis […] will have the opportunity to appoint, I think, 40 percent of the cardinals, and they're the ones who will elect a new pope).

François aura nécessairement nommé une part conséquente des cardinaux appelés à élire son successeur, quand le temps sera venu. Mais le cardinal Kasper, qui fait partie de sa garde rapprochée, ne se contente pas de rappeler cette évidence: il la chiffre.
 
Or on a une bonne visibilité sur ce que représentent ces «40%», fussent-ils approximatifs.

La taille maximum du collège cardinalice est en théorie de 120. Il arrive que cette limite soit légèrement dépassée, quand les papes anticipent sur de prochains départs, pour éviter de trop nombreux consistoires. Mais globalement, un peu au-dessus ou en-deçà, le nombre d’électeurs ne s’éloigne jamais trop –ni jamais dans la durée– de «120».

Pour que les cardinaux créés par le pape François représentent «40%» du prochain conclave, il faut qu’ils soient «48». François en ayant déjà nommé 16, il faut qu’il en nomme encore 32. Or les cardinaux perdent leur statut d’électeur le jour de leurs 80 ans – l’observation du collège cardinalice actuel montre qu'il faut attendre début 2018 pour avoir 32 départs. La date ne bouge pas significativement selon qu'on retient un chiffre un peu plus ou un peu moins important.

Bref, avec ce chiffre de «40%», le Cardinal Kasper semble envisager un conclave relativement daté, à quelques mois près – qui interviendrait donc suite à un retrait, et non à un décès. François aurait alors 81 ans, et Benoît 90.

mercredi 7 mai 2014

Le coeur et le corps

Je travaille d'arrache-pied à un petit livre spirituel pour chaque jour de l'été (parution le 15 juin). Voici juste en guise d'amuse-bouche (si j'ose dire) un texte sur le verset si difficile de l'Evangile de saint Matthieu : "Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère dans son coeur". Evidemment cet extrait ne contribuera pas à adoucir le jugement de Jacques de Guillebon, qui, dans le dernier numéro de La Nef, trouve que je parle trop de sexe dans mon Histoire du mal. Mais je crois que de telles mises au point peuvent rendre service à plus d'un parmi mes liseurs...Et c'est ce qui m'importe.

L’ensemble du chapitre 5 de saint Matthieu est construit sur cette opposition non explicitée entre la Loi et l’Amour. C’est ainsi par exemple que l’on peut comprendre le verset si difficile : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu ne commettras pas l’adultère. Eh bien ! Moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (5, 27). Il ne s’agit pas pour Jésus ici de criminaliser le moindre mouvement charnel : l’attrait qu’un homme ressent pour une femme est quelque chose de naturel, qui n’a rien à voir avec « le cœur ». Mais il s’agit de valoriser le cœur, qui est le lieu du choix fondamental entre le bien et le mal : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ». Tu n’es pas seulement ce que tu fais : cet existentialisme biblique, Jésus le radicalise encore. Tu es ce que tu choisis dans ton cœur. Tu es ton cœur. Celui qui ne cherche que le plaisir, même si cela reste purement interne, même s’il n’a jamais l’occasion concrète de manifester ce mauvais penchant, même s’il garde pour lui cette inclination purement sensuelle, celui qui ne regarde une femme que pour la désirer, quand bien même il ne passe pas à l’acte, il ne manifeste pas l’amour de l’autre, le respect de l’autre, l’appréciation de l’autre, mais il  cherche à se satisfaire lui. En ce sens « il a déjà commis l’adultère dans son cœur ». Dans les Béatitudes, on a pu lire cette insistance à désigner le cœur comme le lieu de la pureté : Beati mundo corde. « Heureux ceux qui sont doués d’un cœur pur, car ils verront Dieu ». Il ne s’agit pas d’une pureté purement physique, il s’agit d’une pureté de cœur, car la seule loi qui compte, ce n’est pas la loi extérieure qui norme les comportements, c’est la loi du cœur. Dans son De continentia, saint Augustin insiste beaucoup d'entrée de jeu sur le fait que l'organe de la continence... c'est le coeur. Il est une fois de plus dans le plus pur esprit de l'Evangile.
Jésus commandant l’amour des ennemis, insiste de la même façon sur la droiture du cœur, sur la bonté intérieure qui ne fait pas acception des personnes, qui ne juge pas différemment un ami et un ennemi.

dimanche 4 mai 2014

"Je suis le Pasteur, le Beau..."

Dans la forme reconnue comme extraordinaire du rite romain, nous célébrons, en ce deuxième dimanche après Pâques (que l'on appelle troisième dimanche de Pâques dans le rite rénové) le Christ Bon Pasteur. C'est donc la fête de notre Institut, l'Institut du Bon Pasteur et nous lisons naturellement une partie du chapitre 10 de l’Évangile selon saint Jean : "Le Pasteur, le bon, celui qui n'est pas mercenaire, met sa vie en jeu pour ses brebis". On peut dire que cette allégorie du Bon Pasteur, dans l'Evangile de saint Jean, contient comme un résumé du christianisme. Si quelqu'un cherche une porte d'entrée dans l'Evangile, qu'il n'hésite pas à se rendre à se chapitre : "Ma vie, j'ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprendre". L'acte central du Christ - sa mort - se trouve expliqué par avance : "Ma vie personne ne la prend mais c'est moi qui la donne".

Et pourtant... Pourquoi ne pas le dire ? Cette allégorie du Bon Pasteur, il y a en elle quelque chose qui gêne, quelque chose qui a du mal à passer... Si le Christ est le Berger, devons-nous être des moutons ? Repasse peut-être dans notre esprit l'image rabelaisienne des moutons de Panurge, qui se jettent dans la mer, tous ensemble, tant ils se suivent sur la terre. Peut-être voyons nous défiler le troupeau de mouton, cul à visage ? Ce n'est pas très exaltant si c'est cela que l'on nous demande.

Drôle de troupeau !  En fait les moutons doivent s'identifier au Pasteur. Le Pasteur est au service de son troupeau, "il met sa vie en jeu" si nécessaire, il s'offre pour les brebis. Mais son esprit passe dans ses bêtes et chaque brebis doit être capable de ressembler à son maître et de s'offrir avec lui, après lui.

Et de la même façon que les brebis s'identifient au Pasteur, le Pasteur s'identifie au troupeau, il est "l'Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde", "l'Agneau égorgé depuis le commencement du monde" dont parle l'Apocalypse (c. 5). Il est celui qui offre, mais il est aussi ce qu'il offre, il s'offre lui-même, et chaque chrétien doit faire de même - s'offrir, se donner.

Notre vocation n'est donc pas celle des moutons de Panurge. Nous devons vivre à l'imitation du Pasteur, comme le Pasteur s'est identifié à ses brebis au point de devenir l'une d'entre elles, nous devons nous identifier au Pasteur jusqu'à mettre notre vie en jeu pour lui.

Mais il importe que nous nous soumettions "au Pasteur et à l'évêque de nos âmes", Jésus-Christ. Sommes nous capables de le comprendre ? Ou bien refuserons-nous a priori cette soumission ?

C'est peut-être le premier effort qu'il faut que nous fassions en cette fête du Bon Pasteur : comprendre que nous avons besoin du Pasteur, que nous ne trouvons pas notre bien en nous-mêmes, que notre ego n'est pas le criterium de notre existence, que nous ne pouvons pas ne nous reposer que sur nous-mêmes et cela pour une double raison :

D'abord notre ignorance congénitale de la destination de l'aventure humaine. "Le vrai siège de l'homme est l'ignorance" dit Pascal de façon lapidaire. Comment lui donner tort ?

Ensuite, si nous nous fions à nous-mêmes, nous serons accessibles aux foucades et aux tocades de notre ego perdu en lui-même... Mais nous serons incapables de nous orienter et de nous diriger par nous-mêmes. Nous n'en aurons pas la force. Pour ne pas nous laisser aller à tous vents de passion, il nous faut un point fixe comme disait Archimède. Mais ce point fixe n'est pas en nous. En dehors de l'obéissance au berger et à l'évêque (episcopos en grec) de nos âme pour reprendre la formule de saint Pierre dans son épître, nous ne sommes rien. Jésus n'a-t-il pas eu "pitié de la foule", parce que disait-il ce sont "comme des brebis sans pasteur, éparpillées et errantes".

Cette autorité du Pasteur, cette autorité en dehors de nous-mêmes, il faut que nous la reconnaissions, que nous lui fassions allégeance. Attention ! Nous ne faisons pas allégeance pour faire allégeance. Nous faisons allégeance pour être libres. C'est notre liberté qui intéresse le Seigneur,c'est notre liberté qui  nous permettra d'imiter le Pasteur et de nous offrir en sacrifice. "Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté" proclame saint Paul dans son Epître aux Romains. Si nous ne faisons pas allégeance au Pasteur, nous sommes des brebis errantes, incapables de rien. Si nous lui obéissons, nous accédons à la liberté difficile, celle des enfants de Dieu. Délivrés de notre ignorance par le Christ "maître du beau savoir" selon la formule de saint Justin, délivré de notre faiblesse par l'Esprit qui souffle en nos coeurs, redressant ce qui est tordu, aplanissant ce qui est raboteux, nous nous trouvons maintenant capables de juger de tout dans l'esprit du Seigneur (n'est-ce pas saint Paul qui le dit : l'homme spirituel juge de tout ?), nous sommes constitué en responsabilité, devenant responsables de notre propre salut et de l'utilisation de nos talents, nous vivons dans la liberté des enfants de Dieu, la seule qui ne soit pas menteuse, la seule qui ne se confonde pas avec la licence et ses addictions.

Le Bon Pasteur fête la liberté de son troupeau. C'est pour cette liberté qu'il s'est donné jusqu'à la mort. Par notre obéissance inconditionnelle, nous pouvons défier le ciel et la terre, nous nous trouvons au dessus de la loi perçue comme contrainte, vivant, avec le coeur, de la loi de liberté dont parle saint Jacques, uniquement soucieux de plaire à Dieu. Comment définir cette liberté ? Je vous ai parlé naguère de la prière du vieux moine, entendue à 3 H du matin dans l'abbatiale obscure, parce qu'il se croyait seul : "Mon Dieu je vous aime et je me fous du reste".

jeudi 1 mai 2014

J'ai assisté à l'enterrement d'un chat

Comment s'appelait-il le chamour? Il n'avait pas de nom. Un nom eût semblé réducteur. Il était "le chat". Parvenu à l'âge vénérable de 19 ans, âge splendide pour un chat, atteint d'un cancer du foie qui l'empêchait même de boire, il s'est éteint sans souffrance sous la seringue du vétérinaire. Ses propriétaires ont tenu à l'enterrer, à côté d'un autre chat, mort dix ans auparavant. J'ai béni la tombe de cette créature de Dieu, d'une simple mais sentie bénédiction. Il suffisait de regarder les deux petits de la maison, quatre et sept ans, leur sérieux, leur gravité, pour comprendre que cette si simple cérémonie était sous le signe de la piété.

Ce court hommage ne relevait absolument pas de je ne sais quel fétichisme animiste. Le chat, réceptacle de tendresse, se charge de toutes les affections dont il est entouré. Il devient quelque chose d'humain, par toutes les caresses dont il a été sujet et objet. Il est un appel à la solidarité avec le monde animal dont nous sommes issus. Une occasion aussi de mesurer l'extraordinaire mystère qui nous a faits "humains". Nous sommes tellement supérieurs aux chats et aux chiens qui partagent souvent notre existence. Et en même temps (il suffit d'écouter un animal ronfler) nous leur sommes tellement proches. Un texte de l'Ecclésiaste dit cela avec force:
"Le sort de l'homme et le sort de la bête sont un sort identique ; comme meurt l'un ainsi meurt l'autre et c'est un même souffle qu'ils ont tous les deux. La supériorité de l'homme sur la bête est nulle, car tout est vanité. Tout s'en va vers un même lieu : tout vient de la poussière, tout s'en retourne à la poussière. Qui sait si le souffle de l'homme monte vers le haut et si le souffle de la bête descend en bas, vers la terre?" (Eccl. 3, 19 sq.)
L'Ecclésiaste semble ici ne pas croire en l'immortalité de l'âme humaine. Cela avait beaucoup marqué Cajétan. On retrouve en tout cas l'anthropologie fondamentale énoncée au Commencement du Livre, en Genèse 2, 7 :
"Yahvé Dieu modela l'homme avec la poussière du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint une âme vivante".
L'homme est cet individu absolument unique fait de poussière et de souffle. Le souffle? C'est l'esprit. La poussière avec le souffle? C'est l'âme, la psyché, avec les tours et les détours, les sinuosités du souffle dans la poussière.
Mais l'animal? N'est-il pas aussi souffle et poussière? C'est en tout cas la question que pose Qohélet. L'animal, comme l'homme, vient de la poussière et retourne à la poussière. Et qui dit que le souffle de l'homme s'élève et s'élèvera au dessus de la poussière? Qui sait si le souffle de l'homme descend en bas comme le souffle de l'animal? On retrouve chez Qohelet le grand existentialisme biblique, sublimé par le Christ : tu es ce que tu fais. Tu deviens ce que tu aimes. "Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur".

Regarder l'animal en face, c'est accepter de considérer aussi la précarité de notre situation d'animaux plus ou moins raisonnables. Pour prétendre à être vraiment autre chose que l'animal, il faut nous laisser racheter. Nous ne nous sauvons pas nous-mêmes, pas tout seuls. Sans le Christ, qui nous fait vivre, que serions-nous?

Et lorsque l'on a éprouvé cette fraternité par le bas avec l'animal, lorsque l'on a compris que sans le Christ et sans son salut, nous sommes tous des bêtes, juste "des êtres pour la mort" (Heidegger), alors que nous reste-t-il à faire? Il nous faut sauver l'animal. Pourquoi cette oeuvre de Dieu n'aurait-elle pas droit à un salut? Peut-on penser que Dieu fait toutes ces belles choses en vain? Peut-on donner raison à l'Ecclésiaste qui ne voit en toutes choses que "vanité et poursuite du vent"? Chaque animal, chaque végétal, chaque composition de paysage est une pensée de Dieu. En tant que telle, elle ne meurt pas. "Les concepts des créatures sont des concepts de Dieu" dit Cajétan sublimement en jouant sur le sens du génitif. Il avait compris la transcendance analogique du Logos mieux que beaucoup.

Mieux que les cartésiens en tout cas. C'est le délicat Malebranche qui avait compris le problème que pose à la conscience la souffrance animale. Je soulignais tout à l'heure que le Chat a été euthanasié. C'est normal : lui ne peut pas donner un sens à la souffrance, comme d'ailleurs il ne peut donner un sens à sa vie. Seul l'homme cherchant le sens de sa vie, donne un sens à sa souffrance - et cela d'ailleurs qu'il le veuille ou pas, que ce soit pour la révolte ou pour l'amour. Il n'y a pas d'acte humain indifférent. Il n'y a pas de vécu humain sans signification et l'absence revendiquée de signification est encore sans doute la plus terrible des significations.

Malebranche qui avait si bien compris cela, ne pouvait supporter la souffrance animale et, au lieu de remettre les bêtes au Logos commun dans un acte de foi (ce que je tâche de faire ici), il a pensé qu'il valait mieux les exclure de ce logos, en faire de pures mécaniques, incapables de vrais retours sur elles-mêmes. On sait qu'il battait sa chienne, lui le doux, le délicat, en disant : "Ça crie mais ça ne sent pas".

Si l'on est d'accord avec Malebranche, il n'y a pas d'enterrement de chats. Mais alors il faut aller jusqu'au bout et ôter aux bêtes toute forme d'âme. Est-ce bien raisonnable? Ni Aristote ni Leibniz ne l'auraient admis.

Je crois qu'il faut être capable de contempler le Logos, oui, le Verbe de Dieu, indéfiniment participable par ses créatures, qui, chacune, en expriment quelque chose. De la même façon, les hominidés, néanderthaliens et autres, ou les géants dont parle la Bible, ou les extraterrestres putatifs ne sont pas des hommes, ils n'appartiennent pas à l'espèce homo sapiens, mais ils participent à leur façon au Logos divin, dont rien ne vient limiter la fécondité que sa propre volonté et le principe de contradiction.

Comment Malebranche accepte-t-il, lui, d'expulser les animaux du Logos? Il le fait par sensibilité, parce que la souffrance animale, cette souffrance sans signification, cette souffrance qui ne peut jamais devenir un sacrifice, lui est insupportable. En ce domaine comme en d'autres, la raison se contredit elle-même, Malebranche le montre bien : c'est son amour raisonnable pour les animaux qui les lui fait expulser de l'Intelligence universelle, pour qu'ils ne souffrent pas.

Cette question de la souffrance animale requiert non seulement notre raison mais notre foi : dans la foi, nous savons que nous comprendrons un jour le sens de la vie animale et le mode d'immortalité des chats et des chiens.