[par RF] Le général Jaruzelski est mort aujourd’hui, il avait 90
ans et je le tiens pour l’un des grands héros européens du XXe
siècle.
Né dans une famille de la petite
noblesse rurale, le jeune Wojciech et sa famille fuient en 1939 devant
l’agresseur allemand, pour se retrouver dans la zone soviétique. Le père est
déporté au goulag, il mourra de maladie. Wojciech travaille comme bûcheron,
puis dans une mine de sel, où il s'abîme les yeux – jusqu'au moment où il s’engage dans l’armée
polonaise qui opère sous patronage soviétique.
Il participe à
la lutte contre l’Allemagne, c’est le début d’une brillante carrière militaire
qui fait de lui en 1956 le plus jeune général polonais. C’est lui qui chapeaute
dans l’armée les «événements de mars» – à savoir la purge d'une première
génération des dirigeants de la Pologne communiste, en s’appuyant sur leur
origine juive réelle ou supposée.
En 1981,
Jaruzelski est Ministre de la Défense depuis 1968. Il est convoqué par Moscou:
la situation polonaise inquiète le parrain soviétique. Le syndicat ‘Solidarité’
tient le haut du pavé, le pays est bloqué, et la situation risque de devenir incontrôlable. Les
Soviétiques ont 100.000 parachutistes à la frontière, prêts à intervenir.
On connaît le
mythe d’Antigone, et la lecture qu’en a fait Anouilh qui l’oppose à son oncle
Créon. Antigone se bat pour une noble cause mais Créon n’en est pas moins
valable, qui assure le maintien de l’ordre, pour éviter le chaos.
Dans l’histoire
récente de la Pologne, Wojciech Jaruzelski tient le rôle de Créon. Le 13
décembre 1981 il proclame l’Etat de Guerre. Les leaders de Solidarité sont
arrêtés. Le chef de l’Etat communiste, Stanisław Kania, apprend sa déposition
au milieu de la nuit par la police militaire venue le placer «en sécurité» à
l’isolement.
Lorsqu’il avait
visité la France quelques temps auparavant, Lech Walesa avait été mis en garde
par l’émigration polonaise de Maison-Lafitte, qui lui avaient recommandé de se
méfier des Occidentaux, lui disant en substance: «Ils aiment les Polonais… mais
ils nous aiment sanglants». Le message est passé, Solidarité et l’Eglise
éviteront de rajouter de l’huile sur le feu. Quelques grands esprits, comme le
chancelier Schmidt ou le nationaliste Maciej Giertych, approuvent la décision
du général.
Ceux qui
connaissent le coin savent que les Polonais ne sont pas les Tchèques, et
résistent à l’envahisseur, parfois au-delà de toute rationalité. Une
intervention eut été un massacre sans commune mesure avec ‘Prague 1968’.
L’Europe eut connu une nouvelle glaciation de ses rapports est/ouest, pour une
génération au moins.
Au lieu de
quoi, il n’y a pas de bain de sang, l’invasion n’a pas lieu, Jaruzelski tient
le pays d’une main ferme, remet la machine économique en marche, puis rend
progressivement les libertés qu’il avait suspendues. En 1989, après divers
tables rondes, il confie le pouvoir à Tadeusz Mazowiecki, qui devient le
premier chef de gouvernement non-communiste du bloc est – avant la chute du mur
de Berlin.
Le Général
Jaruzelski se retire de la vue publique en 1990, rédige ses mémoires, donne
quelques entretiens, et vieillit. Jusqu’à sa mort, il doit affronter la hargne du très orwelien «Institut de la Mémoire Nationale»: une commission
para-gouvernementale qui poursuit qui elle veut, comme elle veut, si elle veut
– et qui l’accuse de «crimes communistes». Bref, au lieu de reconnaître la
grandeur de son adversaire, la nouvelle démocratie polonaise s’abaisse à des
chicaneries oiseuses.
Il est mort aujourd’hui et je vais faire dire une messe pour lui.
Mise à jour 2016: Peu de temps avant sa mort, le Général s'est confessé, a communié, et reçu l'extrême onction. Voila qui boucle la boucle.
Il est mort aujourd’hui et je vais faire dire une messe pour lui.
Mise à jour 2016: Peu de temps avant sa mort, le Général s'est confessé, a communié, et reçu l'extrême onction. Voila qui boucle la boucle.