« Nous venons d’un temps où l’homme vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes entrés dans un temps ou Dieu est à la discrétion de l’homme » Emile Poulat |
Emile Poulat est mort à l’âge de 94 ans, le 20 novembre
dernier. Sans doute beaucoup d’entre vous ne savent pas ou ne savent plus
situer ce personnage, qui avait une science infinie de l’histoire de l’Eglise
au XXème siècle. Il avait travaillé d’abord sur les prêtres ouvriers, ayant été
l’un des leurs. Il avait publié « le dossier » sur ce sujet. Puis il
avait abordé le modernisme, l’historique, celui qui florissait à l’époque du
pape Pie X, au début du XXème siècle, celui de l’abbé Loisy. Et il avait été
frappé de la différence d’ambiance entre les deux mouvements : le
modernisme au début du siècle est un mouvement bourgeois, qui transpire la
mauvaise conscience chrétienne. Le progressisme à la fin du XXème siècle est lui
un mouvement enthousiaste, nostalgique de la chrétienté, beaucoup moins
« de gauche », beaucoup plus en prise avec une droite intégraliste,
qui a compris la dimension sociale du christianisme. Armé de cette distinction,
Emile Poulat abordera aussi l’intégrisme de Monseigneur Benigni, fondateur,
avec la bénédiction de Pie X au début du XXème siècle, d’une Fraternité Saint
Pie V, qui se nommera, en latin, Sodalitium Pianum ou Sapinière.. Pour lui, ce
sont ces trois courants qu’il faut distinguer dans l’histoire récente de
l’Eglise. Il les a observé tous les trois avec la même sympathie. La même
empathie, comme si rien de ce qui était d’Eglise ne pouvait lui demeurer
étranger. Dans son appartement de la Rue de Bièvre (longtemps voisin d’un
certain François Mitterrand), il recevait facilement qui souhaitait profiter de
ses conseils. Il gardait, quel que soit son interlocuteur, le même sourire, la
même patience et une volonté de transmettre quelque chose de son immense
savoir. La première fois que je composai les codes qui me permirent d’arriver
jusqu’à lui, je fus comme aimanté par son immense bibliothèque, d’autant que le
premier livre que je distinguai, sacré cœur rouge en couverture, ce fut
l’ouvrage du Père Barruel contre la maçonnerie : Mémoire pour servir à
l’histoire du jacobinisme. A propos de ce livre, beaucoup se hâteront de parler
de complotisme sans l’avoir lu. Mais le Maître des lieux s’intéressait à tout
sans exclusive, en particulier à l’antimaçonnisme catholique, et ce livre resta
à la même place, bien mis en valeur dans sa bibliothèque, à chaque visite que
je lui fis.
Chez ce Lyonnais viscéralement chrétien, mais dont nul ne
savait s’il était réconcilié avec l’Eglise ou s’il demeurait prêtre défroqué
comme il y en eut tant dans sa jeunesse, y avait-il une nostalgie de l’Eglise
d’avant, sûre de sa foi et de sa doctrine ? Je l’ai souvent pensé. Y
avait-il chez cet ancien prêtre ouvrier une solidarité envers tous les
dissidents, crossés par la hiérarchie pour une raison ou pour une autre ?
C’est certain. Qui était Emile Poulat ? Dieu le sait. Pour ce que l’on en
apercevait, c’était d’abord une rationalité toujours en quête, sans idéologie,
une science sans autres frontières, que celles de son objet - avant tout :
l’Eglise au XXème siècle et l’ère post-chrétienne (selon le titre de l’un de
ses ouvrages) dans laquelle nous entrons. Dans la Solution laïque et ses
problèmes, il avait eu ce mot qui résume le climat de sa recherche :
« Nous venons d’un temps où l’homme vivait à la grâce de Dieu. Nous sommes
entrés dans un temps ou Dieu est à la discrétion de l’homme ». Il ne
condamnait rien, ayant lui-même trop souffert d’avoir été condamné, mais il
voyait et il écrivait ce qu’il voyait…
Abbé G. de Tanoüarn