mardi 24 mars 2020

La dépression spirituelle

La suite du psaume 42 est vraiment étonnante : je ne vois qu'une explication aux paroles sacrées telles qu'elles nous sont données. Elles marquent la lutte contre la dépression spirituelle, une lutte qui n'est pas sans volontarisme : "J'affirmerai ton nom sur ma harpe, ô Dieu qui est mon Dieu". Pourquoi la harpe ou la cithare ? Parce que le psalmiste n'est plus en état d'utiliser l'instrument que la nature lui a donné : sa voix. Il ne chante plus. Il a besoin d'un instrument pour continuer à confesser le Seigneur parce qu'au fond de lui-même, la douleur l'a terrassé, il n'en peut plus : "Pourquoi es-tu triste, mon âme et pourquoi me jettes-tu dans le trouble ?". Il n'est plus capable de chanter, mais il peut encore se diviser d'avec lui-même et observer, comme incrédule, sa propre langueur. Il apprend ainsi cette vertu paradoxale qui est la patience envers soi-même.

Il apprend aussi à rejeter le trouble, sans discuter avec ce qui le trouble, car, comme disent les prédicateur de retraite, commentant saint Ignace et ses Règles pour le discernement des esprits : "Pour les gens qui cherchent Dieu loyalement, toute proposition conditionnelle qui trouble vient du démon". Règle d'or. C'est elle sans doute qui lui fait prendre sa cithare, pour agir contre la tentation. Je suis triste ? Je ne peux plus chanter parce que je sens une boule dans la gorge qui m'étrangle jusqu'à faire couler mes larmes ? Il faut réagir, agere contra dit saint Ignace, ne pas sombrer dans l'auto-émotion, en versant des larmes de crocodiles sur soi, qui ne peuvent que nous affaiblir davantage.

C'est alors que vient cet ordre du psalmiste observateur au psalmiste observé, du viril au pleureur, un ordre qui coupe court aux sentiments qui dégoulinent comme des larmes. C'est un mot d'ordre qui claque : "Espère en Dieu, je continue à affirmer son nom. Il est le salut de mon visage et mon Dieu". Espère ! C'est saint Paul, le découvreur des trois vertus théologales dans la Ière aux Corinthiens, qui a fait de l'espérance une vertu.   « Le mot espérance est employé 40 fois par saint Paul, 3 fois par saint Pierre et 1 fois par saint Jean » note le Père Spicq, exégète précis. Mais c'est certainement dans les psaumes et en particulier en récitant lui-même le psaume 42, qu'il a pris conscience de l'importance de cette espérance dans le combat quotidien, l'espérance est l'antidote à cette dépression spirituelle que nous voyons s'étaler dans le poème du psalmiste. L'espérance met en place un rapport positif au "temps qui reste". Il faut "racheter ce temps" exhorte saint Paul, le soustraire à la grande faucheuse et lui faire porter du fruit. Voilà l'espérance, la vertu à travers laquelle le moindre instant de temps devient ou redevient utile
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Je voudrais insister aussi sur l'expression "le salut de mon visage". Evoquer le visage d'une personne, c'est évoquer ce qu'il  y a de plus personnel en elle, ce qui manifeste le secret de l'âme, le regard, et puis cette harmonie toujours différente des yeux de la bouche et du nez, qui est comme l'identité de chacun. Dieu ne nous sauve pas en nous annexant à son être absolu; jusqu'à ce que nous en perdions notre identité. Nous ne serons pas une flammèche éphémère dans le grand brasier divin. Comme dit saint Thomas d'Aquin, "ce qu'il y a de plus parfait dans tout l'univers c'est la personne". Dieu ne ruine pas en nous ce qu'Il a une fois créé à son image. Au contraire ! Il se fait lui-même le sauveur de mon visage. Pourquoi Dieu Tout puissant et éternel se fait-il mon Dieu ? Parce qu'il est le salut de mon visage. Je peux l'appeler mon Dieu (ce qui en soi est fou) parce qu'il s'est fait mon sauveur. Il y a là de quoi bannir toute dépression spirituelle.

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