mercredi 20 octobre 2010

Paul del Perugia et la Révolution en formica

Article repris de Minute du 20 octobre 2010


Paul del Perugia nous a quittés en 1994, laissant derrière lui plusieurs très beaux livres sur des sujets divers : on se souvient de son Louis XV, de son Céline et de son livre souvent réédité sur Les Derniers Rois Mages, c’est-à-dire les Tutsis du Rwanda. Depuis quinze ans dormait dans ses papiers un roman, Le Voyage de Sébastien, qui nous livre sans doute la clef de son personnage et de son oeuvre si diverse et si profondément une.

Cela se passe à la fin des années 1950, entre la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Le monde est rentré dans la plus effarante révolution qu’il ait connue de puis l’origine, celle que Jean Fourastié a nommé les Trente Glorieuses. La vieille civilisation européenne, qui n’en finit plus de craquer, est en train de mourir. Une civilisation mondiale la remplace. C’est le premier thème de ce livre et c’est un témoignage passionnant sur une époque dont on a finalement peu parlé, une époque qui a laissé peu de traces dans la littérature, celle où les paysans de nos campagne ont pris conscience que parce qu’ils n’allaient pas le rester, il fallait absolument brader les vieux lits clos et les solides tables de chêne, pour les remplacer par ce mobilier multicolore en formica – dont aujourd’hui même les chiffonniers d’Emmaüs ne veulent plus, tellement c’est laid. Le Voyage de Sébastien est un roman d’initiation uni que en son genre: ni initiation sentimentale, ni initiation sociale – oh! bien sûr il y a tout de même un peu des deux sans doute –, mais ce que sent Del Perugia autour de son jeune héros, c’est l’émergence d’une civilisation nouvelle, dans laquelle Sébastien apprend à se mouvoir. Il découvre des personnages puissants: « le patron », un paysan du Limousin, mon té en graine à la faveur de l’é puration résistantialiste. Celui-là fait penser à un personnage bernanosien, il est comme Monsieur Ouine, au-delà du oui et du non, du Bien et du Mal.

Il y a quelque chose de plus fort que Monsieur Ouine, simple professeur pervertissant ses élèves. La - doue a fait une fois dans sa vie, sur une pierre, polie et repolie par l’eau, l’expérience de la destruction et du néant. Il se croit absolument seul au monde et sait que « le res te », femme, enfant, collègue, n’est rien. La littérature, depuis Dostoïevski, s’est souvent essayée à décrire le mal absolu dans un être. Ladoue a fait « un noviciat hercynien » dans les Montagnes vieilles du Centre de la France. Son coeur est de venu une pierre à l’image des pierres de son pays.

Face à cette vision du mal moderne, Del Perugia nous montre, au tour de son Sébastien, deux figures de pédagogue. Guère convaincantes. Il y a le prêtre qui est prêt à « passer aux barbares », qui ne cherche pas à défendre la civilisation chrétienne qui s’en va et prétend qu’il vaudrait mieux détruire Notre-Dame de Paris et le château de Versailles. Et il y a l’homme fait, qui a tout réussi mais vit dans une véritable schizophrénie, écartelé entre sa bonté naturelle et son ambition. Aucun des deux n’est vraiment à la hauteur!

Il y a aussi les vestiges du vieux temps, sa grand mère, attendrissante dans sa pudeur hautaine et inquiète et « Charlemagne », l’ancien Poilu qui cherche à comprendre ce qui restera de sa vie. N’est-ce pas auprès d’eux que Sébastien va se for mer? N’est-ce pas l’exemple muet de sa grand-mère et les curieux conseils du Poilu qui demeureront dans son esprit? A moins que la nature, ce beau pays de Langres, ne demeure gravé dans sa mémoire? On sent que Del Perugia ne veut fermer aucune porte: et si ses amours avec Jacqueline avaient définitivement ancré le jeune loup dans une absence totale de scrupules? La vie, même quand on veut l’avorter ou la détruire, garde le der nier mot: l’histoire n’est jamais qu’un vaste cimetière de civilisations disparues.

Il faut lire ce livre où le lyrisme entrouvre les portes de notre destinée et où la nature s’allie à l’histoire pour trouver des solutions en prenant la mesure des défis nouveaux qui nous sont jetés. Ce livre, en décrivant l’épouvantable crise de la post-modernité, nous offre une paradoxale espérance. A saisir.

Joël Prieur
Paul del Perugia, Le Voyage de Sébastien, éd. Via romana, 234 pp., 32 euros, port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

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