Le sommeil se faisait impératif. J'ai été un peu vite sur la fin, lors du dernier post sur Robert Spaemann (dont par ailleurs bien sûr je recommande vivement la lecture, comme extrêmement stimulante : sa manière d'aborder le rapport Rousseau Bonald par exemple... Un délice).
Les commentaires m'orientent vers l'espérance, avec raison... C'est la clé, dédaignée par Fénelon, et aussi par Spaemann, qui trouve cette vertu trop psychologisante pour être honnête. L'espérance est notre indéracinable désir de Dieu, celui qui, en nous, jusqu'au bout, ne renoncera pas, celui qui n'accepte aucun démenti de l'existence : contra spem in spe, dit saint Paul : contre l'espérance dans l'espérance. Péguy l'a chantée de manière merveilleuse dans le Porche du mystère de la deuxième vertu. La petite fille espérance est... "une fille de la charité" (dixit Péguy) qu'aucune plaie ne dégoûte, qu'aucune misère ne rebute, qu'aucun désespoir ne lasse. En elle est le secret du croyant. C'est une vertu que saint Paul (sauf dans le fameux texte de I Cor. 13 que l'on nomme l'hymne à la charité) a tendance à mettre au dessus de tout. La charité, amour désintéressé, demande parfois un effort : "Aimez vos ennemis de charité" nous demande le Christ : pas si facile, n'en déplaise aux grenouilles de bénitier et autres batraciens à sang froid. Alors que l'espérance... L'espérance ne demande pas l'effort, elle l'exige, elle l'arrache, même au plus rétif.
Je ne dis pas que l'espérance est facile, encore moins qu'elle nous pousse à la facilité. Mais l'espérance nous commande tel ou tel geste, elle nous ordonne (dans les deux sens du terme : elle nous met en ordre de bataille et elle nous fait entendre un ordre clair et inconditionnel : celui de marcher toujours).
Quel est l'argument de l'espérance ? "le temps qui reste", selon le titre que Giorgio Agamben a repris à saint Paul. Nous avons peu de temps pour l'éternité. Autant y aller à fond ! Ne pas donner moitié.
il y a un terrible quiproquo sur l'espérance, qui a fait des générations de tièdes. L'espérance n'est pas une vertu qui nous sécurise, en nous assurant au moins du happy end. L'espérance, qui a partie liée avec le désir, j'allais dire avec l'avidité des choses de Dieu, nous donne cette avidité parce qu'elle nous insécurise et dans la mesure où elle nous la donne. C'est en ce sens que rené Girard achève son livre Achever Clausewitz : "vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire". L'espérance nous permet de supporter le spectacle du Mal dominant. Elle nous fait trouver dans ce spectacle repoussant le goût de Dieu, de son salut et de son Christ.
L'espérance fait feu de tout bois. un peu comme on peut dire : c'est la faim qui nous permet d'apprécier davantage tel ou tel aliment (la faim : le meilleur des condiments), de la même façon, c'est le manque de Dieu qui nous fait désirer Dieu, c'est le spectacle du mal qui nous plonge dans l'amour du Bien.
Voilà pourquoi l'espérance supporte tout. Elle est le désir à son apogée, celui qui fait du manque le signe de la satiété, celui qui, comme l'Eros de Platon dans le Banquet, est capable, tel Ulysse, de tous les stratagèmes pour arriver à ses fins.
L'espérance ne nous enferme pas dans la tour d'ivoire des quiétistes féneloniens, qui, ayant renoncé au Désir, se perdent dans une contemplation impassible de l'Ordre du monde. L'espérance ne prend pas occasion de l'Ordre établi pour se satisfaire sans rien entreprendre. L'espérance ne dit pas "Amen" à tout, ce n'est pas son genre. Contra spem in spe... L'espérance nous rend chacun responsable de notre attente. Elle est la seule véritable mesure de notre amour.
Désir infaillible, ai-je écrit en titre. Je pensais au texte de Simone Weil dans Attente de Dieu, où la philosophe explique que le désir de Dieu est le seul qui porte en lui-même sa satisfaction, le seul que Dieu satisfasse toujours.
Les commentaires m'orientent vers l'espérance, avec raison... C'est la clé, dédaignée par Fénelon, et aussi par Spaemann, qui trouve cette vertu trop psychologisante pour être honnête. L'espérance est notre indéracinable désir de Dieu, celui qui, en nous, jusqu'au bout, ne renoncera pas, celui qui n'accepte aucun démenti de l'existence : contra spem in spe, dit saint Paul : contre l'espérance dans l'espérance. Péguy l'a chantée de manière merveilleuse dans le Porche du mystère de la deuxième vertu. La petite fille espérance est... "une fille de la charité" (dixit Péguy) qu'aucune plaie ne dégoûte, qu'aucune misère ne rebute, qu'aucun désespoir ne lasse. En elle est le secret du croyant. C'est une vertu que saint Paul (sauf dans le fameux texte de I Cor. 13 que l'on nomme l'hymne à la charité) a tendance à mettre au dessus de tout. La charité, amour désintéressé, demande parfois un effort : "Aimez vos ennemis de charité" nous demande le Christ : pas si facile, n'en déplaise aux grenouilles de bénitier et autres batraciens à sang froid. Alors que l'espérance... L'espérance ne demande pas l'effort, elle l'exige, elle l'arrache, même au plus rétif.
Je ne dis pas que l'espérance est facile, encore moins qu'elle nous pousse à la facilité. Mais l'espérance nous commande tel ou tel geste, elle nous ordonne (dans les deux sens du terme : elle nous met en ordre de bataille et elle nous fait entendre un ordre clair et inconditionnel : celui de marcher toujours).
Quel est l'argument de l'espérance ? "le temps qui reste", selon le titre que Giorgio Agamben a repris à saint Paul. Nous avons peu de temps pour l'éternité. Autant y aller à fond ! Ne pas donner moitié.
il y a un terrible quiproquo sur l'espérance, qui a fait des générations de tièdes. L'espérance n'est pas une vertu qui nous sécurise, en nous assurant au moins du happy end. L'espérance, qui a partie liée avec le désir, j'allais dire avec l'avidité des choses de Dieu, nous donne cette avidité parce qu'elle nous insécurise et dans la mesure où elle nous la donne. C'est en ce sens que rené Girard achève son livre Achever Clausewitz : "vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire". L'espérance nous permet de supporter le spectacle du Mal dominant. Elle nous fait trouver dans ce spectacle repoussant le goût de Dieu, de son salut et de son Christ.
L'espérance fait feu de tout bois. un peu comme on peut dire : c'est la faim qui nous permet d'apprécier davantage tel ou tel aliment (la faim : le meilleur des condiments), de la même façon, c'est le manque de Dieu qui nous fait désirer Dieu, c'est le spectacle du mal qui nous plonge dans l'amour du Bien.
Voilà pourquoi l'espérance supporte tout. Elle est le désir à son apogée, celui qui fait du manque le signe de la satiété, celui qui, comme l'Eros de Platon dans le Banquet, est capable, tel Ulysse, de tous les stratagèmes pour arriver à ses fins.
L'espérance ne nous enferme pas dans la tour d'ivoire des quiétistes féneloniens, qui, ayant renoncé au Désir, se perdent dans une contemplation impassible de l'Ordre du monde. L'espérance ne prend pas occasion de l'Ordre établi pour se satisfaire sans rien entreprendre. L'espérance ne dit pas "Amen" à tout, ce n'est pas son genre. Contra spem in spe... L'espérance nous rend chacun responsable de notre attente. Elle est la seule véritable mesure de notre amour.
Désir infaillible, ai-je écrit en titre. Je pensais au texte de Simone Weil dans Attente de Dieu, où la philosophe explique que le désir de Dieu est le seul qui porte en lui-même sa satisfaction, le seul que Dieu satisfasse toujours.
Cher Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerVotre article sur l'espérance contient des phrases magnifiques comme celle-ci :
"L'espérance nous rend chacun responsable de notre attente. elle est la véritable mesure de notre amour."
Ou encore :
"Nous avons peu de temps pour l'éternité. alors allons-y à fond." Et :
"c'est le manque de Dieu qui nous fait désirer Dieu. c'est le spectacle du mal qui nous plonge dans l'amour du bien."
Mais n'aimons-nous pas tellement dieu que dans la mesure où on en manque ? Est-ce bien doner toute la mesure de notre amour que de n'aimer que "ce que l'on n'a pas" ? N'est-ce pas même une preuve de manque d'amour que celle qui consiste à aimer plutôt que d'offrir "ce que l'on n'a pas" (pour faire écho à la célèbre définition de Lacan qui n'est pas seulement astucieuse, mais profonde aussi :
"aimer, c'est donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas".
et puis, n'espérons-nous pas beaucoup plus en paroles qu'"en acte et en vérité" ? que faisons-nous de si concret, à part nous frapper la poitrine, pour gagner notre éternité ? Nous rendons-nous seulement compte, quand nous nous la frappons, de la façon dont cela nous accuse et nous engage à regarder les fautes de nos frères comme des "pailles dans leurs yeux" auprès des "poutres" que sont nos propres péchés, dont nous sommes, au sortir de la messe, de bien indulgents calomniateurs ? J'ai souvent pensé qu'au lieu d'interdire la communion aux divorcés remariés, on devrait la refuser aux mauvaises langues.
Mais quel est le véritable effort de l'espérance ? consiste-t-il simplement en ceci que l'on n'y est point sécurisé ? Je veux bien que, si l'on est conscient de cette véritable insécurité, tout change. Mais, quand il arrive que, par hasard, nous en soyons conscients, n'est-ce pas une conscience toute intellectuelle ? Ne nous disons-nous pas le plus souvent "sauvés en espérance" ? N'est-ce pas là le titre même d'une encyclique du pape régnant que l'on s'étonne de voir un de ses amis philosophes prendre, en quelque sorte, de si haut ?
en dernier lieu, quel amour induit l'espérance ? La charité n'est-elle pas la vertu tautologique de l'amour qu'elle renferme, quand l'espérance ressuscite la crainte que bannit l'amour ? car enfin, quelle est notre espérance ? Ne pas être perdus pour l'éternité au risque de perdre les autres ? "faire son salut" sans souci de celui du corps entier ? Ou bien contempler et rencontrer Dieu ? Mais qui nous dit qu'Il ne nous a pas déjà plus souvent qu'à notre tour donné de le faire en ce monde lorsque nous exercions la charité à l'égard de ceux-là^mêmes dont nous ignorions qu'ils ne Le représentaient pas seulement, mais qu'ils Etait Lui sur notre chemin ?
Prions chacun les uns pour les autres, afin que Dieu ne nous refuse pas Ses bras au jour du grand Passage.
J. WEINZAEPFLEN
Je pose la question à Guillaume et à Julien:....et ON FAIT QUOI, QUAND ON N'A PAS LA FOI???????
RépondreSupprimerThierry : vous posez la question de fond du catholique "c'est quoi, avoir la foi" ?! La foi est un don de Dieu, qu'il faut demander mais que nous ne sommes jamais sûrs de posséder... Ste Thérèse de l'Enfant Jésus sur son lit de mort pensait avoir perdu la foi... mais elle n'a jamais perdu l'espérance ! Elle conservait la volonté de croire... Pour avoir la foi, il faut vouloir... et cela complète l'Abbé 2T : l'espérance, ce doit être la volonté de croire, la volonté d'aimer... Cela répond aussi à julien car il a tout à fait raison, nous sommes entourés de gens qui espèrent en paroles mais pas en actes... Comment se manifestent les actions de l'espérance ? Voilà la vraie question qui se pose après l'exposé de l'Abbé et voilà en qq sorte une reformulation de votre question !
RépondreSupprimerCher thierry,
RépondreSupprimerOn ne saurait vous faire meilleure réponse que celle que vous a faite antoine :
"espérer, c'est avoir la volonté de croire".
Personnellement? je crois n'avoir jamais lu plus belle définition de l'espérance.
Mais puisque vous me preniez à témoin en qualité de commentateur (ainsi, à plus digne titre, que l'auteur de l''article commenté), j'assortirai la réponse d'Antoine d'une question posée au questionneur (dont la question ne se paie pas des circonlocutions qui rendent mes torrentialismes apotables) :
"Considérez-vous comme une chance d'avoir la foi ?"
dans l'affirmative, d'après ce que vous a dit antoine, vous êtes déjà dans l'espérance, prélude à la Foi. Vous n'êtes pas croyant malgré vous, mais c'est à peine si vous n'êtes pas sauvé malgré le même…
quant à la définition que donne Antoine - et qui donne si bien le fin mot de l'espérance -, je l'apprécie parce qu'elle contrecarre deux idées tout aussi fausses à mes yeux : la première a pourtant aussi été exprimée par Antoine : c'est que "la foi est un don de dieu". S'il en est ainsi, la foi est arbitraire et à peine calviniste. Et la seconde idée épouvantable à battre en brêche serait qu'"aimer, c'est vouloir".
Antoine nous donne lui-même les verges pour battre le postulat traditionnel que "la foi est un don de dieu". Ne reçoit ce don que qui veut déjà croire. Mais quant à la seconde abomination d'idée, qu'"Aimer, c'est vouloir", peut-être gagnerait-on à l'exprimer ainsi :
"Aspirer à persévérer dans son amour, ce qu'indique la notion de vouloir aimer, c'est vouloir croire en la durée de cet amour".
"vouloir aimer", c'est donc espérer l'amour.
C'est trop pour désirer que de vouloir : pardon au métaphysicien abbé de Tanoüarn. Mais condillac nous indique, dans son "TRAITE DE LA SENSATION" que vouloir, c'est avoir les moyens de son désir. C'est donc trop peu que de désirer pour l'espérance, même si notre cher hébergeur-aubergiste d'abbé a fait du désir la marotte de sa pensée. A vrai dire, si l'"espérance" est le "porche" de la vertu de Foi, c'est en tant que le désir est tendue vers la force, que possède en entier le "vouloir" de la foi.
"si vous aviez la foi gros comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne :
"déplace-toi d'ici" et elle se déplacerait".
La foi est une volonté pleine de force. Si la montagne ne se déplace pas, c'est que nous ne croyons pas et que nous ne voulons pas. Celui qui n'a en lui que "la volonté de croire", que "le désir de cette force", celui-là, thierry, n'a qu'à se soulever, comme un malade ou un révolutionnaire. Il attrapera les perfusions qui infuseront le monde. (Ici, une prière pour l'abbé Berche dont je n'ai jamais eu l'occasion dans ces commentaires).
Les trois vertus théologales ont l'air de se repousser l'une l'autre : la charité paraît se suffire à elle-même de ce que, "de l'amour, soit bannie la crainte", qui constitue l'espérance en bonne part. Mais l'amour et la crainte se réunissent en la force. Cette force est la foi et la foi est proverbiale… La Foi soulève : force du verbe ; l'espérance soutient et la charité sous-tend. Foi et Charité étirent, étendent la Création dans le soutainement et la tension de l'espérance…
Votre ami
Julien WEINZAEPFLEN
Cher Thierry,
RépondreSupprimerQuand on n’a pas la foi que fait –on, demandez vous ? On fait comme ceux qui ont la foi. Nous sommes sur le même bateau Vous êtes sur le même bateau. Comment pourriez vous dire ?
Que nous dit Dostoïevski qui avait retrouvé une foi brûlante, même si elle parait peu orthodoxe à certains « j’ai creusé ma foi au Hosannah du doute «
Et quand on n’a pas la foi ou qu’on croit ne pas l’avoir ? On creuse aussi et on guette le hosannah non plus du doute cette foi ci, mais le hosannah de cette espérance, enfouie en nous. . Dans les deux cas il faut faire un saut sans filet. Jean d’Ormesson, qui s’est illustré par une certaine frivolité, a dit récemment dit qu’il ne craint plus la mort, devenu vaguement panthéiste ; Eh bien ce n’est pas à mon sens, très chrétien, un chrétien craint la mort , même et d’autant plus qu’il est sanctifié, mais cette angoisse dont il est ou peut être submergé, il la traverse les yeux ouverts , accroché à cette espérance qui témoigne de son don et de la grâce qu’il attend.
Celui qui n’a pas la foi peut aussi avoir les yeux ouverts et c’est son don à lui, qui rencontrera bien un jour le don sans repentance de Dieu Avoir la foi dans cette attente pour les uns , avoir la foi dans le doute pour les autres, nous sommes biens sur le même bateau
D’où l’importance de la méditation d e l’abbé de Tanouarn sur l’espérance et de tous ceux qui l’accompagnent, et qui vous ont déjà bien répondu .
Chers amis, cher Antoine, cher Julien, cher Henri, je suis confus de ne pas avoir cliqué sur le Métablog, depuis le jour où j'ai pensé tout haut et osé vous poster cette interrogation...j'aurais du me douter qu'elle susciterait des réponses telles que les vôtres, qui êtes de si fins lecteurs et commentateurs.
RépondreSupprimerComment vous remercier, en oûtre tardivement, de la qualité de vos propos si personnels et si pénétrants?
Je dois vous dire une seule chose: je suis infiniment touché. Quant au fond de la question, il me donne le vertige car j'aime mon Église et la foi de mes aïeux, je respecte les sacrements mais j'ai "décroché" pour le reste et cela me semble irréversible. Je suis désolé de vous offrir l'image d'un handicapé du coeur ou de l'Âme mais c'est ainsi.
Le pire à mes propres yeux, serait de grimacer une religiosité factice, qui me ferait horreur. Donc, je marche en boîtillant mais j'essaye d'avancer à ma manière.
Figurez-vous que je suis venu refaire un tour par ici, parce que je viens de découvrir, sur le net, toute cette histoire d'émission de télé et que je voulais apporter mon fort modeste soutien à l'IBP, qui m'a tout de suite enthousiasmé, lorsque cette initiative a surgi, à cause de la profonde honnêteté, si marquante, de ses instigateurs, à notre époque de mensonge, élevé à la norme habituelle: bon, du coup, je vais repasser plus régulièrement.