Je reprends à mon compte l'intuition profonde que développe l'abbé de Tanoüarn dans son petit livre sur Jonas (« Jonas ou le désir absent », aux éditions Via Romana), et qui lui fait dire que l'intégriste n'est jamais quelqu'un ayant trop la foi, ou qui encore, foudroyé, l'userait à mauvaise escient, tant elle seule lui tiendrait lieu de mode d'existence au détriment de tout le reste, mais à l'inverse quelqu'un qui ne l'a pas assez. Quelqu’un dont le doute la balaierait de manière si forte, que sa foi lui semble alors un mince rempart face à ce vent kamikaze. Un homme finalement si éloigné de Dieu, sans vouloir l'admettre pour autant, qu'il lui faut pousser sa religion du dogme à l'hystérie, pour espérer lui donner ainsi un aliment sensible, au goût extrême, capable d'irriter ses papilles hélas tuméfiées.
Car si le dogme et la tradition sont les repères dont aucun ne peut faire l'économie devant l'inconnu ultime qu'est le jugement du Seigneur, l'intransigeance, la certitude d'appartenir aux camps des justes, en incarnent l'exact antagonisme. Le refus de la complexité, la haine du doute, l'horreur d'imaginer qu'il existe un ailleurs hors nos critères, ne figurent jamais le rejet de cette subjectivité maladive qui, le siècle passé, nous a obligé de renoncer à presque toute forme de vérité en dehors du particulier, mais précisément son opposé parfait. C'est la victoire de la subjectivité, montée jusqu'à son paroxysme négateur, qui persuade l'intégriste qu'il la combat, lors qu'en appelant objectivité le délire solipsiste de sa vision du monde, à l'intérieur duquel il s'emprisonne, il s'efforce simplement de rendre le subjectivisme plus implacable encore. « Qui fait l'ange fait la bête ».
En d'autres termes l'intégriste est une métastase contemporaine du nihilisme, et le monde qu'il veut défendre n'est ni celui du futur, ni celui du passé, pas plus qu'il n'œuvre au Royaume ou à l'ici-bas. Pis, il est cette pure présence pétrifiée dans une lubie qui l'empêche d'espérer autre chose que ce en quoi il croit, et de croire en autre chose que sa croyance qui n'est plus, depuis longtemps, la foi, mais sa conviction, son idéal !
Pauvre hère, il est la meilleure illustration d'un univers sans Dieu, où l'altérité n'est que l'autre visage d'un « moi » dictatorial, régnant partout aujourd'hui, menaçant chacun, et que nous aurions tort de ne deviner que dans les seuls religieux, puisqu'en chaque homme perdu loin du Tout-Puissant, il sommeille ; et qu'il existe aussi bien des intégristes laïques que des fanatiques « modérés »...
Rémi Lélian
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire