
On peut s'étonner de voir Scorsese ici réaliser son film le plus noir, et de le voir, lui dont le catholicisme est connu, ne proposer comme issue en ce monde que celle de la mort ou de la folie. A moins de considérer que l'enjeu de Shutter Island ne se trouve pas dans le choix entre la démence et la raison, mais plutôt dans celui entre, d’une part, survivre à la souffrance et à la culpabilité et, d’autre part, mourir pour n'avoir pas à les supporter. Ainsi, l'échec des psychiatres du film tient principalement dans le fait de n'envisager leur patient que comme un être ayant perdu la raison, lors que sa folie résulte uniquement de sa douleur, et qu'en soignant le mal sans guérir la cause, ils s'évertuent à singer Sisyphe en blouses blanches.
En vérité, Shutter Island n'est ni un film policier, ni un film sur l'inconscient, c'est un film d'horreur théologique, au sens littéral, dépeignant un monde refermé sur ses seules limites rationnelles, tandis que la souffrance irradie chacun de ses recoins sans qu'on accepte de la voir (d'ailleurs les camps d'extermination nazis et la bombe atomique laissent planer leur ombre atroce tout au long de la pellicule), et qu'elle nous tue d'autant plus sûrement que personne n'est là pour nous consoler. En français, Shutter Island, c'est l'île close. C'est l'homme, dont le poète a beau nous dire qu'aucun n'est une île, qui se persuade tout de même de son insularité misérable jusqu'à en mourir, non plus par folie, mais parce qu'il a recouvré la raison et elle seule... et qu'elle n'est pas suffisante...
Rémi Lélian
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