Que reste-t-il à l'homme après le péché originel ? Il reste l'image de Dieu. L'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gen. 1, 27). En quoi consiste-t-elle, cette image ? Il suffit de se demander qui est Dieu pour saisir ce que nous avons en commun. Mais non ! Il ne suffit pas de se le demander. C'est à lui, Dieu, de nous dire qui il est. Et c'est en quoi il faut écouter ce qu'il dit à Moïse en Exode 3, 14. Il faut revenir à cet épisode du Buisson ardent, ce buisson qui brûle sans se consumer devant Moïse ébahi, image d'une chaleur qui ne connaît pas l'entropie, qui ne s'épuise jamais et jamais ne diminue. Dieu dit à Moïse son nom.
Mais ce nom, avec les aléas de l'histoire, depuis la destruction du Temple de Jérusalem en 70, on ne parvient plus à le lire avec certitude.Les voyelles inscrites au bas des consonnes, simples signes diacritiques, ont disparu. Ce nom sacré n'était prononcé qu'une fois par an dans la solitude du sanctuaire. On ne sait plus aujourd'hui ni comment le vocaliser ni ce qu'il signifiait.
On nous propose deux traductions, l'une plus traditionnelle : Je suis celui qui suis, mais difficile à commenter, et l'autre plus contemporaine : Je suis qui je suis. Les deux formules ont un point commun à prendre en considération : Dieu dit JE. Et du coup on peut ajouter : L'homme, seule de toutes les créatures terrestres dit JE :Dieu est une personne et l'homme est une personne. Il y a dans ce simple constat une espérance formidable. La ressemblance entre l'homme et Dieu est réelle, elle constitue un appel à une solidarité réelle. "A peine le fis-tu moindre qu'un dieu" dit l'Ecriture en ce sens (Psaume 8).
On peut ensuite épiloguer philosophiquement sur chacune de ces deux "définitions" de Dieu. Dans la version la plus ancienne, Dieu est l'être qui s'affirme face au néant. Mais ce n'est pas assez dire ! il est le sujet absolu : Je suis celui qui suis. L' être est sujet.
Dans la version qui a les faveurs des contemporains, Dieu se contente de dire : Je suis qui je suis. On pense à l'expression du philosophe Jean-Luc Marion : Dieu sans l'être. Mais peut-on penser "Dieu sans l'être" et ne pas déraper vers l'athéisme ? Le Christ, Fils de Dieu, utilise, lui, en saint Jean le nom de Dieu sous la forme grecque Ego eimi, Je suis. On est loin de Dieu sans l'être et de "Je suis qui je suis". En revanche on retrouve le même passage de l'Exode : Dieu déclare à Moïse ; Tu diras au peuple d'Israël que Je suis m'envoie vers vous (Ex. 3, 16).
Le Christ prend ce nom divin et se nomme lui-même dans plusieurs formules mystérieuses : "Je suis". "Avant qu'Abraham fut, je suis". Ou encore : "Si vous ne croyez pas que je suis, vous périrez tous dans votre péché". Ou encore selon la traduction latine de saint Jérôme : "Je suis le principe,, moi qui te parle". Le Christ ne dit pas ; "Je suis Dieu", encore moins ; "Je suis un Dieu". Il n'utilise pas ce nom commun, Dieu, pour exprimer sa divinité mais il emploie le nom propre de Dieu, Yahvé, traduit en grec Ego eimi. Edouard Delebecque, grand exégète et grand helléniste compte huit Ego eimi, huit fois : Je suis dans l'Evangile de Jean. Ainsi huit fois le Seigneur Jésus se présente comme Yahvé Dieu.
En comparaison, dans l'Evangile d'aujourd'hui (troisième dimanche de l'Avent), Jean Baptiste, se présentant aux Juifs au début de l'Evangile de Jean, ne dit pas ; "Je suis". Il n'emploie pas le verbe être à son propre sujet, il ne dit pas : "Je suis la voix", mais seulement "Moi la voix de celui qui crie dans le désert" Il se fait entendre comme la voix du Verbe, souligne Origène (vers 250). Il porte le Verbe car il a la voix qui porte. Mais il n'est pas le Verbe. Et il l'annonce sans même le connaître : "Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas. Il est venu après moi mais il a été fait avant moi et je ne suis pas digne de délacer la courroie de sa sandale [comme fait l'esclave pour le maître]".
Cette humilité de Jean-Baptiste a de quoi nous faire réfléchir sur l'image de Dieu qui est en nous. Nous ne sommes véritablement cette image, nous ne sommes arrachés à la précarité, à la corruption et à la mort que par la foi en Jésus seule image du Père qui soit de même nature que lui. En nous l'image fugace devient homoiose [mot que nous traduisons, mal, par ressemblance, et qui dit plus] : nous ne nous identifions à l'être du Christ (cet être divin : ego eimi) que par la foi en lui. Sans la foi l'image de Dieu en nous se ternit et elle finit par se perdre. "Si vous ne croyez pas que Je suis, vous périrez tous" (Jean 8, 24).
est pas assez dire.
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