jeudi 4 décembre 2008

Courtalain et Pascal

Aujourd'hui, fête de saint François Xavier, baptiseur aux Indes, défricheur au Japon et jusqu'en Chine. Je donne cours de méthodologie au séminaire de Courtalain. Ah ! La méthodologie. Voilà un mot trop long pour être honnête, un mot rallongé. Il suffirait de parler de méthode.
Nous travaillons sur une brève pensée de Pascal : "La sagesse nous envoie à l'enfance".
Merveilleux Pascal. Sans crier gare, en cinq mots, il nous emmène dans tout ce que le christianisme a de plus choquant. Mais trêve de badinage. Nous sommes en méthodologie. Il faut traiter le sujet !
L'un de mes élèves, un séminariste qui n'a sans doute pas envie de se laisser choquer par Pascal, m'explique qu'il existe un rapport essentiel entre la sagesse et l'enfance, car l'enfance doit être attirée par la sagesse, "au sens noble du terme"... Oh ! Enfance moderne, désespérément en quête de matrice !
Il ne se rendait pas compte que Pascal, affirmant "La sagesse nous envoie à l'enfance", explique le contraire de ce qu'il imaginait lui, et que cette sentence pascalienne est tout simplement scandaleuse. Pour l'auteur des Pensées, c'est l'enfance qui doit être la matrice de la sagesse ! Pas de vraie sagesse qui ne soit passée à l'acide d'une véritable enfance !
La grande idée chrétienne, depuis saint Paul et le premier chapitre de la Première épitre aux Corinthiens, c'est que la sagesse humaine est une ineptie. Attention : Paul est bien trop avisé et bien trop philosophe pour dire : les sciences ou les savoirs de l'homme sont des inepties. Il dit simplement : la sagesse humaine est inepte, l'homme qui se prétend sage par lui-même est inepte. Aristote (peu suspect d'obscurantisme en son temps) disait la même chose dans les deux premiers chapitres de sa Métaphysique, expliquant que seul Dieu est sage et que l'homme ne peut être que l'ami de la sagesse, c'est-à-dire, au sens étymologique de ce terme le "philosophe"...
Les grands esprits, Aristote avec saint Paul, ont l'humilité de reconnaître qu'il n'existe pas véritablement de sagesse humaine, ou que la sagesse humaine est à peine digne de ce nom. Mais est-ce qu'ils ont compris, comme Pascal, lecteur de l'Evangile, que la sagesse réclame l'enfance, son absolutisme, la virginité de son regard sur les choses, son étonnement sur tout et son contraire.
Aristote n'était peut être pas très loin du compte : dans ces deux chapitres qui servent de préface à son Traité de Métaphysique, il estime que le commencement de la science, c'est l'étonnement. N'est-ce pas là l'attitude enfantine par excellence ? Comme nos savants auraient besoin de savoir s'émerveiller, comme Aristote. Leur science serait sans doute infiniment plus gouteuse et plus pertinente (ou plus impertinente) si ils avaient l'honnêteté de dire, comme Aristote, que leur volonté de savoir était née un jour non de je ne sais quelle frustration dont ils ne se seraient pas remis, mais de l'émerveillement qui les a saisi devant la beauté du monde.
Cet émerveillement nourrit aussi le séminariste qui, se formant loin des intégrismes idéologiques de tous bords, accepte de se plonger dans la Tradition, cette grande sagesse de l'Eglise avec sa riche diversité. Mon correspondant anonyme a raison de souligner, à l'issue du post sur l'humanisme, la profusion culturelle dans laquelle brille aujourd'hui la Parole de Dieu. Cette profusion, ce n'est qu'un écrin pour la foi qui est seule la "perle de grand prix" dont parle l'Evangile. Mais qui dira l'importance de l'écrin à l'heure où beaucoup, convertis par hasard, ont découvert cette perle par terre, abandonnée parmi tant d'objets trouvés et autres magots de brocante, comme un ornement passé de mode dont on ne voudrait plus se parer.
Remettre la foi dans son écrin de culture et de sagesse, quelle noble et terrible ambition pour le XXIème siècle !

2 commentaires:

  1. L'enfance est aujourd'hui trop souvent envisagée à travers le prisme déformant d'une adolescence envahissante, qui commence tôt (et qui finit tard,...quand elle finit). De ce fait, on perd de vue la richesse spirituelle de l'enfance, dans son aptitude à percevoir la force et la beauté de la création. En cet état de conscience, l'ironie faussement détachée de l'adolescent ("Dieu est loin de nous", etc) n'a pas encore corrompu la plénitude de ce qui est entrevu. Aussi, dans cette perspective, la maturité spirituelle de l'âge adulte consiste-t-elle à associer l'expérience de la vie avec cette part préservée de l'enfance, qui sait admirer sans laisser intervenir un encombrant ego dans cette admiration. C'est cette faculté qui permet de ne pas mettre la charrue avant les boeufs en matière de désir, et notamment de désir envers Dieu, qui ne peut alors être que second par rapport au désir de Dieu à notre égard. C'est peut-être là le premier pas vers la sagesse. En somme, l'enfance a un secret : elle ignore le narcissisme.

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  2. Merci, cher jean-Vincent que je ne connais pas. C'est à la fois magnifique... et juste !

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