vendredi 28 décembre 2012

Jean Borella : pour croire aujourd'hui

Chez L'Harmattan, la collection Theoria dirigée par Pierre-Marie Sigaud a entrepris une réédition complète de l'Oeuvre de Jean Borella, qui en profite pour nous livrer chaque livre dans une nouvelle édition corrigée et augmentée. Un travail de... Romain, pour une œuvre à la fois profondément catholique et profondément libre, qu'il faut faire lire, sans hésiter à tous les chercheur de sens. La trêve des confiseurs vous laisse du temps ? Courrez chez L'Harmattan ou commandez sur Internet le livre qui me semble le plus accessible et le plus touchant. Jean Borella l'a intitulé Le sens du surnaturel. Il était introuvable depuis vingt ans. Le voici de nouveau disponible, augmenté de plusieurs chapitres. Vous bénéficierez aussi d'une longue postface intitulée Symbolisme et réalité, dont j'extrais ce résumé du dessein de Borella, par lui-même :
« Nous nous trouvons tous, de par nos certitudes scientifiques et la mentalité qui les accompagne dans une extraordinaire difficulté à croire à a vérité des faits sacrés que nous rapportent l’Ancien et le Nouveau Testament. Toute ma démarche philosophique est issue de la conviction que s’imposait à moi le devoir de relever spéculativement ce formidable défi »
Formidable défi ? Celui de situer la foi au sein de la connaissance humaine ; celui de défendre la foi contre ceux qui voudraient anéantir ce mode de connaissance ou en faire, comme le montre Borella au début de son livre, une manifestation purement affective, un projet subjectif ou une simple hyperbole, exprimant ce que chacun peut arracher de positif à l'existence.

Autant de déformations que Borella n'hésite pas à regrouper sous le terme qu'employait le pape saint Pie X : modernisme. "Etrange dénomination, mais seule dénomination véritable car la démarche constitutive de cette hérésie, c'est d'adopter  en tout le point de vue du monde moderne, lequel est entièrement défini par sa négation de la réalité surnaturelle". Les outils qu'utilise la modernité culturelle ne nous permettent pas de recevoir la foi comme une donnée véritable. Tout juste peut on parvenir à "un déisme humanitaire, qui ne se distingue guère d'un athéisme vaguement religieux". Jean Birella a vécu cette déperdition de substance de la charité surnaturelle, qui a été profanisée et finalement profanée dans des projets politiques ou "sociaux" sans proportion avec le christianisme authentique.

On nous dit que l'une des meilleure ventes de la Procure cette année, c'est le livre du Père jésuite Joseph Moingt (97 ans) qui s'intitule Croire quand même. J'ai envoyé sur ce Blog une lettre ouverte à Joseph Moing restée sans réponse. Le drame de ce personnage qui entend tout revoir à la baisse et voudrait que les chrétiens fasse profil bas à "croyant quand même, non sans avoir "fait bouger" l'Eglise, c'est qu'il pose une vraie question. Il relève à sa manière le "formidable défi" dont parle Borella. Mais il accepte de le relever avec les instruments dont se servent tous les athées, tous les scientistes, tous les agnostiques de l'univers. Quelle prétention de penser qu'avec le même instrument on peut parvenir à un résultat différent !

La Raison raisonnante, fondée sur le principe d'identité et qui fonctionne en établissant l'égalité ou la comparaison rigoureusement étalonnée de plusieurs réalités entre elles, cette raison raisonnante nous permet de construire quantité de sciences sur quantité d'objets. Mais elle reste impuissante à nous renseigner sur notre propre vie. il n'existe pas de science de la vie. Ceux qui se hasardent à en proposer une parviennent tout juste à élaborer des traité de savoir vivre, qu'il faut sa&ns cesse mettre à jour, actualiser, adapter etc. La démarche scientifique ne nous dit rien du sens de la vie. Elle ne peut pas nous en dire quelque chose puisque elle est fondée sur l'égalité des mesures, c'est-à-dire sur l'identité (ou non) de représentations mesurables ou de contenus de pensée rigoureusement analysables. Pas la peine de se fatiguer beaucoup pour comprendre que la raison ne mène nulle part celui qui veut comprendre sa propre vie.

Que nous reste-t-il alors ? J'ai essayé de montrer que Pascal s'était posé cette question, en notant l'ignorance dans laquelle l'homme se trouve vis-à-vis de son propre destin. Pascal parle du coeur et il dit, vous connaissez cette phrase sa&ns forcément la comprendre : "Le coeur a ses raisons que la raison de connaît pas". A quelle connaissance pouvons-nous parvenir, qui ne soit pas une connaissance scientifique fondée sur l'identité. Quelles raisons alternatives s'offrent à nous ? Chez Cajétan, j'ai découvert l'analogie, je l'ai retrouvée chez Pascal. Pour Jean Borella c'est là qu'intervient le symbole. Quand l'homme n'est plus capable de connaître en mesurant et en comparant exactement plusieurs mesures, parce que ni Dieu ni la vie humaine ni le bien que nous faisons n'ont d'exactes mesures, il nous reste à investiguer les symboles. "Ma thèse en effet, déclare-t-il, est que le symbole, non seulement donne à penser, mais il donne la pensée à elle-même". Inversement "l'évacuation du muthos entraîne l'asphyxie du logos".

Encore faut-il préciser qu'il y a symbole et symbole. Selon le titre d'un des ouvrages de Borella, nous vivons aujourd'hui "une crise du symbolisme religieux", une mise en cause radicale de ce symbolisme, à travers le concept d'aliénation. Il suffit d'admettre que la conscience humaine "ne peut être radicalement faussée dans son acte cognitif essentiel" pour envisager la culture humaine, l'histoire de la culture religieuse et philosophique de l'humanité sous un autre angle, en admettant que tous les symboles sont vrais d'une certaine façon. Jean Borella a poussé cette hypothèse très loin en proposant récemment (en collaboration avec son disciple Bruno Bérard) une magnifique Métaphysique des contes de fée. Quoi de plus vrai en effet qu'un conte de fée ? Cendrillon, Blanche neige, le Petit Poucet correspondent à des vérités que l'esprit n'aperçoit pas forcément dans l'acte de conter leur histoire. Mais, au crépuscule, l'oiseau de Minerve sait voir et reconnaitre comme sienne cette pensée symbolique, qui, comme les cailloux du Petit Poucet, est la seule manière de sortir du labyrinthe existentiel dans lequel nous sommes perdus.

9 commentaires:

  1. Cher Abbé,

    Cet article est bien intéressant, mais il faudrait que vous nous éclairiez. Mettez vous sur le même plan le muthos, le symbolique, et la vérité de la foi ? Je pense que non mais votre article pourrait le laisser entendre. Il y a une vérité du symbole (et Jésus lui même en use dans ses paraboles) mais le credo, l'objet de notre foi, c'est de l'Histoire, "et incarnatus est". Ne convient-il pas se séparer muthos et logos ?

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    1. "mais le credo, l'objet de notre foi, c'est de l'Histoire"
      êtes-vous si sur que c'est de l'histoire? A moins d'utiliser la notion d'histoire comme argument pédagogique ( une autre façon de dire que c'est vrai ),vous me semblez bien fondamentaliste.
      RH

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    2. Fondamentaliste ? "Crucifié sous Ponce Pilate", n'est-ce pas historique ? Je ne comprends pas du tout votre objection. Ce n'est pas un argument pédagogique. Il me semble surtout que ce qui différencie le christianisme, et même le judaïsme, c'est cet enracinement historique, qui n'exclut bien sûr pas les lectures allégoriques. Mais l'événement de la résurrection n'est pas une allégorie, c'est un fait et les faits sont têtus.

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  2. Grâce à cet article, mon cher père, je viens de découvrir que Jean Borella a un blog!
    http://jeanborella.blogspot.fr/
    Merci.
    RH

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  3. Cher Monsieur l'Abbé,

    je passerai sur les doctrines propres à J. Borella non en raison de leur vérité ou de leur fausseté intrinsèque mais en raison de son âge - il y a un respect dû aux anciens, de même que tel manuel d'apologétique affirmait que certaines religions anciennes peuvent être tolérées non en vertu d'une prétendue liberté de conscience, mais en raison de leur ancienneté (spécialement dans les contrées où elles ont cour depuis longtemps).
    Cependant, il me semble que le remède que vous proposez au modernisme - une philosophie de la vie qui fait abstraction du principe de non-contradiction ou d'identité - est très proche.. de la définition que S. Pie X donnait... de ce même modernisme. Comment rêpondriez-vous à une telle objection ?

    Amitiés et Joyeux Noël.

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  4. Comme le dit l'Abbé, "il y a symbole et symbole". Symbole n'est pas allégorie, il y a une autre conception du symbole qui le fonde dans la réalité, c'est ce que développe Jean Borella qui ne nie pas l'incarnation, bien au contraire, et qui s'oppose justement à tous ceux qui réduisent les évènements de la Bible à des mythes, à des symboles au sens où vous l'entendez, puis qui procède à une "démythisation" du texte comme R. Bultmann en son temps pour n'en garder que les vérités morales.

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    1. Merci pour cette précision, qui répond bien à la question que je posais à M. l'abbé.

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    2. votre mise au point est intéressante tellement les mots reflètent la culture du moment!Par exemple, l'histoire est devenue une idole à notre époque alors qu'en même temps le symbole est réduit à sa plus simple expression! Histoire, symbole, mythe, légende sont, en définitive, des appellations réductrices de la réalité. On ne dit plus la chose, on parle de la chose!
      RH

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