vendredi 11 juillet 2014

Qu'est-ce qu'un Di spi ?

On parle beaucoup en ce moment de "direction spirituelle" sous un autre vocable, plus acceptable, plus "humaniste", plus démocratique, plus égalitaire, celui d'accompagnement. J'ai toujours été extrêmement sceptique sur la possibilité, sur la réalité de la direction spirituelle. Le terme fait peur. Comment installer quelqu'un jusque dans votre conscience pour diriger à votre place ? C'est impossible. La conscience, avec le dictamen rationis qui en représente l'exécuteur ultime, est à proprement parler indépassable en chacun. De ce point de vue le terme d'accompagnateur est certainement plus juste, mais je crains qu'il soit aussi plus hypocrite. Accompagnateur ou Führer ? Ou Conducatore ou Duce : un guide disons en français courant. En voyant tous ces directeurs spirituels qui ont tant de mal à se diriger eux-mêmes et qui sont comme "ces aveugles conduisant d'autres aveugles" dont parle l'Evangile, je dois dire que je suis sceptique. Je suis sceptique aussi quant à mon expérience personnelle, comme dirigé et comme directeur.


Et pourtant il existe de nobles exemples, le Curé d'Ars, Padre Pio... Il existe des prêtres renommés dans l'accomplissement de cet exercice, l'abbé de Saint Cyran qui succéda à saint François de Sales pour diriger Mère Angélique Arnauld et les moniales de Port-Royal, l'abbé Huvelin, qui avait converti Charles de Foucauld et que le jeune Charles Maurras eut mandat d'aller voir, ce qu'il fit avec moins de succès que son illustre devancier, Monseigneur Charles, qui, par ce moyen groupa autour de lui une pléiade de jeunes prêtres qui représenta l'avenir du diocèse de Paris, monseigneur Guérin, qui créa la Fraternité Saint Martin, d'autres encore... Je pense à l'archimandrite Tikhon, qui passe pour le directeur spirituel de Vladimir Poutine... Sainte Thérèse d'Avila disait paraît-il du directeur spirituel : choisissez-le entre mille. Sa tâche n'est donc certainement pas facile, mais quelle est-elle ? Il y a les convertisseurs (le Père Marziac) et les gestionnaires (la grande majorité d'entre eux), les confidents et les évangélisateurs. Il importe avant tout de trouver chaussure à son pied. Un Pascal n'hésita pas à écrire dans son Mémorial : "Obéissance à Dieu et à mon directeur".

Qu'apporte le directeur spirituel ? Deux choses à mon avis : un contact paternel avec la loi du Christ, qui ne doit jamais rester purement abstraite ou générale si on veut savoir l'observer ; une invitation résolue à telle ou telle décision que l'on n'aurait pas prise (ou que l'on aurait mal prise) sans la confiance qu'il installe en nous.

Je crois que le premier point est fondamental : comment observer la loi du Christ ? Que puis-je faire en tant que chrétien ? Comment puis-je intérioriser cette loi, la faire mienne ? Il s'agit non seulement de ce que la Loi m'interdit, mais peut-être surtout de ce qu'elle commande, à chacun selon ses ressources. La première qualité du directeur est le jugement des hommes. Il doit savoir à qui il peut demander quoi. Ce contact paternel avec la loi me semble constitutif du christianisme religion d'amour, antilégaliste. La loi de liberté, qui nous commande d'être parfait comme le Père céleste, ne peut être prescrite en vérité que d'homme à homme, par la médiation de l'Eglise.

Quant au deuxième point, cette invitation au choix (ou cette exhortation à aimer nos choix), elle n'est possible que dans un subtile mélange, que je me suis entendu conseiller récemment. Pour faire des choix efficaces, il ne faut jamais douter de soi (car douter de soi, c'est douter du Dieu qui nous a mené jusque au point où nous sommes et qui ne nous abandonnera jamais) et en même temps il faut être capable de se remettre en question, de remettre en cause telle de ses orientations. Ne pas douter de soi et se remettre sans cesse en question : seule une bonne direction spirituelle, c'est-à-dire une vraie discussion, un vrai contact peut permettre d'allier ces deux opposés qui vont si bien ensemble.

8 commentaires:

  1. Monsieur l’Abbé,

    J’ai eu peur que vous ne partiez en vacances en laissant sans réponse la question personnelle que j’ai eu l’audace de vous poser. Je vous voyais déjà rempli de remords d’avoir laissé une ouaille des plus modestes dans l’expectative, trouver les pommes acides, le cidre amer, les crêpes spongieuses et la pluie plus dégueulasse.
    Mais votre article me rassure et c’est plein de confiance que je vous redemande :

    Monsieur l’Abbé, donneriez-vous l’absolution à une personne qui vous confesserait son option pour la « létalisation » ?

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  2. Un directeur spirituel est un guide qui doit bénéficier d'une confiance sans restriction.
    C'est l'humilité des deux côtés. Les exemples cités se situent dans une Eglise , peut-être tourmentée, mais où il y a des oasis à l'abri du monde et de ses artifices.
    Depuis la seconde moitié du XIX ème siècle , le progrés matériel a troublé les esprits religieux. Le combat modernistes et conservateurs a commencé sous le Pape Léon XIII et n'a plus cessé. Et Vatican II ne l'a pas apaisé. Un directeur spirituel ? dans quel camp ? quelle doctrine ? remise au goût de quelle époque?
    Finalement le meilleur directeur spirituel c'est le " do it yourself" avec comme outils l'Evangile et quelques textes de Saints sans préjuger des époques.

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  3. « La Parole est par nature une réalité de relation – elle présuppose tout autant quelqu’un qui parle et quelqu’un qui reçoit en écoutant ; elle ne disparaît pas seulement quand personne ne parle mais aussi quand personne n’entend. Il est un silence qui est une réponse – le silence de celui qui écoute ; mais il existe aussi un silence dans lequel la Parole est étouffée, celui où personne n’écoute. C’est pourquoi il n’y a de parole qu’accompagnée d’une parole en retour, elle n’existe que par cette réponse, et cela vaut aussi de la Parole de Dieu, de l’Ecriture. »

    C’est ce qu’écrivait notre cher Benoît XVI en 1982.

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  4. Je pense que “direction spirituelle” est très difficile aujourd´hui. Histoires de saints anciens parlent d´un « directeur spirituel » et est compréhensible ; qui religieux anciens avaient un directeur.(Il y avait dans ce temps là plusieurs directeurs compétents, peut- être). Je suis d´accord avec la plupart de ce que vous avez écrit. Je pose quelques questions. Avons-nous aujourd´hui de bonnes personnes pour faire le rôle de directeur spirituel ? C´est le plus grand problème. Dans la plupart des cas, nous aurions, comme vouz avez bien dit, « aveugles conduisant d´autres aveugles. » Et encore un autre grand danger : un « directeur » pourrait bien conduire la personne qu ´il guide à croire en tout ce qu´il même croît, ça veut dire, à croire en tout que serait de son intérêt. Donc, si ce « directeur » est un extrémiste, il va conduire les gens qu´il guide pour l´extrémisme. C´est le plus grand danger. Et ainsi de suite. Cela est bien évident aujourd´hui. J´ai déjà vu des prêtres avec une mentalité telle deformée, en raison de la « formation » qu´ils ont, si extrémistes, qu´ils pourraient conduire les gens à le même abîme où leur esprit est. Si Sainte T. d´Avila disait « choisissez-le entre mille », nous pouvons dire : « choisissez-le entre milliards ». Si « la première qualité du directeur est le jugement des hommes », comme vous avez dit, donc c´est déjà terminé. Car pour bien juger, il faudrait que cet homme était d´une grande sagesse, compassion, spiritualité, etc. Trouver un de ces qualités en une seule personne est déjà très difficile. Je crois que le meilleur directeur spirituel est le propre Dieu, si quelqu´un veut un « directeur ». Celui-ci ne va pas commetre fautes. Cependant, nous pouvons avoir un confesseur, lui-même choisi entre plusieurs. Mais le meilleur « directeur » est encore Dieu. Et avec Lui, la conscience, si la personne l´a peut avoir bonne ; l´humilité; enfin, c`est Dieu le meilleur directeur, car devant Lui, on peut et on doit nous montrer tels comme nous sommes en vérité, et il va nos guider avec Sa sagesse, Sa compassion, Sa spiritualité,etc... divines.
    N.N.

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    1. merci d'en rester à 2 lignes la prochaine fois. God, have mercy ....

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  5. Que de catastrophes voyons-nous autour de nous avec ces ''pères spi''. Cela ne s'improvise pas, et avec la carence du clergé actuel, certains, dans le monde tradi ou proche des tradis, s'érigent directeurs d'âmes sous prétexte que les grands saints précités le furent. Mais n'est pas le curé d'Ars qui veut! Combien sont de véritables gourous! Combien sont orientés vers les ordres alors qu'ils n'ont pas de vocations! Combien perdent tout sens critique parce que ''le ''père spi'' l'a dit''! C'est un sujet très grave qui, je l'espère, est abordé au séminaire. Autrement plus grave que le port de la barette, des pompons, de la cape et autres âneries de ce genre!

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  6. Monsieur l'abbé,

    Le concept de direction est malsain, car pouvant entrer en contradiction avec le dictamen rationis, comme vous l'écrivez. Même s'il ne devait pas entrer en contradiction, ce serait encore ennuyeux, car prendre l'habitude de s'appuyer sur une béquille risque d'entraîner la chute en absence de cette béquille.

    Par ailleurs, je pense qu'on peut être capable de diriger sans savoir se diriger soi-même. J'ai pas mal d'exemples en tête de personnes d'une incroyable lucidité sur les autres et d'un parfait aveuglement sur elles-mêmes. A tel point que je me demande si ce n'est pas notre lot à tous... Même en matière de gouvernement, les exemples ne manquent pas de chefs compétents et assez douteux quant à eux-mêmes.

    Cela dit, en oubliant le concept de direction et même de guide, je rêve d'une notion de ce type, fondée sur la lucidité et l'amitié. J'aimerais rencontrer une personne de confiance à laquelle je pourrai me livrer complètement, en toute sincérité, et qui aurait pour moi assez d'amitié pour rester mon amie quand même... Elle pourrait me donner son sentiment, ses préconisations.

    Consultant , j'ai appris (contre ma nature...) à ne pas essayer de diriger mes clients, mais, après avoir (peut-être) compris leur problème, à essayer de leur transmettre les éléments nécessaires pour qu'ils trouvent la solution et la mettent eux-mêmes en œuvre.

    En revanche, dans le cadre qui nous intéresse, la relation doit être totalement désintéressée (et pas seulement sous l'angle financier) et relever du for interne, et même d'un for interne exclusif, au même titre que la confession.

    Je suis d'accord avec la notion de contact paternel avec la loi du Christ, sous réserve de remplacer 'paternel' par 'fraternel'. La loi de liberté doit pouvoir être prescrite d'homme à homme, comme vous le dites si bien, mais dans le cadre d'une foi commune plutôt que par la médiation de l'Église (sauf à définir l'Église comme le Christ ; 'Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux ').

    Enfin, je n'attends pas d'une telle relation qu'elle m'aide directement à poser des choix, mais qu'elle m'éclaire sur les prémisses de ces choix, et, éventuellement, sur les prémisses de ces prémisses, récursivement.

    Bien cordialement

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  7. La maîtresse d'école15 juillet 2014 à 23:22

    Cher MAG2T si vous citez Thérèse d’Avila, n’oubliez pas non plus qu’elle a attendu 25 ans avant de trouver une oreille attentive à ses visions et ensuite à sa mission ! Peut-être la Providence y a t’elle mis son grain de sel en envoyant une vision du Christ ressuscité à son Di psi de l’époque, Baltazar Alvarez. Il pouvait ainsi la comprendre et la prendre au sérieux.
    De nos jours, les choses ont encore changé. Depuis Vat.II, les repères s’écroulent. A moins de sauter du navire et de s’accrocher désespérément à la bouée du concile de Trente, où encore d’encenser le dernier Concile sans y comprendre la « substantifique moelle », Clercs et non Clercs s’emmêlent les pinceaux. Seul un B16 voit encore le Nord dans ce Concile. Et c’est peut-être un protestant qui nous donne la réponse. En effet Kierkegaard nous dit que notre relation à Dieu est tellement personnelle qu’un tiers n’y aurait rien à dire (à condition toutefois que les acquis religieux soient bien ancrés). C’est comme si par cette perte de repères, l’Eglise nous demandait encore plus de discernement et plus d’engagement personnel car la « liberté dans la Vérité » ne s’acquiert que « seul face à Dieu ». Le funambule sur son fil est seul. Il a comme levier tout ce que l’Eglise lui a transmis, l’Evangile, les Sacrements et le Catéchisme. Mais il en voudrait plus encore ! Ce serait tellement plus simple de se faire guider et ne de jamais être « soi » « rien que soi » ! Ste Thérèse a pu devenir totalement elle-même, c’est à dire totalement libre. Elle n'a pas douté. Elle a eu le temps de la réflexion...

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