lundi 13 octobre 2014

La vie spirituelle est d'abord un pouvoir [par l'abbé de Tanoüarn]

"Le peuple, voyant ce miracle, fut rempli de crainte et il  rendit gloire à Dieu de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes" (Matth. 9, 8 dans la traduction fin XVIIème que m'a si gentiment offerte Eric qui se reconnaîtra). C'était la conclusion de l'Evangile de dimanche (XVIIIème dimanche après la Pentecôte), narrant la guérison du paralytique de Capharnaüm. Elle m'a toujours titillé. Mais ce soir, achevant mon sermon dominical, j'ai eu l'impression, le signe de croix achevé, que j'en avais enfin trouvé le sujet. J'avais parlé dix minutes pour chercher à exprimer quelque chose que j'essayais de formuler pendant la messe qui suivit.

Je tire deux propositions de cet effort d'attention : d'abord le pouvoir ou la puissance du Christ sont potentiellement celui ou celle de tous les hommes. Le Christ est essentiellement celui qui se communique, qui se donne, jusqu'à extinction ou en tout cas jusqu'à la mort. Il nous suffit de le vouloir pour le recevoir.Nous ne recevons pas cette puissance en vertu d'une prédisposition naturelle qui serait la nôtre. Elle n'est donnée ni aux plus sages ni aux plus vertueux. C'est la Miséricorde de Dieu qui nous revêt de son Fils. En nous il n'y a ni puissance active ni puissance passive à recevoir la Miséricorde de Dieu. Juste une puissance obédientielle, une simple non-contradiction... Et le mystère de notre volonté graciée et donc libérée par le Christ. Nous sommes des volontaires du Royaume, au moins aussi inexpérimentés et aussi naïfs que les fameux volontaires de l'an II.

Ensuite et nonobstant, la vie spirituelle authentique est nécessairement une affaire de pouvoir ou de puissance : pouvoir sur soi-même ; puissance indicible sur le coeur de Dieu. C'est ce pouvoir, c'est cette puissance, contredisant le pouvoir de la violence et la puissance du vice, qui est donnée aux hommes dans le Christ. Non pas le pouvoir sur les autres (si facile à exercer du moment que le rapport des forces est en notre faveur). Mais le pouvoir sur soi, pouvoir sacrificiel, pouvoir oblatif, pouvoir dont nous sommes tous et le sujet et l'objet. La grâce nous donne la liberté dans la mesure où elle nous donne de jouir de ce pouvoir ou de cette puissance.

Il ne s'agit pas de prendre le Christ juste pour un sage et d'envisager le christianisme comme une sagesse. Saint Paul, dès le Chemin de Damas, a compris cela, il l'explique de manière saisissante aux Corinthiens : "La parole de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, c'est-à-dire pour nous elle est la vertu et la puissance de Dieu". Les habitants de Capharnaüm, "sa ville" dit l'Evangéliste en parlant du Christ, ne sont pas dupes. Ils ont perçu ce langage de la puissance : après le miracle, "il rendent grâce à Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes".

Quel pouvoir ? Saint Jean l'explicite dès son Prologue : "A tous ceux qui l'ont reçu, Il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu, lui qui n'est pas né du sang ni de la volonté de la chair ni de la volonté d'un homme mais de Dieu". Le Pouvoir qui nous est donné est celui du surnaturel. Pourquoi parler de pouvoir ? Il s'agit de dépasser l'homme qui est en nous et de découvrir un dynamisme (une puissance) supérieure - le monde de l'Esprit dans lequel notre baptême nous fait officiellement entrer. Les pouvoirs ministériels confiés à l'individu par l'Eglise dans le sacrement de l'Ordre sont essentiellement  celui de pardonner les péchés ou celui de "confectionner" le corps du Christ, selon la vieille formule théologique qui renvoie non pas à l'artificialité de la 'confection' mais à l'absolu d'une perfection (conficere perficere), qui n'est pas de la terre et qui pourtant a été donnée aux hommes.

11 commentaires:

  1. Heureuse de constater que la déconnexion de vos comptes FB et Twitter ne signifient pas silence sur votre blog.
    Vos commentaires de l'Ecriture brillent pas leur originalité et leur profondeur.
    Ici encore, alors qu'on croyait connaître le texte depuis toujours et avoir entendu ce matin un sermon éclairant, vous en montrez des aspects nouveaux, et vos mots sonnent juste. Merci à vous, monsieur l'Abbé.
    Avec gratitude,
    L.

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  2. Cher Abbé de T. Le pouvoir ?

    A nous y voilà ....
    nous n'avons pas le même ordo, donc pas le même évangile du dimanche,
    quel manque de communion avec l'Eglise Universelle, bref....
    En effet, il y a pouvoir spirituel au sens capacité de faire des prodiges, des miracles
    vous auriez pu citer aussi Matthieu 21:21
    Jésus leur répondit: "si vous aviez de la foi et que vous ne doutiez point, non seulement vous feriez ce qui a été fait à ce figuier, mais quand vous diriez à cette montagne: Ote-toi de là et jette-toi dans la mer, cela se ferait."
    ou bien Jean 14,12 "celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m'en vais au Père"
    Bref tout est possible !
    Mais ne confondez pas ce pouvoir avec le pouvoir des princes de ce monde !

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    1. Adrien, l'avantage avec les catholiques progressistes, c'est souvent cette ouverture qu'ils ont, cette absence de dogmatisme et de cléricalisme. Mais vous écrivez "quel manque de communion avec l'Eglise Universelle" et là, je tique. L'Eglise reconnait une grande diversité de rites et de formes, et c'est très bien comme ça. Mais voila que vous arrivez, plus romain que les Romains, plus clérical que le clergé, plus tranchant qu'un inquisiteur, et que vous décidez que si on use d'un autre lectionnaire que celui de la forme ordinaire du rite latin, on "manque de communion avec l'Eglise Universelle". Je répète que lorsqu'on est sensé être progressiste, on ne doit être ni autoritaire, ni rigide, ni mesquin.

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    2. c'était pour te taquiner RF

      Je n'en fais pas un drame mais bon c vrai
      que vous pourriez au moins avoir le même ordo (mêmes lectures)
      que nous non ?
      tout en gardant votre rituel Pie V, on gagnerait en unité
      dans la différence des rites
      t 'es d'accord ?

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    3. Tout en reconnaissant la pertinence de votre remarque, cher RF, je ne peux m'empêcher de déplorer, moi aussi, que deux lectionnaires coïncident dans l'Église. Comme je regrette, souvent, en lisant l'homélie prononcée par le Pape ou les réflexions qu'inspirent les lectures du jour aux prêtres qu'on lit sur les réseaux sociaux, que les textes auxquels ils se référent ne soient pas ceux que j'ai moi-même entendus à la messe en forme extraordinaire du matin...

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    4. «Vous pourriez au moins avoir le même ordo (mêmes lectures) que nous non?»… nous dit Adrien.

      Sans taquinerie (on n’est pas là pour ça) et très sérieusement, je propose de poser plutôt le problème dans son ordre chronologique. Il y a une liturgie millénaire (qu’on appellera «messe grégorienne», «forme extraordinaire», «usus antiquor»,… comme on voudra) avec son calendrier, qui répond à sa logique propre, avec des lectures articulées sur l’année. C’est ce à quoi ‘nous’ sommes attachés.

      Puis est venue la réforme liturgique, qui sur la base de ce qui existait a proposé un nouvel ‘ars celebrandi’, un calendrier réformé (qui répond là encore à sa logique propre), et un choix de lectures modifié, articulées sur trois ans.

      Adrien s’étonne de ce que ‘nous’ n’adoptions pas ce nouveau lectionnaire, c’est à dire ce nouveau calendrier, et cette nouvelle articulation. Dans cette optique, ce ne serait plus la ‘nouvelle version’ qui découlerait de la version classique! c’est la version classique qui suivrait la nouvelle version, jusqu’à en adopter au moins en partie la nouvelle logique.

      Désolé, mais avec la meilleure bonne volonté, on voit bien que ça ne colle pas. Le neuf peut avoir la prétention de puiser dans l’ancien, mais le contraire… je ne vois pas.

      Je crois qu’il y a dans cette demande une conception erronée de ce qu’est l’union avec Rome, marquée par ce qu’on appelle ailleurs le caporalisme: pour faire partie de la bande, il faudrait que chacun fasse, dise et prie au même moment de la même manière. Une espèce de ‘Jacques à dit’ liturgique, un jacobinisme spirituel, contraire à l’esprit même de l’Eglise.

      Ce qui est énorme dans la demande d’Adrien, c’est son ‘au moins’. Que le rite de référence suive sa version modifiée dans le calendrier, les lectures et leur articulation, cela ne lui semble pas loufoque, cela lui semble: la moindre des choses, le minimum du minimum. Une demande première, qui laisse deviner qu’elle n’est qu’une première demande ; après en viendraient d’autres que je ne détaillerai pas ici.

      Cette demande que nous fait Adrien (et qu’on fait avant lui des clercs et des prélats) illustre assez le malentendu entre ‘eux’ et ‘nous’ – à quel point ‘ils’ ne ‘nous’ comprennent pas, et même ne comprennent pas qu’ils ne nous comprennent pas.

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    5. Sans vouloir entrer dans les débats sur les lectures, où il est (comme vous le montrez) logique que l'usage ancien ne s'inspire pas du nouveau, la question du calendrier est plus épineuse.

      Les réformes pour "élaguer" un sanctoral devenu trop abondant, et son re-remplissage au fil du temps sont une pratique déjà attestée dans l'histoire de l'Eglise. Il reste dommage que les pratiquants de l'usus antiquior ne célèbrent pas les fêtes de saint Pio de Pietrelcina, par exemple...

      Edel

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  3. Je trouve très consolant de penser que la vie spirituelle nous donne un tel pouvoir que les anges nous sont soumis... Ils sont capables d'un acte éternel de volonté sans repentance, tout entière investie dans cet acte pleinement libre. Nous sommes une volonté et une liberté entravées et ils nous son pourtant soumis. Les bons anges sont à notre service et les mauvais ne peuvent pas nous hanter. Ou s'ils le peuvent, c'est que nous leur donnons pouvoir sur nous. L'entrée dans le Royaume commence, je crois, par cette volonté de ne pas laisser le mal nous dominer. Elle commence négativement par cette volonté de ne pas faire le mal. C'est cette volonté qui nous gracie et nous protège d'être fondamentalement nuisibles.

    Chaque matin, ma grand-mère récitait cette prière par le halo de laquelle je me sens protégé
    et protégées toutes mes rencontres, personnes et circonstances:
    "Seigneur, faites qu'aucun de ceux que vous avez mis sur ma route ne se perde ni pour le temps, ni pour l'éternité."
    Dieu ne peut pas ne pas exhaucer une telle prière.

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    1. Oui, belle prière Julien .

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    2. Très belle prière la de votre grand-mère, M.Julien! Merci de l´avoir nous envoyé.

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  4. Une autre perte de temps dire que les lectures de la Bible devraient coincider ou non...
    Dieu n´est pas inquiet à ce sujet. Je pense qu´il nous demandera ce que nous avons fait, le bien ou le mauvais... et ne s´inquiétera pas avec des choses purement humaines.
    Vouz avez écrit : « Non pas le pouvoir sur les autres( si facile à exercer du moment que le rapport des forces est en notre faveur). « Très interessant, car on voit qu´il y a certains – comme les groupes extrémistes dans le catholicisme – qui font exactement ceci : profiter de la simplicité des gens pour mantenir un pouvoir sur eux....c´est dommage. Tout le reste du texte est très intéressant. Grand merci ! Superbe !
    Cependant, tout ce pouvoir(surnaturel) donné à l´homme , le monde de l ´Esprit, n´a pas beaucoup de succès à cause de toutes les divergences entre les hommes, au moins parmi ces groupes les plus radicaux, qui ne semblent pas avoir quelque sorte de cette spiritualité.
    Rien à voir avec votre texte, M. l´abbé, mais dans mon pays, il ne pleut pas pendant plusieurs mois, les arbres sont secs, les animaux commencent à mourir par manque d´eau, il y a des jours où nous avons uniquement de l´eau pour faire la cuisine et le bain, les maladies se multiplient.
    Et ici aussi, les hommes se battent pour les rites, les formules... et très peu de gens – modernes ou traditionnels , ou extrémistes- peu de gens,je le répète, prient pour demander de la pluie ! Les hommes d´aujoud´hui ont oublié que Dieu est aussi le Seigneur du temps... Quelle spiritualité, aujourd´hui ! Et quand nous demandons pour prier pour la pluie, il y a certes, des gens qui prient ; mais très peu de religieux qui croient et prient pour cela. Quand ils parlent : quel temps de sécheressse ! je réponds habituellement à ceux qui ne croient et ne prient pas pour cela: « Dieu attend pour votre prière, pour envoyer la pluie... » et je constate que certains religieux – traditionnels, modernes ou extrémistes – me regardent comme si j´étais un martien. J´espère, M. l ´abbé, qui vous croyez qui Dieu est aussi le Seigneur du temps : et si vous croyez à cela, qui Dieu vous bénisse pour votre foi !!! rsr
    N.N.

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