dimanche 25 septembre 2016

La vérité du djihadisme

« Je fais des films de mon temps » déclare tout de go Cheyenne Carron, la quarantaine à peine sonnée et déjà six longs-métrages à son actif. Elle veut montrer ce que l’on ne veut pas voir de ce temps si terriblement riche en contrastes. La réalisatrice sait où elle va. Elle montre, elle dévoile, elle déchire les voiles, mais elle le fait sans provocation, en artiste. On sent que l’image produit en elle une sorte de jubilation baroque : elle aime la lumière, elle aime la nature, elle s’attarde sur tel détail, mais surtout elle aime les gens, elle sait montrer leur lumière intérieure, parce qu’avant même de la filmer, elle l’a perçue. Elle prête ses yeux à la caméra. Quant à elle, elle est prête à tout voir, non pas pour collectionner je ne sais quelle galerie des horreurs, mais parce que tout voir signifie voir les sujets dans leur intégrité, non pas faire des clichés à deux dimensions, des instantanés qui manquent l’essentiel, mais inscrire les êtres dans la profondeur de champ que donne la caméra. 

C’est cette profondeur qui lui permet de passer outre les interdits, parce que c’est une artiste et que seul l’art peut tout dire. Ainsi, son dernier film Patries, traitait du racisme anti-blanc et de la remigration. Il a obtenu le Grand prix Kilimandjaro du meilleur long-métrage au festival Africlap 2016 ; on en a lu des critiques dans les plus grands médias français. D’autres cinéastes reculent devant la difficulté et se contentent, par exemple, du Paris rêvé d’Amélie Poulain, sans se donner la peine de pénétrer dans les banlieues. D’autres, pour ces mêmes banlieues, se contente des images et des thèmes d’il y a vingt ans, mythifiés. Cheyenne Carron donne à voir, elle ne recule pas devant la difficulté. On a l’impression qu’elle la recherche, qu’elle veut se mesurer avec elle. Quand je réfléchis à sa démarche, je pense à cet immense écrivain que fut Imre Kertesz : ce juif hongrois expliquait à la fin de sa vie que seul l’art pouvait montrer la réalité monstrueuse de la Shoah. Sans en rester à ce degré d’horreur, seul l’art peut évoquer avec pertinence, d’une manière qui convienne a priori à tout spectateur, les problèmes actuels, ceux avec lesquels on triche, ceux que l’on ne veut pas voir. Dans Patries, c’est l’immigration ; dans La chute des hommes, le nouveau film qui vient de sortir, c’est le djihadisme. 

Sur le djihadisme, il serait facile de faire un film qui accable les terroristes, en montrant seulement l’horreur de leurs gestes. On ne les verrait pas ces monstres, on les devinerait à leurs œuvres. On en ferait, de loin, des archanges du mal – nos ennemis : c’est un peu ce que font Laurent Gaudé ou Karine Tuil cette année, ils évoquent le mal mais refusent la confrontation avec lui. La rentrée littéraire s’est saisie du djihadisme, mais de manière unilatérale : diaboliser le diable est un jeu d’enfant. 

Ce n’est pas le sens du film de Cheyenne Carron, La chute des hommes. Evoquant la chute, de manière crypto-chrétienne, elle sous-entend que ces hommes qui s’entraînent à tuer à rançonner ou à couper des mains pour appliquer la charia, ne se réduisent pas à leur chute, qu’ils ont été des hommes, des vrais, que le mal qu’ils font pourrait peut-être réveiller en eux l’humanité. Attention : si Cheyenne Carron ne diabolise pas le diable, elle ne le dédiabolise pas non plus. Elle le prend simplement comme un être réel, un sujet encore libre, une personne qui peut toujours changer d’avis. C’est ce qui fait la force unique de ce film. 

Certes, on n’assiste pas en direct à je ne sais quelle conversion à l’eau de rose. On constate d’abord le cynisme du chef, qui joue avec la vie et la mort, celle des femmes prisonnières, qu’il fait semblant de prendre pour de vraies personnes, discutant avec elles, celle de ses hommes, impitoyablement tués au moindre état d’âme, ou bien la sienne d’ailleurs, la sienne de vie, parce que, manifestement, pour lui, rien n’a d’importance, et surtout pas sa propre existence. Mais même au sein de la petite troupe djihadiste, tout n'est pas négatif : on observe aussi le détachement des hommes face à l’argent. Ils ont fait don de leur vie. Tous ? Non. L’Occidental qui les a rejoints est épouvanté. Il cache sa peur parce qu’il sait qu’elle mérite la mort, il multiplie les professions de foi, mais à l’instant décisif, il refuse de mourir. Il se convertit ? Récite le Je vous salue Marie, qui remonte dans sa mémoire ? Sans doute, mais on devine que s’il s’en sort, c’est seulement parce que sa vie ou sa mort ne lui sont pas devenus totalement indifférentes, qu'elles ne sont pas interchangeables.

Face aux bourreaux plus ou moins enfoncés dans leur logique mortelle, il y a les victimes, deux femmes, ce n’est pas un hasard. L’héroïne, Lucile, est venue dans ce pays en guerre pour améliorer sa connaissance déjà grande des parfums. Toute à sa passion, elle ne sait parler que de cela, analyse les senteurs mais ne devine pas le risque mortel qu’elle a pris avec le plus grand naturel du monde. Elle représente à la fois la liberté passionnée mais aussi ce surdéveloppement de l’ego, caractéristique de la société de consommation, qui empêche la vigilance. Ce qui fait la richesse de Lucile, c’est son éducation pagano-chrétienne – on pourrait dire tranquillement son identité. Au dernier moment de cette histoire, quand les guerriers d’Allah la somment de se convertir à l’islam, elle pourra dire : « Ma mère est chrétienne et mon père est païen », opposant à la terreur du djihad non pas une foi chrétienne qu’elle n’a pas, mais cette richesse libre que ses parents lui ont transmise. Lucile s’interdit de renoncer aux sources de sa joie, elle vit de cette estime de soi, qui l’empêche de déchoir en quelque sorte, qui l’oblige au vieux sens intransitif de ce mot, elle professe un intrépide respect de soi.

Enfin, entre bourreaux et victimes, Cheyenne Carron a représenté le Judas, celui qui a livré la victime au bourreau, un chauffeur de taxi, Yunès, qui ne parvient pas à faire vivre sa famille et qui, par amour pour sa femme, va piétiner la morale la plus élémentaire en livrant une victime à l’hydre islamiste. Son geste pense-t-il a été simplement utilitaire. Le moyen de faire autrement, quand il faut vivre des quelques sous que rapporte son taxi ? Pour ce remarquable Yunès (l'acteur est parfait), le salut vient par sa femme, qui finit par découvrir la vérité et qui le chasse de la maison sordide où la petite famille avait trouvé refuge.

Il y a dans la Chute des hommes un culte baroque de l’image, que l’on revoit sous un autre angle et qui qui prend peu à peu toute sa signification terrible. Il faut VOIR ce film et se laisser envahir par ces images, qui vous accompagneront plusieurs jours après que vous ayez accepté de leur ouvrir votre propre monde. Loin d’être un film de détestation de l’autre, loin d’enseigner la haine de l’ennemi djihadiste ou terroriste, la Chute des hommes offre une méditation sur les possibilités de relèvement, qui sont à la mesure de chacun et donc toujours à sa portée. Ce film qui aborde de front le mal moderne, cette confusion monstrueuse entre sainteté et terrorisme ne marque aucune complaisance pour la terrible banalisation du mal que représente le Djihad, mais offre une formidable leçon d’espérance, tant il est vrai, comme le dit Hölderlin que « c’est quand le péril grandit que grandit aussi ce qui sauve ».

Une espérance qui n'est pas je ne sais quel bon sentiment notoirement impuissant, mais qui consiste à trouver dans chaque situation, même la plus terrifiante, la puissance de faire le bien. 

Pour vous procurer ce film en ligne : cheyennecarron.com/dvds.php

4 commentaires:

  1. Comment est-ce possible de mettre de telles images en exergue ? Provocation à l'égard de l'islam en un temps critique pour notre pays ? Avez vous encore tous vos esprits ?
    Cheyenne Carron est une artiste en mal de reconnaissance avec en prime un dédain qui vous permet de la classer comme provocatrice. C'est de l'art bas de gamme. Et dire toujours même une partie de "vrai" en des matières sérieuses est une illusion. L'art consiste justement en une vérité révélée, celle de l'auteur, loin d'être le genre délateur, ceci propre à embrouiller les esprits. L'art revient toujours à une certaine tricherie, condition sinequanone au bien à apporter à une humanité en détresse. Je prie pour vous.

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    1. QUESTION: "Avez vous encore tous vos esprits?"
      RÉPONSE: Je crois, oui. Une autre question?

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  2. J'ai hâte de voir le film

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  3. Réveillez-vous, France, avant de perdre votre identité, votre origine chrétienne et votre liberté ....

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