mardi 16 juin 2020

L'alliance nouvelle et éternelle

Le calice ainsi consacré contient le sang de Notre Seigneur, sang que lui-même qualifie d'alliance nouvelle, qualificatif auquel l'Eglise (par rapport ipsissima verba Christi), a ajouté celui d'éternelle : alliance nouvelle et éternelle. Les deux adjectifs, en réalité, signifie la même chose avec une nuance un peu différente : alliance éternelle ? Alliance toujours nouvelle, alliance qui échappe aux avilissements du temps comme à toute fin du monde. Mais aussi, mais encore : alliance qui ne vient pas de l'homme, qui ne connaît pas la vieillesse du monde, parce qu'elle est ordonnée par Dieu, qu'elle est proprement divine. Le mot alliance qui suppose l'égalité des contractants, n'est pas forcément le meilleur en français. Autant on peut parler d'alliance entre les Époux, autant parler de l'époux divin relève de la métaphore mystique, ou encore de l'accomplissement amoureux entre Dieu et chacune de ses créatures, qui ne se réalisera qu'au Ciel. Le mot "alliance" en français n'est donc pas le mot parfaitement idoine. Certes Dieu attend et Dieu a besoin de la liberté de l'homme. Mais c'est Dieu qui ordonne cette liberté dans un pacte qui n'est pas une alliance de deux personnes égales mais une disposition éternelle qui prend effet par la liberté de celui qui en reçoit la bonne nouvelle, mais qui n'est possible que par la volonté préexistante de Dieu.. Le mot "éternelle" signifie donc alliance surhumaine, alliance divine parce qu'elle a été voulue et ordonnée par Dieu.

Pourquoi cette alliance ? Pour rendre l'homme capable du bien. "Que le Dieu de la paix, celui qui ramène des morts le Pasteur, le grand Pasteur des brebis dans le sang d'une alliance éternelle, Notre Seigneur Jésus, vous rende apte à tous biens, pour faire sa volonté... " (Hébr. 13, 20). L'expression "alliance éternelle" n'est pas une invention de l'Eglise. Elle vient de ce texte fulgurant qu'est l'Epître aux Hébreux.

Pour savoir quelle est cette alliance nouvelle et éternelle, il faut se demander quel est le rôle du Christ dans cette alliance ? Et pour appréhender ce rôle du Christ, il faut le comparer au rôle de Moïse, celui qui a conclu l'ancienne alliance [sur l'expression "ancienne alliance" aujourd'hui controversée, voir II Co. 3, 14 et Hébr. 8, 13].

Moïse était un chef de peuple. On dirait aujourd'hui : Moïse faisait de la politique, il mettait forcément les mains dans le cambouis, c'est pour cela qu'il a pu se permettre de briser les premières tables de la loi (cf. Exode 32, 19) et d'exterminer trois mille hommes (Exode 32, 27), considérés d'emblée comme infidèles. Le Christ n'est pas un chef de peuple, il n'impose pas une loi, encore moins mène-t-il une razzia punitive dans son propre peuple. Il donne la grâce "La loi est donnée par Moïse, la grâce par Jésus-Christ". Il est le grand Pasteur des brebis, qui les rend aptes à tout bien, il est l'interface, l'intermédiaire, le médiateur entre Dieu et les hommes, et cette médiation même, avec sa modalité charitable et non violente, suppose de nouvelles dispositions divines et une nouvelle alliance.  "Jésus est le médiateur d'une alliance nouvelle et d'un sang d'aspersion parlant mieux que celui d'Abel" (Hebr. 12,25). Nous reverrons Abel très bientôt dans ce commentaire. Abel, tué par son frère Caïn, Abel que la tradition biblique appelle "le juste", n'a justifié que lui-même en répandant son sang. Le Christ dans son sacrifice volontaire, face à d'autres Caïn, a justifié l'humanité tout entière, par une ordination divine, jusqu'à instituer une nouvelle alliance "dans son sang" (voir Hébr. 12, 24 déjà cité), "pour une multitude". 

Ajoutant "éternelle" à cet endroit, pour qualifier l'alliance nouvelle, l'Eglise est fidèle à l'esprit et même à la lettre de l'Epître aux Hébreux, parce que l'affirmant éternelle, elle affirme le caractère divin de cette alliance. Elle affirme que cette alliance n'est pas une alliance à égalité, mais un pacte qui a Dieu pour auteur. Le Père Spicq, qui dans son Commentaire de l'Epître aux Hébreux a des mots et des références admirables sur le sujet, oppose en grec diathéké et suntéké. La sunthéké désigne proprement l'alliance de deux être à égalité, le covenant comme disent les anglais, l'engagement réciproque. La diatéké unit deux êtres inégaux, en l'occurrence Dieu qui propose les modalité de l'union et l'homme qui les accepte (ou non). C'est cette considération sur le sens de l'alliance qui mène au latin testamentum; mot utilisé bien sûr dans la sainte messe pour traduire diathéké l'alliance ; novi et aeterni testamenti.

Que faut-il penser ? Est-ce alliance ou testament en français ? Chacun sait que la mode actuelle est à l'alliance, avec toute l'ambiguïté que je viens de soulever ; de cette alliance en fait, c'est Dieu qui fait le plan, c'est Dieu qui la propose, c'est le plan de Dieu et non le plan de l'homme et c'est en cela qu'il s'agit d'une alliance éternelle.

Le mot grec explique le Père Spicq a très tôt le sens de disposition testamentaire, testament. Les papyri révèlent que dans la vie quotidienne c'est sa signification obvie. Quant aux Septantes les traducteurs de la bible hébraïque en grec, ils ont voulu insister sur cette inégalité entre Dieu et l'homme que nous soulignions. Le Christ étant mort sur la croix, l'alliance devient effectivement son testament, elle synthétise des dispositions testamentaires pour les hommes qui constituent aussi le sens sacré de sa mort. L'emploi de testament en français pour traduire diathéké est donc parfaitement légitime.

On remarquera enfin qu'en grec comme en latin la formule complète est au génitif. Testament ou alliance est en apposition à sang. C'est le sang qui est l'alliance, c'est l'alliance qui est le sang du Christ "Sans effusion de sang il n'y a pas de rémission" dit saint Paul aux Hébreux en s'inspirant des mots mêmes du Christ. Autant le sang des animaux avait une valeur purement symbolique, autant le sang du Christ c'est son âme, ce qui "prouve" s'il le fallait qu'il s'est donné tout entier.

1 commentaire:

  1. Sur les deux termes grecs pour "alliance", je vous recommande la conférence de J. Ratzinger: http://palimpsestes.fr/presidentielles2012/mobilisation/septembre/philo-ecologie/fondations/ratzinger.pdf

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