mercredi 2 mars 2022

Le troisième jour

Pourquoi Jésus est-il ressuscité "le troisième jour" ? C'est la question qui va nous occuper dans cette méditation.

On rapproche souvent ce "troisième jour" des trois jours que Jonas, dans le livre éponyme, a passé dans le ventre de la baleine. Mais Jésus n'est pas resté trois jours au tombeau ! Cela n'aurait eu aucun sens, nous le verrons. Les trois jours de Jonas signifient , au sens strict, son endurcissement dans le mal. Quel mal ? Malgré l'ordre de Dieu, à cause de son mépris en béton pour les païens de Ninive, Jonas refuse de leur prêcher la pénitence, comme Dieu le lui a commandé, parce que ce sont des païens et que, estime-t-il, Yahvé est le Dieu des juifs, en exclusivité ; et il maintient son refus, malgré l'ordre du Seigneur, en tentant de prendre un bateau pour s'éloigner de la Palestine, comme si le Dieu des juifs n'était pas le Seigneur de l'Univers, comme si sa puissance se bornait aux frontières d'Israël. Il est, on le sait, balancé à la mer par l'équipage. Trois jours dans l'eau, c'est l'expression de l'absurdité que représente pour lui le fait de résister, lui prophète, au commandement que Yahvé lui avait enjoint. Jonas est le premier intégriste de l'histoire : il sait mieux que Dieu ce que doit être la volonté de Dieu. Mais Dieu lui redonne une chance. Ces trois jours de mort physique l'ont marqué. Il finit, toute honte bue si j'ose dire, par saisir la chance, sa grâce à lui, qui est sa régurgitation par le poisson sur la terre ferme. Il prêche aux Ninivites, en montrant d'ailleurs qu'il fait le service minimum. Les Ninivites se convertissent après avoir fait pénitence. Et Dieu se contente de leur pénitence. 

Yahvé s'est servi de la parole de Jonas, mais c'est bien lui qui a converti les Ninivites. Décidément c'est un vrai intégriste, ce Jonas : sa bénédiction est valide, apparemment, il dit ce qu'il faut dire même s'il le dit de mauvaise grâce. Pourquoii sa parole est-elle efficace ? Parfois (comme cette fois là) cela suffit, parce que Dieu le veut.

Pourquoi le Christ revendique-t-il pour lui "le signe de Jonas" ? C'est en Matth. 12, 38-41 : "Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas !"

On remarque que comme toutes les vraies prophéties, aux dires de saint Jean Chrysostome, c'est-à-dire comme toutes les prophéties qui ont eu lieu avant l'événement qu'elles annoncent, cette prophétie du Christ n'est pas totalement exacte : il n'est pas resté sous terre trois jours et trois nuits. Le Credo le dit précisément : il s'est relevé des morts "le troisième jour". Il a été crucifié le vendredi, mis au tombeau le vendredi soir, son corps a passé shabbat sous terre, et il est ressuscité le dimanche matin. Cela ne fait pas trois jours et trois nuits ! C'est que le Christ n'avait pas besoin, lui, come Jonas, de connaître la mort pour ressentir la dureté du péché et se convertir. En effet, il est l'Innocent par excellence. Et puis cette dureté, cet endurcissement dans le péché, il l'a ressenti à ce moment précis, mais venant des hommes contre sa personne. Un exemple ? Qui dira le raffinement de cruauté qu'il a fallu aux bourreaux pour CLOUER sur la potence justement celui qui, sans conteste, était innocent, justement sans doute parce qu'il était l'innocent, face aux bourreaux barbares, qui ont dû vouloir lui faire payer son innocence ? (Je rappelle que "normalement" les corps des suppliciés étaient seulement attachés à la croix et les crucifiés mouraient d'asphyxie). 

Jésus est ressuscité le troisième jour, parce qu'il fallait que soit clair son état de mort. Il ne serait pas ressuscité si l'on n'était pas sûr qu'il était mort.  : "Avance, Thomas tes doigts, regarde mes pieds, mets ta main dans mon côté et ne sois plus infidèle mais croyant" (Jean 20, 25-27). Les signes de sa mort, ces terribles cicatrices, deviennent les marques les plus éloquentes de sa résurrection : elles convertissent le grand douteur qu'est l'apôtre Thomas. C'est parce qu'il est mort que le Christ est vraiment ressuscité. Voilà le paradoxe primal, qui autorise toutes nos espérances.

En effet, nous autres chrétiens nous l'accompagnons dans sa mort et dans sa résurrection, comme Jonas ; nous sommes baptisés dans sa mort et dans sa résurrection dit saint Paul aux Romains (6). Pas forcément comme des intégristes, mais en tout cas comme des pécheurs. Nous connaîtrons la mort, nous resterons trois jours et trois nuits dans le ventre du monstre marin, nous vivrons dans cette sorte d'utérus spirituel, dans une ultime expérience du mal (la mort) qui nous donnera un goût éperdu pour la vie. Nous supporterons notre finitude et nos péchés, pour mieux recevoir l'éternité : pas comme un dû, comme un don. 

Et ce monstre marin qui représente la mort, dont tous nous avons peur, c'est en même temps comme une nouvelle matrice. "Faut-il entrer dans le sein de sa mère et en ressortir ?" disait Nicodème (Jean 3, 5). Il voulait faire l'intéressant sans doute, mais ne croyait pas si bien dire : la mort cette terrible matrice est comme un uterus terrifiant mais qui par grâce nous redonne la vie. Non que nous la méritions cette deuxième chance, mais dans le Christ ressuscité des morts, la mort est l'occasion de notre résurrection. Si nous le voulons. J'ai eu quelques fois l'occasion, comme prêtre, d'expérimenter la formidable paix de ceux qui meurent dans le Christ, une paix plus forte que tous les troubles que la mort ne manque pas de produire sur celui qui la subit, la paix de celui qui croit que la mort est une matrice.

Mais qu'en est-il de Jonas, ce pécheur, ce vieil intégriste sûr de lui et dominateur ? Il nous fait "signe", nous dit le Christ, qui nous attend, lui, au delà de la Mer, sur la terre des vivants !

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