dimanche 9 novembre 2008

Pour quelle fête chantons nous ?

Aujourd'hui toute l'Eglise -rite extraordinaire et rite ordinaire confondus- a célébré la dédicace de Saint Jean de Latran, traditionnellement fêtée ce 9 novembre, plutôt que de se perdre dans le défilé des dimanches ordinaires dits dimanches en vert. Occasion de réfléchir à l'importance de cette fête.
Dans la voiture ce matin, écoutant la messe sur France Culture, j'ai cru comprendre qu'à la Cathédrale de Beauvais, où avait lieu l'enregistrement, on considérait cette fête avant tout comme la fête du peuple de Dieu. Je n'ai pas tout entendu. Mais l'espace de 5 minutes j'ai écouté un chant de communion particulièrement pompeux à travers lequel manifestement il apparaissait que c'était le peuple de Dieu qui se célébrait lui-même en ce jour. Un doublet de la Toussaint en somme. Mais à la Toussaint c'est le peuple convoqué par son Sauveur. Là c'était plutôt le peuple célébrant qui se célébrait célébrant. Un truc qui honnêtement m'a paru un peu glauque.
A midi, en écoutant le sermon de l'abbé Baumann, mon dynamique adjoint au Centre Saint Paul, j'ai trouvé - et je le lui ai dit - qu'il spiritualisait à l'excès le sens de cette fête. Dans un prêche au demeurant extrêmement bien charpenté et robustement pensé (je le précise, parce que ce n'est pas si fréquent des sermons robustement pensés : il y en a tant qui font de la paraphrase d'évangile) il tendait, lui, à réduire le sens de cette fête à l'idée de "consécration", Dieu posant son sceau sur sa création dont le sommet est l'incarnation du Verbe, puis sur chaque chrétien par la rédemption qui fait de nous des temples du Seigneur. La vision est belle, mais il me semble qu'aujourd'hui l'essentiel est ailleurs.
Chaque fois que je célèbre la dédicace d'une église (que ce soit celle de Notre Dame de Paris notre église cathédrale ou celle de Saint Jean de Latran), je me souviens de l'émotion qui poignait le coeur et faisait trembler la voix du Chanoine Roussel -naguère curé de Port Marly- en pareille occurrence. L'émotion était au rendez-vous ce jour là dans la paroisse bondée. Pourquoi ?
Ce qui est incroyable, c'est qu'en ce jour on puisse célébrer non pas un saint ni un mystère du Christ ni simplement un dimanche (jour du Seigneur, faut-il le rappeler ?), mais un lieu, un espace situé à Rome, ville dans laquelle la majorité des chrétiens ne s'est sans doute jamais rendue... Pourquoi célébrer un lieu ? La lecture de l'Apocalypse nous le précise : "Ce lieu est la demeure de Dieu parmi les hommes".
Dieu a longtemps été cherché "à tâtons" comme dit saint Paul aux Athéniens de l'Aréopage. Cette recherche à tâtons a donné un peu tout et son contraire. Personnellement, elle ne m'a jamais vraiment intéressé, ni comme pratique, ni même comme objet d'étude. Dieu ne devient intéressant que parce qu'il nous parle. Et, depuis Moïse devant son Buisson ardent, Dieu nous parle dans un lieu. La parole de Dieu ne se réduit pas à je ne sais quel sens religieux à je ne sais quelle impulsion universelle. Avec le sens religieux, n'en déplaise à Don Giussiani, on avance souvent encore à tâtons.
Depuis Moïse, Dieu ne veut plus que nous avancions à tâtons. Il nous a donné son nom et il nous l'a donné - Moïse représentant non seulement le peuple juif mais toute l'humanité à cet instant - en un lieu sur lequel on peut toujours se rendre. Le buisson n'est plus ardent mais il est encore visible. Ce n'est pas pour rien. Le processus qui mène à l'incarnation du Verbe de Dieu en Jésus Christ est enclanché. Dieu parle en un lieu avant de parler en un homme, Jésus Christ. Le Dieu qui englobe tous les espaces sans s'identifier à aucun a voulu spatialiser sa parole. Bientôt, pour être mieux entendu, il se fera homme.
Moïse a bien compris cela, qui éleva la tente du Rendez-vous pour pérenniser cette manifestation de Dieu dans l'espace. Plus tard les tables de la Loi seront enfermées dans le Saint des Saints, au coeur du Temple de Jérusalem, où Dieu réside avec son peuple. Le prophète Malachie (I, 11) annonce que cette présence sera bientôt universelle. Le Christ l'avait expliqué à la Samaritaine : "l'heure vient où se n'est plus ni à Jérusalem ni sur cette montagne que vous adorerez le Père. les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité". Que signifie cette dernière formule ? Si l'on en croit le Père de La Potterie, auteur d'un ouvrage savant sur ce sujet, la vérité dans l'Evangile de saint Jean, c'est nécessairement le Fils ("je suis la voie, la vérité et la vie" Jean XIV 6). Les vrais adporateurs adoreront partout où adorera le Fils. Ils adoreront dans le Fils.
C'est la logique mystérieuse des sacrements de l'Eglise qui nous est ici en partie dévoilée. "Jésus Christ vient à nous par les sacrements" disait en une sublime lapalissade le cardinal de Bérulle. Partout où s'élève vers le Père, dans la sainte Messe, la prière du Fils, partout où retentissent ces mots qui s'élèvent en mémoire de Lui : "Ceci est mon Corps, Ceci est mon sang pour vous et pour une multitude", la demeure du Seigneur se construit, que ce soit dans la plus noble des cathédrales ou bien dans une de ces domus où le culte des chrétiens a pu trouver refuge dans les premiers temps.
La fête de la Dédicace, c'est le Buisson ardent continué en Jésus Christ priant infailliblement son Père pour nous, lorsque le prêtre son instrument répète les paroles qu'il doit dire "en mémoire de lui". Le Dieu qui s'est incarné ne se communique pas dans des idées à partager ou dans des idéaux à construire, mais dans des lieux devenus sacrés par l'effet de son sacrifice. Dans ces lieux, marqués par le sacrifice du Christ, il est vrai de dire comme le spécifie la communion grégorienne de ce jour que "qui demande reçoit, qui cherche trouve et à qui frappe on ouvrira".
Qu'est ce que le sacré chrétien ? Non pas un sentiment plus intense de la présence de Dieu (c'est tellement difficile de provoquer ce genre de sentiment), mais un lieu dans lequel Dieu doit se manifester à tous. Un lieu où Dieu nous donne rendez-vous.

2 commentaires:

  1. Ouaip, pas mal.. mais peut-etre peut-on aller plus loin et completer: L'ultime lieu de Dieu, c'est cette presence personnelle de Dieu qui vient nous habiter, vivre une vie commune -koinonia- avec nous, ce qui est le propre de l'amitie selon Aristote (ouiiiii) Un sacrement est "un signe visible d'une realite invisible" ou est la realite: le mystere de Marie: Dieu vient dans une femme, car son coeur etait dans une soif ardente; l'incarnation, qui en Dieu est actuel -puisque c'est eternel- continue en chacun de nous, et cela c'est concret: la presence sacramentelle substantielle est en vue d'une presence personelle (comme la communion est en vue d'une communion 'spirituelle' -cf Mane Nobiscum etc.. et Ste Therese d'Avila} C'est donc pour cette intimite: par la charite le St Esprit demeure en nous (c'est sur qu'on n'en maitrise rien) mais cela donne le regard le plus profond sur nous-meme et chaque personne vivant sous le souffle de l'Esprit St: une terre sacree devant laquelle j'ote mes sandales; Presence mystique dont parle le Pere Chardon dans l'ouvrage que je vous recommande tous: "le Croix de Jesus" ou il dit que la charite/la grace realise une union quasi sustantielle entre nous et la personne de Jesus; Ce que St Thomas disait a propos de l'incarnation: l'union hypostatique est le modele de l'union que Dieu realise entre lui et l'homme: nous sommes 'en Dieu' on le vit dans l'obscurite de la foi, mais nous sommes dans le Verbe par grace, faisant quasi una-personna avec lui...
    C'est cela le Lieu de Dieu ultimement: "Detruisez ce Temple...mais lui parlait de son corps" or "nous sommes le corps -mystique- du Christ"; et ca c'est du reel divin, cache dans des poteries sans valeures et qui prenne l'eau de partout mais c'est bien reel, c'est L'oeuvre -l'ergon- de Dieu au milieu des hommes!
    a Dios,
    Aristote, le pasi-paien qu'il en a l'air...

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  2. Fabuleux, cher pas si païen, votre référence à Chardon et à sa théorie (piqué chez Cajétan) de la subsistence mystique dans le Christ. Quant au fait qu'on puisse aller plus loin, c'est ça qui est merveilleux avec Dieu, c'est qu'on ne s'arrête jamais.
    Et quand on peut réfléchir ensemble... avancer ensemble... travailler ensemble...

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