mercredi 15 avril 2009

La chasteté rend-elle méchant(e) ?

Certains vont dire que ce blog tourne à l'incontinence verbale... Je voudrais simplement répondre complètement à l'anonyme, dont la grande idée, dans le commentaire important qu'il fait sur "Barrabas, du nouveau", est que la chasteté rend méchant. Tout le monde. Sauf les prêtres qui ont des grâces d'état, ajoute-t-il charitablement.

Il est vrai que chacun a dans son entourage des célibataires aigris. "Post hoc ergo propter hoc". S'ils sont aigris, c'est parce qu'ils sont seuls. Preuve ? La double malédiction qui pèse sur les célibataires : Vae soli ! disent les Romains. "Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul" affirme le Livre de la Genèse. Pas bon ? Eh bien ! dira-t-on, c'est normal : le solitaire, son état n'est pas bon pour lui, il n'est donc pas bon lui-même pour les autres. L'anonyme, qui manifestement sait de quoi il (ou elle) parle, semble considérer en outre, que le dicton "heureux au lit, heureux dans la vie" s'applique de manière très générale...

Je voudrais ici prendre la défense du célibat et des célibataires... Et pour cela, je poserai une première question, en inversant la charge de la preuve.

Vous dites, cher anonyme que c'est le célibat qui rend méchant. N'est-ce pas plutôt la méchanceté qui rend célibataire ? Il y a des gens qui sont incapables d'aimer ce qui est différent d'eux. Des filles qui ne supportent pas les garçons (pas seulement dans le sketch de Florence Foresti). Des garçons qui ne supportent pas les filles... autrement qu'en rêve... Il y a tous ces célibataires qui le sont parce qu'ils ne veulent pas être aimables. Parce que l'aventure amoureuse dépasse leur capacité de don. Parce qu'elle ne rentre pas dans leur calcul. Parce qu'ils attendent de l'autre, avant toute chose, un respect voisin de la vénération. Quel drame lorsque ce sont des garçons qui attendent que la fille tombe amoureuse éperdument de leur personne, sans faire le moindre geste pour mettre la machine en marche : certains attendront toute leur vie. Quel drame lorsqu'il s'agit de filles dominantes, qui ne veulent pas se contenter d'un pigeon à plumer parce qu'elles valent mieux que cela... mais qui ne trouvent rien d'autre.

"La tanche rebutée, il trouva du gougeon" dit La Fontaine du Héron... La fable conclut que l'oiseau, à force de mépris, dut se contenter d'un limaçon... Est-ce une fable matrimoniale ?

Ce cas de figure, que je décris d'une manière un peu cruelle, j'en conviens, est celui du célibat subi. Rien à voir avec le célibat choisi.

Mais, dans ma défense des (vrais) célibataires, qui appartiennent souvent (ma vieille expérience pastorale me l'a montré) à la partie la plus intéressante, la moins aisément domesticable de l'humanité, je voudrais ajouter que le célibat choisi n'est pas forcément celui dont on a le choix. Certains, restés célibataire sur un malentendu, choisissent de le demeurer. Ils n'ont pas (eu) le choix, mais ils choisissent, ils embrassent résolument leur état, ils se donnent aux autres dans le militantisme, dans l'action charitable, dans leur métier, que sais-je ? Oui, on n'a pas la choix, mais on choisit résolument ce qui se présente à vous sans alternative, c'est possible. Cajétan et de très bons auteurs scolastiques le soulignent, même si ce n'est pas forcément à propos du célibat.

Ce choix, qui n'a d'ailleurs rien d'irréversible, ne dépend que de soi même. Raison pour laquelle il est plus facile de vivre seul que de rester mal accompagné pour une raison ou une autre, comme le proclame la formule consacrée. Qui dira la tristesse de couples mal assortis, où tout effort est unilatéral (venant d'ailleurs alternativement de l'un et de l'autre, mais jamais - ce serait trop simple ! - des deux en même temps).

Vous me direz que pour l'instant, je ne parle que de célibat, et pas de chasteté. Pour être cru, je ne crois pas que la satisfaction sexuelle puisse jamais constituer une fin en soi (même une fin seconde). Les conseillers conjugaux en milieu catho, partisans fervent de cet amour ultra protégé qui est l'amour en couple, me semblent avoir oublié un... détail, bien vu par Freud : la satisfaction pure débouche toujours sur du néant. Ou sur un sentiment poignant d'insatisfaction. Si l'épanouissement sexuel est recherché pour lui-même, le couple ira toujours à la catastrophe. Heureux au lit, heureux dans la vie, disais-je tout à l'heure, je crois que ce n'est pas si simple.

Toute vraie satisfaction est d'un autre ordre. Il faut en revenir sur ce point à Aristote, le philosophe qui aimait sa femme (rien à voir, donc, avec Platon comme vous savez ; rien non plus avec ce misogyne de Socrate, qui déteste sa Xantippe). Aristote au Livre VII de l'Ethique à Nicomaque, explique que le plaisir vrai est la conséquence d'un bien possédé ou au moins recherché. Celui, donc qui cherche le plaisir, mais sans vouloir le bien, ne trouve rien. Ou trouve... le rien !

La vieille idée selon laquelle c'est le plaisir qui rend bon sent son utilitarisme à plein nez. Non la bonté (et donc le bonheur) ne viennent pas du plaisir, n'en déplaise à Michel Onfray. C'est l'inverse : le plaisir profond et... satisfaisant, le plaisir durable (comme le développement du même nom) vient d'une perception aigue du bien. Il renvoie d'une manière ou d'une autre à l'oeuvre bonne. Et l'oeuvre bonne à l'amour qui la suscite et qu'elle produit...

Mais quittons donc Aristote et venons en à nouveau à la Vierge Marie : sa chasteté résolument choisie (et qui la fait résister à l'ange Gabriel en personne cf. Luc 1, 30) est conçue comme une oeuvre bonne, celle de la liberté d'être à Dieu. Ou comme dirait sainte Thérèse de l'Enfant Jésus d'une manière sans doute plus humaine, plus tangible, plus féminine : d'être la préférée de Dieu.

Dieu a comblé Marie de grâce en couronnant ce choix absolu qu'elle fait par une Maternité miraculeuse. Par maternité miraculeuse, j'entends non seulement la maternité divine, absolument imprévisible pour elle, mais aussi cette maternité universelle qu'elle exerce en tant que nouvelle Eve sur "le reste de sa descendance" (Apoc. 12, 17), non pas sur les trois ou quatre autres enfants qu'un Joseph de rencontre aurait pu lui donner, mais sur tous les hommes de bonne volonté, qui, à travers saint Jean, lui sont confiés, avant qu'il ne meure, par le Christ lui-même : "Femme, voici ton Fils".

7 commentaires:

  1. Merci M.l'Abbé,notamment pour ce passage particulièrement éclairant : " n'est-ce pas plutôt la méchanceté qui rend célibataire ? Il y a des gens qui sont incapables d'aimer ce qui est différent d'eux (...) Il y a tous ces célibataires qui le sont parce qu'ils ne veulent pas être aimables. Parce que l'aventure amoureuse dépasse leur capacité de don. Parce qu'elle ne rentre pas dans leur calcul. Parce qu'ils attendent de l'autre, avant toute chose, un respect voisin de la vénération"
    C'est exactement cela ! Et surtout lorsque cette vénération leur a déjà été donnée par leur papa ou leur maman idolâtres, qui ont en même temps effectivement occulté cette capacité de don chez l'individu en question.

    Merci également pour le message sur Marie. Oui, en tant que Mère de toute l'humanité ("voici ta Mère") on comprend mieux pourquoi Elle doit rester en retrait (ou plutôt en élevation, au dessus des autres, Vierge càd autre, intacte par un homme pour rester mère pour tous les hommes)

    Loin de glorifier le désir qui seul effectivement ne débouche sur rien, il est très difficile de quitter ce sentiment que le non besoin même d'une relation amoureuse, une chasteté choisie par un/e laïc (surtout quand choisie) ne traduit pas un coeur endurci.
    Ceux à blâmer ce ne sont, loin de là, les célibataires qui souffrent de leur solitude et "choisissent" leur état car ils ne trouvent pas l'âme soeur bien qu'ils aient ce désir de donner et partager dans une relation amoureuse (en attendant, ils s'investissent dans les activités où ils donnent leur coeur autrement), ceux-là méritent un grand respect;
    il est difficile de s'attendrir sur ceux qui s'en passent, n'aspirent même pas à une relation amoureuse, n'en souffrent pas (du manque de), y sont indifférents en brandissant leur chasteté comme un étendard qui somme toute ne les coûte rien, car ne les prive pas, et comme vous dites, car leur capacité du don ne va pas jusqu'à là. C'est cet endurcissement du coeur qui est insupportable, car en plus ces gens se croient irréprochables face à Dieu parce qu'ils/elles n'aiment personne ! N'est-ce pas un paradoxe ?

    ps non, il n'y a point d' " incontinence verbale" sur ce blog, au contraire, ces questions répondent à beaucoup de préoccupations contemporaines, les formulations sont polies et respectueuses, que peut-on trouver à redire ? c'est le rôle d'un blog d'être un "agora" où l'on rencontre un prêtre qui répond aux questions plus difficiles à poser à des religieux proches,en charge de nos sacrements (notamment pénitence)

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  2. Mais, il n'y a pas que la méchanceté qui rend célibataire ! C'est un peu un raccourci que de le dire à mon avis. Si tous les célibataires étaient des méchants, cela se saurait. Il y a ceux aussi qui souffrent d'un handicap physique ou mental, et bien souvent c'est pour eux un célibat qui n'est pas choisi du tout et douloureux. Ce n'est pas souvent que quelqu'un souhaite s'engager dans le mariage avec un(e) handicapé(e), un(e) malade. Une personne ne porte pas toujours le poids entier de la responsabilité de son célibat. Parfois aussi, l'histoire d'une personne, sa vie, ses brisures, ses souffrances peuvent expliquer bien des choses, même si cette histoire, néanmoins, ne peut être cause de tout.

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  3. Et puis, aussi, si tous les gens mariés étaient gentils... Combien de femmes battues ?
    Bref, de mon point de vue, il n'y a pas de liens de cause à effet ou de corrélation entre le célibat et/ou le mariage et la gentillesse et/ou la méchanceté.
    Lire cet article, pour sourire un peu :
    http://anisvert.20minutes-blogs.fr/archive/2008/11/20/les-qualites-essentielles-d-un-bon-mari.html#more

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  4. Oui je vous trouve assez dur aussi avec les célibataires "méchants". Comme le dit Nathalie c'est à mon avis bien plus compliqué que cela. Et aujourd'hui où je crois que les hommes ont plus peur de l'engagement, de l'héroîsme du rôle du pére de famille (dont parle Bernanos)- et dans les milieux tradis peut être encore plus- beaucoup de femmes se retrouvent devant un célibat non choisi, sans raison particuliére, mais qui, je peux vous l'assurer peut les faire cruellement souffrir. C'est pour cela que je trouve vraiment injuste d'en rajouter une couche!!! Le père Jean-Dominique dans l'ouvrage "d'Eve à Marie" parle à propos du célibat non choisi de souffrances héroîques qui font se tenir plus prét du calvaire, et je crois que c'est assez juste. Et le fait de pouvoir changer les choses, comme vous le dites comme si cela ne tenait qu'à soi, n'est pas forcément évident. Ne serait ce que parce qu'il semble que les hommes, dans notre monde troublé, abondonnent plus facilement le combat catholique que les femmes et qu'ils ont souvent plus peur de l'engagement. Ainsi, de fait il reste beaucoup plus de femmes "sur le marché" , comme la poétesse Marie-Noël par exemple, cruellement blessée de cet état de fait : sans pour autant en être aigrie!

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  5. Cette "couche rajoutée", c'est peut-être pour précisémment faire réfléchir et bouger ceux (souvent effectivement les hommes, plutôt que les femmmes) qui ont si peur de l'engagement qu'ils en évacuent jusqu'au désir même de s'engager et finissent par croire qu'ils ne le désirent nullement! Ou pour ouvrir les yeux de ceux "irréprochables" gédéons sur eux-mêmes. Cela ne les fera pas changer, comme dit M.l'abbé, "leur capacité de don ne va pas jusqu'à là", mais au moins les fera peut-être un peu descendre de leur piédestal de la "sainteté" et leur fera comprendre qu'ils sont en train de passer totalement à côté de la vie, et que la leur, bien qu'"irréprochable" et "chaste" (sans souffrance, leurs désirs ne sont pas là) est VIDE et sans objet.

    Courage à Thérèse et Nathalie, cherchez plutôt du côté des catho non tradis; plus fragiles et moins dans les certitudes, ils ont plus de coeur...

    (au passage,vraiment, quelle idée appropriée c'était de la part de M. l'abbé d'avoir changer le nom de la revue "certitudes" vers "objections")

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  6. Moi je sais un individu, il était marié et en plus il avait des maîtresses. Il tapait sa femme. Une fois il a failli la tuer en lui balançant un bidet (le machin en porcelaine) par la tête.

    Le mariage rend-il méchant ?

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  7. Pour compléter les propos de l'abbé de Tanouarn et des anonymes et pseudonymes ci-dessus:

    le philosophe allemand Peter Sloterdijk qualifie le célibataire d'un "individu qui ne se reproduit pas, mais jouit de lui-même comme d'un état final de l'évolution".

    Bon portrait de ces célibataires
    "irréprochables" cités qui ne songent point à s'engager, n'aiment ni ne désirent aimer.

    Sloterdijk encore:
    "le célibataire, dans son appartement cher, entre ses objets design, est seul avec lui-même, il mène une existence solitaire dans un néant meublé. (...)
    Le single, c'est le moine vide" .

    /de l'auteur notamment "Essai d'intoxication volontaire" (pluriel)/

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