jeudi 16 juillet 2009

Viscéral, Benoît XVI ?

La question m'est posée depuis le Salon beige, qui a publié des extraits de l'entretien que j'ai donné au journal Minute cette semaine sur la dernière encyclique. Je développais à nouveau l'idée que connaissent bien ceux qui fréquentent régulièrement ce Blog selon laquelle la thèse du gouvernement mondial pour résister aux désordres du Marché mondial qui se croit autonome manifeste en tout cas que Benoît XVI est viscéralement antilibéral.

L'un des lecteurs, auquel manifestement cet adverbe n'a pas plu, a posé un commentaire pour demander vertueusement si il pouvait y avoir quelque chose de viscéral chez ce pape merveilleusement rationnel qu'est Benoît XVI. Ai-je manqué de respect au Saint Père en évoquant, par le truchement d'un adverbe, ses viscères ? C'est en tout cas ce que semble indiquer mon contradicteur. Au risque de le scandaliser doublement, je répondrai ici que je crois bon et important non seulement que le pape ait des viscères mais qu'il s'en serve et qu'il porte un certain nombre de convictions "dans les tripes" comme on dit vulgairement.

Réfléchissons : qu'est-ce qu'une foi qui ne serait pas viscérale ? Une foi plaquée. Une foi rationnelle, dépendant de démonstrations toutes humaines qui peuvent d'ailleurs, comme tout système rationnel, évoluer au cours d'une vie. Il faudrait toujours dire : "Je crois que je crois" et l'on ne pourrait jamais s'écrier simplement : "je crois". Que serait cette foi sinon un embryon, humain, trop humain.

La foi est forcément viscérale. C'est quelque chose qui nous habite que nous le voulions ou non, quelque chose qui s'impose à nous, comme ferait un hôte indélicat. La foi est toujours chez elle chez nous. Même si nous voulons nous en éloigner, à un moment ou à un autre, elle revient. On ne perd pas la foi comme on perdrait son portefeuille et cela non pas parce que la foi tiendrait aux synapses de notre cerveau, ou à je ne sais quel gène, mais parce qu'elle tient à nos viscères d'animaux pas très raisonnables, toujours en porte à faux avec eux mêmes, et qui ne peuvent s'empêcher de se projeter au-delà d'eux mêmes, en se saisissant de la "puissance" (le mot est de saint Paul) que la foi met à notre portée.

En soutenant l'idée que la foi est viscérale et que l'antilibéralisme de Benoît XVI, directement isssu de sa foi peut être viscéralement présent dans son discours économique, je ne veux pas dire que la foi n'est pas raisonnable. C'est parce qu'elle est viscérale qu'elle est raisonnable. Comme toutes les grandes décisions de notre vie, on la sent ou on ne la sent pas et si on ne la sent pas (encore), ce n'est pas la peine d'y aller. Tout ce qui est viscéral peut bien être raisonnable, mais ce qui n'est que raisonnable à l'origine aura du mal à devenir viscéral.

Dans cet éloge des viscères, je m'en tiens à une formule de Martin Mosebach que j'avais mise en épigraphe de mon livre sur l'évidence chrétienne : "Voilà la foi, c'est ce que nous faisons avec évidence" (voir L'hérésie de l'informe éd. Hora decima p. 34).

A tous ceux que cette formule inquièterait, parce qu'ils n'ont pas l'impression de jouir de l'évidence de la foi, je ferais remarquer que Mosebach ne dit pas : "la foi, c'est ce que nous pensons avec évidence". Si la foi n'était qu'une pensée, elle serait tout sauf évidente : Credo quia ineptum est (je ne traduis pas) disait Tertullien à propos de la foi comme pensée. La foi comme pensée nous établit dans la sagesse de Dieu, c'est un peu grand pour nous, normal ! "Si tu l'as compris, ce n'est pas Dieu".

Mais la foi n'est pas seulement une pensée : "Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur Seigneur qui entreront dans le Royaume...". La foi est d'abord une action, une adhésion à l'ordre de Dieu, elle est ensuite une lumière, une connaissance et une pensée. A nouveau, il faut citer la grande phrase de Jean 3, 21 : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière".
Qu'est-ce que la foi ? D'abord faire la vérité, de toutes ses viscères... "La foi ? C'est ce que nous faisons avec évidence".

1 commentaire:

  1. Come vous avez raison ! (c'est le cas de le dire !) car la mort du Christ n'a rien d'intellectuel et le scandale de la croix est purement déraisonnable... Le Christ nous a offert jusqu'à la dernière goutte de son sang : il est mort dans sa chair pour nous sauver, Il s'est donné lui-même comme le pélican et Il continue à nous alimenter de sa propre substance dans l'Eucharistie... Alors oui, mille fois oui, notre foi ne peut être que tripale, viscérale, comme notre alimentation spirituelle qui est paradoxalement très concrète et qui doit "adhaerere visceribus nostris" selon les prières des ablutions de la Messe.
    Imaginer que tout ce qui est raisonnable ne pourrait être visceral, c'est partir d'une bien mauvaise opposition entre la nature et le surnaturel ; c'est imaginer que tout ce qui serait corporel s'opposerait forcément à l'esprit et que la jonction de l'âme et du corps ne serait qu'accidentelle, provisoire et erronée tel le mariage de la carpe et du lapin... Quelle profonde erreur gnostique qui persiste depuis les Cathares !
    Il faut lire Jean Daujat sur ce sujet car il explique avec beaucoup d'intelligence combien l'homme a pour vocation de perfectionner sa nature et la nature pour y greffer la surnature qui ne s'oppose pas à la nature mais la complète merveilleusement, l'achève, suivant le plan de Dieu...

    RépondreSupprimer