jeudi 24 septembre 2009

Aimer...

Merci à Jean-Vincent de son magnifique commentaire. Il me semble supérieur à l'original. Lisez-le à la suite du message précédent.

La dualité du réel (cf. message précédent) déconcerte ou décourage l'intelligence dont l'objet (comme l'idée de Platon) est essentiellement un. L'intelligence (est-ce parce qu'elle a été faite pour Dieu ?) déforme la réalité créée en se la représentant sur un mode unaire, toujours unaire, alors que la réalité ne peut se saisir telle qu'en elle-même que selon un certain rapport, dans une perspective que l'on appelle en termes techniques une perspective analogique.

En revanche, le coeur est spontanément duel. Oui le coeur est toujours deux. Quel coeur n'est pas partagé ? Partagé, on l'est forcément, ne serait-ce qu'entre soi et ce qu'on aime... Cher Jean Vincent, votre dernier mot (comme dirait Jean Pierre... Foucault) est le mot aimer. L'amour s'accommode très spontanément de la dualité contrairement à la connaissance. Je dirais même qu'un amour qui cesse de se concevoir dans une perspective duelle est un amour condamné, un amour qui n'est fusionnel que parce qu'il se raconte des histoires.

Le dernier mot de la sagesse analogique, le dernier mot de la dualité philosophique, c'est le mot aimer, que vous avez si spontanément posé dans cette position décisive. Deux est le chiffre de l'amour. ce n'est pas le chiffre de la connaissance, mais c'est le chiffre de la vérité... La charité dans la vérité, cela ne vous rappelle rien ?

Aimer, ce n'est pas manifester un sentiment. Ah ! que les filles m'agacent lorsqu'elles me disent : j'ai un sentiment pour lui. Je ne leur dis rien. Mais... je n'en pense pas moins que le sentiment n'est ni le diabolus in musica ni le deus ex machina...

Aimer, ce n'est pas non plus seulement désirer. A penser cela, Lacan est devenu fou au sens le plus littéral du terme.

Aimer ? C'est manifester ce que l'on est. C'est vivre dans cette dualité qui est fondatrice de l'étant créé, fondatrice de cet étant qui ne se suffit pas à lui-même. Je pense à cette parole très métaphysique finalement de sainte Catherine de Sienne : Dieu qui nous a fait par amour, nous a fait pour aimer.

Et je suis heureux, Jean-Vincent, d'écrire cela, cette nuit, grâce à vous, alors que va luire le jour de mon... vingtième anniversaire !

5 commentaires:

  1. C'est frustrant de traiter ces sujets par web interposé et que cela limite d'autant l'échange !

    En fait, l'essentiel du catholicisme est là puisqu'il s'agit d'aimer !

    Nous sommes dans un monde d'égoïsme et c'est cela l'absurde : s'occuper de soi quand la vie c'est de s'occuper des autres. Et sur ce plan, je tiens à vous "rassurer" : les paysans ne sont pas plus dans le réel que les autres ! Ils sont confrontés plus brutalement à un réalisme naturaliste mais s'ils ne font pas plus le lien entre nature et surnature, cela ne les avance pas beaucoup plus que les autres, si ce n'est qu'une sagesse humaine peut les prédisposer à mieux comprendre La Sagesse...

    Henri Pourrat a une belle phrase dont je ne me lasse pas tant il résume dans un aphorisme l'essentiel de la foi et de la métaphysique : "l'intelligence grandit avec le coeur"... aimer, la cause finale de l'homme, fait grandir sa charité mais aussi sa compréhension de Dieu, car c'est la même chose, et le catholicisme envisage l'homme intégral... En fait, charité et connaissance sont réciproques : plus on aime Dieu et plus on Le connaît, et plus on Le connaît, plus on l'aime... Cher abbé, votre idée d'associer des chiffres est intéressante : la connaissance est 1 parce que c'est Dieu, mais par amour pour nous, Il souhaite en faire 2 et nous la faire partager dans l'amour que nous aurons pour Lui...

    L'étonnant de notre monde contemporain, c'est que l'intellectualisation nous a fait passer du monisme matérialiste à une vision du monde où l'on croit s'intéresser à l'autre en en ayant seulement une vision globale, dans son essence (l'humanité dont on nie cependant la nature), mais pas des individus... Bref, le monisme a changé d'étage, en qq sorte, mais il refuse toujours et ontologiquement, la dualité !

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  2. Extrait d'un article de Laurent Dandrieu sur l'acteur Jacques Dufilho (dans "Les Epées", le 26 juillet 2003):

    "Avant que d’embrasser la carrière de comédien, il se lança à corps perdu dans la paysannerie, sans un sou, empruntant de l’argent pour louer une paire de bœufs, se faisant embaucher comme apprenti bénévole dans un domaine où il mena une vie monacale dont on devine qu’elle convint comme un gant à celui qui, bien des années plus tard, confessera à Renaud Matignon son goût pour l’aspect réglé de la vie religieuse. Activité qui comblait sa nature contemplative: «La respiration des bêtes est un langage et la travail de la terre une prière, écrit-il. N’étions-nous d’ailleurs pas obligés de nous agenouiller souvent? Et les plantes que nous avions semées ne se dressaient-elles pas dans la nuit comme autant de cierges allumés?» S’il renonce à ce métier, ce n’est pas seulement à cause de l’appel du théâtre, mais aussi parce que la mécanisation qui s’annonce menaçait déjà «la spiritualité inhérente au travail de la terre»."

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  3. Oui, Dufilho était un grand qui savoir voir Dieu dans sa création ! Mais cette humilité qui était la sienne venait de la grâce et non du travail de la terre...
    S'imaginer que la terre a une spritualité inhérente que le travail de la machine ferait disparaître, ce serait comme imaginer qu'on peut penser à Dieu en tricotant à la main mais pas avec un métier Jacquard...

    C'est l'homme qui a une spiritualité et l'inverse c'est une vision d'urbain : je suis confronté à la réalité des agriculteurs et je peux vous dire que leur mesquinerie et leur âpreté sont sans commune mesure avec celles des citadins...

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  4. "Aimer - la cause finale de l'homme" - certes, sûrement.

    Et pourtant il y en a pour qui ne comptent que titres et fonctions, rôles et positions, status et missions(leurs intitulés surtout), aucune place pour l'amour ! Aucune aspiration à cette finalité de l'homme.

    Il y en a même qui ont enfin gagné leur liberté, ayant du temps et de l'argent, n'étant plus contraints à l'assujetissement d'une organisation qui fait disparaître l'individu en tant que tel (où seule fonction occupée compte) et précisemment ceux-là font fi de cette liberté en ne l'employant point à AIMER, mais à essayer par tous les moyens de retrouver la possibilité de poursuivre ailleurs ces missions, rôles, fonctions plus ennuyeuses les unes que les autres et qui leur ont été "enlevées" (ou dont ils ont été liberés plutôt, mais eux ne l'entendent pas de cette oreille, sourds et aveugles).

    Etre libre d'aimer, d'avoir du temps et de la ressource pour se consacrer entièrement à l'amour (humain, mais qui élève vers Dieu, l'amour - un 1er pas vers l'AMOUR) et chercher à retrouver à tout prix les esclavages, c'est vraiment, comme dit l'Evangile : "margueritas ante porcas" .

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  5. Aujourd'hui, dimanche matin 27 septembre, je vous écoute avec attention, intérêt, profit théologique et sympathie. Votre exposé très solide sera la marque spirituelle heureuse et stimulante de ce jour du Seigneur.
    Moi aussi, j'aime bien Tresmontant

    Avec mes très respectueuses salutations

    Hélène (protestante !)

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