vendredi 26 mars 2010

Joël Prieur: "Gouguenheim : Le Moyen Age pour les nuls"

Repris de Minute - 3 mars 2010

Sylvain Gouguenheim a osé s’en prendre à l’histoire telle qu’on la raconte aujourd’hui, au nom de la réalité historique, correctement observée. Résultat : un best-seller, Aristote au Mont Saint-Michel, et la rancune tenace des caciques de l’université, qui ne décolèrent pas contre ce jeune professeur à l’Ecole normale supérieure…

Islamophobie savante, c’est le diagnostic que porte le philosophe Alain De Libera sur l’historien Sylvain Gouguenheim. La raison de cette sévérité ? En 2008, Gouguenheim a publié, aux éditions du Seuil, Aristote au Mont Saint-Michel. Dans ce livre, il démontrait, avec des arguments nouveaux, que l’Occident n’avait pas eu besoin de la médiation de l’islam pour recevoir les trésors intellectuels de la civilisation grecque. Le public a plébiscité ce livre. La communauté savante, peu habituée à connaître de pareils tirages pour ses productions trop souvent enfermées dans un ésotérisme corporatif, fit la fine bouche devant le succès. Les colloques se multiplièrent, animés par les caciques du genre, pour démontrer que l’islam était bien à l’origine de la culture occidentale.

Peine perdue ! La banderille de Sylvain Gouguenheim est devenue une référence pour tous ceux qui évoquent le sujet. On peut dire aujourd’hui tranquillement que l’islam n’a qu’une influence purement anecdotique sur le développement de la culture occidentale. Il ne s’agit pas d’islamophobie. Il s’agit d’avoir le courage de mettre en valeur une réalité historique, même lorsqu’elle ne correspond pas aux besoins de la culture actuellement dominante.

Mais les légendes ont la vie dure parce qu’elles viennent de loin. On n’a pas attendu Alain De Libéra pour souligner le rôle de l’islam dans la transmission de la culture grecque à l’Occident. Dans les quelques pages qu’il consacre à Charles Martel, dans son avant-dernier livre, Gouguenheim cite Anatole France, un romancier qui savait faire son beurre de l’histoire comme on sait : « Monsieur Dubois, professeur de grammaire [cela ne s’invente pas] demanda à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l’histoire de France. Madame Nozière ne le savait pas. C’est, lui dit Monsieur Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l’art et la civilisation arabe reculèrent devant la barbarie franque. »

L’historien n’a pas son pareil pour déboulonner ce genre de bobards. Son avant-dernier livre – je parle de l’avant dernier : il y en a eu deux presque coup sur coup cette année – est un modèle de clarté. L’auteur porte, sans complexe, des « regards sur le Moyen Age ». il se meut avec facilité dans un univers dont les ressorts principaux nous échappent, en conduisant toujours son lecteur à l’essentiel. Sont déclinés, sur quelques pages, toujours suivies d’une bibliographie, quarante thèmes différents qui vont de Clovis à la construction des cathédrales gothiques, et de la République de Venise à la question de savoir si, au Moyen Age, les paysans étaient des esclaves. On sent la méthode de l’Ecole normale supérieure : ces regards sont autant de fiches thématiques ; simplement elles sont écrites dans un style classique, qui en font des modèles du genre.

Contrairement à ce qu’on lui reproche, Sylvain Gouguenheim s’y montre avant tout soucieux d’objectivité, au fait de la bibliographie universitaire (allemande en particulier) et habile à replacer tel fait ou tel personnage dans un cadre plus vaste : celui de son époque. Ses mises au point ne sont pas apologétiques. Elles ne défendent pas «une certaine idée du Moyen Age». Mais elles nous transportent au cœur du sujet sans effort. Ce qui est appréciable, c’est que Gouguenheim n’hésite pas à susciter des paradoxes ou à pousser telle ou telle pointe inattendue.

Exemple ? Dans sa mise au point si claire sur les Templiers, il souligne que cet ordre n’a rien à voir avec l’esprit de la chevalerie laïque, hérité du XIIe siècle. Si l’on veut comprendre l’ordre du Temple, il faut d’abord admettre que nous sommes devant «une armée de métier, la première au Moyen Age». Certes la guerre devient pour cette nouvelle milice une «voie de salut». Mais cette guerre, on la fait avec sérieux, sans se soucier du geste, plus ou moins «chevaleresque», et en visant avant tout l’efficacité sur le terrain.

Je ne vous cache pas que j’étais sceptique face à ce livre dans lequel je m’imaginais trouver un bric-à-brac hétéroclite et inutilisable. L’esprit de synthèse de Gouguenheim nous permet de découvrir dans ses Regards sur le Moyen Age autant de lumières faciles à acquérir et que l’on ne trouvera pas forcément ailleurs sans un vaste labeur. C’est le Moyen Age pour les nuls ? Un peu, si l’on considère que les nuls ont davantage besoin que les autres de la rigueur de l’historien pour s’orienter dans les paysages surprenants que l’histoire nous a laissés.

Joël Prieur

Sylvain Gouguenheim, Regards sur le Moyen Age, éd. Tallandier, 408 pp., 26 euros, commande chez l’éditeur.

2 commentaires:

  1. Et même si l'Occident était passé par la transmission des philosophes arabes (les "falsafah") pour retrouver Aristote, en quoi cela nous enleverait-il quelque chose ?

    On ne peut tout de même pas nier les penseurs de la trempe d'un al-Kindi, d'un ar-Razi, d'un al-Farabi (tous 9è-10è siècle), ni d'un al-Ghazzali qui a développé l'idée des exercices spirituels comme chemin vers Dieu 400 ans avant St Ignace. Ce qui n'enlève rien à St Ignace. Sans évoquer ibn Sina (Avicennes) ni Ibn Rushd (Averroès), les évidences.

    Vraiment, c'est un faux débat. Saint Thomas d'Aquin lui-même a cité les philosophes musulmans et juifs; il est normal que celui qui réfléchit, va explorer l'ensemble des sources d'intelligence disponibles de son temps.

    Qu'est-ce que cela nous apporte de vouloir à tout pris prouver que l'islam n'a rien produit ni rien transmis ? Cela ne nous grandit ni ne nous diminue pas. Au contraire, nous devrions nous rassurer que cette civilisation tant en déclin depuis 800 ans, est capable du mieux qu'aujourd'hui, car a pu magistralement occuper le devant de la scène pendant la période plus effacée de l'Europe (7è-11è siècle) et produire une pensée florissante. Les Arabes ont étudié en profondeur les Grecs anciens; s'ils ont contribué à préserver certains de leur textes, c'est seulement tant mieux ! Si les moines les ont retrouvé par une autre transmission, c'est très bien aussi, cela n'a vraiment aucune importance, un débat sans objet.

    Par contre le déclin spectaculaire de la civilisation islamique devrait nous servir d'avertissement : notre civilisation ne court-elle aujourd'hui le même danger ? Rien n'est éternel en ce monde.

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  2. Il ne s'agit pas de prouver que l'Islam ne nous a rien apporté, ou plutôt les peuples arabes, perses, berbères ou ottomans.

    Il s'agit de de faire voler en éclat la propagande selon laquelle l'Islam est une bonne chose parce que sans lui nous serions des idiots incultes, sales et barbares.
    Ce qui est totalement différent.

    Cette falsification, cette imposture, ce révisionnisme, sont l'oeuvre de traîtres collaborateurs que nous devont remettre à leur place.
    L'Islam a engendré le plus souvent l'obscurantisme.

    Quant aux connaissances prétendument transmises par les fabricants de babouches et de cimeterres, le livre de Gouguenheim est plein d'enseignements.

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