jeudi 6 mai 2010

Feuilles d'antan...

Ce questionnaire, que m’avaient envoyé un groupe de jeunes, a aujourd’hui un peu plus d’un an. Je l’ai retrouvé en rangeant mes dossiers (mais oui, ça m’arrive). Comme je n’ai pas vu qu’il soit paru, je le livre aujourd’hui aux lecteurs « en l’état ». Il me semble que les propos qui s’y tiennent n’ont pas vraiment vieilli. En même temps, le recul chronologique permet de prendre u peu de distance. Je voudrais juste signaler qu’au moment où j’ai rédigé cet Entretien ma thèse sur Cajétan n’était pas encore publiée. C’est chose faite, aux éditions du Cerf, sous le titre Cajétan ou le personnalisme intégral. J’ai laissé le chapeau, sans accorder

Entretien avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn
Nous recevons Monsieur l’abbé Guillaume de Tanoüarn, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur. Fidèle à la Tradition, directeur d’un centre culturel, écrivain, essayiste, l’abbé de Tanoüarn est une personnalité (pour ne pas dire un personnage) de l’Eglise catholique. Il vient de publier « Jonas, ou le désir absent » dont nous recommandons la lecture. Nous le remercions de répondre à nos questions.

Qu. : En guise d’introduction, pourriez-vous vous présenter ainsi que l’Institut du Bon Pasteur pour les personnes ne vous connaissant pas ?
Je suis prêtre depuis bientôt vingt ans, ordonné en 1989 par Mgr Tissier de Mallerais à Ecône, en Suisse, le séminaire fondé par Mgr Marcel Lefebvre.. Au terme de cinq ans d’études, j’ai d’abord été diacre à Saint Nicolas du Chardonnet en 1988, puis prêtre au sein de la mission Saint Pie X à Libreville au Gabon. Je suis revenu à Paris en 1991, pour être professeur à l’Institut Universitaire saint Pie X, qui délivre des diplômes d’Etat en philosophie. J’étais également vicaire à Saint Nicolas et, dans ce cadre, j’ai repris la revue étudiante Quark, créée par l’abbé Héry. Cette revue est devenue Certitudes, puis la Nouvelle revue Certitudes (50 n° parus en deux séries). Elle se voulait une revue d’idée, résolument chrétienne et ouverte à un large public. Un supplément Pacte, traitait chaque mois de l’actualité religieuse (87 n° parus).
En 2005, j’ai quitté la Fraternité Saint Pie X, inquiet du durcissement de l’autorité centrale et j’ai créé, avec quelques amis prêtres, l’Institut du Bon Pasteur, dont je suis aujourd’hui l’un des deux assistants. A Paris, j’ai fondé le Centre culturel chrétien Saint Paul (sur Google : cccsp) et nous travaillons au premier numéro d’une revue d’idées, remplaçant Certitudes, Respublica christiana.
Docteur en philosophie de l’Université de Lyon, en 2007, pour une thèse sur Cajétan et les prodiges de l’analogie (un autre regard sur le Continent scolastique), j’ai publié plusieurs ouvrages autour de la crise de l’Eglise (Vatican II et l’Evangile ; Christianisme et laïcité) et pour une illustration contemporaine du message chrétien le plus traditionnel (L’évidence chrétienne, Jonas ou le désir absent)
Qu. : La « mouvance traditionaliste » est éclatée. Il y a l’Institut du Bon Pasteur, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, etc. Il nous semble que l’ensemble de la sphère traditionaliste gagnerait à marcher main dans la main. Tout d’abord est-ce que vous pensez la même chose ? Ensuite, l’union de la sphère traditionaliste est-elle possible et souhaitable ? Enfin, toutes ces divisions ne nuisent-elles pas à la crédibilité de l’ensemble des traditionalistes (indépendamment de leurs chapelles respectives) voire à l’Eglise elle-même ?

Je ne parlerais pas d’éclatement. La diversité (pour employer un terme à la mode) est une bonne chose dans l’Eglise, où elle a toujours existé : « il y a des demeures, nombreuses, dans la maison du Père » disait le Christ lui-même. S’il y a un seul chemin pour aller à Dieu, qui est le Christ, s’il y a une seule autorité, gardienne de l’orthodoxie, qui est celle de l’Eglise catholique, il y a toujours eu plusieurs manières, à chaque époque d’exprimer la vocation chrétienne. Le génie romain, qui est un génie impérial, consiste à avoir toujours réussi à fédérer ces expressions diverses, de sorte que, comme le rappelait le pape Benoît XVI aux évêques français réunis à Lourdes, « nul ne puisse se sentir de trop dans l’Eglise ». Loin d’indiquer la voie d’un conformisme stérile, l’orthodoxie catholique est commune à tous ceux qui reconnaissent la férule de l’Eglise de Rome, dont saint Irénée de Lyon disait déjà en 190 qu’elle exerce « une principauté sur les autres Eglises ». Qu’est-ce que l’orthodoxie ? Ce mot désigne le langage commun qu’acceptent de parler tous les disciples du Christ fascinés par « ces choses cachées depuis le commencement du monde » que le Christ nous a révélées. Au delà de cette unité fondamentale, il y a toujours eu dans l’Eglise des mouvements, qui se constitués pour incarner plus particulièrement un aspect du message (la pauvreté franciscaine, l’efficacité jésuite etc.). Mgr Marcel Lefebvre, suite aux réformes trop hâtives décrétées après Vatican II, a installé dans l’Eglise une mouvance dont même le chroniqueur du Monde Henri Tincq reconnaît qu’elle s’est désormais inscrite dans le paysage ecclésial. Ce mouvement – que l’on nomme traditionaliste - insiste sur la beauté de la liturgie traditionnelle, sur le caractère sacrificiel de la messe et sur une réception du concile Vatican II qui doit pouvoir se faire en continuité avec les 20 grands conciles œcuméniques, et non, comme certains après-conciles ont paru en donner l’apparence, en rupture avec eux. Mais cette mouvance, qui a traversé bien des orages depuis ceux de l’été chaud – 1976 - s’est effectivement scindée en une pluralité de communautés et d’instituts. Loin de nuire à son expansion, cette pluralité permet à chacun de trouver chaussure à son pied dans le revival liturgique et théologique que la prospérité de ces mouvements manifeste au grand jour.

Qu. : De nombreux catholiques disent se battre pour l’avènement du règne social du Christ-Roi. Or, dans les Evangiles, Jésus répond à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18.36) Ne considérez-vous pas cela comme incohérent ? Dans le même ordre d’idée les catholiques doivent-ils s’engager en politique ? Et si oui, comment ? La création d’un parti politique catholique serait-elle une bonne ou une mauvaise idée ?
Le verset de l’Evangile que vous citez a été interprété et traduit de plusieurs manières. Le grec Basileia signifie à la fois royaume royauté et règne. D’après un spécialiste comme Jean Carmignac, il faudrait traduire cette phrase de Jésus à Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde ». Le titre de ma légitimité à régner ne vient pas des hommes mais de Dieu. Mais bien évidemment le Royaume du Christ est dans ce monde. Le Christ vient dans ce monde pour y régner et c’est ce que les juifs ne souhaitent pas lorsqu’ils disent à Pilate : « Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous ». Le catholicisme n’a jamais cherché à trouver refuge dans la pure intériorité du Moi, comme si la Royauté du Christ ne s’exerçait que dans les limites que posent la conscience. C’est le protestantisme de Luther (par exemple dans son Traité de la liberté du chrétien) qui trouve dans l’intériorité personnelle une sorte de refuge. Mais le catholicisme orthodoxe a toujours souhaité montrer l’autorité de la Parole de Dieu parmi les hommes, tout en respectant les structures sociopolitiques toujours différentes d’un pays à l’autre.
Il y a une dualité qui se crée en régime chrétien, entre une véritable autorité spirituelle et le pouvoir temporel. On appelle cette dualité : laïcité. La tentation qui a consisté à vouloir résorber cette dualité dans l’unité d’un super pouvoir à la fois spirituel et temporel (le césaropapisme) n’est pas bonne. De la même façon, si le Parti catholique, que vous évoquez signifie un engagement de l’Eglise en politique, un engagement du pouvoir spirituel dans les compétitions pour le temporel, cela ne fonctionne pas. La ruine de la Démocratie chrétienne en Italie montre que les électeurs ont sanctionné ces parasitages entre le politique et le temporel. A l’inverse, en France, la République a voulu confisquer le pouvoir spirituel, traditionnellement reconnu à l’Eglise. Ce laïcisme opposé à la vraie laïcité est d’essence totalitaire, il remonte à la Révolution française et au Contrat social de Rousseau.
Cette dualité toujours maintenue entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle n’empêche pas que les catholiques doivent s’engager en politique. Ils le font avec une grande liberté. Ils le font au nom de ce que le pape Pie XI appelait « la plus grande des charités, la charité politique ».

Qu. : Aujourd’hui nous entendons énormément de choses concernant le catholicisme. Pourriez-vous nous donner votre avis sur les questions suivantes ? Un catholique français peut-il être : démocrate ? Républicain ? Libéral ? Franc-maçon ? Partisan d’un gouvernement mondial ?

Il faudrait des pages pour répondre de manière circonstanciée. La démocratie ? Jean Madiran a expliqué de façon lumineuse qu’il y en avait deux, la démocratie comme système de désignation des gouvernants et la démocratie comme système de détermination des vérités. La première est un système politique qui a ses qualités et ses défauts. La seconde, cette démocratie métaphysique, qui prétend mettre la vérité aux voix n’est pas compatible avec le christianisme. La République en France, s’arrogeant le pouvoir spirituel, a souvent tendu vers ce modèle intolérant.
Si le libéralisme est le système qui consciemment met la liberté humaine au dessus de la vérité divine, il apparaît également comme condamnable.
Quant à la Franc maçonnerie, c’est une organisation spirituelle née dans les pays chrétiens comme une sorte de rivale laïque de l’Eglise. Les Constitutions d’Anderson qui figurent à l’origine de ce mouvement montrent bien que l’idée est de créer une autorité spirituelle plus englobante que le pouvoir du pape de Rome, autour d’une religion nouvelle, l’humanisme. Le conflit avec la papauté est donc inscrit dans les origines même de ce mouvement. Les papes ne s’y sont pas trompés : Clément VII a condamné la Maçonnerie dans la Bulle In eminenti dès 1738.
Quant au gouvernement mondial, il est vivement condamné dès les premières pages de la Bible, dans l’épisode curieux de la Tour de Babel et de la confusion des langues qui s’en est suivie. On voit resurgir cette tentation au chapitre 13 de l’Apocalypse.

Qu. : Depuis le début de l’année nous avons vu les attaques se multiplier contre le Saint-Père. Si le calme semble revenu, nous sentons bien que c’est l’Eglise catholique qui est visée, qui rappelle à temps et à contre-temps des vérités qui dérangent. Les attaques reprendront, cela ne fait aucun doute. Durant cette période nous avons pu voir les Orthodoxes apporter un soutien au Saint-Père. Il n’en n’a pas été de même des différentes chapelles protestantes, nous avons même constaté une certaine connivence, pour ne pas dire plus, avec une presse à scandale. Quel est votre avis sur cette question ?
Ce qui est visé c’est l’incroyable pouvoir spirituel dont dispose l’homme en blanc dans le monde. On veut substituer à ce pouvoir spirituel de la papauté, respectueux de toutes les identités et de toutes les libertés, un pouvoir totalitaire issu des structures politique. Mais pour cela il faut discréditer le pape. Le processus est en court.

Qu. : Que pensez-vous de l’affaire « Williamson » ? Comprenez-vous les catholiques qui ont hurlé avec les loups ou, au contraire, estimez-vous qu’ils ont très mal agi ? Lui avez-vous envoyé un message de soutien ?

Je pense que Mgr Williamson a consciemment contribué à discréditer le pape. Il s’inscrit dans cette campagne antipape que vous stigmatisiez à l’instant. Quant aux questions liées à la Deuxième Guerre mondiale et à la tentative de destruction des Juifs d’Europe, ses réponses montrent qu’il n’a aucune connaissance en ce domaine. Il a agi comme un provocateur de bas étage. Pour lui, je crois vraiment que l’essentiel est ailleurs, dans cette contribution à la déstabilisation de l’autorité spirituelle du pape que vous évoquez.

Qu. : Nous voyons très (trop !) souvent à la télévision l’abbé de La Morandais, présenté comme « spécialiste des religions » ce qui nous paraît excessif : connaître la religion catholique à fond est déjà un travail de Titan. Sous l’Ancien Régime il aurait été qualifié « d’abbé de cour » Sans porter de jugement sur la personne, ce qui n’est pas notre propos, nous aimerions savoir ce que vous pensez de ces « spécialistes » auto-proclamés ? Alors que nous avons en France de grands théologiens, nous ne les entendons jamais dans les grands médias. Qu’en pensez-vous ?
Le Monde médiatique est une sorte de théâtre, où les rôles sont déjà attribués avant que la pièce ait été écrite, avant que l’événement ne se produise. C’est vous dire si les reconstitutions médiatiques sont de piètre qualité.
Qu. : Sous prétexte « d’art » nous voyons depuis quelques années des évêques se prêter à des compromissions pour le moins étonnantes. La dernière en date est l’exposition dans la cathédrale de Gap, où, lors de la semaine Sainte, Monseigneur Di Falco s’est cru autorisé à exposer des « œuvres » pour le moins controversées. Nous avons relaté dans une forme humoristique tout le bien que nous pensons de ce genre d’initiative. Ce qui est surprenant c’est la complicité de certains évêques avec un monde fort éloigné de l’esprit apostolique. Notre Seigneur n’a-t-il pas prévenu : « Malheur à celui par qui le scandale arrive » ? Qu’en pensez-vous ? Un dicton populaire ne dit-il pas aussi que « l’Enfer est pavé de crânes d’évêques » ?

Je n’ai pas connaissance de l’exposition qui a eu lieu dans la cathédrale de Gap. Mais je me souviens d’un livre de Mgr Rouet, dans lequel l’évêque de Poitiers manifestait son attrait pour des création photographique à thèmes sadomasochiste. Je crois que la première création artistique pour un prêtre, c’est la liturgie, ainsi que Benoît XVI l’a fait comprendre. On peut tout craindre d’un clerc dont la liturgie ne relève plus de l’art mais de l’idéologie.

Qu. : Pour finir cet entretien. Vous avez participé, en 2005, à un débat public sur la vacance du Siège apostolique avec un simple laïc. Nous souhaiterions organiser un nouveau débat, cette fois, uniquement entre clercs, c'est-à-dire sans public (pour éviter certains désagréments convenus) avec les deux seuls débatteurs, sous l'œil de notre caméra et nous serions l’organisateur de celui-ci. Seriez-vous prêt à participer à un tel débat, avec un clerc tenant de la vacance du Siège ?
Je suis prêt à tous les débats du moment qu’ils sont publics. « Ce que vous avez entendu à l’oreille, proclamez-le sur les toits ».

3 commentaires:

  1. la" diversité" qu'un penseur profond, un catholique "de toujours" peut apercevoir apparait malheureusment contradictoire aux gens normaux, qui cherchent à s'insérer ailleurs que dans leur bulle égotique ...ou qui aimeraient envoyer " venir et voir" des athées ou des incroyants... Mais où trouver le " voyez comme ils s'aiment" ...
    (je traverse doucement toute la galaxie... et je suis effaré d'entendre ce que j'y entends, surtout quand je compare à la détresse criante de mon secteur, les cités du Val de Marne !
    Prière " Seigneur, on a pris mon Eglise,
    Et je ne sais où on l'a mise"
    A force de traverser, je vais un jour sortir ...

    l'idiot inutile

    RépondreSupprimer
  2. Cher Monsieur l'abbé,

    C'est un grand plaisir pour "le Torrentiel" de pouvoir vous retrouver dans une période plus calme et après la tempête apaisée, qui a déchaîné les commentateurs. Au moins peut-on à nouveau parler sérieusement et sans invective.

    Auprès des jeunes qui vous interrogeaient avec perspicacité et dont vous venez de publier l'entretienn qu'ils vous ontaccordé, vous faisiez vôtre la distinction de Jean Madiran entre deux genres de démocratie : la démocratie comme "principe de désignation des gouvernamts" et la démocratie comme "principe de détermination des vérités". Eh bien, permettez-moi d'objecter à Jean Madiran et à vous-même que la seconde forme de démocratie dont il parle n'est pas si ambitieuse qu'il le dit. Son but n'est pas de "déterminer la vérité", mais simplement de ne pas imposer une décision qui ne rencontrerait pas un assentiment à peu près consensuel pour la rendre acceptable par ceux qui doivent y trouver force de loi.

    Il en va de même de l'opposition entre la liberté et la vérité, la liberté ne devant pas s'imaginer pouvoir planer au-dessus de la vérité. Mais, là encore, la liberté n'a pas cette ambition. La liberté a été donnée par dieu aux hommes pour qu'ils aient le pouvoir de refuser la vérité, quand bien même ce refus serait-il la plus grande des injustices. C'est là un effet de la Libéralité de dieu, de laquelle quiconque voudrait s'affranchir ne le ferait qu'en substituant le despotisme à laet bienveillance et à la patience de dieu, à cause d'un culte exagéré qu'il vouerait à la Vérité par peur de la liberté.

    Amicalement

    Julien Weinzaepflen

    RépondreSupprimer
  3. Il en demeure pas moins qu'invoquer la diversité dans cet éclatement des traditionnalistes n'a d'égale que le comportement de nos amis protestants. Le faire au nom des Saintes Écritures ou de la Tradition, n'est-il pas du pareil au même ?
    Ceci dit, je vois quand même beaucoup plus d'avenir chez L'IBP que la Fraternité St Pierre et Pie X.

    RépondreSupprimer