mercredi 30 novembre 2011

"Apprenez à faire le bien !" (Isaïe 1, 17)

Quelle est donc cette science qui nous manque et dont nous sommes ignorants ? C'est une science toute pratique, la science du bien. Mais qu'est-ce que la science du bien ? Non pas une explication interminable sur les différentes manières de faire le bien, comme il y avait au XIXème siècle des Manuels de civilité, où l'on apprenait comment répondre à la Maîtresse de maison ou comment tenir sa tasse de thé. Pour les prophètes d'Israël - comme pour nous chrétiens, en particulier lorsque nous écoutons la grande voix de saint Augustin - faire le bien signifie deux choses : aimer Dieu par dessus tout et vivre selon sa volonté.

Isaïe exprime avec beaucoup de force, mais de manière figurative dans les premier versets de son livre cette idée que le bien de l'homme est indissociablement en Dieu et en lui-même et que le malheur dans lequel il se débat est autant d'ordre "théologique" comme nous dirions aujourd'hui que d'ordre moral : « Le bœuf connaît son propriétaire et l’âne la mangeoire qui appartient à son Maître. Israël ne sait pas. Mon peuple ne comprend pas » (Is. 1 3). Mon cher Cajétan commente : « Ayant manifesté le crime d’Israël, la cause de sa révolte est ainsi découverte : ne pas avoir connu Dieu et ne pas avoir compris son bien propre ». Cajétan, comme Augustin, unit la science de Dieu et la connaissance de soi et de « son bien propre ». Il souligne clairement qu’à l’origine de cette rébellion qu’est le péché, on trouve un problème mental, une ignorance, une indifférence, des illusions. Le nerf de notre révolte est d’ordre intellectuel, renvoyant à une privation, à une absence de connaissance. Nous ne connaissons ni Dieu ni nous-mêmes.

Pour Cajétan commentateur d’Isaïe, ce qu’il appelle notre bien propre est très clairement évoqué dans l’image de la mangeoire que l’âne sait reconnaître parce qu’il connaît ses besoins, mais que l’homme ne sait pas reconnaître, parce qu’il ne se connaît pas lui-même. Quant à notre ignorance de Dieu, elle est figurée, toujours selon Cajétan lecteur d’Isaïe, par la métaphore du bœuf. Cet animal reconnaît le pas de celui qui doit le conduire, lui et sa charrue. Nous ne reconnaissons pas celui auquel il nous faut faire confiance et nous donnons notre confiance à faux. Nous sommes pires que les bêtes brutes, écrit Cajétan dans l’élan d’Isaïe. « Je suis devenu comme un animal domestique devant toi » dit le Psaume. L’image fait penser à ce passage d’Isaïe, mais le Prophète est encore plus pessimiste que le Psalmiste. Nous ne sommes pas, nous autres hommes, comme les animaux domestiques, mais pires qu’eux, parce que eux au moins connaissent et leurs besoin et et celui qui les mène. Et per haec insinuatur rudior brutis populus Israël conclut Cajétan. Je traduis : cette double métaphore insinue que le peuple d'Israël (il s'agit de l'Israël de Dieu et de tous ceux qui en font partie) est plus mal dégrossi que les animaux".

- L'expression est excessive ? Cajétan, dans ce jugement, rajoute de la poésie à la poésie au point que l'on ne voit plus rien ? - Ce n'est pas son genre ! En réalité, il met le doigt sur une idée fondamentale, qui nous fait comprendre ce qu'est en train de devenir la société d'aujourd'hui : il n'existe pas dans l'homme un désir naturel de Dieu. Nous avons le désir naturel de manger pour vivre et parfois - paraphrasons Molière - celui de vivre pour manger. Nous avons le désir de nous reproduire et nous déclinons l'instinct génésique de mille manières. Mais nous n'avons pas le désir naturel de Dieu. C'est toute la portée - métaphysique et religieuse - de l'Apologue maurrassien du petit poussin. "Le petit poussin sort de sa coquille. Peu de choses lui manquent pour dire : je suis libre. Mais au petit d'homme ? Au petit d'homme il manque tout". L'âne, le boeuf, le petit poussin, tout ce bestiaire est convoqué pour manifester la faiblesse fondamentale de l'animal humain, qui ne sait pas s'orienter tout seul, qui ne sait pas faire le bien par lui-même.

Notre première, notre fondamentale expérience religieuse est celle de cette ignorance naturelle de Dieu, de cette incapacité où nous sommes à nous orienter dans le Maquis de notre existence par nos propres forces. Nous avons une conscience qui nous guide, mais reste bien velléitaire, bien théorique. C'est dans et par la connaissance de Dieu que nous apprenons à faire le bien avec efficacité et vérité. Nous verrons comment demain.

2 commentaires:

  1. c'est vraiment bien ces méditations

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  2. 1. Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes parce que nous connaître nous-mêmes impliquerait que nous connaissions "notre bien propre", ce à quoi nous sommes destinés, ce qui nous fait du bien, notre finalité.

    2. "L'ignorance de dieu" est notre première expérience religieuse et nous n'avons pas de "désir naturel de dieu". En effet, nous n'avons pas de désir naturel du dieu qui nous fait dépasser la nature, mais pourquoi? C'est une donnée de l'amour de dieu. Si nous avions un désir naturel du Dieu surnaturel, cela voudrait dire que nous serions paramétrés, périmétrés pour Dieu et qu'il faudrait comprendre l'affirmation de Saint-Paul que Dieu nous a créés pour Lui en ce sens qu'Il nous aurait créés tels que nous puissions nous inscrire en Lui, géométriquement parlant. Or la Création de Dieu demande une suscription de notre part. Cela seul a été la manière dont dieu a jugé digne de nous respecter, d'être notre fin, et non que nous existions comme inclusibles en dieu. Nous trouverions bien commodes de n'avoir qu'à nous inclure dans l'amour exclusif de dieu. Cet Amour Est sans exclusion, mais nous demande une exclusive; Il est sans fusion, mais nous demande une adhésion. Il nous demande de graver, de signer "amen" sur la pierre de l'Autel de notre coeur, au Dessein de ce dieu qui est notre fin depuis le Commencement et Dont l'Affranchissement de notre servitude et la gratification de Son amitié consiste à nous dire où Il va.

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