lundi 31 décembre 2012

L'objection qui tue

Nous philosophons, nous théologisons, nous réfléchissons aux conditions de l'acte de foi. C'est ce que Jean Borella a magnifiquement fait toute sa vie, malgré les grincheux, coachiens ou pas... C'est ce que j'essaie de faire dans mon livre Parier avec Pascal. Et il me semble que je suis assez près de Jean Borella, avant même de connaître son oeuvre. Près et loin en même temps. Je répondrai ici pour mon propre compte évidemment.

M'étant avancé dans les prodiges de l'analogie, qui m'ont tellement ébloui que j'en ai écrit 700 pages (publiées au Cerf sous le titre Cajétan ou le personnalisme intégral), j'ai compris que ce Cajétan, disciple de saint Thomas d'Aquin, avait envisagé que la métaphysique est fondée sur une autre connaissance que la connaissance formelle (celle que régit le principe d'identité). De quoi s'agit-il ? De la connaissance par ressemblance que l'on nomme analogie. Jean Borella, lui, étudie plutôt l'anthropologie et il voit dans le développement de la culture humaine un parler vrai, qui s'est interrompu, dit-il, il y a seulement deux siècles, lorsque la connaissance dite scientifique a prétendu s'étendre à tout objet et réclamer pour elle le monopole de la connaissance.

Prodigieux rétrécissement, en tout cas, dont la littérature, la philosophie, l'histoire allaient faire les frais, remplacés, oui remplacés par de prétendues sciences humaines : comme si la réalité humaine était mesurable! Comme si les mesures que nous pouvions prendre (production. consommation etc.) étaient autre chose que des instruments pour une connaissance qui échappe à quiconque se lance dans l'investigation de la condition humaine : "Qu'il se vante je l'abaisse, qu'il s'abaisse je le vante et le contredit sans cesse jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible". Voilà Pascal. Indépassable. Qu'est-ce qu'y peuvent les sciences humaines ?

Sur ce sujet, j'aimerais reprendre une question très bien posée à l'issue de mon précédent blog, je la cite donc:
"Il me semble que le remède que vous proposez au modernisme - une philosophie de la vie qui fait abstraction du principe de non-contradiction ou d'identité - est très proche.. de la définition que S. Pie X donnait... de ce même modernisme. Comment répondriez-vous à une telle objection?"
Je réponds qu'elle vaut d'être posée et qu'elle contient peut-être l'explication ultime de la persistance de la crise de l'Eglise, malgré l'intervention de saint Pie X en 1907. Je parle de la crise de l'Eglise, qui a commencé de manière visible en 1653 avec la condamnation des cinq propositions, propositions certes condamnables mais qui, condamnées sans nuance et sans explication, condamnaient (involontairement?) le grand Augustin... D'où le scandale de Pascal, sa crainte terrible pour l'Eglise dans les Provinciales (ce n'est pas du chiqué, non), et sa déception vis-à-vis du duo janséniste Arnault-Nicole. A la toute fin de sa vie, lors de sa dernière entrevue avec Arnauld et Nicole, il s'évanouit de fureur en laissant échapper : "Ils ont préféré Port-Royal à la vérité" (comme on pourrait avancer de certains aujourd'hui qu'ils ont préféré Ecône à la vérité, mais... "ceci ne nous regarde pas...", comme diraient les Inconnu).

D'abord ce qui pourrait être une parenthèse mais constituera pour nous un bon point de départ. Je pourrais, cher objectant, vous charrier sur la manière dont vous équiparez le principe d'identité et le principe de non-contradiction. Le principe de non-contradiction est vital : on ne peut affirmer ou nier d'une même chose en même temps la même chose et c'est vrai aussi pour son contraire. Le tiers est exclu : ni tiers position ni tiers parti. Il faut décider : affirmer ou nier. Question d'hygiène mentale et souvent morale !  

Voilà le principe de non-contradiction. Mais tel n'est pas le principe d'identité : "Ce qui est est". Pour que l'on puisse soutenir le principe d'identité, il faudrait que l'on sache précisément ce qui est, et pour qu'on sache précisément ce qui est, il faut encore s'enquérir d'un comment il est, combien, quand, où pourquoi etc. Il y a très peu d'éléments réels dont on puisse déterminer ainsi l'identité (ou la forme). le principe d'identité est donc un principe qui demeure souvent théorique. Exemple : si posant la question Qui suis-je ? je réponds selon le principe d'identité : "Je suis moi", je n'ai pas fait beaucoup de progrès (normal : l'identité, c'est ce qui est... identique à soi), mais surtout je ne SAIS pas forcément toujours très bien ce que j'ai affirmé.

Le principe d'identité fonctionne admirablement dans tous les domaines mesurables car une mesure peut facilement se déterminer comme identique à elle-même.
 
Mais dans l'ordre spécifiquement humain, le principe d'identité identifie bien peu de choses ! Il s'avère d'un maniement difficile. Existe-t-il, pour la raison humaine, une situation absolument identique à une autre ? Un acte identique ? Non : ce qui régit le monde humain, ce n'est pas le principe d'identité, car cette identité est toujours perdue (voilà une marque du péché d'origine). Ce qui régit le monde humain, c'est le grand principe de la ressemblance : "Cette pensée est si générale et si utile qu'on ne doit point laisser passer un espace notable de temps sans y songer avec attention" écrit Pascal à sa soeur Gilberte le 1er avril 1648. Ressemblance des choses entre elles, des situations entre elles, des ordres entre eux, le temporel étant l'image du spirituel etc.

Je ne nie pas le principe d'identité, rassurez-vous. Mais je prétends que ce principe, dans son application universelle, est divin et non humain (ce que un Hegel n'a pas admis, imaginant qu'il appartenait à la raison humaine de déterminer, mais alors dialectiquement, l'identité de toutes choses). Nous autres hommes, nous sommes le plus souvent dans l'approximation, dans l'essai. Comme Montaigne a eu raison d'employer ce terme plein de sagesse et de mesure ! Il écrit sans illusion :
"Je propose des rêveries humaines et personnelles, simplement comme des rêveries humaines considérées dans leur singularité, non comme voulues et réglées par l'ordonnance céleste, qui est incapable de doute et de controverse. Il y a là matière à opinions et non matière de foi. Je dis ce que je pense d'une manière laïque, non cléricale, mais toujours très religieuse. Un peu comme les enfants proposent leurs essais pour être instruits, non pour instruire" (Essais I, 56).
Cette référence à l'enfance me semble typiquement évangélique chez Montaigne. La pensée rationnelle, lorsqu'elle ose prendre pour objet la destinée humaine, est forcément démunie et comme infantile encore et encore. Elle est dans l'essai. Montaigne insiste sur le caractère subjectif de cet essai ("rêverie humaine et personnelle"). Mais en même temps il tient à ce que ces essais humains, fondés sur des ressemblances, se mesurent "aux ordonnances divines", ce sont autant de "propositions", "pour être instruits et non pour instruire". Admirable humilité de son scepticisme ! Je rappelle que les deux plus grandes Sommes médiévales (la Summa theologiae de Thomas d'Aquin et l'Ordinatio de Duns Scot) commencent l'une et l'autre par ce constat d'ignorance.

La vie ne se laisse pas aisément enfermer dans nos raisonnements.

Mais alors faudrait-il n'en point parler ? Faire une philosophie de la vie, est-ce moderniste ? S'interroger sur le peu de moyens que nous avons par nous-mêmes pour déterminer ce qu'est la destinée humaine est-ce vraiment ce qu'ont fait les modernistes condamnés par saint Pie X ? Je ne le crois pas ! Prenons un Laberthonnière (pour lequel j'ai une véritable affection, car il est profondément sincère dans son sacerdoce) : il produit un système qu'il appelle, non sans crânerie, le dogmatisme moral. Il prétend déduire le Dieu des chrétiens de la vie humaine, telle qu'elle est... Ca n'a rien à voir avec le constat d'ignorance que je viens de poser!

Mais des exécutants serviles de l'encyclique Pascendi ont cru qu'à travers la doctrine dite par Pie X de l'immanence vitale et qui recoupe assez bien le "dogmatisme moral" de Laberthonnière, c'était tout examen de l'âme humaine, tout effort de connaissance de soi, toute voie d'immanence qui se trouvait prohibés. En faisant du zèle ils ont évité d'identifier le poison et ils en ont prorogé l'effet négatif sur l'organisme ecclésial.

Pourquoi cette grossière erreur ? Je l'ai dit en commençant : parce que l'on a voulu oublier Augustin.

Parce que les interprètes de Pascendi se trouvent dans le vide créé par la condamnation de 1653. Depuis 1653. Il aurait suffi de se plonger (comme nous l'avons fait au Centre Saint Paul ces derniers lundis) dans les Livres 8 à 12 du De Trinitate (ou dans les Soliloques ou dans les Confessions, en particulier au Livre 10 et pourquoi pas dans la traduction d'Arnaud d'Andilly que propose la collection Folio) pour comprendre que l'effort que nous faisons pour nous connaître nous-mêmes, cet effort de présence et d'immanence à nous-même est foncièrement le même que celui qui nous élève jusqu'à Dieu : "Que je me connaisse et que je Vous connaisse". Je découvre en moi la charité de Dieu, ce premier élan de mon coeur (ce qu'Augustin appelle la bonne volonté). Et découvrant la charité de Dieu, je découvre Dieu aimant et aimé, Dieu amour, Dieu trine : "Qui touche la charité touche la Trinité" (De Trinitate VIII).

Pourquoi Augustin ne se brûle pas les ailes lorsqu'il emprunte la voie d'immanence? Parce qu'il a conscience du péché originel comme d'une donnée primitive de la conscience humaine. Il sait qu'il ne suffit pas à l'homme de faire le bien pour être sauvé, qu'il lui faut le bien faire (bene bona facere écrit-il à Julien d'Eclane), c'est-à-dire le faire dans la grâce de Dieu (dans l'amour). Faire le bien sans amour et sans Dieu, cela ne sert à rien, c'est encore une manière de succomber au narcissisme. Pour en finir, je citerai volontiers Bernanos, disant en ce sens qu'il est plus dangereux pour l'homme de nier le péché originel que de nier Dieu. Quel intérêt de poser Dieu si l'on pose en même temps la pleine suffisance de l'homme? Les déistes, que Pascal a poursuivi de son ire, ne font pas de bons chrétiens.

Parce que l'on a nié pratiquement le péché originel (même des néo-thomistes comme je le montre dans Parier avec Pascal), on a refusé en même temps toute voie d'immanence. Cette voie d'immanence devenait évidemment trop dangereuse sans cette foi première dans le péché originel, dans "l'homme cassé" (Gabriel Marcel), foi qui aurait dû être chevillée au corps. Dans ces conditions, il devenait prudent de s'éloigner de la voie d'immanence : c'est l'histoire du néo-thomisme, malgré Ambroise Gardeil et ses vieilles tentatives sur la structure de l'âme.

Mais on ne détruit bien que ce que l'on remplace. Et on a cru la remplacer en produisant une théologie scientifique, agressive et impuissante, faite de concepts ou d'idées humaines solidement emboîtés, et non du texte de l'Evangile amoureusement pressuré.

Et au nom de cette théologie scientifique, dont le Père Moingt est un bel emblème, on a vulgarisé ce produit dérivé qu'est l'idéologie conciliaire, idéologie qui n'est pas un produit de Mai 68, idéologie qui ne suit pas le Concile comme on le dit trop facilement, mais qui le précède (comme on l'a vu durant le Pontificat de Pie XII), en diffusant comme "vérités sacro-saintes" les diverses obsessions que des théologiens en chambre prennent pour "la Vérité scientifique" (impossibilité du miracle, ecclésiologie rabougrie, mariologie en berne etc.). Vous trouvez ces "vérités scientifiques" absolutisées aujourd'hui chez Christoph Theobald, qui, sous la pression de cette science qui se fait théologienne, en est venu, à force de critique, à définir le catholicisme uniquement comme un style. Qui dira les ravages produit par le scientisme des théologiens, par leur manière indiscrète de manier le principe d'identité? On doit au Père Chenu... une fière chandelle.

Vous m'avez provoqué, cher objectant, avec une question dont la pertinence égalait l'impertinence ou la mise en question personnelle... Je crois avoir répondu sur le fond. Hélas pas encore à fond, mais il est tard. Ceux qui veulent travailler et réfléchir pourront trouver là quelques pistes.

vendredi 28 décembre 2012

Jean Borella : pour croire aujourd'hui

Chez L'Harmattan, la collection Theoria dirigée par Pierre-Marie Sigaud a entrepris une réédition complète de l'Oeuvre de Jean Borella, qui en profite pour nous livrer chaque livre dans une nouvelle édition corrigée et augmentée. Un travail de... Romain, pour une œuvre à la fois profondément catholique et profondément libre, qu'il faut faire lire, sans hésiter à tous les chercheur de sens. La trêve des confiseurs vous laisse du temps ? Courrez chez L'Harmattan ou commandez sur Internet le livre qui me semble le plus accessible et le plus touchant. Jean Borella l'a intitulé Le sens du surnaturel. Il était introuvable depuis vingt ans. Le voici de nouveau disponible, augmenté de plusieurs chapitres. Vous bénéficierez aussi d'une longue postface intitulée Symbolisme et réalité, dont j'extrais ce résumé du dessein de Borella, par lui-même :
« Nous nous trouvons tous, de par nos certitudes scientifiques et la mentalité qui les accompagne dans une extraordinaire difficulté à croire à a vérité des faits sacrés que nous rapportent l’Ancien et le Nouveau Testament. Toute ma démarche philosophique est issue de la conviction que s’imposait à moi le devoir de relever spéculativement ce formidable défi »
Formidable défi ? Celui de situer la foi au sein de la connaissance humaine ; celui de défendre la foi contre ceux qui voudraient anéantir ce mode de connaissance ou en faire, comme le montre Borella au début de son livre, une manifestation purement affective, un projet subjectif ou une simple hyperbole, exprimant ce que chacun peut arracher de positif à l'existence.

Autant de déformations que Borella n'hésite pas à regrouper sous le terme qu'employait le pape saint Pie X : modernisme. "Etrange dénomination, mais seule dénomination véritable car la démarche constitutive de cette hérésie, c'est d'adopter  en tout le point de vue du monde moderne, lequel est entièrement défini par sa négation de la réalité surnaturelle". Les outils qu'utilise la modernité culturelle ne nous permettent pas de recevoir la foi comme une donnée véritable. Tout juste peut on parvenir à "un déisme humanitaire, qui ne se distingue guère d'un athéisme vaguement religieux". Jean Birella a vécu cette déperdition de substance de la charité surnaturelle, qui a été profanisée et finalement profanée dans des projets politiques ou "sociaux" sans proportion avec le christianisme authentique.

On nous dit que l'une des meilleure ventes de la Procure cette année, c'est le livre du Père jésuite Joseph Moingt (97 ans) qui s'intitule Croire quand même. J'ai envoyé sur ce Blog une lettre ouverte à Joseph Moing restée sans réponse. Le drame de ce personnage qui entend tout revoir à la baisse et voudrait que les chrétiens fasse profil bas à "croyant quand même, non sans avoir "fait bouger" l'Eglise, c'est qu'il pose une vraie question. Il relève à sa manière le "formidable défi" dont parle Borella. Mais il accepte de le relever avec les instruments dont se servent tous les athées, tous les scientistes, tous les agnostiques de l'univers. Quelle prétention de penser qu'avec le même instrument on peut parvenir à un résultat différent !

La Raison raisonnante, fondée sur le principe d'identité et qui fonctionne en établissant l'égalité ou la comparaison rigoureusement étalonnée de plusieurs réalités entre elles, cette raison raisonnante nous permet de construire quantité de sciences sur quantité d'objets. Mais elle reste impuissante à nous renseigner sur notre propre vie. il n'existe pas de science de la vie. Ceux qui se hasardent à en proposer une parviennent tout juste à élaborer des traité de savoir vivre, qu'il faut sa&ns cesse mettre à jour, actualiser, adapter etc. La démarche scientifique ne nous dit rien du sens de la vie. Elle ne peut pas nous en dire quelque chose puisque elle est fondée sur l'égalité des mesures, c'est-à-dire sur l'identité (ou non) de représentations mesurables ou de contenus de pensée rigoureusement analysables. Pas la peine de se fatiguer beaucoup pour comprendre que la raison ne mène nulle part celui qui veut comprendre sa propre vie.

Que nous reste-t-il alors ? J'ai essayé de montrer que Pascal s'était posé cette question, en notant l'ignorance dans laquelle l'homme se trouve vis-à-vis de son propre destin. Pascal parle du coeur et il dit, vous connaissez cette phrase sa&ns forcément la comprendre : "Le coeur a ses raisons que la raison de connaît pas". A quelle connaissance pouvons-nous parvenir, qui ne soit pas une connaissance scientifique fondée sur l'identité. Quelles raisons alternatives s'offrent à nous ? Chez Cajétan, j'ai découvert l'analogie, je l'ai retrouvée chez Pascal. Pour Jean Borella c'est là qu'intervient le symbole. Quand l'homme n'est plus capable de connaître en mesurant et en comparant exactement plusieurs mesures, parce que ni Dieu ni la vie humaine ni le bien que nous faisons n'ont d'exactes mesures, il nous reste à investiguer les symboles. "Ma thèse en effet, déclare-t-il, est que le symbole, non seulement donne à penser, mais il donne la pensée à elle-même". Inversement "l'évacuation du muthos entraîne l'asphyxie du logos".

Encore faut-il préciser qu'il y a symbole et symbole. Selon le titre d'un des ouvrages de Borella, nous vivons aujourd'hui "une crise du symbolisme religieux", une mise en cause radicale de ce symbolisme, à travers le concept d'aliénation. Il suffit d'admettre que la conscience humaine "ne peut être radicalement faussée dans son acte cognitif essentiel" pour envisager la culture humaine, l'histoire de la culture religieuse et philosophique de l'humanité sous un autre angle, en admettant que tous les symboles sont vrais d'une certaine façon. Jean Borella a poussé cette hypothèse très loin en proposant récemment (en collaboration avec son disciple Bruno Bérard) une magnifique Métaphysique des contes de fée. Quoi de plus vrai en effet qu'un conte de fée ? Cendrillon, Blanche neige, le Petit Poucet correspondent à des vérités que l'esprit n'aperçoit pas forcément dans l'acte de conter leur histoire. Mais, au crépuscule, l'oiseau de Minerve sait voir et reconnaitre comme sienne cette pensée symbolique, qui, comme les cailloux du Petit Poucet, est la seule manière de sortir du labyrinthe existentiel dans lequel nous sommes perdus.

octobre 2012 [Abbé de Tanouarn - Monde et Vie] Mais que se passe-t-il au Synode ? – Rien…

Texte paru dans Monde & Vie - 20 octobre 2012
Une année de la foi? Quel enjeu, alors que depuis cinquante ans la foi a été si malmenée ! Une nouvelle évangélisation ? Quel bonheur, alors que l’Eglise a paru enfouir son talent pour ne pas avoir à le montrer au monde…
 
Jean-Marie Guesnois dans le Figaro, nous gratifie de formules ronflantes qui font plaisir. Exemple le 11 octobre, jour anniversaire de l’ouverture du Concile : « Vatican II a-t-il vieilli plus vite que l’Eglise? ». Je reconnais que cela fait du bien découvrir cette question dans le Figaro. Mais il n’est pas sûr que cela renvoie à l’atmosphère dans laquelle se déroule en ce moment (et depuis le 9 octobre) le synode sur la nouvelle évangélisation… dont Guesnois est censé nous entretenir.
 
Comment savoir ce qui se passe, à huis-clos, parmi les 262 cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, supérieurs généraux de congrégation qui sont en assemblée à Rome en ce moment? C’est difficile. L’agence APIC laisse fuiter de temps en temps un mot, une expression plus tranchante que les autres… L’impression que j’ai en parcourant les textes, c’est que ce synode ne fait que répéter Evangelii nuntiandi de Paul VI (1 971) et Redemptoris missio de Jean Paul II (1991). En 2012, on n’a pas beaucoup avancé. De temps en temps, il y a – en dehors du Synode épiscopal mais lui étant adressé – un mot de Benoît XVI : huit discours rien que la première semaine du Synode. Un telle abondance ne lui est pas habituelle, à notre pape. Il parle du « vide » dans lequel se débattent les sociétés occidentales.
 
Il redit l’importance de la foi en Dieu. Il répète que « nos oreilles sont sourdes à la voix de Dieu », comme il l’a souvent dit déjà. Il a même rappelé qu’ « il ne fallait pas écarter la pensée de no tre salut », ce qui rend un son un peu pessimiste, nettement plus traditionnel. Mais enfin, le leitmotiv, comme dans Evangelii nuntiandi, comme dans Redemptoris missio, c’est « la joie de la foi ». Ce message est-il proportionné à la terrible crise de civilisation que nous traversons? Sommes-nous capables d’éprouver – ici et maintenant – la joie de la foi?
 
Pour cela, nous enseigne le vieux catéchisme, il faut que nous ayons rompu avec le péché. Il ne s’agit pas de goûter à une sorte de bonheur artificiel, fait de surmotivation, de surexposition, de surmultiplication… Non ! Gare aux erreurs de calcul. Il faut humblement accepter d’être sauvés par le Christ, sous peine de ne rien connaître de sa miséricorde.
« Les hommes d’Eglise modernes semblent presque avoir honte de la foi… »
Le pape nous dit que le grand problème de l’Eglise, c’est « la tiédeur » des chrétiens. Au synode, on parle, comme dans les vieux documents déjà cités, de sainteté, de témoignage, de foi effervescente… Comme si tout cela allait de soi. Comme si la ferveur n’était pas un don de Dieu. Comme si elle était programmable par l’homme. Et surtout comme si l’esprit charismatique était le seul avenir de l’Eglise.
 
Face à cet état d’esprit encore trop proche de l’optimisme conciliaire, il me semble que deux personnalités se sont exprimées avec force, le Père Michel Viot et le Père Niklaus Pfluger, l’un prêtre dans le diocèse de Blois, l’autre premier assistant du Supérieur général de la FSSPX.
 
C’est à travers un livre intitulé La Révolution chrétienne, publié aux éditions de L’Homme nouveau, que le Père Viot, s’appuyant sans complexe sur une théologie luthérienne très pessimiste sur l’homme et sur les humanismes, chrétiens ou pas, rappelle à tous et à chacun que le Christ est avant tout sauveur, qu’il nous délivre des idoles de notre temps et qu’il nous ramène au vrai Dieu.
 
Quant au Père Niklaus Pfluger, il vient de donner un entretien très bien ficelé traduit et publié le 13 octobre par l’Agence Dici. Son diagnostic ? « Les hommes d’Eglise modernes semblent presque avoir honte de la foi, c’est pourquoi ils se préoccupent de la défense de l’environnement, de la redistribution des biens et de l’aide au développement. Nous ne pouvons pas attendre qu’ils se ressaisissent. Nous devons aller davantage à l’extérieur, gagner une influence publique et rebâtir la Chrétienté. Avec mesure, humilité et charité ».
 
N’en déplaise à Mgr Pascal Wintzer, évêque de Poitiers, « la chrétienté » n’est pas seulement « la sacralisation d’une forme historique de la présence de l’Eglise catholique », comme il le déclarait le 10 octobre à Rome. La chrétienté n’a pas seulement un passé. Elle a un présent et un avenir. C’est l’aujourd’hui de la chrétienté qui nous intéresse, ce grand « Nous » que nous formons, nous les chrétiens, dans un élan à la fois personnel et collectif vers le salut (et non vers le monde)… Le pape a su manifester cet élan un peu partout dans le monde, le rendre visible. Les évêques… Dans l’atmosphère feutrée du Synode, on sent bien qu’ils n’ont pas encore compris à quel point leur mission est de rejoindre l’humanité là où elle est, dans la fange de son péché, dans sa négation de Dieu, dans son refus de tout ordre que l’homme n’a pas établi lui-même… Il va bien falloir se salir les mains, c’est tout ce que le Concile avait oublié de prévoir.
Abbé G. de Tanoüarn

Une leçon d’italien
Reprendre le mot « aggiorna mento » (mise à jour dans l’italien du pape Jean XXIII) à l’adversaire progressiste et aux tenants de l’herméneutique de rupture pour le ramener à la continuité de l’Eglise. Voilà à quoi s’est exercé Benoît XVI le 11 octobre 2012, pour les 50 ans du Concile : « Aggiornamento ne veut pas dire réduire la foi, la plier à l’air du temps, au bon plaisir de l’opinion. Tout au contraire. Comme le firent les pères conciliaires, il nous faut porter notre aujourd’hui dans le temps de Dieu.»
G. T.

mardi 25 décembre 2012

A votre bon coeur!

J’emprunte à une lettre papier de l’abbé de Tanouarn le passage suivant :
«[…] Les temps sont durs, je le sais. Ils le sont aussi pour la vie associative sous toutes ses formes, et en particulier pour les associations à but caritative ou spirituelle. En même temps, les facilités fiscales demeurent : on peut encore déduire 66% du don fait à une association cultuelle de la somme que l’on doit à l’Etat pour payer l’impôt sur le revenu. Et c’est en ce moment peut-être, que vous bouclez votre projet de déclaration.

Pourquoi aider la Centre Saint Paul? Parce que nous représentons, à Paris, la Tradition catholique, dans l’obéissance à Rome, et avec une vraie liberté. Cette liberté nous la payons cher, mais nous espérons qu’elle produira son fruit. Nous avons voulu, en 2012, marquer l’année Jeanne d’Arc. Nous souhaitons cette année 2013, insister sur le cinquantième anniversaire du Concile Vatican II, nous pour ressusciter des vieilles lunes, mais pour tenter de comprendre, dans le carde de l’année de la Foi, quel est l’obstacle qui, de l’intérieur, étouffe la profession de foi chrétienne et semble entraver sa fécondité… L’année 2013 sera jalonnée de Carrefours apostoliques, à) travers lesquels nous montrerons que la forme traditionnelle du rite romain et la théologie classique sont deux atouts pour la nouvelle évangélisation. L’Eglise revient irrésistiblement vers les formes de Sa Tradition. Il faut que ce retour s’effectue d’une manière toujours plus consciente. […]»
A n’importe quel moment on peut aider le Centre Saint Paul, mais l’avantage de le faire avant la fin de l’année civile est que cela vous donne droit à une ristourne des deux tiers sur votre prochain «Impôt sur le Revenu», si vous le payez. Tous les dons sont les bienvenus: les plus modestes comme les plus conséquents, bien évidemment. Si vous payez l’impôt sur le revenu, sachez que les donateurs reçoivent un reçu fiscal, qui permet de récupérer en 2013 les deux tiers de la somme versée avant le 31 décembre. Grâce à ce dispositif, si vous décidez un effort financier personnel de «30€» pour le Centre Saint Paul, vous pouvez envoyer le triple : «90€». Je répète: ces «90€» ne vous coûteront, in fine, que «30€» - votre impôt baissant de «60€». La proportion est la même quel que soit le montant, et si vous n'avez que «5€» à offrir, vous en envoyez «15€», dont l'Etat vous rendra «10».
Pour aider le Centre St Paul, vous pouvez envoyer dès aujourd'hui un chèque (à l'ordre de "ADCC" / Centre Saint Paul / 12 rue Saint-Joseph / 75002 Paris). Vous pouvez aussi payer en ligne en toute sécurité - il suffit de cliquer sur le bouton "Faire un don" ci-dessous:

lundi 24 décembre 2012

"Comme c’est aujourd’hui Noël..." (Jean-Paul Sartre)

Amis visiteurs, chrétiens ou non, voici un texte de Jean-Paul Sartre écrit pour Noël. C'était en 1940 et il était prisonnier de guerre en Allemagne.
Mais, comme c’est aujourd’hui Noël, vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la crèche. La voici. Voici la Vierge et voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. L’artiste a mis tout son amour dans ce dessin mais vous le trouverez peut-être un peu naïf. Voyez, les personnages ont de beaux atours mais ils sont tout raides : on dirait des marionnettes. Ils n’étaient sûrement pas comme ça. Si vous étiez comme moi dont les yeux sont fermés… Mais écoutez : vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi. La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage c’est un émerveillement anxieux qui n’a paru qu’une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois et elle lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : mon petit ! Mais, à d’autres moments, elle demeure tout interdite et elle pense : Dieu est là – et elle se sent prise d’une horreur religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant terrifiant. Car toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant et elles se sentent en exil à deux pas de cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n’a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer. Et c’est une dure épreuve pour une mère d’avoir honte de soi et de sa condition humaine devant son fils. Mais je pense qu’il y a aussi d’autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : « Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux et cette forme de sa bouche c’est la forme de la mienne. Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble. » Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit. Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie, si j’étais peintre, et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant-Dieu dont elle sent sur ses genoux le poids tiède et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.

Et Joseph ? Joseph, je ne le peindrai pas. Je ne montrerai qu’une ombre au fond de la grange et deux yeux brillants. Car je ne sais que dire de Joseph et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer et il se sent un peu en exil. Je crois qu’il souffre sans se l’avouer. Il souffre parce qu’il voit combien la femme qu’il aime ressemble à Dieu, combien déjà elle est du côté de Dieu. Car Dieu a éclaté comme une bombe dans l’intimité de cette famille. Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté. Et toute la vie de Joseph, j’imagine, sera pour apprendre à accepter.
Extrait de Bariona, ou le jeu de la douleur et de l’espoir, de Jean-Paul Sartre, in Théâtre complet, pp. 1163-1165, Pléiade - Éditions Gallimard.

samedi 22 décembre 2012

Noël : mes voeux et les horaires

Chers blogueurs et chers amis du site cccsp.fr, en ce 22 décembre, je vous adresse tous mes voeux pour de joyeuses fêtes de Noël. La joie ? C'est ce qui rend léger, ce qui fait avancer. La joie, c'est notre liberté intérieure, reçue du sourire de l'Enfant divin. La joie? C'est cette gravité soudaine qui nous fait mesurer la futilité du péché. La joie, c'est d'écouter le chant des anges et de comprendre que la gloire est à Dieu et que la paix a été donnée aux hommes. Il suffit de la choisir! Puissions-nous, dans tous les domaines, choisir la paix durant ces quelques jours, la faire et la choisir pour en vivre. GT

Les cérémonies au Centre Saint-Paul

Le 24 décembre :
Confessions de 9H00 à 20H00 (12 rue Saint-Joseph 75.002, entrée sur la rue. Permanence au 1er étage)
Matines à 17H00
Messe à 19H30 (messe de Minuit)
veillée de chants et de prières à 23H00
Chant du Minuit chrétien et procession à la Crèche à 24H00
Messe de Minuit à Minuit
suivie d'un réveillon aux huîtres et au champagne où, comme chaque année, tout le monde est invité
Le 25 décembre :
Messe de l'Aurore à 9H00
Grand messe chantée du jour de Noël à 11H00
Les autres messes (10H00, 12H30 et 19H00) reprennent les textes de la Messe du jour.
Vêpres à 18H00

mercredi 19 décembre 2012

Saint Augustin et notre psychologie

Le cours de psychologie philosophique que je donne au Centre Saint Paul chaque lundi soir (à 20 H 30) m'a amené à lire de près le De Trinitate de saint Augustin, ce traité monumental où l'évêque d'Hippone, méditant sur le mystère de la sainte Trinité, s'avise que l'âme est en nous la plus exacte, la moins infidèle des images de Dieu.

Même sans avoir lu le Docteur de la grâce, on sait que, pour lui, l'âme possède une structure ternaire : mémoire intelligence, volonté. Cette structure ternaire (dont Augustin prétend que de son temps elle est utilisée dans toutes les écoles et qu'elle sert à évaluer les élève : peu de mémoire, bonne intelligence et pas de coeur etc.), c'est elle qui lui fait penser à la Trinité. La mémoire - qui est la faculté à travers laquelle nous nous éprouvons identique à nous-mêmes à travers le temps - renvoie au Père, inengendré et éternel. L'intelligence, qui est notre faculté représentative, productrice de concepts, renvoie au Verbe, qui est le Concept divin, la Pensée du Père. La Volonté, c'est en nous la faculté d'aimer. Elle est infinie, contrairement à l'intelligence puisque nous sommes capable de sacrifier jusqu'à notre propre vie... Elle renvoie au Saint-Esprit, amour du Père et du Fils et mystérieuse Copule divine, omniprésente et agissante.

Du point de vue de l'analogie, tout ceci se défend et nous aide - c'est vrai - à pénétrer la nature intime de Dieu. Mais saint Augustin va plus loin que cette ressemblance sommaire et il nous aide à nous penser nous-mêmes, à penser cette ternarité, mémoire, intelligence, volonté, qui constitue notre propre fond, comme une véritable trinité spirituelle à l'intérieur de nous-mêmes. Se plongeant dans le mystère de Dieu, il nous renseigne sur nous-mêmes. Il nous renseigne en particulier sur le lien intime qui unit en nous la mémoire, l'intelligence et la volonté. Voici ce qu'il écrit au Livre X du De Trinitate (trad. Pléiade), accrochez vos ceintures :
"Je me souviens de ma mémoire tout entière. De même tout ce que je saisis par l'intelligence je sais que je le saisis par l'intelligence, et je sais que je veux tout ce que je veux. Et tout ce que je sais, je m'en souviens. Donc je me souviens de toute mon intelligence et de toute ma volonté. De même lorsque je saisis les trois par l'intelligence, je les saisis toutes ensembles. Il n'est rien d'intelligible que je ne saisisse par l'intelligence sinon ce que j'ignore. Mais ce que j'ignore, je ne m'en souviens ni ne le veux. Aussi tout intelligible que je ne saisis pas par l'intelligence, en conséquence je ne m'en souviens ni ne le veux. Donc tout l'intelligible dont je me souviens et que je veux, en conséquence je le saisis par mon intelligence. Ma volonté aussi contient toute mon intelligence et toute ma mémoire au moment où j'utilise tout ce que je saisis par l'intelligence et tout ce dont je me souviens. C'est pourquoi, quand elles sont chacune, toutes et tout entières réciproquement contenues en chacune, elles sont chacune tout entières égales à chacune tout entière ; chacune tout entière est égale à elles toutes ensembles tout entières ; et ces trois sont un, une vie, une pensée, une essence" (éd. cit. p. 531).
Galimatias ? Relisez, c'est très simple. Ce que soutient saint Augustin, c'est qu'en nous la mémoire, l'intelligence et la volonté, loin de s'opposer, sont en fait consubstantielles. Elles sont une. Une vie. La vie de l'esprit. Et alors ? direz-vous peut-être avec un brin d'agressivité dans la voix.  Les conséquences d'une telle unité des trois (à l'image de la Trinité des personnes en Dieu) sont incalculables. Elles fondent pour toujours l'anthropologie chrétienne, des trois points de vue de la mémoire, de l'intelligence et de la volonté.

On peut commencer piano : la mémoire est liée à l'intelligence puisque retenir c'est être en capacité de faire des liens de créer des rapprochement, bref de connaître. La mémoire est liée à la volonté, on dit souvent du reste que c'est une faculté affective. Tout cela est facile.

Mais renversons la perspective : il n'y a pas d'intelligence sans mémoire, c'est-à-dire sans identité. Celui qui ne sait pas qui il est, celui qui n'a pas la mémoire de son être morale et spirituel ne peut pas accéder véritablement à l'intelligence. Il sera peut-être un virtuose de la logique, mais sa logique sera vide et son intelligence nulle. Intéressant, non ? Comment on abêtit les peuples en leur retirant la mémoire...

On peut dire la même chose de l'amour : comment aimer sans avoir en mémoire tout ce que l'on est, tout ce que l'on a reçu de l'autre, tout ce qui nous manque sans lui (ou sans elle bien sûr). L'amour, dès le deuxième instant, est une mémoire. Mémoire du premier instant (le coup de foudre ?). Mémoire de tous les instants,d'autant plus grande que l'on aime davantage. Ceux qui ne vivent de l'amour que dans l'immédiateté d'un sentiment qui les traverse ou d'une pulsion qui les bouleverse, ceux-là n'aiment pas. Ceux qui croient que pardonner, c'est oublier, ceux-là ni ils ne pardonnent vraiment ni ils n'aiment.

Prenons la raison, maintenant. Une raison qui s'isole dans ses propres procédures, fière de ses démonstrations imparables, une raison qui abandonne le terrain de la vie intérieure, de la mémoire des mille et un petits faits qui, dans notre vie, collectionnés, vus et revus nous rendent intelligents, est une raison... stupide. La raison rationaliste, dont nous crevons depuis deux siècles. La raison du matheux qui ne sait que se promener à travers ses théorèmes.

Et puis... qui dira ce que - outre la mémoire - l'amour nous fait connaître ou nous fait deviner ? Les Grecs ne connaissaient que l'amour de la sagesse (philosophia) : c'était déjà pas mal. Mais les chrétiens savent qu'il y a une sagesse de l'amour (Cf. I Co 1, et 2), même quand cette sagesse là paraît folle (Erasme), elle est plus intelligente que la sagesse sans amour.

Et prenons la volonté. La volonté abstraite, sans le terreaux de la mémoire et sans les limites de l'intelligence, c'est une volonté qui s'érige en absolu, qui devient à elle-même sa propre loi. "La loi est l'expression de la volonté générale" ont écrit les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme, trop fidèles lecteurs de Jean-Jacques Rousseau. C'est cette volonté pure, sans mémoire et sans intelligence, qui nous offre aujourd'hui le saugrenu projet de loi du mariage des homosexuels. Cette volonté, qui ne reconnaît au dessus d'elle ni institution humaine, ni bien commun, ni mémoire, ni loi, ce n'est rien d'autre que l'Individu hypostasié dont chaque désir doit pouvoir faire la loi... doit pouvoir devenir un droit : droit au vacances, droit au travail, droit à l'enfant, droit au mariage etc. J'ai envie d'écrire au nom de l'Individu roi : Hoc volo. Sic jubeo. Sit pro ratione voluntas (Juvénal). Ainsi je le veux, ainsi je l'ordonne, que ma volonté soit en lieu et place de ma raison.

Il faut méditer sur la consubstantialité des trois grandes facultés de l'âme. C'est cette consubstantialité (à l'image du Dieu trine) qui fait la beauté de l'humanisme chrétien... Et sa différence par rapport à tous les autres.

vendredi 14 décembre 2012

Ce week-end : Journées Portes ouvertes au CCCSP

Nous achevons un rangement colossal au Centre Saint-Paul - Pas besoin, direz-vous, de hisser les drapeaux sur les terrasses pour si peu ! - Pas sûr. S'il est vrai que la paix est la splendeur de l'ordre, voilà un gage de paix pour longtemps. Au bilan : deux salles gagnées sur les meubles qui s'amoncelaient, l'une en haut pour des cours, l'autre (disons : le caveau Saint-Paul) pour des libations pieuses. Les encombrants ont été largement mis à contribution, puisque comme vous savez "ranger c'est jeter". Sélénia a dû la jouer "tornade blanche" pendant quelques semaines. Pas facile de faire comprendre à tous qu'au bout de sept ans, il fallait faire de la place et réagir à l'entropie. Mais devant la cohérence du résultat, je pense que tout le monde est content. Nous avons aussi remis en service le système informatique général, la sonorisation et l'enregistrement, toutes fonctions devenues un peu défaillantes, de notre impéritie générale... Merci à Étienne, notre "pro", notre peritus.

Tout cela vaut bien que l'on invite tous nos amis à se réjouir avec nous. Mais il y a mieux.

Cerise sur le gâteau si j'ose dire, et quelle cerise ! - l'abbé Laguérie nous offre, en renfort de l'abbé Baumann, un nouveau prêtre, qui sera, dimanche à la grand messe de 11 H, solennellement intronisé dans ses fonctions d'animateur du CCCSP. Il s'agit de l'abbé Jean-François Billot, jeune ancien lui aussi de notre chère Maison de Rome, qui vient mettre à notre service sa piété et sa culture (il est spécialiste en psychologie). Ces Journées seront une bonne occasion de le rencontrer. Exceptionnellement, la messe de 12 H 30 aura lieu au premier étage (merci Olivier!) pour permettre un apéritif au Sous-sol (ceux qui connaissent l'exiguïté de nos locaux comprennent cette précaution). Ouiski-coca et jus d'abricot au programme après la messe. En même temps, la Grande braderie de la semaine dernière est prolongée pour le week-end.

Mais revenons au samedi justement. Demain samedi, Frère Thierry organise, de 14 H à 19 H, l'une de ces Après-midi mensuelle de l'Aréopage, dont il a le secret. Au programme cette fois, la nouvelle évangélisation, rien moins ! Entre 15 H et 16 H, break. Le Père Viot et moi, nous signerons nos ouvrages, lui La Révolution chrétienne (aux éditions de l'Homme nouveau) et moi le tout neuf Parier avec Pascal, aux éditions du Cerf. Une occasion pour tous de descendre au Sous sol où, avec les petits fours de rigueur, se poursuit notre Grande Braderie. Vous y trouverez durant tout le week-end de beaux livres anciens, pour des cadeaux de Noël personnalisés à des prix vraiment raisonnables, et aussi notre Tout pour rien (oui vous avez bien lu et vous m'en direz des nouvelles). Reprise des hostilités à 16 H : le Père Michel Viot, ancien luthérien, tout jeune prêtre catholique (depuis 2002, je crois), Vicaire épiscopal du diocèse de Blois, nous donnera sa version de la Révolution chrétienne.

Deux jours dans la vie de notre CCCSP, deux jours sans prétention, mais dédiés à ce que notre pape appelle "la joie chrétienne", la joie dans la foi. Cela vaut bien que vous veniez y faire un tour. En amis.

jeudi 13 décembre 2012

[Monde&Vie] le «Testament spirituel» du cardinal Francis George

Texte publié dans Monde &Vie n° 868 de décembre 2012.
Le cardinal Francis George est un des évêques catholiques le plus en vue aux États-Unis. Ancien président de la Conférence épiscopale (2007-2010), l’archevêque de Chicago a fait des interventions courageuses sur les prêtres auteurs d’abus sexuels. Sa lutte personnelle contre le cancer – la rémission qu’il a obtenue et la rechute qu’il est en train de vivre – ont assez largement médiatisé son courage hors du commun…
 
En 2010 est paru un texte de lui, dont j’imaginais qu’il s’agissait d’une sorte de canular – comme il en circule souvent sur Internet. Et voilà qu’il persiste, signe et s’explique Je crois que les lecteurs de Monde et Vie doivent lire ce texte, il faut le faire circuler. Le voici, en date du 12 novembre dernier :
 
« La campagne politique actuelle a amené à la surface de notre vie publique le sentiment anti-religieux, en grande partie explicitement anti-catholique, qui grandit dans ce pays depuis plusieurs décennies. La laïcisation de notre culture est un enjeu beaucoup plus important que les causes politiques ou les résultats de la campagne électorale actuelle, aussi importants soient-ils. M’exprimant il y a quelques années devant un groupe de prêtres, entièrement en dehors du débat politique actuel, je tentais d’exprimer de manière dramatique ce que la laïcisation complète de notre société pourrait apporter. Je répondais à une question et je n’ai jamais mis par écrit ce que j’ai dit, mais les mots ont été capturés sur un smartphone et se sont désormais répandus comme un virus sur Wikipedia et ailleurs dans le monde des communications électroniques. On me cite (à juste titre) comme disant que je m’attendais à mourir dans mon lit, que mon successeur mourrait en prison et que son successeur allait mourir en martyr sur la place publique. Ce qui est en général omis dans les rapports, c’est la phrase finale que j’ai ajouté au sujet de l’évêque qui suivrait peut-être un évêque martyr : « Son successeur ramassera les débris d’une société en ruine et lentement aidera à reconstruire une civilisation, ce que l’Église a fait si souvent dans l’histoire humaine ». Ce que j’ai dit n’est pas “prophétique” mais un moyen de forcer les gens à penser en dehors des catégories habituelles qui limitent et parfois empoisonnent les discours public et privé »
 
Il faut bien mesurer la manière dont le cardinal revient aujourd’hui sur ce qu’il avait dit en 2010 devant un groupe de prêtres. Au lieu de démentir un propos tenu en privé et qu’on aurait pu penser hasardé : il assume. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il intervient sur ce sujet. En 2007, il publiait un texte court sur « les dix choses qu’il avait apprises en dix ans d’épiscopat à Chicago ». La dixième ? On retrouve la même idée sur l’aspect pervers de l’idéologie laïciste de gauche, l’idéologie « libérale » comme on dit Outre-Atlantique, qui est en train de triompher. Je cite : « Historiquement, l’effort pour créer des utopies purement séculières n’a produit que misère humaine et mort. On peut penser au communisme : aucun Dieu n’était permis. Je ne veux pas que notre propre histoire prenne ce chemin au nom des droits individuels ».
 
Le cardinal George est avant tout un pasteur. Certes il lui est arrivé de prendre des positions dites controversées. Ainsi, de la même façon qu’il avait été sans pitié pour les prêtres abuseurs d’enfants, il a récemment destitué le curé d’une communauté afro-américaine, le Père Pfleger, coupable entre autres d’avoir apporté inconsidérément un soutien sans faille au président Obama. En 2009 déjà, il avait trouvé « désagréable » l’invitation au candidat Obama offerte par l’Université catholique Notre-Dame, en encourageant les gens à manifester leur désaccord. Motif ? Le candidat Obama veut rembourser l’avortement…

Bref cet évêque ne s’en laisse pas compter. Il a même réussi à créer un petit scandale lors d’une parade homosexuelle à Chicago en 2011, lorsqu’il a affirmé : « On est en train de voir le mouvement pour la Libération des Gays se transformer en un Ku Klux Klan ». Tollé des associations LGBT évidemment… qui, par le terrorisme judiciaire qu’elles tentent d’exercer, confirment involontairement ce que George dit d’elles. Qui se sent morveux se mouche.

mercredi 12 décembre 2012

N’importe quoi!

Non pas que le sujet me passionne, mais tout de même il me démange de partager deux extravagances lues aujourd’hui, celle de monsieur Désir et celle de Monsieur Tourret.
Monsieur Desir d’abord :
Monsieur Désir dirige le «Parti Socialiste», un mouvement politique gestionnaire de gauche. Soucieux de soutenir le Gouvernement, les Chambres, et la Présidence dans leur volonté de mariage homosexuel, il lance une pétition et vient de déclarer: «Nous sommes dans un État laïque [...], chacun a le droit de croire, de penser librement, mais aucune de ces conceptions religieuses ou philosophiques ne peuvent s'imposer à tous».

Cette opinion est extravagante. Dans chaque pays on prend des décisions qui s’imposent à tous, même à ceux qui ne sont pas d’accord. Ces décisions résultent nécessairement de ce qui est cru et pensé dans ce pays, par-delà le régime qu’il connaît. Et comment donc pourrait-il en être autrement? Comment gouverner sans penser (même mal)? Au nom de quoi les uns et les autres devraient-ils se séparer de leurs «conceptions», même philosophiques, c’est-à-dire penser sans leurs bases de pensée?
Ensuite, Monsieur Tourret.
Certaines religions, bien que présentes
en France, n'ont pas été invitées par

la Commission des Lois à exprimer leurs 
vues sur le mariage des couples de même
sexe. Question de prudence?
Monsieur Tourret est «député-maire radical de gauche de Moult» selon Wikipedia. C’est en tant que tel qu’il siège à la Commission des Lois qui a auditionné quelques responsables religieux le 29 novembre 2012. Dans son réquisitoire contre le Cardinal Vingt-Trois, Monsieur Tourret expose que depuis 1792 nous vivrions sur une ambiguïté : devenu civil, le mariage aurait gardé son nom de ‘mariage’ tout en perdant son côté sacramentel. Il y aurait pourtant deux réalités différentes, étant sous-entendu que seule l’union religieuse regarderait les religieux, et qu’elle ne regarderait qu’eux.

Là encore: extravagance! La réalité est que l’union religieuse est subordonnée, en France, à une union civile préalable, sous peine de six mois d'emprisonnement et de 7.500 euros d’amende pour le célébrant. Dans d’autres pays, des imams musulmans marient des polygames, des pasteurs protestants marient des homosexuels – mais en France, en 2012 encore, de fait, la loi le leur interdit.

Les Atticistes d'Eugène Green

"Pourquoi demander ce qu'en pensent les spécialistes français du baroque et les spécialistes du baroque français. Est-ce ce qu'attendent nos contemporains qui -faut-il le rappeler - se mettent en quatre dans nos paroisses pour aider les malheureux ?". Telle est la teneur "copiée-collée" ici, d'un message reçu à propos de mon post précédent "Catholiques et baroques".

Plein de bonnes intentions, on le voit. On a envie de répéter la phrase du Christ dans l’Évangile, quand Judas trouve que le parfum de grand prix, répandue par Marie de Béthanie sur la tête du Seigneur était superfétatoire en une telle occasion, et qu'on aurait pu  en donner l'argent aux pauvres : "Les pauvres vous les aurez toujours avec vous mais moi, vous ne m'aurez pas toujours" (Jean 12).

La question du style que soulève le post précédent (et qu'a soulevée avant moi Christoph Theobald) est aussi celle de la transmission du Christ aux générations futures : "Vous ne m'aurez pas toujours". Faut-il prendre cette formule au pied de la lettre ? Y aura-t-il un temps où notre monde n'aura plus le Christ ? "Lorsque le Fils de l'Homme reviendra sur la terre, retrouvera-t-il la foi ?" (Lc 18, 8).

L'idée baroque porte avec elle une manière particulièrement éclatante d'être chrétien, selon laquelle, au lieu d'anéantir les conflits qui sont en nous, on est capable de tenir ensemble les contraires, parce qu'ils sont subsumés par une transcendance qui les ordonne. Et cette transcendance est celle de l'amour qui nous "loge" en Dieu.

Voici le texte que mon alter ego Joël Prieur a consacré, dans Minute, au roman d'Eugène Green, Les Atticistes, roman que l'on pourrait appeler aussi Les Hégéliens, ou encore Les Obsédés de la synthèse. Contre l'obsession de la synthèse et contre la tiédeur obligatoire qui l'accompagne (et qui aujourd'hui nous tue), il n'y a véritablement qu'un remède : l'asianisme baroque qui est l'autre nom de l'amour...

Voici le texte.
Eugène Green : à lire sans modération
 Eugène Green est un personnage. Américain d’origine, Français de cœur, de culture et d’œuvre, il francise allègrement les anglicismes qu’il lui arrive d’employer et écrit « ouiski »… sans complexes !

Les Français auront du mal à lui pardonner ce mauvais goût, qui l’a conduit à choisir la France alors qu’il est issu de la plus belle civilisation du monde, l’américaine. Et son passif s’alourdit chaque année. Il a d’abord réfléchi sur la manière dont on prononçait notre langue sous Louis XIV et cela a donné un livre sur La parole baroque, qui est en même temps un magnifique éloge du baroque. Il  a commis quelques films sans concession, comme Le Pont des arts (sur le baroque justement) ou La Religieuse portugaise (sur… la vie, la mort et la consécration de soi). Il a publié des romans, comme La bataille de Roncevaux, très bel hymne aux petites patries (en l’occurrence au Pays basque) dont j’ai entretenu les lecteurs de Minute il y a une paire d’années. Et voici Les atticistes : une véritable charge contre les tics en toc de notre société déliquescente et fière de l’être.

Il y a presque cinquante ans, on a fait croire aux Français qu’ils étaient tous des juifs allemands. Ayant lu le dernier roman de Green, je dirai volontiers plutôt que nous sommes tous des atticiste. Le terme d’atticistes, difficile à utiliser, fait le titre de cette pochade pleine d’une féroce allégresse contre ses contemporains. Que signifie-t-il exactement ?

Dès l’antiquité, on trouve deux écoles d’éloquence, les asianistes et les atticistes. Comment définir les uns et les autres ? Autant recourir à Wikipedia. Article « asianisme » : « Peu à peu, le terme d'asianisme finit par désigner  un style bien reconnaissable, fondé sur un discours plein d’artifices, d’expédients techniques et jouant sur les sonorités. L’asianisme, né en réaction à la rhétorique de l'Attique, s’impose ainsi comme une forme de discours brillante et efficace, mais il tombe graduellement dans l’enflure et le pathos, l’exagération, les effets faciles, les tournures maniérées et recherchées ».

On aura reconnu dans cette description, le baroque, ce monde merveilleux dans lequel Eugène Green se meut comme un poisson dans l’eau, et dont on sait, depuis son film "Le Pont des arts", qu’il est, pour notre auteur, l’art des contrastes. Ce sont les ennemis des asianistes (les atticistes donc) qui mettent en cause « l’enflure », « les tournures maniérées », le goût du bizarre, qui risque de résulter de cet amour des contrastes. Pour Eugène Green, ces expressions en forme de condamnation constituent un épouvantable  procès en sorcellerie. A l’entendre dans son dernier livre : « l’asianisme, qui fait exister  dans un seul tout harmonieux la violence de deux vérités contradictoires, en leur gardant leur forme propre, cette idée, il faut l’appeler [tout simplement] l’amour ». Ne dit-on pas qu’un couple heureux est un couple au sein duquel chacun des partenaires a pu garder sa vérité propre ?

Quant à l’atticisme, la maladie dont nous souffrons tous, c’est le contraire de l’asianisme, le contraire des contrastes, le contraire de l’amour. On peut définir par atticisme, « cette qualité qui consiste, en restant à distance égale entre Scylla et Charybde, à garder toujours le juste milieu. Ainsi grâce à une subtile médiation, le chaud et le froid, l’Est et l’Ouest, la philosophie chinoise et celle de l’Occident se trouvent pacifiquement réunis sans aucun fanatisme ». Le goût des atticistes pour la synthèse tourne forcément à la foutaise ! Ainsi finissent par se réunir dans la même académie atticiste les deux personnages extrêmes sortis du cerveau embrumé d’Eugène Green, j’ai nommé d’un côté Amédée Lucien Astrafolli, somptueuse pédale parisienne, arbitre des élégances linguistiques, disciple de Voltaire et des Lumières, dont le vice caché est de détester la femme alors qu’il est entouré d’une cohorte d’admiratrices. De l’autre côté, voici Marie-Albane de La Gonnerie, qui a passé sa jeunesse à déclarer, contre Astrafolli, que le langage était fasciste et qu’il fallait que les mots aient un sexe ; elle ne supporte pas la virilité au point de faire changer de sexe à son chien, prénommé Louise Michel : elle est incontestablement la championne d’un féminisme médiatique. Ces deux personnages tomberont dans les bras l’un de l’autre (métaphysiquement ou médiatiquement s’entend)… Au nom de l’atticisme, cette idolâtrie du Juste milieu, que l’on peut appeler en grammaire le genre neutre, et en politique l’impératif catégorique de la neutralité obligatoire. Avec ce roman pamphlet contre les atticistes de tous pelage, Eugène Green sonne une charge endiablée – jubilatoire – contre Mai 68 et ses métastases, contre la transformation de Mai 68 en son contraire (le bourgeoisisme « atticiste »), contre le féminisme, contre l’académisme contemporain. A lire sans modération !
Joël Prieur

Eugène Green, Les atticistes, éd. Gallimard 2012, 208 pp. 17, 90 euros

mardi 11 décembre 2012

Baroques et catholiques

Au début des années 90, pour donner une ligne à la revue Certitudes, j'avais écrit un manifeste baroque. C'est à ces quelques lignes que me renvoie impérativement le dernier livre d'Eugène Green, Les Atticistes. Avant de vous parler de ce livre, qui me semble important, je me permets de mettre sous vos yeux ce manifeste intitulé Pourquoi nous sommes des catholiques baroques, que j'ai publié dans chaque numéro de Certitudes de 1993 à 2005.
"Baroque ? Catholique ? Les deux mots jurent. Ils semblent incompatibles, comme l'enfant sage ne sera jamais l'ami du turbulent. Il ne s'agit pas là seulement de mémoire et d'histoire. Ce qui est en jeu, c'est une manière d'être, un style, une forme. Si l'on met dans le baroque toute la fantaisie et toute la rigueur, si l'on voit dans l'Age baroque l'alliance réussie de la liberté et de la fidélité, il faut affirmer que cet âge est plus qu'une époque, parce qu'aujourd'hui il doit être nôtre. Comme catholiques, nous refusons l'opposition stérile entre le dogme et la vie, entre l'élan et l'attachement. Ressuscités en espérance, nous prenons tout : c'est baroque"
Dans les années 90, il était impossible d'être catholique sans épithète complémentaire. J'avais voulu choisir le mien, pour que l'on ne m'en colle aucun autre : catholique baroque, alors que j'écoutais Lully et Charpentier toute la sainte journée, cela m'allait. Aujourd'hui le culte des épithètes supplémentaires tend heureusement à diminuer. Se dire "catholique baroque" (comme Jacques Perret se disait volontiers catholique mérovingien) cela est devenu moins urgent. Mais non moins important.

Plus que jamais, la question du style est fondamentale. Rien à voir avec un accessoire. A l'heure de la nouvelle évangélisation, le style fait le prêtre, son efficacité, sa marque. Christoph Theobald, jésuite éminent, envisage, à la fin des fins, le Concile comme un style. Ce qu'il défend ce n'est pas le Concile mais le style du Concile (chacun ses goûts !). Eh bien : style pour style, je préfère le baroque : style tout à la fois merveilleusement libre et éminemment formel, voyez les sculptures du Bernin, ces dentelles de pierre, si délicates et si fortes, le rapt de Proserpine ou l'extase de sainte Thérèse.

La puissance du baroque c'est de garder les contraires ensemble, de manifester combien la finesse va à la force, combien l'attachement produit la liberté... Dans Parier avec Pascal, j'ai essayé de montrer que c'est le baroque de la "vérité contraire" qui sauve Pascal du jansénisme, où tombe le très scolastique et doctrinaire Arnauld, mal gré qu'il en ait.

En lisant Les Atticistes, le dernier roman, qu'Eugène Green vient de publier chez Gallimard, j'ai été saisi par l'extraordinaire défense du baroque qu'il propose. Je vous en reparlerai. Mais n'hésitez pas à vous procurer ce livre, bien plus sérieux qu'il ne s'en donne l'air, bref baroque!

lundi 3 décembre 2012

@pontifex

Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est Twitter… disons que c’est comme un forum mondial où n’importe qui peut participer, mais sur lequel il ne voit (ouf!) que les messages des personnes qui l’intéressent. Le compte Twitter du Pape a été lancé aujourd’hui, il compte déjà 180.000 inscrits, ce qui en fait le lancement le plus rapide (si ça se trouve) de l’histoire d’internet. Vous n’en êtes pas encore? allez-y. Très sérieusement, je n’ai compris que récemment l’intérêt de Twitter – mais je crois que pour qui a un contenu (le pape, par exemple : il a des trucs à dire au monde) Twitter est un outil d'amorce terriblement efficace… à condition que le public l’utilise, ce qui n'était pas le cas en France il y a encore un an, mais ça commence à arriver.

PS – ceux qui s’intéressent au présent blog peuvent le suivre sur Twitter via @leTradi.

Une réponse sur la Chine chrétienne

Mon mystérieux correspondant m'a envoyé cette réponse aux posts de commentaires à propos du Colloque de la catho (association EECHO et AED en partenariat). Je le publie volontiers : la Chine est certainement un champ d'apostolat considérable où le christianisme est actuellement à la mode. La révolution personnaliste chrétienne est nécessaire là bas plus qu'ailleurs!
S'agissant du texte de mon courriel que l'Abbé de Tarnoüarn a eu l'amabilité et la grande gentillesse de mettre sur son blog, j’essayerai de répondre à tous ceux qui doutent des récentes découvertes archéologiques et donc purement scientifiques comme St Thomas a douté de la résurrection de Jésus. Constatons que le doute est humain et qu'il traverse l'histoire. Au-delà du doute il y a le soupçon. Et c'est ce que Satan a insinué dans l'âme d’Ève, puis d'Adam, puis...de Nietzsche, de Freud, de Darwin qui étaient il y a encore peu, les maitres du soupçon, et qui sont maintenant morts ! Je veux dire que leurs théories qui ont détourné de la foi des centaines de millions de personnes sont maintenant démontrées scientifiquement comme fausses !
Quand on compare le résultat de l’évangélisation de Paul à celui de Thomas, 2000 ans après, il n’y a pas photo ! 11 millions de Grecs plus 300 000 Turcs encore Chrétiens (toutes dénominations confondues), contre 40 millions en Inde et 12 millions en Chine des seuls Catholiques. Avec notre déformation cartésienne nous avons donné la priorité de la Vérité aux écrits de Paul, en oubliant que nous avons maintenant la preuve scientifique que l'oral a gardé intact, au mot près, la totalité des Évangiles sur 1200 en Orient !

L’annonce de la seule et unique Bonne Nouvelle de Jésus-Christ fut en fait beaucoup plus efficace pour convertir et maintenir la foi, que tous les commentaires philosophico-rabbiniques de Paul !

Ce colloque dans lequel se sont exprimées de grosses pointures scientifiques, théologiques et pastorale avec messe chaque jour intégrée a vu l'intervention du N° 2 de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples (Mgr Hon Taï Faï qui a célébré la messe soutenue par uniquement des chants en chinois d’une suprême beauté) venu spécialement du St Siège pour soutenir et encourager les recherches effectuées par les membres d'EECHO qui sont suivis de très près par Benoît XVI, qui y voit la nouvelle école de théologie française, ayant 20 à 30 ans d'avance !

Concernant le Confucianisme, interrogez des Chinois qui vivent en France : tous vous diront que cette philosophie est oppressive et que c'est pour cette raison que le pouvoir en place a toujours voulu l'imposer pour soumettre le peuple!

Concernant, le taoïsme et le Bouddhisme, "je ne suis pas chargé de vous faire, croire, mais de vous le dire" comme disait Bernadette à son Curé ! Si vous n’êtes pas convaincu, comme moi, il y a encore 2/3 ans, alors lisez la sutra (de souartha en araméen qui signifie : bonne nouvelle !) du Lotus et la sutra des 42 articles, et jugez par vous-même, si ce n'est pas l’Évangile enseigné par Thomas dont on a enlevé tous les noms propres pour faire face à des siècles de persécutions qui ont exterminé des centaines de millions de Chrétiens ! Il fallait bien qu’ils se protègent comme à Rome dans les catacombes !

Et si vous doutez encore, lisez tous les livres de Pierre Perrier, qui n'est pas un clerc mais un laïc qui travaille depuis 40 ans les origines orientales du Christianisme et l'oralité des Evangiles ! Pierre Perrier raisonne en pur scientifique qu'il est : ingénieur Sup Aéro, concepteur de l'aérodynamisme de tous les avions Marcel Dassault, membre de l'Académie des Sciences, membre de l'Association des Scientifiques Chrétiens. Mais il a la foi et commence chaque journée de travail en allant à la messe à 7 h 30 !

Achetez aussi les Evangiles de Matthieu et de Marc traduit directement de l'araméen par le Père Frédéric Guigain et là vous comprendrez toutes les phrases qui jusqu'alors vous paraissaient obscures car mal traduites d'araméen en grec !

Fichtre ! Confrontez-vous à la pierre gravée de l’Evangile enseigné par Thomas dès 65 sur la falaise de Koung Wan Shan, ainsi qu’au texte gravé sur ce miroir du IIème siècle avant de critiquer avec des arguments qui ne tiennent pas une seconde la route ! Faites comme St Thomas, vérifiez par vous-même, en allant toucher les pieds du Christ ressuscité : Thomas a eu du mal à se remettre en cause, alors pourquoi pas vous ? Il faut aussi savoir que Thomas était surnommé ainsi car il ressemblait tellement physiquement à Jésus que les apôtres l’ont surnommé le « Jumeau »….sous-entendu de Jésus ! Alors Voyez, touchez, et croyez en la bonne nouvelle de Thomas en Perse, en Inde et en Chine !

dimanche 2 décembre 2012

"Le scepticisme ouvre le vaste champ de la foi"

Voici le premier papier sur mon dernier livre Parier avec Pascal, paru le 23 novembre. Il a été publié par François Bousquet dans le numéros de novembre de Spectacle du monde. Je signale que mardi prochain à 20 H 15 aura lieu au Centre Saint Paul une conférence débat sur ce livre...

Mon but ? Faire comprendre que le pari n'est pas un calcul de probabilité mais une quête de l'évidence de Dieu...
Prêtre traditionaliste, philosophe et homme de foi, directeur du Centre Saint-Paul, l’abbé Guillaume de Tanoüarn publie aux éditions du Cerf, courant novembre, un Parier avec Pascal. (propos recueillis par François Bousquet)
 
Pourquoi Pascal est-il si crucial ?

Il l’est parce qu’il a en quelque sorte ressenti à l’avance, comme aucun autre, la montée en puissance du rationalisme moderne. Son but dans les Pensées ? Trouver une parade à ce rationalisme, au nom de la plus grande intelligence. Du fond de son scepticisme naturel, c’est la raison elle-même qu’il va scruter - les pouvoirs de la raison - en distinguant d’un côté l’esprit de géométrie, fondée sur le principe d’identité, et de l’autre l’esprit de finesse, fondée sur « la grande pensée de la ressemblance ». Que peut dire Pascal à Monsieur Homais, le pharmacien ratiocineur de Flaubert ? La raison ne fonctionne pas uniquement à travers le principe d’identité, il ne suffit pas d’écrire : A = B, B = C, donc A= C ; la raison n’est pas seulement mesurante, elle s’exerce aussi à travers des intuitions et des ressemblances ; nous dirions : des analogies. Pour Pascal, Dieu – l’Infini - est la plus évidente de ces intuitions. Le problème qui se pose à lui, c’est que cette évidence de Dieu n’est pas assez forte dans nos vies. D’où le pari par lequel il veut donner force à l’évidence de Dieu.

Mais réduit à sa plus simple expression, en quoi consiste le pari ?

Ce que l’on appelle pari est en réalité un fragment – un manuscrit de quatre page, raturé et annoté - que Pascal a intitulé : « Infini-rien ». Pascal est hanté par cette idée de l’infini, cette idée des deux infinis, le grand et le petit, si disproportionnés au regard de l’homme. Le pari, stricto sensu, c’est qu’il vaut toujours mieux vivre pour l’infini que de vivre sans l’infini. Pascal le présente comme un calcul, mais on est au-delà du calcul. Il dit d’ailleurs - comme Platon au fond - que si Dieu n’existait pas, il vaudrait mieux être un homme de bien de toutes les façons que de s’être laissé porter par nos désirs.

Peut-on dire de l’œuvre de Pascal qu’elle est un dialogue entre la foi et scepticisme, entre lui et Montaigne ?

On peut évidemment penser que c’est un dialogue entre la foi et le scepticisme, Montaigne n’étant pas uniquement du côté du scepticisme, mais aussi du côté de la foi, puisqu’il meurt au cours d’une messe célébrée dans sa chambre, dans une sorte d’étonnante extase au moment de la consécration. Montaigne et Pascal ont en commun d’avoir posé la relation du scepticisme et de la foi. C’est parce que la raison humaine est impuissante que la foi est nécessaire. Dit autrement : le scepticisme ouvre le vaste champ de la foi.

Quel est le génie de Pascal ?

On pourrait dire du génie de Pascal que c’est celui de la vérité contraire. Vous savez qu’il dit à propos de l’hérésie qu’elle n’est pas le contraire de la vérité, mais l’oubli de la vérité contraire. Il donne ainsi une image de la foi catholique faite de deux vérités contraires. Par exemple, la grâce et la liberté humaine sont les deux vérités contraires autour desquelles, en tant que janséniste, Pascal a tourné, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Une sorte de dialectique pré-hégélienne ?

Non, parce que la dialectique hégélienne produit une synthèse qui n’est, Dieu me pardonne, qu’une foutaise, alors que Pascal laisse ouverte la dualité de toute approche. Avec lui, le choix n’est jamais fermé. Ainsi cela reste-t-il un pari.

samedi 1 décembre 2012

Du nouveau sur la Chine et l'Evangile

Nous avons fêté le 30 novembre la Saint André. Le frère de Simon Pierre. Un apôtre. Et l'épître de Paul, qu'on lit dans l'extraordinaire rite que j'ai la chance de célébrer, m'est apparue, ce matin, dans les brumes d'un sommeil encore mal dissipé, très affirmative. Trop ? Elle contient, pour finir, comme pour prouver ce qu'elle avance par une autorité surhumaine, une citation de l'Ecriture : "La foi naît de la prédication et la prédication a lieu sur l'ordre du Christ. Mais, je le demande [les hommes] ne l'ont-ils pas tous entendue ? Allons donc ! "Leur voix [ celle des messagers de l'Evangile] s'est répandue par toute la terre et leur Parole jusqu'aux extrémités du monde"" (Rom. 10, 18).

Trop affirmative cette citation prophétique du Psaume 18 ? J'ai eu une réponse aujourd'hui même dans ma boîte mails. L'association Eecho tient ce vendredi et ce samedi, un colloque à l'Institut catholique et je reçois d'un correspondant habituel ce résumé des travaux d'aujourd'hui, qu'il a adressé à plusieurs correspondants et que je souhaite vous faire découvrir (c'est à lire pour ceux qui veulent assister à la suite Rue d'Assas demain) :
Revenant de la première journée du colloque AED-EECHO qui se tenait aujourd’hui à l’Institut Catholique de Paris, je ne peux m’empêcher de vous faire part de l’excellent nouvelle qui suit. En 2009, un Chinois a acquis un miroir antique. Après étude, il s’avère être de la fin du IIème siècle après Jésus-Christ. Il est en parfait état et sa facture est d’une très grande beauté. Il est décoré de 5 frises concentriques avec au centre 4 animaux sculptés. Il est en bronze et mesure 13,4 cm de diamètre. Sa photo se trouve en page 85 du livre pleins de photos : « L’Apôtre Thomas et le Prince Ying » par Pierre Perrier aux éditions du Jubilé. L’une des dernières frises est un texte en vieux chinois très bien conservé et donc très lisible. Après plus de deux ans de travail, les archéologues Chinois viennent en 2012 de le traduire. Le Professeur en sinologie Jacques Grange, l’a ensuite traduit en français et l’on découvre alors ce texte gravé il y a plus de 1800 ans à la gloire de Marie, mère du Dieu unique :
« Les prophéties sont accomplies,
Béni soit le Dieu unique,
La Mère vertueuse témoigne du Fils de l’Homme,
Elle a reçu le Roi de Lumière,
L’incarner fut sa lourde mission,
Les prophéties sont accomplies,
Béni soit le Dieu unique »
Ce texte confirme pleinement ce que la falaise de Koung Wan Shan avait révélé à Monsieur Pierre Perrier en 2008 : Thomas l’Apôtre a fondé l’Eglise en Chine entre 65 et 68 ap. J-C! Venant de l’Inde par bateau, il est arrivé sur la côte Nord-Est et y a fondé une dizaine d’Eglises locales le long du fleuve jaune. 
Il est maintenant démontré que le Bouddhisme du grand véhicule, ainsi que le Taoïsme ne sont que l’enseignement de l’Evangile par Thomas, qui a été laïcisé pour s’incorporer et embellir le Bouddhisme du petit véhicule, qui était né en Inde en tant que pure philosophie d’un sage oriental. L’Empereur, puis le parti communisme ont essayé d’imposer le confucianisme qui n’a jamais « pris » car il prône trop la notion d’obéissance à l’Etat.
Cette embellissement du Bouddhisme du petit véhicule par la sainteté de l’Evangile de Thomas a permis aux millions de Chrétiens Chinois de perdurer, cahin caha, au travers de plus de 19 siècles de terribles persécutions qui ont fait des dizaines de millions de martyrs Chrétiens Chinois pour que vive encore en Chine la foi Catholique jusqu’à ce jour. La Chine est donc un pays Chrétien depuis 1944 ans ! Les quatre principaux Empereurs furent Chrétiens. On mesure mal, à ce jour, les conséquences que ces récentes découvertes vont produire sur la politique chinoise à l’égard de l’Eglise Catholique et des autres églises Chrétiennes en Chine!
Quand on pense que Thomas est l'apôtre qui a douté et qu'il est celui qui est allé - seul - le plus loin, "jusqu'aux extrémités de la terre" (comme Paul est allé très certainement jusqu'aux Colonnes d'Hercule, comme le pense sa dernière biographe Marie-Françoise Baslez. C'est pour cela qu'il est si affirmatif : c'est que lui aussi, des extrémités de la terre, il en revient ou il va y aller.

Je ne peux pas m'empêcher de voir dans la puissance de Thomas une sorte de validation a priori de la grande intuition de Pascal : la foi naît du doute. Son terreau d'origine n'est pas la crédulité mais le scepticisme.

mercredi 28 novembre 2012

Benoît XVI devant la crèche

Voici la critique à paraître dans l'excellent journal Monde et Vie, signée par mon alter ego Joël Prieur et publiée ici avec l'accord du directeur.
C’est le livre que l’on peut offrir sans risque comme cadeau de Noël. L’enfance de Jésus de Benoît XVI vient de paraître aux éditions Flammarion. Après deux volumes publiés sur Jésus de Nazareth, voici comme un portique d’entrée pour la grande œuvre. Nous l’avons emprunté, ce portique. C’est une bonne occasion de méditer avec le pape.

On commence à connaître le style de Benoît XVI… Des phrases simples, précises. Aucune volonté de sensationnel, pas de captatio benevolentiae, pas d’effets de manche, mais une volonté inexorable de s’inscrire au cœur du problème considéré et d’y atteindre par les mots les plus simples, tout en s’y installant de la manière la plus claire. Du côté du lecteur, une seule condition est requise : l’attention. Ce livre est fait de multiples coups de projecteurs sur chaque détail des Evangiles de l’Enfance du Christ. Il faut accepter de le lire lentement. De déguster !

Laissons donc le pape braquer son projecteur et profitons de la leçon de cet auguste professeur….

Voici le chant des anges: «Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et Paix sur la terre aux hommes de sa bienveillance».

A propos de la deuxième partie de ce texte, le pape relève deux choses : l’inexactitude de la plupart des traductions à propos des « hommes de bonne volonté ». Le grec porte « anthropois eudokias »… Eudokia signifie le choix, la bienveillance, ou d’après la traduction liturgique allemande la grâce. Pas du tout l’idée de « bonne volonté », même si elle a aussi du sens. Par ailleurs Benoît XVI s’insurge contre ceux qui veulent souhaiter à Dieu la gloire : « La gloire de Dieu n’est pas une chose que les hommes peuvent produire (que soit à Dieu la gloire). La gloire de Dieu existe. Dieu est glorieux, et c’est vraiment un motif de joie : la vérité existe, le bien existe, la beauté existe. Ces réalités sont en Dieu de façon indestructible ». Et ainsi, on retrouve, jusque dans la nuit de Bethléem la lutte contre le relativisme qui est la grande caractéristique de la pensée du pape et de son pontificat. Est-ce parce que c’est un philosophe impénitent ? Cette référence à l’objectivité divine de la vérité n’empêche pas le pape d’écrire sur la même page, dans un autre registre, celui de la poésie théologique que « le chant de louange des anges n’a jamais cessé. Il continue à travers les siècles sous des formes toujours nouvelles et dans la célébration de la naissance de Jésus il résonne toujours sur un mode nouveau. Jusqu’à aujourd’hui le simple peuple des croyants s’unit à leur mélodie, exprimant par le chant la grande joie que Jésus donne depuis lors à tous jusqu’à la fin des temps ».

J’ai pris cet exemple pour vous faire sentir le cocktail d’érudition, de réflexion personnelle et de poésie mystique qui constitue ce petit livre. On peut dire à la fois que le pape ne refuse a priori aucune des objections de l’exégèse critique. Il pèse chacune à l’aune de sa vraisemblance et à l’aune de la foi qui l’anime. Mais, tout en s’appuyant sur cette science, ce livre est plus qu’un livre de science. S’e n dégage une sagesse qui donne envie d’être chrétien, à ceux qui veulent bien prendre le temps de lire pour apprendre à connaître… Quelle meilleure préparation spirituelle aux fêtes de Noël ?

Joël Prieur

Prix : 15 euros

lundi 26 novembre 2012

Une école catho à la campagne

Choses entendues par une amie dans une école catho du Grand Ouest: - Madame, pour la fête de Noël, il faudra que vous veniez me voir - Ah? - Oui, cette année, on prépare des danses orientales, et je ne crois pas que vous ayez ce genre de déguisements chez vous - Et pourquoi des danses orientales - Oh! C'est pour aller avec le méchoui... Quelques semaines plus tôt, la directrice avait déjà prévenue cette amie : "Cette année, pas de crèches ou de choses comme ça. C'est par respect pour les musulmans - Mais il y en a beaucoup? - Oui deux familles... Et des familles nombreuses. Et puis vous savez, de toute façon, on fait plus trop Jésus..."

Je ne vous garantis pas toutes les circonstances en détail, ayant dû reconstituer le puzzle. Mais je vous garantis sur facture ce mot désolé : "On fait plus trop Jésus".

Les cathos ont magnifiquement intégré la laïcité antichrétienne. En bons élèves qu'ils sont en général, ils ont parfaitement compris ce que l'on attendait d'eux : ne la ramenez pas avec votre foi chrétienne. Résultat, dans cette petite école primaire, ce sera danse du ventre pour Noël et crèche au grenier des vieilles lunes. Quand je pense que ces gens - très gentils, très ouverts très serviables, des voisins de rêves - sont les mêmes qui vous parlent gravement de "nouvelle évangélisation"... Les mêmes qui, dans un examen de conscience vraiment masochiste, imaginent que si la nouvelle évangélisation ne marche pas, c'est parce qu'ils n'en font pas encore assez au service de l'homme, qu'ils ne sont pas assez fervents (défenseur de l'Autre dans tous ses états), pas assez effacés (ou enfouis), pas assez dans l'abandon, pas assez dans la tolérance unilatérale, pas assez dans la discrimination positive...

Le problème du catho moyen, Alain Finkielkraut l'avait bien diagnostiqué, faisant faire un progrès sensible à la nosographie, c'est "l'autrisme".

Mais je crois qu'il faudrait préciser : on fait de l'autrisme, parce que ça marche, c'est vendeur. Tandis que Jésus... Jésus... "On fait plus trop Jésus"... C'est ringard... Ca reste en magasin...

vendredi 23 novembre 2012

La fin du monde et le cardinal George

La prédication de Jésus sur la fin du monde ferme l’année liturgique, comme il est normal.Nous la lirons dimanche prochain. Soyons attentifs !

Il ne faut jamais oublier que notre foi dans le Christ est une foi qui s’alimente de tout ce que le Christ réalise dans l’histoire et de tous les signes des temps correctement observés, ceux qui nous font voir la présence du Christ dans ses saints de tous les âges, y compris de notre époque ; et ceux qui nous montre combien redoutable est son absence et comment le cœur de l’homme, « creux et plein d’ordure », n’attend que cette absence pour se surpasser en horreurs. Georges Bernanos, qui n’y allait pas par quatre chemins, n’hésitait pas à dire : «Sans le dogme du péché originel, je ne croirais pas. Il est beaucoup plus grave – ou du moins plus dangereux – pour l’homme de nier le péché originel que de nier Dieu». La présence de Dieu, nous la constatons jusque dans son absence. L’homme, malgré toute sa bonne volonté native, est marqué jusqu’au fond de lui-même par le péché originel. Il est «cassé» comme disait Gabriel Marcel. Et on peut le vérifier à chaque moment de l’histoire. Les gâchis ne se comptent plus ! Voyez, en ce moment même, ce qui se passe à l’UMP… ou à l’IBP… Des histoires d’hommes.

Ces considérations nous permettent de comprendre l’étrange parole du Christ, annonçant la fin du monde : « Cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que des apocalypses, nous en verrons, oh ! non pas à chaque génération peut-être, mais toutes les deux ou trois. Il y en a une dans chaque vie d’homme. Il ne faut pas avoir peur de cela. Sans doute nous préparons nous, dans notre softitude ambiante, la plus terrible des apocalypses, qui serait la mise hors la loi du christianisme au nom de la laïcité. Le cardinal George, archevêque de Chicago, a récemment insisté sur ce danger de l’idéologie laïque pour le christianisme. Je ne saurais mieux faire que de le citer :
« La campagne politique actuelle a amené à la surface de notre vie publique le sentiment anti-religieux, en grande partie explicitement anti-catholique, qui grandit dans ce pays depuis plusieurs décennies. La laïcisation de notre culture est un enjeu beaucoup plus important que les causes politiques ou les résultats de la campagne électorale actuelle, aussi importants soient-ils. M'exprimant il y a quelques années devant un groupe de prêtres, entièrement en dehors du débat politique actuel, je tentais d'exprimer de manière dramatique ce que la laïcisation complète de notre société pourrait apporter. Je répondais à une question et je n'ai jamais mis par écrit ce que j'ai dit, mais les mots ont été capturés sur un smartphone et se sont désormais répandus comme un virus sur Wikipedia et ailleurs dans le monde des communications électroniques. On me cite (à juste titre) comme disant que je m'attendais à mourir dans mon lit, que mon successeur mourrait en prison et que son successeur allait mourir en martyr sur la place publique. Ce qui est en général omis dans les rapports, c'est la phrase finale que j'ai ajouté au sujet de l'évêque qui suivrait peut-être un évêque martyr: «Son successeur ramassera les débris d'une société en ruine et lentement aidera à reconstruire une civilisation, ce que l'Église a fait si souvent dans l'histoire humaine». Ce que j'ai dit n'est pas «prophétique» mais un moyen de forcer les gens à penser en dehors des catégories habituelles qui limitent et parfois empoisonnent les discours public et privé ».
Il est rare d’entendre un évêque parler si clairement. Mais – voilà un signe des temps – il me semble que les temps changent et que la parole vient aux évêques. Ils sont en route vers le martyre nous dit le cardinal George… En tout cas, ouvrant la bouche, ils marchent vers la sainteté, tant il est vrai que, comme disait Pascal, « jamais les saints ne se sont tus ».