dimanche 2 décembre 2012

"Le scepticisme ouvre le vaste champ de la foi"

Voici le premier papier sur mon dernier livre Parier avec Pascal, paru le 23 novembre. Il a été publié par François Bousquet dans le numéros de novembre de Spectacle du monde. Je signale que mardi prochain à 20 H 15 aura lieu au Centre Saint Paul une conférence débat sur ce livre...

Mon but ? Faire comprendre que le pari n'est pas un calcul de probabilité mais une quête de l'évidence de Dieu...
Prêtre traditionaliste, philosophe et homme de foi, directeur du Centre Saint-Paul, l’abbé Guillaume de Tanoüarn publie aux éditions du Cerf, courant novembre, un Parier avec Pascal. (propos recueillis par François Bousquet)
 
Pourquoi Pascal est-il si crucial ?

Il l’est parce qu’il a en quelque sorte ressenti à l’avance, comme aucun autre, la montée en puissance du rationalisme moderne. Son but dans les Pensées ? Trouver une parade à ce rationalisme, au nom de la plus grande intelligence. Du fond de son scepticisme naturel, c’est la raison elle-même qu’il va scruter - les pouvoirs de la raison - en distinguant d’un côté l’esprit de géométrie, fondée sur le principe d’identité, et de l’autre l’esprit de finesse, fondée sur « la grande pensée de la ressemblance ». Que peut dire Pascal à Monsieur Homais, le pharmacien ratiocineur de Flaubert ? La raison ne fonctionne pas uniquement à travers le principe d’identité, il ne suffit pas d’écrire : A = B, B = C, donc A= C ; la raison n’est pas seulement mesurante, elle s’exerce aussi à travers des intuitions et des ressemblances ; nous dirions : des analogies. Pour Pascal, Dieu – l’Infini - est la plus évidente de ces intuitions. Le problème qui se pose à lui, c’est que cette évidence de Dieu n’est pas assez forte dans nos vies. D’où le pari par lequel il veut donner force à l’évidence de Dieu.

Mais réduit à sa plus simple expression, en quoi consiste le pari ?

Ce que l’on appelle pari est en réalité un fragment – un manuscrit de quatre page, raturé et annoté - que Pascal a intitulé : « Infini-rien ». Pascal est hanté par cette idée de l’infini, cette idée des deux infinis, le grand et le petit, si disproportionnés au regard de l’homme. Le pari, stricto sensu, c’est qu’il vaut toujours mieux vivre pour l’infini que de vivre sans l’infini. Pascal le présente comme un calcul, mais on est au-delà du calcul. Il dit d’ailleurs - comme Platon au fond - que si Dieu n’existait pas, il vaudrait mieux être un homme de bien de toutes les façons que de s’être laissé porter par nos désirs.

Peut-on dire de l’œuvre de Pascal qu’elle est un dialogue entre la foi et scepticisme, entre lui et Montaigne ?

On peut évidemment penser que c’est un dialogue entre la foi et le scepticisme, Montaigne n’étant pas uniquement du côté du scepticisme, mais aussi du côté de la foi, puisqu’il meurt au cours d’une messe célébrée dans sa chambre, dans une sorte d’étonnante extase au moment de la consécration. Montaigne et Pascal ont en commun d’avoir posé la relation du scepticisme et de la foi. C’est parce que la raison humaine est impuissante que la foi est nécessaire. Dit autrement : le scepticisme ouvre le vaste champ de la foi.

Quel est le génie de Pascal ?

On pourrait dire du génie de Pascal que c’est celui de la vérité contraire. Vous savez qu’il dit à propos de l’hérésie qu’elle n’est pas le contraire de la vérité, mais l’oubli de la vérité contraire. Il donne ainsi une image de la foi catholique faite de deux vérités contraires. Par exemple, la grâce et la liberté humaine sont les deux vérités contraires autour desquelles, en tant que janséniste, Pascal a tourné, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Une sorte de dialectique pré-hégélienne ?

Non, parce que la dialectique hégélienne produit une synthèse qui n’est, Dieu me pardonne, qu’une foutaise, alors que Pascal laisse ouverte la dualité de toute approche. Avec lui, le choix n’est jamais fermé. Ainsi cela reste-t-il un pari.

8 commentaires:

  1. . Si cet amoindrissement qui constitue le péché tombait sur nous et malgré nous, comme la maladie, nous pourrions croire injuste la peine qui poursuit le pécheur, et que l'on nomme damnation. Telle est au contraire la nature du péché, qu'il cesse d'être péché, s'il n'est pas volontaire (1), principe d'une telle évidence , que le petit nombre des savants et la foule des ignorants l'adoptent sans opposition. Il faut donc ou nier l'existence du péché ou reconnaître que la volonté le commet. Or comment nier que l'âme puisse pécher, quand

    on reconnaît qu'elle se purine par la pénitence, et que son repentir lui mérite le pardon,



    1. I Rétract. ch. 13, n. 5.





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    et qu'en persévérant dans ses fautes elle est justement condamnée par la loi de Dieu? Enfin si nous pouvons pécher sans le vouloir, il ne faut plus adresser ni reproches, ni avertissements; or en les supprimant on supprime aussi la loi chrétienne et tous les préceptes qu'elle impose. C'est donc la volonté qui fait le péché, et comme l'existence du péché est indubitable, je puis affirmer avec la même certitude que l'âme est douée du libre arbitre. Dieu a voulu, comme plus distingués, des serviteurs qui lui fussent librement soumis, ce qui serait impossible s'ils lui obéissaient nécessairement et non pas volontairement.

    28. Les bons anges servent donc le Seigneur avec liberté; c'est à eux, non pas à Dieu qu'en revient l'avantage. Car Dieu étant par lui-même n'a besoin de personne: ce qu'il engendre est de même nature, parce qu'il l'a engendré, et non pas créé. Mais ce qu'il a créé a besoin de lui, de lui, le seul bien suprême, la souveraine essence. Ces créatures sont moins qu'elles n'étaient quand, en péchant, elles le recherchent moins. Elles n'en sont pas néanmoins complètement séparées, sans quoi elles seraient entièrement anéanties. Or, les sentiments sont à l'âme ce que la distance est au corps. L'âme se meut par la volonté, et le corps dans l'espace. Par conséquent lorsque, comme on l'enseigne , le mauvais ange entraîne l'homme, celui-ci donne son libre consentement, et s'il eût agi par nécessité il ne serait coupable d'aucune faute.

    St Augustin

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  2. Je ne pense pas que le scepticisme ouvre à quoi que ce soit. C'est une philosophie qui prend acte de l'incertitude de toute chose et qui ne s'en désespère pas. Au contraire, la suspension de jugement (epoché)s'avère confortable en favorisant l'absence de trouble et en faisant l'économie de la quête harassante de la "Vérité" (selon une définition dogmatique qui, justement, présume de ce à quoi devrait ressembler la vérité, objet d'un désir religieux ou métaphysique : certaine, éternelle, belle, libératrice etc.). Celui qui désespère de la vérité et qui croit, "en creux", en elle, n'est pas sceptique : il est effectivement mûr pour la foi... et tant mieux s'il la trouve ! Mais pas le sceptique qui habite les apparences. L'anthropologie chrétienne ne peut ni se résoudre ni même croire à cet indifférentisme que quelques sceptiques paraissent pourtant bien avoir incarné, dans la joie et la bonne humeur. Exemple : David Hume, dont la mort, en 1776, sereine et non démonstrative, constitua un scandale aux yeux des dévots. Pour les croyants, l'homme doit soupirer après la Vérité/Dieu. Mais pas pour les sceptiques justement. Pour le débat, cf. le livre remarquable de S. Giocanti : Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer, trois itinéraires sceptiques, chez H. Champion. Pascal a tout compris, mais il n'a pas fait le choix du scepticisme.

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  3. Si, « … le pari n'est pas un calcul de probabilité mais une quête de l'évidence de Dieu... » alors il semble évident que le sceptique n’est en recherche de rien du tout. Le libertin « libertine » et se complait dans son libertinage. C’est la forme archaïque de l’athéisme qui n’a pas encore pu se penser comme tel.
    Anonyme de 19.19 en fait une analyse toute judicieuse.
    Le scepticisme n’est pas le terreau sur lequel la Parole puisse prendre. Ce serait plutôt le chemin rocailleux.
    Puisque nous sommes en plein orientalisme, voilà ce qu’en pense sa Sainteté le Dalaï-Lama dans : Le D.L parle de jésus :
    « Pour développer une Foi dérivée de la raison ou de la compréhension, un aspirant spirituel débutant doit faire preuve d’ouverture d’esprit. Faute d’un terme plus satisfaisant, nous pourrions qualifier cet état de sain scepticisme. Quand vous êtes dans cet état d’ouverture etc.… »
    Le sceptique, lui, paraîtrait plutôt enfermé dans son divertissement !
    C’est pourquoi en faisant référence à un billet précédent, je dirais qu’il n’est pas judicieux d’associer Thomas avec ce courant de pensée, comme il n’est guère plus approprié d’en faire le modèle du chrétien par excellence. Un défaut reste un défaut même de la part d’un apôtre ! Restons réalistes sous peine de tomber dans le ridicule !
    Je suis sûre par contre, M.AG2T que votre livre doit être excellent !
    Benoîte


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  4. L'homme épicurien composé d'atomes qui se décomposent après sa mort, est une créature finie faite pour un plaisir éphémère, d'où le terme " épicurien" : on pourrait le comparer au "libertin" et des l'antiquité le
    " stoïque " lui a préféré la souffrance, et le destin d'être né avant J-C ; tandis que l'homme créé à la ressemblance de Dieu et s'il parie avec Dieu, baptisé et confirmé , est fait pour l'infini, comme Dieu est infini : fait pour l'Amour infini, pour aimer à l'infini et de manière infinie. Créé lui aussi de glaise, et de matière, et d'atomes, il atteint l'infini de l'univers créé puis celui du monde spirituel, non créé, puis Dieu ..... pas celui des philosophes et des savants, donc celui des enfants, et aussi l'Ordre de la Charité.

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  5. Pascal rejoindrait alors Saint Jean qui affirme que celui qui aime est sauvé, et qu'il ne pèche pas : échapper au fini à l'épicurisme et au libertinage, à l'univers fini du materialisme et du consummérisme, et mais aussi à toutes les philosophies hédonistes les prêchant, il atteint l'infini de Dieu qui est Amour, appellé alors Charité. Le pari est le fait du Joueur qui sait qu'il doit gagner la partie ...Parce qu'il ne peut plus payer ses dettes de jeu et doit être vendu comme esclave (du péché).

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  6. Il doit absoluement "gagner" et non "perdre" à moins qu'il ne soi fou... Laurence

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  7. Lorsque le Christ invite ses apôtres à s'aimer les uns les autres, et à garder son commandement , il les greffe à l'infini qu'IL est en personne, puisqu'il dit "Celui qui m'aime gardera ma parole" et nous feront en lui notre Demeure or qui est infini, sinon Dieu?

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  8. Il y a un temps pour douter, et un temps pour croire

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