mercredi 18 mars 2020

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

Le signe de Croix est un geste, dont la signification est universellement reçue chez les catholiques et chez les orthodoxes (mais pas chez les protestants), signe qui partage le temps sacré et le temps profane. De quoi parlons-nous ? Le temps profane est le temps que mesure l'horloge, il est foncièrement disponible à toute réalisation, au bien comme au mal, il est libre potentiellement pour toute occupation. Le temps sacré n'est pas un temps libre. C'est un temps où se mêle l'éternité. Dieu fait irruption dans la disponibilité du temps profane et transforme ce moment, en lui donnant une signification éternelle. C'est tout le sens - sacré - de ce que nous appelons volontiers la sainte messe.

Pourquoi la messe est-elle sainte ? Non pas parce que celui qui la célèbre ou ceux qui y assistent seraient des saints, mais parce que la messe est une initiative divine, un acte théandrique divino-humain. L'initiative en revient au Seigneur qui a institué ce geste fou - disant sur du pain Ceci est mon corps et sur du vin Ceci est mon sang -  en nous demandant de refaire ce geste et de redire ces paroles de la même façon : "Cela, chaque fois que vous le ferez, vous le ferez dans la mémoire de moi" : nous le faisons en nous souvenant de ce qu'il avait fait lors de la première messe, la veille de sa Passion. Ce n'est pas un acte qui nous appartient, que nous pourrions accomplir en y laissant notre marque, en employant chacun notre façon de faire, en improvisant chaque jour une nouvelle manière d'être dans cette cérémonie.

Je parle ici du célébrant auquel revient la responsabilité de l'action sacrée - chaque fois qu'il célèbre les saints mystères du Christ, il est seulement "instruments et continuateurs de Jésus-Christ" comme dit saint Vincent de Paul. La messe ne lui appartient pas. Il est l'intermédiaire visible, audible, sensible, mais l'action qu'il pose est une action divine. Cela exige de lui un véritable détachement : certes le Christ a besoin du prêtre, mais ce n'est pas pour restreindre la portée de son offrande, mais pour la réaliser toujours à nouveau, identique à elle-même, dans le temps et dans l'espace.

La messe n'est pas une réunion de prière qui exigerait la créativité des assemblée qui la célèbrent. C'est le cadeau, le testament du Christ avant de mourir, c'est l'explication qu'il donne de sa propre Passion, c'est un secret entre lui et ceux qui l'aiment ou qui essaient de l'aimer, secret qui exige une véritable initiation.

Mais direz-vous, pourquoi un secret ? Parce que l'amour, dans la mesure où il est authentique, ne peut pas se passer de secret ou d'intimité. La messe est la déclaration d'amour que le Christ, qui sait qu'il va mourir, adresse à l'humanité, c'est-à-dire à chacun d'entre nous de manière différente. Sacrement de l'initiation chrétienne, geste sacré inventé par le Christ lui-même (qui d'autre aurait eu pareil idée ?), la sainte messe renferme le secret de son amour et c'est pour cela qu'aujourd'hui encore elle est avant tout non pas une représentation du passé, comme si l'amour de Dieu se découvrait en feuilletant un herbier ou un livre d'image. Non ! la messe est le présent et la présence de l'amour du Christ. Elle est un acte sacré, un acte sanctifiant, qui n'appartient pas à l'homme, mais où Dieu vient à nous aujourd'hui, avec des gestes, avec des signes, avec des mots humains qui ont une origine et une portée divine. La messe nous introduit dans le milieu divin, elle est la juxtaposition miraculeuse du temps humain avec l'éternité.

La messe et la messe seule quand on y réfléchit réalise la première demande du Notre Père : "Que votre nom soit sanctifié". On pourrait traduire cette première demande sur la sanctification du nom de Dieu : "Mon Dieu, donnez-nous du sacré". Donnez nous des signes de votre présence et de votre amour. La messe est le signe par excellence, le signe institué par le Christ de cette sacralité et de cette religion, dont l'initiative est divine. De manière très évocatrice, l'école française de spîritualité parle du Christ comme religieux de Dieu, initiateur et inventeur, dans la sainte messe, de la seule vraie religion, la religion suscitée par Dieu, qui consiste dans des paroles de Dieu et qui dans le sacrifice du Christ nous laisse un exemple héroïque, que nous pouvons reproduire : "Je vous ai laissé cet exemple, j'ai donné ma vie pour vous, afin que vous fassiez de même".

Lorsque Marcel Gauchet parle du christianisme comme de la religion de la sortie de la religion, de la religion désacralisée, il parle peut-être du christianisme, mais alors du christianisme sans le signe de la croix et sans la messe - d'un christianisme protestantisé, ou plus exactement passé au karcher du christianisme libéral, toutes choses qui n'étaient pas prévues dans l'Evangile.

2 commentaires:

  1. Cher abbé, chers métablogueurs,

    J'ignore si l'espace des commentaires est à nouveau ouvert, mais je m'y risque à tout hasard, ravi que je suis de repartir à l'aventure avec vous. À vrai dire, je ne pensais pas commenter la messe, encore moins"celle de toujours" que je fréquente si peu. Je ne pensais pas partager ma "perplexité", mais ce premier billet soulève déjà des concordances et des questions que je voudrais partager avec vous.

    1. Le christianisme est ou n'est pas la religion de la sortie du sacré. Pour les modernes à qui les abus dans l'Eglise et le concept confus de cléricalisme redonne des couleurs, le sacré,voilà l'ennemi. Les modernes sont à fond pour la désacralisation. Ils ne veulent pas avoir partie liée avec l'archaïque dans la pensée. Ils croient que cela la contamine au point qu'elle devient une pensée archaïque. Le sacré est une espèce d'archaïque que l'homme ne peut pas refouler, sauf à l'exacerber par retour, sous forme d'instincts, de compulsions et de violence.

    Mais si le chrétien ne congédie pas le sacré, Est-ce au risque d'y retrouver la violence? En quoi le christianisme n'est-il pas la religion de la sortie du sacré et est-il en même temps la religion de la sortie de la violence, la religion qui délie la violence du sacré?

    2. "Le Christ est le religieux de dieu." Très belle formule. Car la foi n'est pas séparable de la religion. Et qu'Il soit "le religieux de Dieu" signifie qu'il est l'unique Médiateur, le vrai pontife, le prêtre dans le sacerdoce de qui s'enracinent, et le sacerdoce ordonné, et le sacerdoce commun des fidèles.

    3. La messe réalise la première demande du "Notre Père". Très beau là encore.

    4. Le signe de croix nous fait quitter le temps profane pour nous plonger dans le temps du sacré. Plus contestable, surtout si le temps profane est disponible pour qu'on y fasse du bien et du mal, alors que le Christ veut nous prédisposer à "prier sans cesse". Mais contestable aussi pour une raison plus profonde: le Christ en instituant le signe de Croix veuthonorer une promesse pour nous établir dans la vie trinitaire. Cette promesse est celle de sa présence chaque fois que deux ou trois se réuniront en Son Nom. Par le signe de croix, nous sommes enclavés en Dieu pour bénéficier de la Présence de Jésus-Christ et recevoir une confidence à propos de la vie trinitaire.

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  2. Bonjour,

    1/ Je ne vois pas en quoi le christianisme serait la religion de la sortie du sacré, cela irait même à l'encontre des textes et de l’exégèse de ces 2000 dernières années ! Le christianisme appelle au sacré, Christ lui même impose une déférence envers Dieu, et a permis que le sacré se développe dans son Eglise.

    Seuls, effectivement, les Protestants et les "modernistes", ont choisi d'écarter le sacré. Mais, sont-ils encore chrétiens ? Sont-il toujours dans l’herméneutique de la parole divine tel que nous la connaissons, ou plus exactement tel qu'elle nous a été donnée ? Pour moi, la réponse est non. L'absence de sacré, voir le rejet du sacré, traduit la perte de sens de certains pratiquants qui choisissent de créer leur religion sur les bases de christianisme. Ca en a la couleur, l'odeur, mais pas le goût !

    Le rite Romain dit moderne, imposé à partir de 1969 (disons fortement suggéré) a ceci de particulier avec le rite dit extraordinaire, qu'il dégage sans autre forme de procès tout un pan du sacré, à commencer par divers textes qui faisaient sens, je pense à Judica me ou le Confiteor qui n'est plus qu'optionnel. Et, comme le dit M. l'Abbé sur son blog, à une messe : "La messe n'est pas une réunion de prière qui exigerait la créativité des assemblée qui la célèbrent.", or c'est bien ce qu'est devenue la messe actuelle. Une sorte de réunion pour prier, chanter, danser, un peu à l'image d'une ONG... Mais, qui n'a plus grand chose à voir avec les fondements de l'Eucharistie... Certains de mes amis de paroisse, pourtant pratiquant, ne croient ni en la transsubstantiation, ni au sens sacrificiel de la messe. Ce qui compte, c'est de se retrouver en communauté, d'être joyeux, et d'être gentil....

    Avec le recul, mais je peux me tromper, il me semble que la messe Romaine est devenu un mixte entre une célébration protestante et l'ancien rite. Une sorte d'accord tacite entre deux, pour satisfaire le plus grand nombre... A tort, les églises se vident.

    Elles se vident en occident non pas faute de croyants, non, non, faute de sacré...

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