vendredi 31 juillet 2020

De l'universalité du sacrifice

Face au sacrifice parfait, à l'offrande pure, sainte et sans tache, il y a toujours eu dans l'humanité des sacrifices imparfaits, parce qu'offrir des sacrifices à la Puissance supérieure que l'on appelle Dieu sans la connaître, a toujours existé et relève du droit naturel comme l'explique saint Thomas dans sa Somme théologique IIaIIae Q85 a 1 co : "La raison naturelle prescrit à l'homme de se soumettre à un être supérieur, à cause des déficiences qu'il  éprouve  en lui-­même et qui le  mettent dans la  nécessité  de  recevoir aide  et direction de  cet être  supérieur. Quel que soit cet être, il est celui à qui tous les hommes donnent le nom de Dieu".
 
Il est étonnant de constater que saint Thomas qui n'est pas d'accord spéculativement avec saint Anselme, quand il s'agit de considérer que Dieu est connu par soi ou qu'il est évident, se retrouve justement sur cette ligne, quand il réfléchit sur la religion naturelle à l'homme. La religion n'est pas un sentiment adventice, mais un mouvement naturel de l'intelligence et du cœur humain. Dans d'autres textes, Thomas va jusqu'à dire qu'il est naturel à l'homme d'aimer son Créateur plus que lui-même, comme le Christ nous l'a appris. 

Mais dans cet article, l'Aquinate ne va pas si loin. Il s'agit d'insister sur le fait que la vertu de religion est une vertu naturelle à l'homme. Le fait d'offrir des sacrifices au monde divin existe dans toutes les civilisations et de toutes les manières, qu'elles soient agréables ou désagréables à Dieu, comme nous l'enseigne la Bible à travers les sacrifice de Caïn et Abel. Je dirais : qu'elles participent à une quête ardente du bien ou qu'elle consiste en l'érection d'un bouc émissaire, dont la mort sacrificielle ("c'est lui le pelé, le galeux dont vient tout le mal") contribuera à sceller l'unité de la vie sociale.(comme les esclaves dans les jeux du cirque à Rome, dont la mise à mort ordonnée par le Pontife avait une dimension religieuse et sacrificielle et... une fonction sociale : faire l'unité dans le sang des victimes).

D'où vient ce sentiment religieux inné que discerne ici saint Thomas ? Pas de Dieu qui aurait instillé à l'homme une idée de l'infini comme le pense son alter ego franciscain Bonaventure. Non : c'est un instinct d'ordre, c'est la conscience de l'ordre du monde qui fait que l'homme obscurément affirme Dieu, clé de voûte et première condition de cet ordre. Cela apparaît clairement dans la suite  :  "Mais, de  même que dans la  nature les êtres inférieurs sont naturellement soumis aux supérieurs, de même la  raison naturelle  prescrit à  l'homme, selon son penchant inné, de rendre  à  qui est au­-dessus de  lui  en lui rendant soumission et honneur, à sa manière". L'homme dans ce cosmos ordonné ne peut pas ne pas avoir une conscience vague de ce qui est au-dessus de lui. Il y tend mais "à sa manière". 

Quelle est la manière de l'homme ? Le sacrifice.

Saint Thomas poursuit ; "La manière de l'homme, c'est d'avoir recours pour s'exprimer aux  signes sensibles, parce qu'il tire sa  connaissance du sensible. C'est pour cela que  la raison  le  porte  naturellement à employer certaines choses sensibles, qu'il offre à Dieu, en signe de la sujétion et de  l'honneur  qu'il lui doit, à  la  manière dont les vassaux  font des offrandes à  leur suzerain  pour reconnaître  sa  domination". La comparaison entre l'ordre du monde et l'ordre politique est très rare chez Thomas... Elle est là pour marquer le bon sens de celui qui affirme Dieu sans parvenir à le prouver.

La conclusion tombe : "C'est à  cela  que  se  rapporte  la  raison de  sacrifice [à cette offrande sensible]. Et c'est pourquoi  l'oblation sacrificielle relève du droit naturel".

Loin d'être tous sans valeur les sacrifices antérieurs au Christianisme expriment ou plutôt peuvent exprimer la suzeraineté de Dieu et l'hommage de l'homme, bref l'ordre du monde auquel l'homme se plie. C'est cela d'abord qu'exprime la référence dans le canon romain à Abel, à Abraham (et au sacrifice d'Isaac, demandé agréé et empêché par Dieu) et à l'offrande du pain et du vin par Melchisedech, le prêtre sans peuple, "sans père, sans mère, sans généalogie" comme dit l'auteur de l’Épître aux Hébreux.

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