lundi 7 septembre 2020

Notre Père...

La prière que le Christ nous a apprise (Matth.6, 7-13 et Luc 1, 1-4 en version brève) vaut bien un commentaire ligne à ligne. Mais il sera court, tant il est vrai qu'il faudrait en faire un livre.

Appeler Dieu notre Père, non pas le père des plus parfaits d'entre nous, mais notre Père à tous, celui dont chrétiens ou non, nous pouvons tous nous revendiquer, ces deux mots suffisait à envoyer sainte Thérèse d'Avila en extase. 

Affirmer qu'il est Notre Père, c'est affirmer une indiscutable proximité de tout vivant sur la terre avec lui. Affirmer qu'il "est aux cieux", c'est marquer, en même temps l'infinie distance d'un Dieu infiniment proche mais aussi infiniment distant. Deux vérités contraires : impossible de sacrifier l'une à l'autre. Faire de Dieu un copain ? Oublier l'Infini entre nous ? Ce serait tout brouiller.

"Que votre nom soit sanctifié" : Dans la prière d'abord énoncer la vraie priorité qui est divine, d'abord prononcer le nom de Dieu. Tout peut aller mal pour nous, du moment que Dieu est sanctifié, qu'il est reconnu comme Dieu trois fois saint (voir le Sanctus), alors son règne est proche parce que sa volonté s'accomplit. Alors sa sainteté rejaillit sur l'homme qui y trouve lui aussi son bien, sinon dans ce monde, au moins dans l'autre. Comme disait la Vierge à sainte Bernadette : "Je ne vous promets pas d'être heureuse en ce monde, mais dans l'autre". Voilà ce qu'apporte la sanctification du Nom de Dieu : le respect du premier commandement, indispensable au vrai bonheur..

"Que votre règne arrive" : qu'est-ce que le Règne de Dieu ? Une partie de la sanctification de son nom. Attention : "Mon Royaume n'est pas de ce monde" dit Jésus à Pilate (Jean 18). Nous ne prions pas pour un hypothétique avenir radieux. Nous ne sommes, nous chrétiens, ni des millénaristes ni des idéologues, même si ce règne de Dieu a des aspects terrestre, hic et nunc, et que, tel le levain dans la pâte humaine, il est un agent (l'agent unique) du progrès moral de l'humanité. On peut dire que sur la terre le règne de Dieu progresse, mais qu'il ne se réalisera jamais que dans l'autre monde, lorsque toute justice sera rendue et toute miséricorde opérante. C'est ce que l'on appelle la Jérusalem céleste.

Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel : La volonté de Dieu, ici, c'est la dynamique créatrice, dont il a bien imprudemment et amoureusement confié l'exécution finale à l'homme. L'homme couronne la création de sa propre liberté ; cela s'appelle le progrès véritable. Le Christ, sauveur de l'homme, représente à lui tout seul cette humanité parfaite parce qu'en lui s'accomplit la volonté d'amour, la volonté sacrificielle du Père ; "Non comme je veux mais comme toi tu veux". "Que ta volonté soit faite", aussi sur la terre, comme elle est accomplie dans le Ciel, demande Jésus souffrant au Jardin des Oliviers. Cet amour-don qu'a vécu le Christ durant toute sa vie, mais principalement durant sa Passion,, voilà la volonté de Dieu pour chacun : "Celui qui veut gagner sa vie la perdra, celui qui perd sa vie à cause de moi la gagnera".

"Donnez nous aujourd'hui notre pain supersubstantiel" : Saint Matthieu parle du pain quotidien, la nourriture nécessaire pour chaque jour. Mais il emploie un terme qui est un hapax dans la langue grecque, un mot que l'on ne voit utilisé nulle part ailleurs, formé du préfixe epi- qui signifie au dessus de... et de ousios qui renvoie au verbe être. Le pain qui est au dessus, c'est la nourriture spirituelle, le pain de vie, le pain eucharistique. Ce n'est pas là une traduction révolutionnaire, c'est celle de saint Jérôme, qui traduit dans la Vulgate : le pain supersubstantiel, on dirait aussi : le pain surnaturel. Il faut nourrir le corps nous dit Jésus, mais, avec la même nécessité, il faut nourrir l'esprit. Et c'est pour cela qu'a été instituée la sainte Messe : pour ceux qui cherchent Dieu et qui ont besoin de nourrir leur recherche.

"Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs" : Il n'est pas question d'offense, d'offensé ou d'offenseur dans le Notre Père, qui n'est pas un texte du XVIIème siècle. Beaucoup plus concrètement, comme ailleurs dans l'Evangile, il est question de dette : "Un créancier avait deux débiteurs : l'un lui devait 500 deniers, l'autre cinquante. Comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur remis à tous deux leur dette. Lequel l'aimera le plus ? Celui, je pense auquel il a été remis le plus répondit Simon - Tu as bien jugé" (Lc 7, 41). Nous sommes débiteurs vis-à-vis de Dieu, et des débiteurs insolvables. Le Christ est celui qui a payé nos dettes, nous remettant dans une relation d'amour avec Dieu, alors que nous étions avant tout des justiciables pour lui. Nul doute que nous ayons nous-mêmes à pardonner comme Dieu nous a pardonné dans le Christ ! Le "comme" nous pardonnons ne signifie pas à la mesure où nous pardonnons nous serons pardonnés. Dieu ne joue pas à cette comptabilité-là. Comme dit Julien Green, "il est le grand pardonneur" et il nous donne l'exemple, non l'inverse.

"Et ne nous laissez pas succomber à la tentation" : Tourne et retourne, on n'a guère trouvé meilleure traduction. On nous fait dire en ce moment dans les églises : "Ne nous laisse pas entrer en tentation", traduction assez laide (entrer en tentation, c'est du français bricolé). Par ailleurs, telle qu'elle est, cette demande (ne nous laisse pas entrer en tentation) est absurde car contre le plan de Dieu : le Christ lui-même est entré en tentation (pour reprendre l'expression consacrée aujourd'hui), et cela à deux reprises, au début de sa mission publique où l'Evangile nous dit : "Jésus est entraîné au désert pour y être tenté par le diable" : il va chercher le combat, combat qui est partie intégrante de sa mission ! Et à la fin de sa vie, à Gethsémani où il voulut ressentir "effroi et angoisse", alors que pas un soldat ne l'avait touché. Bien sûr que nous aussi, à l'image du Christ, nous entrons en tentation : c'est au programme, nous n'avons pas à demander le contraire. Mais nous demandons de ne pas entrer au coeur de la tentation (en latin inducere in : deux fois le même préfixe), c'est-à-dire de ne pas y succomber.

"Mais délivrez-nous du mal" : Bernanos sur son lit de mort, récitant le Notre Père avait eu cette glose horrible : "Oh oui ! Père ne me faites plus de mal". C'est tout ce que l'on appelle pudiquement le problème du mal qu'évoquait le grand écrivain : Dieu a voulu créer dans la matière un être spirituel. En contrepartie, dans sa justice, Dieu s'engage à donner à l'esprit une force suffisante pour ne pas laisser le dernier mot à la matière en décomposition (phtora dit saint Paul aux Galates : la corruption, la putréfaction). "Je crois aux forces de l'esprit" disait très bien François Mitterrand. Dieu nous délivre du mal en ne laissant pas le dernier mot au processus de décomposition, mais en nous faisant ressusciter, comme il a ressuscité son fils Jésus.



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