vendredi 18 juillet 2008

Une émission sur Yeshayahou Leibowitz

Une émission sur Yeshayahou Leibowitz a lieu le même jour sur France Culture et sur Radio Courtoisie. Un signe de l'importance actuelle de cette "pensée de la religion" en général et de cette pensée du judaïsme en particulier. C'est le dernier numéro de la revue Cités (dirigée par Yves Charles Zarka) et le livre de Jean Marc Joubert sur Leibowitz aux éditions du CNRS qui font débat.

Avec beaucoup de clarté, Joubert revient sur la démarche fondamentale de Leibowitz (1903-1994), dont malheureusement toute l'œuvre n'est pas encore traduite en français. Cet héritier spirituel de Rabbi Maimon, dit Maïmonide (penseur juif du XIIème siècle) entend fournir une clé pour comprendre le judaïsme et il réclame qu'on le comprenne en dehors de toute téléologie historique, sans le réduire au christianisme ni même l'accoler avec lui dans la fameuse expression judéo-christianisme (voir la traduction d'un texte de Leibowitz sur ce sujet dans la revue Cités). Leibowitz récuse vertement par exemple l'idée des racines judéo-chrétiennes de l'Europe et entend montrer en quoi le judaïsme constitue une pensée de l'homme (une anthropologie dit Joubert), une pensée de Dieu, une pensée de la loi qui n'a rien à voir avec la pensée chrétienne. Les réponses souvent abruptes du vieux sage israëlien (voir en particulier : Israël et judaïsme, ma part de vérité, publié en français en 1996 chez DDB) ne lui ont pas valu que des amis. En janvier 1993, alors qu'il s'était vu attribuer le Prix d'israël pour l'ensemble de son oeuvre, Yitzak Rabin, alors premier ministre, a refusé de le lui décerner... Les récompenses officielles n'étaient pas pour ce pur d'entre les purs...

Il est difficile de caractériser la pensée de Leibowitz en quelques mots. Il est difficile de communiquer cette pensée sans le citer, c'est-à-dire sans entendre les mots du dialogue constant et parfois brutal que Leibowitz entretint avec ses lecteurs. Je vais sans façons piller le livre très clair de Joubert et proposer deux textes, l'un montrant la volonté théocentrique du penseur, l'autre caractérisant sa pensée comme essentiellement anthropique. L'un et l'autre sans contradiction.

"Il y a en Israël une organisation qui se réclame de ce qu'elle appelle judaïsme humaniste. Je polémique beaucoup avec elle. Je l'accuse d'hypocrisie et je vais vous dire pourquoi.

Primo l'humanisme implique de considérer tout individu comme une valeur suprême et par conséquent de réfuter l'idée selon laquelle il existe un groupe humain - celui auquel on appartient - qui serait supérieur à tous les autres. Quiconque se prétend humaniste devrait donc être cosmopolite. Humanisme et nationalisme sont contradictoires.

Secundo : un humaniste conséquent doit être également un pacifiste. Et pour un pacifiste conséquent, rien au monde ne pourrait justifier de tuer d'autres hommes, quand bien même il s'agirait de défendre un peuple ou un pays, de combattre pour la liberté. Un véritable humaniste devrait considérer Abraham Lincoln lui-même comme un criminel. N'a-t-il pas sacrifié 600 000 vies humaines a cours de la Guerre de Sécession pour que l'esclavage des Noirs soit aboli aux Etats Unis ?

Tertio : un humaniste se doit aussi d'être anarchiste, de refuser de se soumettre à quelque pouvoir que ce soit et de prôner le principe selon lequel les hommes doivent vivre en accord les uns avec les autres.

Quarto : un humaniste enfin ne peut être qu'un athée.

C'est pourquoi je m'adresse à mes amis qui se présentent comme dces Juifs humanistes et je les traite d'hypocrites : vous n'êtes leur dis-je ni cosmopolite, ni pacifistes, ni anarchistes - il ne vous reste en fait que l'athéisme. Mais pour être humaniste, l'athéisme ne suffit pas. Hitler était athée et cela n'a pas fait de lui un humaniste"

Ca décoiffe ? C'est Leibowitz. Une manière inimitable (socratique ?) d'aller à l'essentiel. Sans compromis ni flatterie. Et pour le Juif observant qu'il est, l'essentiel c'est Dieu. Leibowiz ne laisse aucune chance à l'humanisme sans Dieu.

En même temps, sa religion ne prétend nous donner ni une connaissance extraordinaire de Dieu ni la perspective d'un Dieu qui se fait notre récompense. Etre religieux, c'est observer la loi. "Je définis le croyant comme un être humain qui a conscience du fait que son existence se déroule devant Dieu"

La foi juive n'est pas un élan en dehors du créé, une sublime métamorphose, comme l'est la foi chrétienne. De manière provocatrice, Joubert rapproche l'idée de Leibowitz de la notion nietzschéenne d'innocence du devenir. La foi juive nous situant dans le service de Dieu par l'observation de la Loi, réalise non pas un désir de l'homme, non pas l'exigence d'une récompense post mortem, mais simplement une consécration qui fait toucher du doigt l'innocence du devenir sous le regard de Dieu. Dans cette perspective, la foi est la finalité de l'humain. Elle ne consiste pas en un don de Dieu (comme pour les chrétiens) mais en une pure conscience de l'homme. Elle n'a aucun sens en dehors de cette conscience que prend l'homme de vivre devant Dieu. C'est en ce sens que nous disions, pour nouer le paradoxe, qu'elle est anthropique.

Il me paraît fondamental de faire, avec Leibowitz, l'effort de définir les mots dont on se sert. Il y a foi et foi. Rien ne sert de confondre une homonymie avec une proximité quelconque. Connaître l'autre ne signifie pas le réduire à soi. Les grands humanistes qui veulent réduire toutes les religions au même schéma vaguement chrétien montre surtout leur mépris du fait religieux, leur ignorance des religions, leur incapacité à les respecter telles qu'elles sont.

C'est d'abord parce que Leibowitz se présente aux chrétiens comme le tout autre qu'il leur apparaît comme infiniment respectable. Sans leur donner aucune tentation de baptême forcé ou de reductio universi ad Christum. Mais en manifestant sa pensée comme une sorte de parallèle altière, que l'on ne rejoint jamais, mais qui doit bien s'élancer dans la même direction.

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