La nouvelle nous accable. Le 24 août, entre 11 heures et midi, Yves Amiot, qui a été un des grands soutiens de Monde & Vie, est parti rejoindre Celui qu’il avait voulu servir. Le cancer dont il souffrait ne lui a laissé aucune chance. Il s’est battu. Comme un lion. Mais la maladie a fini par l’emporter.
Né en 1934, il était encore dans l’ardeur et les projets d’un jeune retraité. A Bordeaux, au pays de sa femme Thérèse, il a dû rendre les armes et, provisoirement, laisser le dernier mot à la mort.
Il l’avait vu venir de loin, la camarde, et il l’avait accueillie avec simplicité, non avec je ne sais quelle résignation pieusarde, mais tel qu’il était, en combattant, décidé à mettre tout en œuvre, même si cet ultime effort ne devait servir à rien. Simplement parce qu’il le fallait.
Ceux qui ont eu le privilège de connaître et d’approcher cet homme de plume qui était aussi un homme de guerre, un militant dans le sens le plus noble du terme pourront penser qu’il cultivait une sorte de stoïcisme altier, parce que « c’était un dur ». Je crois vraiment que c’est ne rien comprendre à celui qui, après avoir été l’un des fleurons de la célèbre garde de Saint-Nicolas du Chardonnet, a mis momentanément entre parenthèses sa carrière d’écrivain après son septième roman, en prenant la direction du mensuel Le Chardonnet, avant de fonder, à l’usage des catholiques perplexes, l’association laïque Sensus fidei. Pudique comme on ne l’est plus aujourd’hui, Yves Amiot n’était pas un dur, mais un tendre, cachant sous une façade volontiers marmoréenne, une intensité émotionnelle, qu’il ne communiquait qu’au petit nombre de ses plus proches. Je me souviens de ce jour où je suis venu le voir à Bordeaux, justement. C’est avec fierté, comme devant un ami, qu’il m’introduisit au sous-sol de sa demeure et me montra les reconstitutions de batailles célèbres, auxquelles il se livrait à ses moments perdus. Je me souviens de son ton détaché. Je me souviens de son émotion rentrée. Il l’a exprimée, cette émotion d’un historien qui fait corps avec son sujet, dans le livre qui est sans doute le plus beau des neuf romans qu'il a publiés : Le Cavalier Rampin (Flammarion, 1991). Il écrivait, parlant des champs de bataille du passé : « Rien ne ressemble davantage à un terrain vague de banlieue lépreuse, livré à la décharge publique et à toutes les déprédations. Il faut consentir à un effort exceptionnel d’imagination pour que ressurgissent les images mentales des scènes, des drames qui s’y sont déroulés. Mais un simple incident, un objet retrouvé, un regard posé sur une perspective évocatrice suffisent parfois pour que le sortilège se produise avec une intensité émotionnelle inattendue et que renaisse un monde disparu, vibrant de bruits et de fureur ». Dans Bonaparte ou la fureur de vaincre, il a montré à quelle intensité incandescente il pouvait atteindre dans la reconstitution minutieuse des champs de bataille du passé, non pas seulement par la précision des renseignements d’histoire militaire qu’il avait collationnés mais par la largeur de son information qui restitue aussi la dimension humaine et le dessein géopolitique de son héros. Les hautes fonctions qu’il occupa dans telle grande banque française, au moment critique des nationalisations, lui avaient donné l’habitude des vastes perspectives. Son association Sensus fidei cultive, dans la terrible crise présente de l’Eglise, une hauteur de vue peu commune, reposant sur le jugement qu’il savait porter sur les hommes. L’avènement de Benoît XVI avait suscité en lui une grande espérance ; la réélection de Mgr Fellay pour 12 ans, à la tête de la Fraternité Saint-Pie X, laissait sceptique cet admirateur inconditionnel de Mgr Lefebvre. On lui en a voulu de faire état publiquement de ses interrogations. La profondeur de son engagement, la liberté de sa foi le lui commandaient, plus encore que son amitié pour tel ou tel d’entre nous.
Mais revenons à Napoléon. Yves Amiot n’était pas bonapartiste au sens où on l’entend habituellement mais il aimait chez Bonaparte cet arc tendu d’une volonté qui ne sait pas plier. On retrouve ce trait chez tous les héros de ses romans, qui, chacun pour leur part, cultivent ce sens de la décision, ou comme il l’écrit lui-même quelque part « cet instinct venu du fond de l’histoire qui arrache le combattant à lui-même, c’est-à-dire à l’amour de la vie ». Avec beaucoup de retenue, sans le moindre exhibitionnisme, Yves Amiot croyait à la puissance de la vie intérieure. Il citait volontiers ce mot étonnant d’Ernest Renan, qui décrit si bien ce qu’il voulait cacher : « L’homme qui, un instant, s’est assis pour réfléchir sur sa destinée, porte au cœur une flèche qui ne s’arrache plus ».
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