Cher webmestre à plein temps, qui vous dites intégriste de (certains) dimanches, l'Ouvrier du pain (ainsi se désigne-t-il) me posait, voici quelques jours déjà, une question abyssale sur le Forum catholique, une question qui met en question... le dimanche.
Au nom de considérations très justes sur la nécessité où nous sommes de travailler toujours plus (il y a en France deux catégories de personnes : celles qui ne travaillent pas et celles qui travaillent toujours plus), ce jeune Rastignac qui ne doute de rien (je lui dis cela avec beaucoup d'affection) insiste pour que nous abandonnions les liturgies interminables du dimanche matin et que nous nous mettions à lire la Bible. Après avoir rationalisé le travail pour le rendre toujours plus productif, il pense rationaliser le culte pour le rendre plus efficace. Voici sa question in extenso :
Au nom de considérations très justes sur la nécessité où nous sommes de travailler toujours plus (il y a en France deux catégories de personnes : celles qui ne travaillent pas et celles qui travaillent toujours plus), ce jeune Rastignac qui ne doute de rien (je lui dis cela avec beaucoup d'affection) insiste pour que nous abandonnions les liturgies interminables du dimanche matin et que nous nous mettions à lire la Bible. Après avoir rationalisé le travail pour le rendre toujours plus productif, il pense rationaliser le culte pour le rendre plus efficace. Voici sa question in extenso :
Bonjour, monsieur l’abbé de Tanoüarn,
Ma question va vous paraître surprenante ainsi qu’à l’ensemble du Forum mais surfant depuis un an sur cette toile j’ai découvert en le Forum Catholique, « un lieu de débat entre catholique ». Que personne ne se choque tout reste du débat.
J’ai beaucoup réfléchi sur l’impact qu’à la vie sociale moderne sur notre vie de chrétien et en particulier de catholique romain. Nous somme entrés dans l’ère de l’homonuméricus ainsi le développement du télétravail ainsi que l’internationalisation du travail, des échanges et de vie professionnelle rend « le territoire » disons traditionnel exigu, insulaire et inadapté à l’épanouissement de l’individu dans la société. La vie professionnelle est de plus en plus exigeante de même pression et stress sont les décors quotidiens des travailleurs. « Travailler plus pour gagner plus » devient le crédo du XXIe siècle. Parallèlement on vit plus vieux et on est mieux soigné. Le travail pénible disparait par la robotisation et le machinisme. Le travail du dimanche devient de plus en plus souhaitable dans une France endettée en quête de relance économique.
L’homme n’a plus besoin d’un jour de repos comme aux temps médiévaux ou après « six jour de labeur » dans les champs ou dans les ateliers il était moulu. De plus les possibilités du travail en astreinte ainsi que en télétravail développent une nouvelle culture du travail dont les congés et jours fériés deviennent archaïques. Dans la culture dominante l’homme n’a ni la culture ni le temps de se consacrer à un rite qui le dépasse (Messe St Pie V).
Nous sommes dans le monde de la flexibilité. L’homme est à la recherche de ses origines et Dieu est sa quête hors cela ne passe plus par la Messe comme jadis mais par la libre lecture des textes sacrés (Bible, St Evangile). Après la levée des excommunications des évêques traditionnels celles de Calvin et Luther seraient les bienvenues.
En effet, réconcilier les catholiques avec les protestants permettrait de donner une armature à la Rome Chrétienne sans précédent en la réconciliant avec la modernité qu’elle a manqué au XVe siècle. Les protestants sont adaptés à la vie du XXIe siècle : ils se sont débarrassés depuis cinq siècles du carcan dogmatique des messes dominicales (pardonnez moi ces propos dur) et ont fondé leur Foi en NSJC sur l’essentiel : la lecture des St Evangiles pour vivre sous l’exemple du Christ.
Qu’en pensez-vous ? Cordialement, merci.
Ouvrier du pain
Merci du ton très direct de vos questions. Il me semble que, au milieu de diverses analyses, vous en posez particulièrement deux. La première : à quoi sert une liturgie le dimanche ? La seconde : Pourquoi ne pas se rapprocher des protestants ?
On sent que ces deux questions sont motivées chez vous par un profond amour de l'Eglise et par une attention à l'homme dans sa vie concrète. Il y aurait beaucoup de réponses à vous apporter. Je me contenterai de tenter de vous dire l'essentiel.
Le dimanche ? Dans les 10 commandements Dieu insiste déjà pour qu'un jour lui soit consacré, jour où l'on ne travaillerait pas. Chez les juifs, c'est le dernier jour de la semaine : le samedi. Chez les chrétiens, c'est le premier, en l'honneur de la Résurrection du Christ qui a eu lieu, comme disent les Evangiles, à l'aube du premier jour de la semaine.
Un jour de repos, cela fait travailler moins. Mais je crois que cela permet de travailler mieux, au moins si l'on sait faire du Jour du Seigneur non pas le morne dimanche d'hiver que nous passons aujourd'hui mais vraiment dies dominica, le jour du Seigneur, jour de joie. Voilà une application du slogan publicitaire qui illustre en ce moment la marque FIAT : Moins c'est mieux !
Pourquoi la liturgie ? Les prêtres aujourd'hui justifient la liturgie en insistant sur le fait qu'elle permet de "faire communauté" ou de "réunir l'assemblée chrétienne". Je crois que c'est un motif insuffisant. Ce motif seul vous donnerait raison : mieux vaut lire la Bible chacun à son rythme que de faire communauté pour le principe.
En réalité, la liturgie c'est toujours cette prière qui n'est pas la sienne, mais celle de l'Eglise et donc celle du Christ lui-même. Pourquoi y a-t-il des rites ? Pourquoi y a-t-il des règles ? Pourquoi l'Ordinaire ? Pourquoi le propre ? Parce qu'à l'origine, la liturgie n'est pas une prière personnelle, humaine, trop humaine. Comme dit très joliment ce grand protestant qu'est Karl Barth : "La grâce c'est l'obéissance". Entrer dans une liturgie, c'est... obéir pour recevoir la grâce. Mais parler ainsi, c'est indiquer la puissance de la liturgie traditionnelle, beaucoup plus précise et normée que l'autre. La connaissez-vous ?
Quant à la Bible, personne ne vous empêche de la lire. Mais cette lecture est difficile. Le drame du protestantisme, lorsqu'il s'est contenté de la Bible, c'est une forme d'intellectualisme, très sensible dans un pays comme la France.
C’était déjà le débat qui existait au début du XVIème siècle entre mon cher Cajétan et Luther. Ils aimaient la Bible autant l’un que l’autre, mais pour Luther il suffisait d’une lecture pneumatique ou charismatique de l’Ecriture . Dans chaque famille chaque père de famille sachant lire devait enseigner l’Ecriture. Pour Cajétan, en revanche, la vérité du texte biblique nécessite de connaître la culture biblique à laquelle la théologie nous introduit et les langues sacrées (il apprend l’hébreu et le grec à l’âge de 60 ans et il aura le temps de commenter presque toute l’Ancien Testament selon la veritas hebraïca, comme il disait). Remettre une Bible à un père de famille lambda, c’est ouvrir la porte à tous les subjectivismes et s’exposer à des lecture décontextualisées, trop littérale au mauvais sens du terme. Et surtout c’est s’enfoncer dans tout un tas d’analyse particulière, en perdant de vue la synthèse du catéchisme et de la théologie. La foi analytique qui en ressort risque d’être une foi parcellaire et remise à chaque subjectivité.
Cher Ouvrier du Pain, votre recherche de rentabilité ou de productivité religieuse devrait vous aider à comprendre qu’on apprend plus vite dans le catéchisme qui fait la synthèse que dans la Bible, où Dieu, en 1000 ans d’histoire, pose les jalons de la révélation de Jésus Christ.
Mais le catéchisme lui-même ne suffit pas. Les connaissances ne suffisent pas. La foi seule ne suffit pas. Ce qui doit épanouir notre réponse à l’invitation du Seigneur, c’est de vivre dans « la foi active par la charité » (Gal. 5, 6).
Où donc puiser cette foi qui nous fait aimer ? Où découvrir cet amour qui nous fait agir ? La messe est la représentation efficace (ou sacramentelle) du Mystère de la foi et de cette effusion de charité qui fait dire au Christ : Ceci est mon Corps, Ceci est mon sang versé pour vous et pour une multitude en rémission des péchés.
Au moment de l’élévation, deux sentiments nous habitent et peut-être nous submergent : l’adoration de Jésus présent et la gratitude pour le pardon de nos péchés dont il nous offre le gage en laissant à notre portée son corps et son sang.
L’adoration d’abord. Adorer ne veut pas dire « aimer beaucoup », comme l’usage courant nous fait dire : j’adore le chocolat. Adorer signifie s’anéantir devant la Plénitude divine. C’est dans l’abime de l’adoration que naissent les grandes résolutions et les grandes ambitions spirituelles.
Le pardon ensuite. Le sacrifice de la messe nous rend Dieu propice comme on disait autrefois non sans raisons. La participation à la sainte messe est comme le carton d’invitation que nous recevons pour la fête éternelle en Dieu.
Assister à la messe ne signifie pas participer à une session de formation chrétienne. Assister à la messe signifie nous mettre en route vers le Seigneur. Commencer l’œuvre de notre transformation intérieure. Entreprendre notre conversion. Bref : agir. Commencer à agir en chrétien.
Aucune lecture de la Bible, si attentive soit-elle, ne vous offre l’équivalent.
Merci encore à Ouvrier du Pain du caractère direct de ses questions. Aux prochaines !
Merci Mr l'abbé G. De Tanouârn. Je passerai d'ici un mois à votre Centre St Paul pour y assister à une messe peut être dominicale.
RépondreSupprimerVous avez bien répondu à la question qui n'était pas pour moi mais pour nos concitoyens agnostiques.
Amicalement,
Je me permets très modestement de compléter le texte de M.l'abbé sur la messe du point de vue de participant plutôt que célébrant:
RépondreSupprimer"assister à la messe" c'est aussi toucher à quelque chose qui n'est pas de ce monde, se sortir un instant de la semaine de cette matérialité immédiate qui nous entoure et entrer dans une autre dimension, où rentabilité ni retour sur investissement n'ont pas cours (et encore, sans vouloir juger, certains en effet accomplissent les "rites" pour gagner leur place au ciel comme s'ils établissaient le bilan de leur entreprise actif/passif, assets/liabilities...)
Or, il s'agit de s'extraire de cette réalité pendant une heure , cela fait du bien, cela devient une nourriture nécessaire et en perd cet aspect de "devoir" que nous avons souvent vécus comme une contrainte en tant qu'ados voire adultes justement n'accomplissant que le devoir, sans ressentir cette autre dimension, ce besoin de se couper un instant du monde, de ce monde dont le Royaume du Christ n'est pas et entrer dans cet autre; enfin, l'aborder à peine, mais déjà tout une différence!
La messe calme aussi, permet de se poser, surtout la messe StPV où il y a des silences, où l'on peut lire les textes du missel ou juste se laisser porter par le mystère qui s'accomplit sur l'autel.
Je ne rentre pas dans la signification théologique de la messe, expliquée par M.l'abbé.
En fait la messe c'est POUR NOUS, pour les hommes, on pourrait se demander si Dieu en a vraiment besoin, c'est plutôt encore un don à l'homme,encore une grâce qui permet de maintenir contact avec Dieu par la rencontre personnelle dans l'Eucharistie. Je ne dis pas sentir quelque chose de surnaturel, non, pas de vision, pas de voix, pas de rêves exaltés (laissons cela aux mystiques), c'est juste ce calme, cette sortie du matériel, cette impression de toucher à AUTRE chose qui dépasse cette réalité immédiate.
La lecture de la Bible chez soi ne permet pas ce contact avec une parcelle du divin.
J'espère que ce n'est pas trop pontifiant, mais difficile d'expliquer pourquoi soudainement on ne s'ennuie plus à la messe... En fait il faut peut-être avoir souffert pour trouver la paix dans cette transcendance qui dépasse ce qui nous entoure ?
L'Ecriture sainte et la liturgie ont chacune leur rôle dans la vie du chrétien. Les questions intéressantes d'Ouvrier du pain à ce sujet renvoient notamment au lien essentiel qui les unit : le Verbe, "in principio" selon saint Jean. Ainsi le témoignage des prophètes et la parole des évangélistes sont-ils indispensables à notre raison. Mais ce verbe biblique n'est qu'un écho du verbe premier, le Verbe créateur. Or, ce Logos divin a cette vertu extraordinaire de rendre le silence lui-même terriblement éloquent. C'est à une réceptivité de cet ordre que nous invite l'instrument liturgique.
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