vendredi 13 janvier 2012

Réponse à l'abbé Contat sur Vatican II

Cher Alain, je suis au regret de vous décevoir, de vous inquiéter, de vous... agacer, mais je crois que sur le concile Vatican II nous sommes d'accord fondamentalement l'un avec l'autre. Nous nous entendons pour dire que le problème n'est pas de nature théologique. Vous ajoutez que le problème n'est pas magistériel : tout à fait d'accord. C'est bien pour cela que nous pouvons parler des choses avec une totale liberté : le problème est d'origine philosophique. Allez donc empêcher des philosophes de... dialoguer. Depuis Socrate, depuis l'Académie, depuis les péripatéticiens, depuis le Jardin et l'apologie que fait Epicure du Crottin de Chavignol, on ne peut pas ne pas discuter si l'on est philosophe. On discute du Crottin de Chavignol ou bien du tournant anthropologique, mais on discute.

Vous écrivez quant à vous : "Le problème n’est donc pas magistériel ; il est philosophique et théologique, esthétique aussi, comme l’ont bien vu les critiques attentifs de la « contre-culture » post-moderne, depuis Hans Sedlmayr jusqu’à Alain Besançon, et aussi Jean-Louis Harouël. C’est là-dessus que nous devrions diriger notre attention et notre énergie intellectuelle - elles sont limitées, car nous ne sommes pas des anges - , et non pas sur une vaine critique, toujours recommencée et toujours stérile, de Vatican II".

Sur le côté esthétique du pb, je crois que tel évêque que je ne nommerais pas, demandant à ses diocésains d'aller voir Le concept de visage du Christ de Castellucci "comme on va au catéchisme" marque bien que le Post-concile pose des questions esthétiques hurlantes que l'on ne se serait jamais posées auparavant. Imaginer le visage du Christ dans la m... (des grenades lancées par des enfants conduits par l'auteur du sketch), il faut avouer qu'avant le Concile on n'y aurait jamais vu qu'une forme de sacrilège. Qu'on puisse considérer cela comme du catéchisme... C'est sans doute un effet du tournant anthropologique.

Mais trêve de plaisanterie. Cher Alain, vous me demandez de cesser "une vaine critique, toujours recommencée et toujours stérile de Vatican II". Et sur ce point aussi, je vous donne raison. Le drame de la Minorité conciliaire c'est qu'elle est au mieux une force de blocage, jamais une force de proposition. Il y en a (dans tous les camps d'ailleurs, en particulier dans le camp dit "progressiste") qui s'obstinent à refaire le match. Dernier en date le Père Joseph Moingt dans un bouquin qui de mémoire doit s'appeler Croire quand même (Mon Dieu ! Quand même). Il faut arrêter de refaire le match et il faut remettre Vatican II dans son contexte idéologique, celui des 30 Glorieuses.

Lorsque j'énumère quatre points (le symposium de Paris en avait compté huit),  je ne dis pas que ces quatre points sont présents à toutes les lignes du Concile ! Grand Dieu : non ! Je prétends seulement que l'époque où a été écrit ce long cours de catéchisme de persévérance marque la rédaction de textes conciliaires qui théologiquement sont parfaitement orthodoxes pris dans leur ensemble de quatre longs stigmates qu'il faut découvrir au fur et à mesure dans le texte. J'ai fait court. On peut améliorer la rédaction, préciser le trait, nuancer les contours, référencer surtout et je vais m'y atteler dans les jours qui viennent. Un exemple immédiat ? Jean-Paul Mestrallet me demande de ne pas parler de "progressisme" à propos du Concile mais d'évolutionnisme optimiste et volontariste". Je le remercie car je crois qu'il détermine très bien ce que j'ai appelé "progressisme" un peu vite en pensant à Emmanuel Mounier et à Teilhard de Chardin. Cet atmosphère d'évolutionnisme optimiste et volontariste est typiquement celle de Gaudium et spes, je le montrerai. Mais on peut aussi rattacher à cet état d'esprit le n°8 de Dei Verbum sur la tradition qui évolue sans cesse ou bien encore l'ensemble de la Constitution Sacrosanctum concilium quand il est question de la nécessaire "adaptation" du rite au public nouveau qui se presse désormais dans les églises. J'y reviens très vite.

A côté de ces quatre points, dans la conférence de mardi dernier, j'ai cité trois points qui n'ont pas été suffisamment développés avant le Concile et qui sont trois pistes à explorer très vite. Le Postconcile s'y est essayé. Je vous les donne ici en vrac pour que vous compreniez que je ne suis pas un esprit systématique, qui aurait une fois pour toutes pris position "anti". Il s'agit de la question de la place de l'homme dans l'univers et de l'anthropologie chrétienne, du rôle des laïcs dans l'Eglise (seule la lettre de Summorum pontificum est fidèle à l'intuition laïque du Concile, c'est drôle mais c'est ainsi), enfin la question de la catholicité (de l'universalité) concrète de l'Eglise, à laquelle sont ordonnés tous les hommes selon diverses modalités. Ca aussi c'est du boulot, et ça c'est de la théologie pour le coup.

Quant aux quatre points que j'ai énumérés (voir Vatican II, réponses), on les trouve aussi avant et en dehors du Concile. L'exemple que vous donnez Alain sur la diffusion des thèses de Karl Rahner dans l'Eglise de Pie XII (plus encore peut-être que dans l'Eglise de Benoît XVI) est très significatif. C'est de cette imprégnation humanitariste qu'il nous faut librement parler. Pas pour critiquer systématiquement. Pas pour s'opposer aux personnes. Mais pour sortir du trou. C'est-à-dire pour proposer d'autres interprétations du christianisme plus vivantes c'est-à-dire plus fidèles à la lettre de la Révélation telle qu'elle nous est donnée dans l'Ecriture et telle qu'elle nous est enseignée dans la Tradition. L'Eglise se développera de nouveau dans nos pays quand elle aura retrouvé son code génétique.

Sur le désir naturel de Dieu, sur l'anthropologie chrétienne, sur la destinée humaine, sur l'universalité de l'Eglise à l'heure de la mondialisation, nous avons des choses à dire. Il ne s'agit pas de répéter de façon stérile des théologiens qui ont fait leur temps (eh oui...). Il ne s'agit pas de s'enfermer dans un psittacisme critique sans âme et sans enjeux. Il faut que la tradition catholique (qui est la force culturelle la plus riche du monde) redevienne une force de proposition. Pas seulement ce que j'appelais il y a quinze ans une instance critique, mais une lampe plongée dans la nuit de notre avenir chrétien.

Je compte bien revenir sur chacun des quatre points que j'ai énumérés dans les prochains jours.

6 commentaires:

  1. Certes, Monsieur l'abbé, mais vous n'avez pas répondu à l'objection qui vous avait été faite dans un commentaire précédant celui de Monsieur l'abbé contat et dont l'auteur remarquait que le salut était un problème théologique, ce que vous ne parvenez pas à contredire en disant que le christianisme, dont le salut ne serait plus un enjeu, serait ravalé au rang de simple sagesse, donc aurait rétrogradé de la théologie à la philosophie. C'est quand même une sagesse où serait contenue une idée de salut. Ou bien il faudrait expliquer en quoi le salut est le prolongement philosophique de la sagesse. Et toujours s'atteler à répondre aux mêmes questions:

    "de quoi l'homme a-t-il besoin d'être sauvé et en quoi est-il manifeste qu'il l'est effectivement? a-t-on des preuves naturelles du salut comme on en aurait naturellement de l'existence de Dieu?"
    Je laisse l'abbé Contat vous opposer que, pour

    RépondreSupprimer
  2. Je voudrais croire que nous voilà d’accord sur le principe : le problème ne vient pas du Magistère en tant que tel, étant bien entendu que les textes de Vatican II en font partie. Il en résule que la doctrine qu’ils proposent requiert, de manière proportionnée à son objet, l’un des trois types d’assentiment indiqués dans le motu proprio Ad tuendam fidem du 18 mai 1998 : la foi théologale pour les vérités que l’Église enseigne comme divinement révélées ; l’adhésion à tous et chacun des points de doctrine que le Magistère énonce comme définitifs ; et la « soumission religieuse de l’intellect et de la volonté » aux enseignements non définitifs. En théologie thomiste, ces trois paragraphes relèvent respectivement de la foi théologale considérée en tant que telle ; puis de la foi théologale en tant qu’elle est médiatisée par l’Église (un type d’assentiment qui nécessiterait d’ailleurs une sérieuse étude de théologie fondamentale) ; en enfin de la vertu de religion. Pourquoi ce rappel dont vous excuserez le côté scolaire ? – Parce que la réception d’un concile œcuménique est chose grave pour un catholique, même si le genre littéraire dans lequel Vatican II s’est exprimé diffère de celui des conciles antérieurs. Il y a là beaucoup plus qu’un « catéchisme de persévérance » : un prêtre qui assume un office ecclésiastique, un professeur qui enseigne dans une université pontificale ou catholique, s’engagent par serment, vis-à-vis du Magistère de l’Eglise, à lui donner, selon que l’exigent les textes, l’un de ces trois types d’assentiment. Le moindre de leurs devoirs, c’est d’être honnêtes avec leurs consciences aussi bien qu’avec l’Église !
    Mais, direz-vous peut-être, l’Église n’est pas une caserne prussienne, et ces trois degrés d’assentiment doivent procéder de l’intelligence, ce qui ne se peut sans une théologie en laquelle s’incarne, pour ainsi dire, l’obéissance de foi ou de religion que je viens de mentionner. L’observation est juste, et c’est pourquoi il me semble que l’adhésion à Vatican II soit s’accompagner d’un effort d’intelligibilité : credo ut intelligam. Et s’il est vrai que comprendre, ou du moins recevoir, c’est unifier, nous devons chercher le principe d’ordre qui permet d’ordonner ensemble les textes de Vatican II. Pour ma part, je le vois dans la théologie de la participation, qui est particulièrement visible dans les huit premiers numéros de Lumen Gentium. C’est à partir de là que les nouveautés de ce concile prennent leur sens. Les éléments de sanctification opérant dans les églises et communautés séparées (LG 8 et UR 3) ? Ils participent à la plénitude des moyens de salut qui ne se trouve que dans l’Église catholique, en laquelle « subsiste » l’unique Église du Christ. L’accroissement de la perception des choses et des paroles transmises (et non des choses elles-mêmes !), qui semble vous gêner en DV 8 ? C’est la participation croissante du corps ecclésial aux richesses du mystère révélé, grâce à ce que chaque génération transmet de durable aux générations suivantes. La liberté civile en matière religieuse, le fameux DH 2 ? Elle souligne la transcendance de la personne humaine par rapport à la fin propre de l’État, et préserve ainsi le sujet de la participation à la vie divine de toute interférence étatique dont le motif, mauvais ou même bon, serait autre que celui des vertus théologales. Et l’intention profonde de la Constitution Sacrosanctum Concilium – celle que veut l’Esprit-Saint - ne fut-elle pas (je mets un passé simple, non un présent, ni un imparfait…) de rendre le peuple fidèle davantage participant aux mystères du Christ que célèbrent la messe et les sacrements ? Le motu proprio Summorum Pontificum vous donne acte, autant qu’à votre serviteur, que la mise en œuvre effective de la réforme liturgique « a souvent porté à des déformations de la Liturgie à la limite du supportable ». Cela rend-il caduc le dessein de la constitution conciliaire ? [à suivre]

    RépondreSupprimer
  3. [suite du précédent message] Une fois, et une fois seulement que l’on a reçu le Concile, par exemple de la manière que je viens d’esquisser à grands traits - il en est d’autres, telles que la théologie de l’imago Dei -, on peut se poser la question de ses limites. La première condition, pour cela, est une règle élémentaire de logique, je dirais presque d’hygiène : un texte vaut pour ce qu’il dit, et non pas pour ce qu’il ne dit pas. L’on a entendu, et l’on entend toujours tant de procureurs improviser des procès d’intention à l’encontre de tous les actes de l’autorité ecclésiale depuis 1958, qu’il n’est pas inutile de le rappeler. La seconde condition, qui porte sur ce que les textes disent, c’est Jean-Paul II qui nous l’explique dans Fides et ratio, au numéro 95 (que je traduit directement du latin, n’ayant pas la version française sous la main) : « la question se pose de concilier la nature absolue et universelle de la vérité avec l’inévitable conditionnement historique et culturel des formules qui l’expriment. Comme je l’ai dit précédemment, les thèses de l’historicisime ne sont pas défendables. En revanche, l’usage d’une herméneutique ouverte à l’instance métaphysique est en mesure de montrer comment, à partir des circonstances historiques et contingentes dans lesquelles ces textes ont mûri, s’accomplit le passage à la vérité qu’ils expriment, au-delà de ces conditionnements ». Je suis surpris - dans une certaine mesure… - que les intellectuels tradilandais ne se réfèrent pas davantage à ce passage, qui vaut pour Vatican II aussi bien que pour Chalcédoine ou Trente. Il nous permet en effet de distinguer, dans les documents conciliaires, le texte et le contexte, et donc de recevoir pleinement et sincèrement le premier, tout en relevant l’incidence du second. En ce sens, une certaine mise à distance de Gaudium et spes, par exemple, peut être nécessaire, mais - j’y insiste – à condition de recevoir l’anthropologie biblique des nn. 12 à 18, qui est comme le noyau de ce document. Cette lecture, subordonnée à celle du Magistère lui-même, évite la contradiction surréaliste que suggère votre métaphore du virus, celle d’un corpus doctrinal à la fois orthodoxe et immunodéficient.
    Recevoir le texte, sans oublier l’interprétation authentique du Concile par le Magistère postérieur au Concile ; marquer, ou démarquer le contexte ; la troisième tâche, ce serait la critique de « l’herméneutique de discontinuité », ce qui passe, comme vous le dites très justement, par l’examen de ses présupposés philosophiques. Gilson, que vous n’aimez pas, dès 1939 ; Fabro, en 1974, ont démonté la mystification du « thomisme transcendantal ». On ne les a guère écoutés. Aujourd’hui, pourtant, les forces vives, et jeunes, de l’Église sont beaucoup moins sensibles aux sirènes rahnériennes. Paradoxalement, le moment est donc beaucoup plus favorable pour une critique intelligente de la modernité, et des théologiens du compromis historique avec la modernité, qu’il ne l’était voici cinquante ou soixante ans, au temps de la « théologie romaine ». Saisissons l’occasion ! Il faudrait seulement ne pas confondre Rahner et Lubac, ou, si vous préférez, oublier la signification de la rupture entre « Concilium » et « Communio » en 1969. Voilà quelques conditions, la réception du Magistère étant la première, pour que l’école de pensée que vous représentez avec brio puisse jouer un rôle constructif dans la vie de l’Église en ces temps tourmentés, où les forces antichrétiennes pèsent lourdement.

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour ces échanges !!!
    Continuez, ça nous élève, nous autres lecteurs silencieux, bien loin, bien plus haut que les caquetages-slogans de chapelles, stériles et bassement partisans !
    Encore merci !

    RépondreSupprimer
  5. "ça nous élève"...vous avez tout dit du Métablog, cher Anonyme de 03h18!
    Et on voudrait aussi écouter la musique de Jean-Sébastien, toute la nuit, et tout le jour qui suit...

    RépondreSupprimer
  6. Oui oui Jan ça nous élève en rêve seulement ...et au réveil la chute (du lit)ou le retour au réel risque d'être brutal.

    Car si ces temps sont tourmentés c'est que les actes et les dits du "Magistère" post conciliaire sont confus et peu clairs si bien que l'on se demande si le terme même de "Magistère" a encore un sens après le beau Credo d'un Paul VI trop dénigré.
    La dissertation un peu livresque et bien apprise du père A.Contat est peu réaliste car peu mystique . Elle ne voit pas , cette dissertation, le "duel prodigieux" qui se déroule dans l'Eglise comme institution visible et que le flou théologique ,l'abandon de la métaphysique et donc de la théologie comme science, a livré le texte du Concile Vatican II au contexte d'une société relativiste ,oscillant entre l'individualisme et le collectivisme, abreuvée de consommation et de sciences "humaines" souvent aussi bavardes que stériles .

    Délaissant la science, la métaphysique et donc la théologie pour tomber dans un christianisme piétiste et sentimental ou humanitaire, l'Eglise ou une bonne partie d'entre elle pouvait tt à fait ressembler, au début, à un organisme sain miné par un virus qui en détruit silencieusement les défenses( car un organisme sain a des défenses , une substance,un soi distinct d'un non-soi....)....

    RépondreSupprimer