vendredi 15 mai 2020

Le sacrifice pour l'Eglise : una cum

L'Eglise offre le sacrifice du Christ en union avec chaque prêtre, qui pour consacrer validement le corps et le sang du Christ doit avoir l'intention de faire ce que veut faire l'Eglise.Lorsque la vigilance liturgique de l'Eglise s'émousse,l'institution s'affaiblit en même temps que les cérémonies sont désertées. Il y a un lien intime entre la liturgie et l'Eglise, entre le corps eucharistique du Seigneur et son corps mystique. La prière pour l'Eglise est donc la première des prières liturgiques, elle est soigneusement posée avant toutes autres : imprimis dit l'adverbe latin ; Charité bien ordonnée commence par soi-même. Sans Eglise pas de liturgie et sans liturgie rien qui ressemble à l'Eglise.

Il y a une petite ambiguïté néanmoins autour du mot Eglise. Au départ, conformément à l'étymologie grecque comme au sens de l'hébreu Qahal, l'Eglise c'est la convocation divine qui unit entre eux les fidèles. Elle tire son unité de sa sainteté, c'est-à-dire de l'action divine qui rachète chacun de ses membres, en les établissant comme membre du corps mystique du Christ par la pratique des sacrements., en particulier du premier d'entre eux le baptême. L'Eglise est ainsi essentiellement une société spirituelle, dont l'existence est surnaturelle et dont l'extension est proportionnelle à la foi de ses membres. C'est pour cette Eglise là que l'on prie ainsi au Canon de la messe.

L'Eglise telle qu'elle apparaît aujourd'hui n'a pas changé dans son droit, comme en témoigne le rôle du pape et des évêques. Elle n'a pas changé dans sa foi si l'on s'en tient au Catéchisme de l'Eglise catholique. Mais, selon l'expression de Paul VI, elle a changé dans la conscience qu'elle prend d'elle-même. Elle a changé dans sa prière, elle a changé donc dans sa religion, dans son mode de relation à Dieu. Je voudrais réfléchir à l'exclamation d'un professeur d'ecclésiologie à Rome, s'écriant sans chercher le moins du monde à démontrer ce qu'il avançait tant cela lui paraissait évident : "l'Eglise, c'est comme l'Etat italien". Cette comparaison est intéressante mais, tant qu'à établir des rapprochement entre l'Eglise et telle institution politique contemporaine, je prendrais moi, comme élément de comparaison, non une institution nationale mais plutôt une institution internationale : une ONG. Le risque est de voir l'Eglise devenir une sorte de superstructure spirituelle mondialisée, une institution, une fonction spirituelle mondiale symbolisée par l'homme en blanc du Vatican, mais plus du tout une communauté, plus du tout une convocation divine, plus du tout un corps mystique dont les membres sont tous différents mais ont tous, dans leur vie sacramentelle, le Christ comme tête.

Il me semble que Jean-Paul II avait conscience de cette dérive étatiste de l'Eglise et que ses voyages dans l'univers avaient pour but justement d'affirmer la persistance de la communauté romaine, de la communauté catholique dans le monde. Lors de ses obsèques ou lors de telle Journée Mondiale de la Jeunesse (je pense à Madrid), on a encore touché du doigt la communauté priante, convoquée par le Christ. Pour ce qui est du pape François, il semble qu'il se dédouble. Dans son dernier voyage en Extrême orient, quelle différence y avait-il entre son discours à Hiroshima, froid, diplomatique où il agissait en tant que représentant de la plus puissante ONG spirituelle dans l'univers et la simplicité de sa messe en Thaïlande où il était là, en latin liturgque ou avec des mots simples et immédiatement traduits, pour le peuple de Dieu. Dans l'actualité quotidienne, il faut bien reconnaître que c'est plus Hiroshima que la Thaïlande, c'est une Eglise diplomate qui agit pour la fraternité universelle, une Eglise fonctionnelle, une superstructure  spirituelle qui se fait voir.

Pendant le confinement, les images de François seul sur la Place Saint Pierre au Vatican ont lourdement rappelé, comme par parabole, cette communauté spirituelle autour du pape, dont l'existence s'est trouvée suspendue par la pandémie, mais qui de fait semble en permanence absente des préoccupations de la plupart des clercs, L'Eglise d'aujourd'hui trop souvent s'est transformée en une superstructure obsédée par sa propre réforme et dont on dirait qu'elle fait tout, en tant qu'Etat profond, en tant que Deep state, pour ne pas changer, pour rester ce qu'elle a voulu devenir depuis le XIXème siècle : une administration spirituelle. Eugen Drewermann avait ses raisons, quand il parlait des "fonctionnaires de Dieu".

En tout cas, cette Eglise, instrument de la centralisation et de l'uniformisation spirituelle mondiale, n'est pas l'Eglise pour laquelle nous fait prier le Canon romain. L'Eglise du Christ se caractérise par son appartenance à Dieu (pro Ecclesia tua). Elle revendique une sainteté divine, celle des sacrements dont elle a reçu la garde. Comme elle est sainte, elle est catholique, c'est-à-dire qu'elle parle à tout le monde, elle a devant elle le genre humain tout entier et son arme c'est sa fidélité au Christ, l'absence en elle d'hérésie et de schisme. C'est déjà le sens que donnait au mot catholique saint Ignace d'Antioche, évoquant en 110, dans une de ses lettres, "la sainte Eglise catholique de Smyrne", l'Eglise qui refuse les hérésies et les schismes. Nous retrouvons ces deux adjectifs dans le Canon de la messe : sancta catholica.

Très concrètement, sont garants de cette catholicité ceux qui sont unis (una cum) à cette Eglise-là : en premier lieu le pape, nommé par son nom, qui est, selon un de ses titre, "le serviteur des serviteurs de Dieu" lorsqu'il veille à la catholicité de l'Eglise "dans le monde entier". En second lieu, également nommé par son nom,  l'évêque, Christ dans son diocèse : "là où est l'évêque, là est l'Eglise" disait Cyprien de Carthage : quelle charge ! En troisième lieu : tous ceux qui ont la doxa droite (orthodoxis) , c'est-à-dire qui "ont le culte de la foi catholique et apostolique". Ceux qui ont le culte de la foi catholique et apostolique (remontant aux apôtres) ne changent pas de religion, même si les formes de leur hommage au Seigneur peuvent évoluer. Leur ambition spirituelle demeure la même : le salut du monde. Mais surtout il est suicidaire de séparer le pape des évêques et les évêques des fidèles "qui ont le culte de la foi catholique et apostolique".

Tout est dans cette préposition adverbiale : una cium. Le pape est avec les évêques, les évêques sont avec les fidèles et le pape, les évêques et les fidèles sont avec l'Eglise. Mettre en cause cet Una cum d'une manière ou d'une autre, c'est mettre en cause le dessein divin de salut et son caractère spirituellement contagieux.


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