dimanche 24 mai 2020

Premier Memento

Le Canon de la messe est une véritable prière universelle. Mais contrairement à la prière universelle qui nous fait prier la plupart du temps pour des idéaux abstraits, qui sont universels au sens où ils sont abstraits, la prières du canon nous fait prier pour des personnes concrètes. On vient de prier pour l'Eglise, et en même temps on vient de citer les noms du pape, de l'évêque. L'Eglise a un, l'Eglise a des visages, ceux des chrétiens qui la représentent, soit dans une position d'autorité soit dans une attitude d'imitation du Christ et dans les deux cas, l'Eglise est servante. Le pape lui-même se dit serviteur des serviteurs de Dieu. Il est le plus haut dans la hiérarchie. Il est le premier dans le service.

A cet endroit, on priait aussi naguère pour les rois et les empereurs. Cela a demeuré longtemps en Belgique ou en Angleterre. Pourquoi pas aujourd'hui pour les Présidents ou autres gouvernants ? Les premiers chrétiens priaient pour les empereurs chrétiens. Mais ils avaient prié pendant trois siècles pour les empereurs païens. Lorsque l'on est responsable d'un Etat, on endosse ipso facto, qu'on le sache ou non, qu'on le veuille ou non, une responsabilité surnaturelle. C'est ce que signifiait Pie XII avec sa fameuse formule : "De la forme d'un Etat dépend le salut des âmes". D'ailleurs les apôtres, saint Pierre et saint Paul, ont tous deux recommandé de prier pour les chefs d'Etat parce que "tout pouvoir vient de Dieu" (Rom 13, 1). Lorsque saint Paul emploie cette expression, il insiste sur le fait que même si le pouvoir est détenu par un païen, il comporte en lui-même quelque chose de surnaturel. Saint Pierre, de son côté, plaide pour la même inclusion au chapitre 2 de sa première épître : "Soyez soumis à toute autorité même désagréable". Dyscolis : saint Pierre entend par là les autorités qui seraient persécutrices. Pourquoi ne prierions nous pas officiellement pour Emmanuel Macron ? Pourquoi les Américains ne prieraient pas pour Donald Trump ? Plus que jamais la charge des politiques malgré qu'ils en aient, tient au surnaturel. Elle a rapport au salut des âmes.

Les noms de ces personnes, parmi nos contemporains vivants, étaient inscrits sur des dyptiques, ainsi que celui des bienfaiteurs ou des bienfaitrices, personnellement nommés à l'autel au moment du premier Memento : "Souviens toi Seigneur de tes serviteurs et de tes servantes N. et N." [on cite ici les prénoms de baptême]. On a beaucoup insisté parfois sur l'absence de sexisme, sur ce qui représentait un prodrome de l'écriture inclusive : servant-e-s du Christ. Je ne crois pas personnellement à cette explication antisexiste. Disons que l'Eglise s'intéresse à des personnes, à des visages d'hommes ou de femmes plus qu'à des catégories abstraites. Ca, c'est l'explication théologique. Il faut bien aussi parler d'argent. Ceux qui étaient cités au Canon participaient à la célébration en offrant le pain, le vin, les cierges, les vases sacrés et tout ce qui est nécessaire à la célébration. De façon plus large la formule de saint Paul en I Co 9, 13 est devenue un proverbe dans la langue courante : "Celui qui sert à l'autel doit vivre de l'autel" C'est en ce sens que l'on parle d'honoraires de messe (fixés à 17 euros en ce moment) non pas que l'on puisse acheter la messe, mais le devoir des fidèles est de contribuer à la vie des prêtres dans la mesure où ces prêtres sont à leur service. Les serviteurs et les servantes pour lesquels le prêtre prie à la messe au Memento des vivants représentent tous ceux qui subventionnent le culte ou ceux pour lesquels les donateurs souhaitent prier. Leurs prénoms sont aussi inscrits sur les dyptiques. Au IVème siècle les noms des personnes pour lesquelles le prêtre priaiet étaient souvent annoncés à haute voix. On connaît le coup de sang de saint Jérôme, qui trouvait scandaleux cet étallage de la bonne conscience des donateurs dans son Commentaire de Jérémie (au chap. 11 v. 15). L'argent a toujours suscité des divisions. Dans un rituel lyonnais de 1702, on trouve cette recommanbdation, citée par le Père Lebrun : "Que l'expression du nom des bienfaiteurs ne soit pas vocale mais mentale" Comme dit l'Evangile : "Que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche". Il ne s'agit ni de se vanter ni de vanter quiconque.

Après avoir prié pour les bienfaiteurs et les bienfaitrices, le prêtre prie pour tous ceux qui sont là, image sensible, autour de l'autel, de la communion des saints. De ces gens, qui sont entrés dans l'église à l'heure de la messe, "tu as connu la foi et noté le zèle". J'aime beaucoup souligner le temps en latin : cognita est. Cette foi, elle est là, en chacun, indisponible au regard et aux remarques d'autrui et elle a été connue de Dieu. Qui dira la discrétion bienveillante des véritables assemblée chrétienne, dans lequelles on sait que quel que soit le vêtement ou la mine, Dieu a reconnu son serviteur pour l'attirer dans sa Maison. Chacun des assistants doit pouvoir redire la formule de saint Pierre après qu'il ait trahi son Seigneur ; "Vous savez tout, vous savez bien que je vous aime".

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