samedi 13 juin 2015

Véronique Lévy au CSP

Véronique Lévy s’est convertie ; après un long catéchuménat à Saint-Gervais, elle reçoit le baptême. Son frère Bernard Henry était dans l’assistance. Et très vite (avant même ce jour de son baptême), elle a écrit, elle a voulu décrire le feu qu’elle ressentait... en vers libres, comme autant de méditations devant le Saint Sacrement. Mais à ces poèmes se sont mêlées des réflexions personnelles, des souvenirs, une approche exigeante de sa judéité (“c’est le jour de mon baptême que j’ai découvert ce que signifie être juif”), une action de grâce pour la chasteté. La langue est simple. Véronique va droit au but dans son livre comme devant Jean-Pierre Elkabbach, comme, demain lundi à 20 H 15, dans sa conférence au Centre Saint Paul. Elle dit Dieu, la beauté et la bonté de Dieu, à ceux qui avait voulu l’oublier ou à ceux qui ont du mal à la discerner aujourd’hui dans le monde...

Deux critiques fondamentales de Mgr Lefebvre

Il faut essayer d'être objectif avec le passé, même si c'est impossible avec le présent. Mgr Lefebvre a eu un rôle historique dont il est difficile de majorer l'importance à une époque où l'Eglise semblait renoncer à elle-même. Il a dit NON à ce renoncement. Il a profité d'une génération qui était prête à l'aider dans sa refondation.

Mais il me semble qu'on peut lui faire deux critiques fondamentales : il a confondu dans une même réprobation liberté religieuse et liberté de la conscience. La liberté religieuse c'est le fait pour un Etat de ne pas intervenir dans tout ce qui concerne l'autorité spirituelle. Certes un Etat peut avoir un lien plus particulier avec telle religion, mais il doit impérativement laisser les individus libres de leur choix religieux, c'est cette liberté des personnes qui compte devant Dieu. A Ecône trop souvent, on a confondu cette liberté fondamentale, qui est là depuis le christianisme et à cause de lui et la liberté que Grégoire XVI appelait la liberté de la conscience, (qui n'a rien à voir précisera Pie XI dans Non abbiamo bisogno, avec la liberté des consciences, mais qui se représente l'homme libre de soumettre à son propre jugement critique la révélation de Jésus Christ). Cette liberté, Grégoire XVI a raison d'y voir un délire. Elle est la négation de l'autorité de la révélation et de l'autorité de l'Eglise. Elle représente la destruction de l'Eglise, ni plus ni moins. Le drame du Concile, c'est de ne pas avoir fait les distinctions qui s'imposaient entre liberté religieuse, liberté des consciences et liberté de la conscience.

La deuxième critique porte sur la légitimité du rite nouveau, celui de 1969. Non la FSSPX n'a jamais eu le monopole de la messe dans l'Eglise. Cela est tout simplement impossible.Ces deux questions ont littéralement empoisonné le débat théologique. Ajoutons à cela l'extraordinaire mauvaise volonté de l'Eglise institution à s'ouvrir à des valeurs extérieures à elle et on aura les raisons du succès "en hors piste" de la FSSPX... Vos réactions m'intéressent sur ces deux points.

mercredi 10 juin 2015

Laissez donc vivre Vincent

On ne parle que de lui. Les bonnes consciences ont décidé que cela suffisait et qu'après le rendu de l'avis de la Cour des Droits de l'Homme, il fallait d'urgence cesser d'alimenter Vincent Lambert pour le tuer. Les proches de la famille de Vincent insistent pour qu'on le fasse passer de vie à trépas ou au moins pour qu'on le laisse mourir en le privant d'alimentation et d'hydratation comme cela a déjà été tenté une fois en 2013. Plusieurs de ses proches ont signé une lettre ouverte dans le quotidien Libération en insistant sur le caractère immédiat que doit prendre la décision médicale, alors que le docteur Kariger, qui était chargé de Vincent, vient, lui, de démissionner: "Recommencer la procédure depuis le début ou, pire encore, autoriser le transfert de Vincent constituerait une violation illégale de cette décision. Nous ne laisserions évidemment pas faire cela. La situation est donc juridiquement claire" Ces proches de Vincent soulignent ici qu'ils s'opposeront par tous les moyens à son transfert dans une maison où sont soignés d'autres cas comme le sien (il y en a quelque 1700 en France). Ils veulent en finir et ils sont prêts à faire appel à la force de la loi et du droit pour cela. Savent-ils bien tous ce qu'ils viennent de signer ?

Je crois vraiment qu'il faut commencer par regarder Vincent, tout ce qu'il exprime, son visage, ses yeux, avant de le condamner à mort. Quelle que soit votre opinion regardez d'abord cette vidéo sur youtube. Vous pouvez aussi écouter sa mère qui se confie du fond du coeur sur monde-vie.com.


On peut dire en tout cas que maintenant plus rien ne s'oppose à la pratique de l'euthanasie sur toutes les milliers de personnes en Europe qui se trouvent en état paucirelationnel (temporaire? définitif? Qui sait?)

mercredi 3 juin 2015

Eléments pour l'éloge de Mgr Lefebvre en notre temps

Les vrais amis sont ceux qui ne vous ménagent pas. A propos du texte sur Pierre Nora et Vatican II, un ami qui ne me ménage pas - un vrai - m'a fait savoir qu'il trouvait mon paragraphe sur Jean-Paul II lacunaire. J'ai écrit sur cette Eglise que j'aime, "cette Eglise qui fut sauvé des abîmes de la recherche par un vrai et saint leader à partir de 1978. Il faudra du temps et un travail colossal au pape polonais pour sortir les esprits de ce vertige du doute qui avait saisi jusqu'aux meilleurs. Parfois on avait l'impression (comme au Parc des Princes en 1980) que Jean Paul II était le seul à y croire encore. Il lui faudra presque trente ans, le plus long "pontificat de transition" de toute l'histoire de l'Eglise. Mais sa foi fut communicative. Nous en vivons aujourd'hui, même ceux qui ne veulent pas le savoir ou s'en souvenir". Et je m'attire un mail : "Et Mgr Lefebvre dans tout ça ?"

N'était-il pas, lui aussi, "un vrai et saint leader" ? N'avait-il pas sauvé l'Eglise d'une sorte de nihilisme historique, d'une véritable révolution culturelle, en montrant au monde, dès 1975, qu'il était possible de "continuer". "Je ne suis qu'un évêque qui continue" : je garde dans l'oreille ces expressions, ces formules, proférées dans un aigu toujours un peu assourdi, mais qui montait, avec l'exaspération intérieure de cet homme essentiellement paisible et qui était littéralement la proie de l'évidence qu'il avait mystérieusement été chargé de porter au monde. "notre avenir, c'est notre passé". "Il n'y a pas d'autre Dieu au Ciel que Notre Seigneur Jésus-Christ". Et aussi cette phrase qui concluait le sermon de son Jubilé sacerdotal, Porte de Versailles : "Il n'y a pas de raison que la messe dont j'ai vu les effets en Afrique ne produise les mêmes fruits, ici dans nos pays". Ces formules sont contestables ? Sans doute par un bout ou par un autre, mais elles ont chacune leur évidence, leur poids de vie, elles sont l'expression d'une foi simple, qui déjoue toutes les manières trop humaines, trop diplomatiques de s'exprimer et qui nous ramènent  à l'Eglise primitive, celle des martyrs et des saints.

Ces mots de Mgr Lefebvre (il y en avait d'autres) sont ceux qui m'ont marqué alors que j'étais encore laïc, recevant le catéchisme dont j'ai décrit les responsables (souvent eux mêmes des victimes) dans le post précédent. Ces mots ont réveillé ma foi. A cette époque, au tournant des années 80, il n'y avait que lui pour s'exprimer avec une telle absence d'affèterie, allant droit au but, en des formules qui faisaient mouche, parce qu'elle ne nécessitait aucune culture théologique particulière. Simplement l'expression d'une foi intransigeante dans une époque d'infinie transigeance.

Je vous parle de ce que doit ma jeunesse à ce grand Prélat, à son écoute. Mais je crois que l'Eglise du pape François lui doit beaucoup, même si c'est souvent de manière indirecte. Il faut se résumer ? Il faut s'avancer ? Il faut dire les choses et pas seulement les penser ? Disons-les.

Je vois deux choses du point de vue de la doctrine : d'abord l'importance capitale de la liturgie dans la crise de l'Eglise (liturgie à cette époque souvent négligée dans tous les sens du terme et dont Paul VI lui-même au fond se souciait comme d'une guigne. Il faudra attendre Benoît XVI pour que soit réhabilitée la liturgie dans sa Puissance de communication spirituelle). Mgr Lefebvre citait souvent en latin cette parole qu'il avait apprise au Séminaire français où il était cérémoniaire : "La loi de la prière est la loi de la foi". Dans cette perspective, alors qu'à cette époque depuis 20 ou 30 ans déjà la liturgie part en capilotade, alors que le Concile lui-même a théorisé la notion d'expérience liturgique (dans Sacrosanctum concilium), Mgr Lefebvre cherche à retrouver la Tradition liturgique, celle qui est féconde. Il avait lui-même accepté les changements de rubrique jusqu'en 1967 ; il revient à 1962 et il transmet, seul ou presque seul avec quelques vieux prêtres, ce qu'il appelle "la messe de toujours". Elle est aujourd'hui bien vivante grâce à lui. Elle pourrait être plus présente, elle devrait être plus demandée par les fidèles. Il y a peu de demandes. Ces demandes ont souvent été mal accueillies, les générations passent, le jeunes voient moins l'importance de la liturgie traditionnelle (tout en la découvrant volontiers)...

Il y avait cette conviction pastorale chez Mgr Lefebvre que la pédagogie spirituelle de la foi est aussi importante que la foi, car elle y reconduit... La pédagogie de la foi a moins d'importance aujourd'hui (comme la transmission des savoirs a moins d'importance pour l'Education nationale), et l'on se satisfait volontiers de pédagogies foncièrement approximatives (l'enseignement des laïcs par des laïcs eux-mêmes peu formés, les parcours alpha, les témoignages de vie etc.) et je crois que c'est dommage... Mais qui vivra verra.

L'importance de cette pédagogie spirituelle de la foi renvoie à des enseignements précis, appuyés sur le dogme que l'Eglise a élaboré d'un millénaire à l'autre. Nous ne sommes pas libre face à ces formulations ecclésiastiques de la foi pérenne. Nous sommes libres par les dogmes, nous ne sommes pas libres des dogmes. La critique de cette liberté de conscience, revendiquée par les chrétiens et inscrite en toutes lettres au n°3 de la déclaration conciliaire Dignitatis humanae sur la liberté religieuse est très tôt au coeur du diagnostic que porte Mgr Lefebvre. Il a compris quelque chose de fondamental, il l'a compris avant tout le monde, intuitivement, au Concile déjà, où il tente d'animer contre le texte de Dignitatis humanae tout le Coetus internationalis Patrum dont il est déjà une figure de proue...

Succès limité sur le coup, malgré quatre versions différentes de Dignitatis humanae, qui montrent que les critiques de l'aile traditionnelle ont porté malgré tout. Mais les traditionalistes, conduits par Mgr Lefebvre, n'ont pu qu'émettre des critiques en marge du texte. Ils ne l'ont pas emporté et Mgr Lefebvre a voté contre la version définitive, avec seulement 70 cardinaux (dont certains ont dû voter contre le texte pour des raison opposées aux siennes). La grande majorité a voté pour : comment peut-on être contre la liberté ? Mais deux grands théologiens ont compris la position de Mgr Lefebvre et les enjeux profonds de sa résistance : le cardinal Yves Congar, qui, dans son Journal du Concile explique que Dignitatis humanae "fera perdre trois siècles à l'Eglise" (sic) mais que "cette déclaration est nécessaire" (re-sic). Et puis, deuxième théologien, un certain cardinal Ratzinger, qui le confie dans une conférence qu'il a donnée à Santiago du Chili, quelques jours après les sacres illégaux de 1988. Le Père Congar fera un petit livre sur Mgr Lefebvre et la crise de l'Eglise, qui n'est pas entièrement hostile au Prélat indocile, tant s'en faut. Quant au cardinal Ratzinger, on sait tout ce qu'il voudra faire, reprenant d'abord à son compte cette réflexion fondamentale sur la liberté de croire face à la vérité et puis cherchant par tous les moyens à tendre des perches à la FSSPX, en levant l'excommunication des quatre évêques, malgré les folies certainement mal intentionnées de Mgr Williamson.

Mais revenons à Mgr Lefebvre pour en finir. Il ne s'est pas contenté de parler. Il a agi. Si l'on regarde le long terme, il faut remarquer, non sans ironie, que la Fraternité Internationale Saint Pie X, créée en 1969 est l'une des toutes premières parmi ce que l'on va appeler sous Jean-Paul II les communautés nouvelles. Mieux : intentionnellement (combien de fois nous l'a-t-il expliqué) Mgr Lefebvre s'est détourné du vieux schéma de la communauté religieuse, astreinte aux trois voeux de pauvreté, chasteté et obéissance comme les moines. Et il a préféré un schéma plus souple celui d'une société de Vie Apostolique (SVA), société de simples prêtres et non de religieux, une novation post-conciliaire qui fera florès jusqu'aujourd'hui, et dont il a été un des précurseurs.

jeudi 28 mai 2015

Pierre Nora, Alzheimer et Vatican II

Pierre Nora est une figure parmi les intellectuels français. Il a beaucoup réfléchi sur le passage de l'histoire à la mémoire, avec son étude les "Lieux de mémoire". Il est aussi le fondateur de la revue Le Débat, revue consensuelle au noble sens du terme, au sens de l'humanisme, de la culture et de son droit d'examen sur toutes les réalités politiques, sans tabou. Il a donné un entretien à Vincent Trémollet de Villers dans le Figaro. Evoquant les nouveaux programmes d'histoire, il n'y va pas avec le dos de la cuiller : "Nous sommes face au péché de moralisme et d'anachronisme où Marc Bloch voyait la pire dérive du métier d'historien". Et ailleurs "Si vous perdez la mémoire, vous savez ce qui arrive. L'Alzheimer historique ne vaut pas mieux que l'Alzheimer cérébral".

Est-ce à dire que nous sommes collectivement frappé d'Alzheimer ? "Ma discipline, l'histoire, qui, il y a trente ans, était la curiosité du monde entier, est devenue la cinquième roue de la charrette internationale". La thèse de Pierre Nora n'est pas que l'on se désintéresse du passé mais plutôt que l'on se désintéresse d'avoir un rapport objectif avec le passé. Le passé est mythifié plus que jamais, il consiste en un ensemble de "lieux de mémoire", et, à ces occasions, autour de chaque lieu, il devient le champ clos d'affrontements géopolitiques, qui ne se manifestent vraiment que dans l'enclos symbolique de nos mémoires : mémoire de l'esclavage ou mémoire de la grandeur nationale, conflit des monothéismes, émergence de l'esprit des Lumières, les occasions d'affrontement ne manquent pas. Ces occasions renvoient avant tout au présent, qui semble devoir dicter la représentation que l'on se fait du passé, sans plus de souci d'une histoire sérieuse ou de l'histoire comme discipline scientifique.

Il y a dans cet article une précision concernant le concile Vatican II, qui n'a pas échappé à la sagacité de Jean-Pierre Denis, qui l'a répercuté sur la Toile. Il s'agit d'une phrase : sujet, verbes, complément. Elle est très importante et doit être pesée : "Vatican II a signalé et accéléré une déchristianisation évidente". Tout y est ! D'abord le caractère "évident" de la déchristianisation, aujourd'hui ce n'est plus un objet de débat, comme cela pouvait l'être encore dans les années 80. Personne ne nie la crise et tout le monde sait bien qu'il n'y a pas de recette miracle, que ce n'est pas en disant la messe en français ou en latin qu'on va changer quelque chose à la crise globale de l'Eglise en Occident et que si l'on veut limiter les dégâts il ne faut pas se lancer dans une nième réforme qui coïnciderait avec un nouvel échec, mais qu'il faut plus modestement, comme l'a dit Coluche, et comme le voulait Benoît XVI, "faire deux services".

Mais ce sont les deux verbes qui sont particulièrement importants : Vatican II "a signalé et a accéléré" la déchristianisation. Quand j'étais plus jeune, mon histoire personnelle me faisait penser que Vatican II avait surtout accéléré la déchristianisation. Dans Vatican II et l'Evangile (disponible sur le Net), j'ai essayé de montrer que la théorie de la liberté proposée au n°3 de Dignitatis humanae (et non au n°2 comme on le répète trop souvent) avait contribué à égarer les esprits et qu'au n°1 du même document on proposait une définition de la vérité "index sui", de la vérité sans autorité, qui pouvait très bien convenir au philosophe Spinoza, mais qui devait immanquablement détruire la foi de l'Eglise, en mettant tous les chrétiens "en recherche". Au collège de Passy Buzenval que j'ai fréquenté de la 6ème à la Terminale, tous les prêtres étaient ainsi "en recherche" d'une manière ou d'une autre, soit que la religion reste pour eux une culture d'ailleurs purement personnelle, comme pour notre prof de latin le Père D., soit qu'elle soit devenue une souffrance (le Père R. qui pleurait durant nos cours de religion en 4ème, parlant, avec le cardinal Marty "du prêtre à la recherche de son identité), soit que cela soit une sorte de Continent perdu dont on ne parle jamais en public (comme le Père P. en Première), soit que ce soit un lieu d'expériences, en particulier liturgique (la messe sans formule consécratoire du Père de M.) Sans des familles catholiques solides, on se demande ce qui pouvait être transmis à des jeunes élèves de cette vaste recherche, de cette grande relativisation que l'on nommait déjà "Vatican II". J'ai eu la conviction instinctive en ce temps-là que l'Eglise de Vatican II était stérile.

Aujourd'hui, j'ai pris un peu de distance avec ces terribles années 70, comme toute l'Eglise d'ailleurs heureusement a pu et dû le faire, cette Eglise qui fut sauvé des abîmes de la recherche par un vrai et saint leader à partir de 1978. Il faudra du temps et un travail colossal au pape polonais pour sortir les esprits de ce vertige du doute qui avait saisi jusqu'aux meilleurs. Parfois on avait l'impression (comme au Parc des Princes en 1980) que Jean Paul II était le seul à y croire encore. Il lui faudra presque trente ans, le plus long "pontificat de transition" de toute l'histoire de l'Eglise. Mais sa foi fut communicative. Nous en vivons aujourd'hui, même ceux qui ne veulent pas le savoir ou s'en souvenir.

Et nous pouvons regarder Vatican II, un peu autrement, en rejoignant la deuxième partie du diagnostic de Pierre Nora : Vatican II n'a pas seulement accéléré la déchritianisation, il a eu le courage d'en signaler l'existence, en particulier en appelant à la "participation active" en matière liturgique dans sa première constitution Sacrosanctum concilium. La réforme liturgique a été un échec : elle n'a pas permis d'enrayer la déchristianisation. On peut dire d'elle ce que Pierre Nora dit de Vatican II : elle l'a accéléré. Mais au moins les chrétiens, grâce au Concile, ont été averti de la crise imminente. La fièvre conciliaire a été un thermomètre de cette crise, hélas rien de plus. Mais rien de moins. Je serais tenté de dire comme Benoît XVI à Paolo d'Arcis cet athée médiatique italien qui l'interrogeait sur le Concile : "Vatican II ouvre des pistes". Anticipant sur la mondialisation, à travers Nostra aetate ou Unitatis redintegratio, à travers Gaudium et spes aussi si pacifiste et faisant au n°22 la théologie de ce pacifisme, Vatican II a tenté de comprendre à nouveaux frais la catholicité, l'universalité de l'Eglise, à laquelle tous les hommes sont ordonnés. Quatre ans, en pleines "Trente glorieuses", c'était sans doute trop tôt pour une synthèse apaisée. Au moins effectivement, providentiellement, Vatican II a ouvert des pistes. Il est en cela notre boussole comme beaucoup l'ont répété. Il constitue un gisement de recherche théologique extraordinairement précieux car il a le premier "signalé", comme sans le vouloir, malgré tout son optimisme, ce que la déchristianisation allait avoir d'inexorable.

J'ai bien conscience, moi qui suis né en 1962, que Vatican II appartient désormais au passé de l'Eglise. Le pape François nous le démontre tous les jours. Mais la question que le Concile a posée, les pistes qu'il a ouvertes, demeurent devant nous et il appartient aux théologiens, ils appartient aux Pasteurs de tenter, chacun pour leur part, d'apporter, sans idéologie, sans idées préconçues, avec seulement notre foi nue, des réponse à cette grande question de la catholicité. Elle ne peut pas se poser tout à fait de la même façon à l'ère d'Internet et de la mondialisation que dans les années 60. Mais elle se pose de manière lancinante et l'Homme en blanc dans sa singularité est, dans sa pratique et dans son existence même, pour l'instant le seul (ô paradoxe) qui apporte une réponse à cette question typiquement conciliaire de l'universalité de l'Eglise au XXIème siècle. Oui : de sa catholicité.

En faisant relire ce texte  à l'un de mes anges gardiens, qui m'avait signalé l'article de Pierre Nora, j'ai une première objection : "Vous parlez beaucoup de Vatican II comme accélérateur de crise et vous ne dites pas, de manière convaincante, en quoi il la signale".
- Je réponds : Vatican II signale la crise en se posant des questions que le Magistère avait négligées jusque là, sur le statut des non-chrétiens, sur les catholiques et les chrétiens, sur les athées (quoi que malheureusement sur ce dernier point Gaudium et spes soit un peu faible, indiquant que s'il y a des athées c'est forcément la faute aux catholiques qui sont de mauvais catholiques : au moins la question est posée). Par ailleurs, Vatican II se situe de manière très artificielle pour son époque dans un monde sans guerre froide, sans la bipolarité induite par le communisme international. Mais cette absence de pertinence aux événements de l'époque (crise de Cuba et menace atomique en 1963, en plein Concile) est une "heureuse faute" qui permet au texte conciliaire de trouver un échos dans notre monde dont le communisme a disparu. Je ne prétends pas que Vatican II est prophétique : il ne parle ni ne la colonisation, ni de l'immigration, ni des dégâts du capitalisme international : trop pacifiste pour cela. Mais il parle d'un monde uniforme, dans lequel le christianisme se veut encore et toujours catholique c'est-à-dire universel, ne se résolvant pas à devenir une petite province parmi d'autre dans le développement de l'esprit humain.

mercredi 27 mai 2015

L'Esprit saint, cet Inconnu qui nous fait connaître le salut

"Il vous est avantageux que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas le Paraclet ne viendra pas à vous" (Jean 16, 7). Cette formule du Christ est mystérieuse. Il semble dire qu'il faut qu'il parte pour qu'advienne l'Esprit saint. Dans le magnifique Octave de la Pentecôte (massacré par les liturgistes de Paul VI et qui n'existe plus que dans l'extraordinaire rite que j'ai l'honneur de célébrer), nous lisons aujourd'hui une déclaration absolue du Christ, qui affirme son Unicité : "Je suis la Porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands"(Jean 10, 7). Les deux textes doivent être tenus ensemble pour produire tout leur sens. D'une part, il faut reconnaître qu'il n'y a pas d'autre Porte pour entrer dans le Bercail divin que celui qui est envoyé par le Père pour nous sauver. Le Christ seul nous sauve : "Il n'y a pas sous le Ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel nous puissions être sauvés" (Ac. 4, 12). Mais en même temps, c'est le Saint-Esprit qui, à l'intime de chacun de nos coeurs, opère ce Salut procuré par le Christ. C'est pour cela que le Fils doit en quelque sorte s'effacer pour qu'advienne le Saint-Esprit, second don du Père.

Nous sommes là devant le sens mystique du double mystère de l'Ascension et de la Pentecôte, que la liturgie traditionnelle exprime bien au moment où, le jeudi de l'Ascension, après la lecture de l'Evangile, le prêtre éteint solennellement le cierge pascal, qui était resté allumé, durant chaque messe pendant quarante jours après Pâques, comme un signe des quarante jours que le Christ a passé sur la terre après sa résurrection, "parlant du Royaume de Dieu". Le Christ nous a quitté. Il n'est plus parmi nous. "Le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé fut enlevé au Ciel et Il est assis à la droite de Dieu" dit l'Evangile de saint Marc (16, 19), citant le Credo. Pourquoi FALLAIT-IL que le Christ parte pour que nous soit donné l'Esprit saint ? Il est la Porte des brebis, mais il nous est avantageux qu'il s'en aille... Comment comprendre ? C'est la question que nous pouvons nous poser...

Et nous sommes renvoyé à la Pentecôte, qui n'est pas seulement la fête du Saint Esprit, mais la fête de ce deuxième don que Dieu nous fait : il nous a offert son Fils, nous l'avons tué. Il nous offre l'Esprit saint... si nous le voulons ! Les deux dons sont aussi importants l'un que l'autre et ils se complètent. Il y a dans l'Esprit saint comme une nouvelle incarnation, que la première, absolue, parfaite, semble exclure et appeler tout ensemble. Quand le Christ dit "Je", c'est Dieu qui dit Je. On ne peut pas imaginer union plus intime à la Divinité que cette union personnelle. Et c'est pourquoi elle est unique. Il n'y a qu'un Jésus-Christ. Il ne peut pas y avoir d'autres incarnations en sa présence. Mais dix jours après son départ, le Saint Esprit peut faire de nous d'autres Christ, comme des esquisses inachevées, imparfaites mais partout présentes.