mardi 5 mai 2009

La morale au café ?

Ce soir café philo ? Ce soir café théo ? Ce soir catéchisme ? Non pas vraiment. Tous les premiers lundis du mois, sous la férule d'Anne et grâce à la diffusion Facebook, nous nous réunissons au Carré parisien (rue du général Beuret, ça ne s'invente pas un nom pareil) sur le thème Amour et littérature, un regard chrétien.

Je vais vous faire une confession : j'ai de plus en plus de mal à parler littérature. Ce soir nous donnions une séance en duo, avec Jérôme. La littérature était un peu aux abonnés absents. Le thème? Le désir. L'idée que nous avions? Reprendre les formules de Pierre Boutang dans Apocalypse du désir. Montrer que le nihilisme sur lequel débouche toujours le culte du désir est, dans sa radicalité, une sorte de "préface humaine trop humaine à l'Evangile".

Je passe rapidement sur nos deux conférences, celle de Jérôme parce que je n'ai malheureusement pas pu y assister. Celle que j'ai donnée, parce que je viens de vous en énoncer la substance. L'un et l'autre nous sommes passés de Deleuze, Guattari, Marcuse (pour Jérôme), de Freud (dans Métapsychologie) pour ma pomme à une défense et illustration du christianisme.

La question intéressante qui m'a été posée après la conférence, c'est : mais est-ce que vous n'avez pas l'impression de plaquer le Christ là où il n'est pas nécessaire ? Après tout, me dit-on, "le désir éduqué" (formule éloquente) n'a pas besoin du Christ pour ça. Il s'éduque de toutes sortes de manières.

L'objection m'a laissé un moment sans voix. Et je me suis souvenu que c'était justement l'objection que je faisais à Pierre Boutang lui-même lorsque son livre est paru : risque de fidéisme. La foi débarque dans le nihilisme sans que l'on comprenne trop pourquoi... Pourquoi cette foi là, la foi chrétienne, plutôt qu'une autre ? Pourquoi le Christ plutôt qu'un autre ? Les apologètes rencontrent souvent ce type de raisonnement. Que répondre ?

Eh bien! Je crois que la philosophie aura toujours du mal à répondre. Il faut admettre la théologie dans la discussion. Il faut concevoir l'Evangile non comme un message génialement humain, faisant nombre avec tous les autres messages géniaux que l'humanité a pu porter. Il faut considérer l'Evangile comme le code génétique développé de notre métamorphose.

Le désir, si l'on reprend la description si juste qu'en donne Sigmund Freud dans Métapsychologie, mène à la satisfaction, c'est-à-dire à la disparition du désir, à une sorte de néant (d'où le fameux : post coïtum, animal triste, dont je précise que c'est du latin). En termes théologiques, cela donne : l'animal humain, qui s'est débarrassé des dons préternaturels que Dieu lui avait fait dans le Paradis terrestre, est réduit à sa monstruosité native. Désormais "le salaire du péché, c'est la mort". "Celui qui sème dans la chair récolte de la chair la corruption". Freud, de son côté, dans les Essais de psychanalyse, ne craint pas d'associer Eros à Thanatos (l'amour et la mort). Son pessimisme, qu'il le veuille ou qu'il ne le veuille pas, est foncièrement chrétien.

Qu'apporte le Christ ? Qu'est-ce qui rend le Christ unique et irremplaçable en cette occurrence, qui est... notre destinée ?

Certes, la charité, ce don qui permet au désir de se surpasser dans un objet qui lui survit, peut être pratiqué par des gens qui ne connaissent pas le Christ et qui sont chrétiens sans le savoir et sans le vouloir.

Mais nous ne pouvons être assuré de la victoire finale de la vie sur la mort que par la résurrection du Christ. Elle seule donne à la vie le dernier mot sur la mort. C'est à cause d'elle que le Christ est irremplaçable. Il est le seul à avoir gagné cette bataille. Et Il nous la fait gagner... si nous le voulons.

Tout à l'heure, messe pour une défunte au Parloir chrétien. J'ai pu me pénétrer de nouveau de cette promesse solennelle, qui m'émeut toujours, parce que je la prends... pour moi : "Celui qui croit en moi, même s'il est mort, vivra".

Au fond la seule réponse au nihilisme du désir sans entrave, c'est la résurrection du Christ et la foi qui nous y associe.

La foi n'est pas seulement un sentiment intérieur. Elle est le moyen de la grande métamorphose par lesquels les animaux pas très raisonnables que nous sommes deviennent éternels dans la vie même de Dieu qui est déjà celle du Ressuscité.

6 commentaires:

  1. Au fond, parmi tout ce que peuvent proposer les diverses religions, sagesses ou philosophies en ce domaine, le christianisme est le seul qui permette d'"éduquer" le désir sans en limiter la portée intrinsèque.

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  2. Parfois il faudrait justement que le désir s'accomplisse pour le voir mourir, pour s'en libérer.
    Vous dites (après Freud) "le désir mène à la satisfaction, c'est-à-dire à la disparition du désir, à une sorte de néant ". Formidable, il y a des cas où c'est bien le but, d'en sortir, de s'en débarasser, de ne désirer plus.
    Le thanatos en l'occurence peut être libérateur.

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  3. Au terme ultime de cette logique, cher Anonyme,le thanatos est libérateur une fois pour toutes. Il n'y a plus alors ni désir, ni vie, cette dernière étant animée par le désir qui ne s'épuise pas.

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  4. ok, j'entends bien que la mort nous libère de toute souffrance, mais en attendant ? EN ATTENDANT ? On ne peut tout de même pas comme cela désirer la mort (ou la vie, si l'on préfère, "y at-il une vie avant la mort ?" en paraphrasant Dr Moody) juste pour se libérer de désirer car le non accomplissement fait trop mal, laissant planer le doute.
    La question est plutôt: faut-il craindre le fait que le désir réalisé mène à la mort de ce désir, dès l'instant où précisemment sa mort est un objectif ? En allant au bout du désir, on s'en libère et l'on cesse de souffrir car il disparaît, ayant été satisfait ou (encore mieux) n'ayant pas apporté de satisfaction escomptée, dissipant en même temps toute projection illusoire source du désir. Thanatos semble alors bien libérateur, car primo il tue Eros, secundo il devient porteur d'une nouvelle vie (sur cette terre pour l'instant) dans la liberté.

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  5. Cher M. l'abbé
    Je profite de votre évocation du désir pour vous dire que j'ai terminé votre Jonas dont je pense beaucoup de bien...mais pour vous dire aussi que dans les postures humaines trop humaines par rapport au désir et à la satisfaction que vous évoquez , il me semble que vous en avez oublié une : celle de l'hystérique qui est, elle, "en attente d'insatisfaction" comme le disait Lacan...ce qui lui permet de préserver (dans la frustration)le désir de son annihilation post satisfaction... Salutatons de Bruno P. qui pinaille ! ;-)

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  6. "l'hystérique qui est "en attente d'insatisfaction" (..)ce qui lui permet de préserver (dans la frustration)le désir de son annihilation post satisfaction" -dit Bruno

    Oui, c'est bien cela, c'est bien une forme d'hystérie que de se maintenir dans l'état d'insatisfaction permanente, parfois même sans que le sujet concerné s'en rende compte (il/elle pense "triompher du péché", n'être digne que de la vie éternelle en méprisant celle d'ici-bas, se donne mille prétextes et excuses...)

    Une réserve :pourquoi "elle" ?
    c'est aussi fréquent chez les hommes (plus que l'on ne pense, surtout dans le milieu tradi), sauf qu'ils en sont eux-mêmes moins conscients; parler d'"elle" (sauf si citation de Lacan) ne se justifie point.

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